Trophée Anonym’us : Interview Eric Maneval

Anonym’us

Les Mots sans les Noms

jeudi 26 octobre 2017


Un auteur de la team sur la terrasse : Eric Maneval

 
1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ? 
Je n’ai jamais envoyé de manuscrits à des éditeurs. Je travaille généralement avec l’éditeur en amont. Je lui parle longuement de mon projet et si je perçois un désir de publication, on travaille ensemble. Enfin si, j’ai envoyé des manuscrits par politesse,  parce que l’éditeur m’avait dit, par politesse,  « envoie moi un truc » mais nous savions tous deux que ça n’irait pas plus loin. Travaillant dans le monde du livre, j’ai la chance de connaitre quelques éditeurs qui eux même, en connaissent d’autres, je peux parvenir à soumettre des idées et a obtenir un assentiment préalable.
2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ? 
J’essaie de produire des textes qui doivent se lire d’une traite, en deux ou trois heures.  Je veux que le lecteur dévore le livre. C’est ma principale exigence.
3. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
Si je prends beaucoup de plaisir à imaginer une histoire, à me la raconter, à me la répéter, puis à la raconter à d’autres, à voir si je parviens à maintenir une attention juste en la racontant à quelqu’un, ce que je fais toujours avant de ma lancer dans l’écriture, je dois avouer que l’acte d’écrire m’est difficile et pénible. je n’ai pas la facilité rédactionnelle que je perçois chez d’autres, je bute sans cesse sur des choses simples,  c’est très laborieux.  Ça n’exige pas une péridurale, mais des tonnes de cigarettes et des hectolitres de café.
4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
Non, pas vraiment. Les rituels résidant peut-être dans toutes les ruses que je peux déployer pour ne pas écrire, pour retarder la confrontation entre l’imaginaire et le réel.
5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ? 
J’ai écrit beaucoup de nouvelles.  C’est plus excitant en terme d’écriture et c’est sans doute plus exigeant que le roman, aucune approximation n’est tolérable. C’est dommage que ce genre n’intéresse plus les éditeurs, qu’il n’y ait plus de revues grand public dévolues au genre.
6. Votre premier lecteur ? 
Généralement l’éditeur, même si je fais quelquefois lire les débuts, ou la première moitié à quelques personnes de confiance.
7. Lire… Peut-on écrire sans lire ? 
Oui, dans le cadre d’une volonté de témoigner de quelque chose de singulier, mais je ne sais pas si ça existe, des écrivains qui ne lisent pas.
8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ? 
Je suis avant tout un lecteur, un gros lecteur. J’ai une vénération littéraires pour quelques écrivains, mais ce n’est pas dans mes lectures que je vais trouver des sources d’inspirations. C’est beaucoup plus le réel qui fait office de muse, le réel est fantastique.
 9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ? 
Je suis un amateur, j’ai la chance d’être publié par des éditeurs professionnels, mais jamais je ne signerai un quelconque contrat m’obligeant à fournir un roman tous les ans, ou quelque chose qui m’obligerait à produire du texte, quelque chose qui rendrait l’inspiration obligatoire. Ce serait un cauchemar.
10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ? 
Parce qu’on me l’a gentiment proposé.
11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
Et bien, en réalité, les gens lisent bien moins de polar qu’a l’époque où la télévision ne s’était pas imposée dans tous les foyers ou presque. Le polar était un réel genre, une sorte de sous littérature extrêmement codifiée, une sous littérature dans laquelle excellaient quelques grands écrivains, les tirages étaient monstrueux mais ça restait un genre un petit peu honteux.  Aujourd’hui, c’est un genre hégémonique, tous les soirs, des séries policieres, des émissions criminologiques, des reportages « en immersion » envahissent les écrans, la honte à disparue, le marketing éditorial s’est emparé du polar, du roman noir, du thriller..  En fait je ne sais pas vraiment répondre à la question, est-ce que le caractère de plus en plus anxiogène de la société nous pousse a lire des histoires policières? est-ce qu’on vit tous dans une sorte de polar? Est-ce qu’on veut se rassurer? se faire peur?  Je l’ignore.
12. Vos projets, votre actualité littéraire 
Des projets, il y en a, est-ce qu’ils vont se concrétiser, je l’ignore. Mon actualité, c’est le trophée anonym’us.
13. Le (s) mot(s) de la fin ?
Et bien merci pour tout.

Une interview réalisée en collaboration avec le blog partenaire Lila sur sa terrasse

Trophée Anonym’us : Nouvelle 5, Kill’em all

Aujourd’hui c’est le jour du Trophée Anonym’us sur A vos crimes

Votre blog est associé à cette fantastique initiative qui consiste à demander à des auteurs connus, reconnus ou amateurs d’écrire une nouvelle anonymement. Aussi, un jury de lecteurs, départagera  à l’aveugle et votera pour une des nouvelles en course. Et il y a 23 compétiteurs en lice cette année.

Pour en savoir plus sur le Trophée Anonymu’s c’est Ici


dimanche 22 octobre 2017

Nouvelle anonyme N°5 : Kill’em all

Kill’em all

« Il y a dans la vie de chacun un moment où il faut choisir de fuir ou de résister. »

Contes de la folie ordinaire — Charles Bukowski
Casque sur les oreilles, j’écoute les Guns N’ Roses, me passe Sweet Child o’ Mine en boucle, profite d’un moment de calme après cette journée de démente, gravée comme l’une des plus intenses, l’après-midi parfaite, des souvenirs plein la tête.
Coup d’œil à l’écran d’affichage. Prochain RER annoncé à 23 h 45. 10 minutes de retard. Quelques rares voyageurs sur le quai. Un couple de bobos, deux ou trois mecs encostardés, des jeunes seuls. Je traîne devant la vitrine du relais presse, m’attarde sur les couvertures de la presse people et cinoche. Cécile de France dans le film Haute tension et l’affiche du prochain TarantinoKill BillUma Thurman agressée le jour de son mariage, laissée pour morte qui se lance dans une vendetta, bien décidée à se faire justice. Je reste un moment devant la vitrine, la force de l’habitude, cette routine qui guide nos pas puis escale au distributeur pour m’offrir un mars et un Coca avant de monter dans le train. Wagon quasi désert. Une dizaine de personnes à tout casser. Regard rapide à l’étage. Pas beaucoup plus.
Dans le carré de 4 places à côté des chiottes, odeur de beuh et canettes de Kro par terre.
Dans mes oreilles, Axl Rose laisse place à James Hetfield. Metallica, fil rouge de ma journée.
Je m’installe en haut, ferme les yeux, laisse défiler les images de ma journée. D’abord les rumeurs, puis l’appel de Mika hystérique : « J’ai un plan ». Tu parles c’est carrément le plan du siècle ! Des places, précieux sésame, par son daron qui bosse chez Virgin. Trois concerts programmés sur la journée. Je sèche la fac pour en être. Rendez-vous 13 heures à La Boule noire. Premier show époustouflant. 300 chevelus excités dans une fosse minuscule. Ambiance torride et électrique. Les  Four Horsemen  de Metallica alignent tubes et riffs avec la rage des débuts. Le ton de la journée est donné. 18 heures, on fonce au Bataclan. Deuxième concert dans l’euphorie. Sur scène, les Californiens ne donnent pas l’impression d’avoir déjà donné un concert deux heures plus tôt. Un set mémorable. Le troisième concert du quatuor est prévu au Trabendo à 22 h. Mika insiste pour que l’on se fasse la trilogie. Je suis rincée, dois attraper le dernier RER. Et je le vois venir lorsqu’il me parle d’un chouette plan à trois, lui, moi et une bouteille de Jack. Je sais surtout comment tout cela va se terminer.
Quelqu’un me secoue le bras, coupe le fil de mes pensées. Je retire mes écouteurs et lève les yeux.
Une voix demande, insiste :
— Hé ho, ça va ?
Je reprends soudain pied dans la réalité. Plantés devant moi, trois mecs en jogging Adidas full zip et casquette, aussi pathétiques que les membres d’un groupe RAP sur la pochette d’un CD. Un trio improbable : le gros lard doit avoisiner le quintal, le grand maigrichon cradingue et le plus jeune plafonne à un mètre soixante-cinq. Même à cette distance, leur transpiration et leur haleine alcoolisées de sacs à bière me piquent le nez. C’est le plus gros qui me rend mal à l’aise, promenant ses yeux brillants d’excitation malsaine sur moi. Je regrette de porter un t-shirt trop court pour couvrir le piercing de mon nombril.
— T’as une clope, boucle d’Or ?
Le plus jeune enchaîne :
— Et elle s’appelle comment cette petite taspé ?
Mon cerveau fonctionne à la vitesse de la lumière. Début d’un moment de panique. Je m’étrangle, bredouille :
— Comment ?
— Ton prénom ?
Je dois répondre, ne pas les contrarier. Pas le moment de jouer les rebelles. Regard paniqué sur le wagon quasi désert. Un petit chauve en costard, occupé à faire semblant de dormir. Un geek à lunettes, planqué derrière l’écran de son ordinateur portable.
— Jennifer… Je m’appelle Jennifer.
— C’est mignon tout plein ça, Jennifer.
Il pose sa main tachée de nicotine sur ma jambe, secoue sa bouteille de Vodka devant mon visage, me fixe avec des yeux de charognard.
— Et elle a soif, Jennifer ?
Je secoue la tête. Celui-là c’est vraiment le top de la sale gueule avec ses longues mèches de cheveux gras, son visage constellé de cicatrices de varicelle et ses ratiches jaunes et pourries.
— Je suis fatiguée, j’ai eu une grosse journée et…
Pas le temps de finir ma phrase. Je me prends une petite baffe. Sans comprendre pourquoi. Le grand, si maigrichon qui doit rayer la baignoire, me regarde avec des yeux fous. Il arrache la vodka des mains de son pote, se jette sur moi, m’empoigne la gorge. Les doigts serrés sur mon cou, visage collé au mien, il crache :
— Ta maman ne t’a jamais dit que ça ne se fait pas de dire non quand un gentleman te propose un verre ?
Il m’ouvre la bouche avec violence, m’enfonce la bouteille. Je sens des doigts crades dans ma bouche, l’alcool déborde, me brûle la gorge. Je manque de m’étouffer. Je me débats, parviens à repousser sa main. Je lui balance un coup de pied bien placé dans le genou. Râle de douleur, yeux exorbités :
— Tu ne fais plus jamais ça ou je t’encule à sec !
La panique à son paroxysme. J’essaye d’attraper mon portable, il me l’arrache des mains, casse le clapet :
— Je déteste ces putains de Nokia.
Il s’empare de mon sac, renverse son contenu sur le sol. La violence monte d’un cran devant l’indifférence des rares passagers. À nouveau, il essaye de me faire boire. Je suffoque, manque de vomir, ravale un torrent de larmes.
— Oh, putain, t’as un piercing sur la langue ! Je ne me suis jamais fait sucer par une fille avec un piercing sur la langue.
Ils me poussent dans l’allée. Je suis sur le sol, proie d’une bande et de leur sauvagerie sexuelle. Il faut que je me reprenne, que je leur montre que je n’ai pas peur :
— Parce que tu t’es déjà fait sucer ? J’ai plutôt l’impression que tu n’es qu’un petit puceau.
Il me frappe, sans pitié, jusqu’à ce que je n’aie plus la force de réagir. Comme percutée par un missile Tomahawk. Au-dessus, les deux autres se poilent. Le maigrichon au gros :
— Comment elle sait que c’est une couille molle de puceau ?
— C’est marqué sur sa gueule !
Ils se poilent. Je prends conscience de la réalité de ma situation. Le gros me balance des coups, m’obligeant à écarter les jambes. Je ferme les yeux un instant, tente de ne pas m’évanouir. Gras-double empoigne le plus jeune par l’épaule, le tire vers moi :
— Tu veux devenir un vrai mec ?
— Pas ce soir. Pas comme ça.
— Tu déconnes ? C’est une occas » en or.
— Pas comme ça, j’ai dit
— Et moi je dis que tu vas baiser cette petite pute camée !
— Je ne peux pas ! J’ai un affreux pressentiment.
— Un pressentiment qui t’empêche de bander ?
Ils se tapent des barres de rire.
J’ai un sursaut, fais un mouvement en arrière.
— Hop Hop Hop… Reste avec nous, Boucle D’or !
Il m’agrippe les cheveux, me retourne et me plaque contre le sol. Souffle coupé par le choc. Douleur qui me transperce. Sa main aussi grosse qu’un jambon m’attrape le bras, me tire contre lui. Une peur glaçante m’enveloppe le cœur. J’hurle. Au plus profond de moi, j’espère une aide. Personne ne fait le moindre geste pour venir à mon secours, tirer l’alarme. Pourquoi une telle lâcheté ? Ils sont bien là, pas loin, à côté, en dessous, impassibles.
Le maigrichon essaie de me couvrir la bouche. Je donne des coups de pieds, me débats dans tous les sens. Des mains me prennent les cuisses, me forcent à les ouvrir. L’un des types s’assoit sur mon visage. Je sens un autre s’enfoncer en moi, me souiller. D’abord un, puis chacun leur tour, prenant la relève avec frénésie.
*
Enfin j’ouvre les yeux. Mon cauchemar est terminé. Enfin, ces déchets de l’humanité ont fini par se désintéresser de moi. Je ne sais pas dire combien de temps tout cela a duré. J’ai crié. Je sais que j’ai crié. De toutes mes forces. Mes appels à l’aide ne sont pas restés enfermés dans ma poitrine. Personne n’a bougé. C’est comme ça, plus il y a de témoins, moins il y a de chance que quelqu’un intervienne. Chacun pensant que quelqu’un du groupe va intervenir.
Le train est immobile, tout autour de moi est silencieux. Terminus du RER. Je me redresse trop vite, le wagon tournoie. Peur de m’évanouir, de perdre encore connaissance. Mais tout s’apaise.
Je ramasse mon lecteur MP3 et mon téléphone. Impossible de mettre la main sur mon putain de casque audio et le reste de mes affaires. Je le cherche, m’énerve. Je suis humiliée, saccagée, détruite et m’obstine à retrouver les objets qui me sont chers, qui me rassurent. Ils ont fouillé, volé quelques trucs. Ma pièce d’identité est posée le long de la vitre du train. Mon sachet d’herbe à disparu. Goût de rouille dans la bouche. Il y a du sang sur moi. J’ai du sang partout. Je parviens à atteindre les toilettes du rez-de-chaussée. La puanteur, l’odeur de pisse me prend à la gorge. Souffle coupé, douleur au plexus. Je me passe de l’eau sur le visage, n’ose pas me regarder dans le miroir, sens monter une pulsion de violence. Malgré le traumatisme, un désir de vengeance me ronge les tripes. Un voile de sang bouillonnant obscurcit ma vision.
Dehors, la pluie tombe avec une férocité biblique. Ils sont là, les trois, sur le quai, à l’abri des trombes d’eau. Ça rigole comme si rien ne venait de se passer. Tout est si tranquille, si calme et réel que mes larmes s’arrêtent d’un coup. Étrange sensation de déjà vu, de déjà vécu. Je me sens dans une sorte d’état second. Rien de tout cela ne me semble réel.
Le groupe se sépare. Je n’attendais que ça. Je suis sans pitié et sans scrupule, mais j’ai oublié d’être conne. Je dois y aller maintenant. Je pense à ce que ma mère ne cesse de répéter : fais aujourd’hui ce que tu dois faire, Dieu se chargera de demain.
Je descends sur le quai. Je sais que le poste de Police n’est qu’à une centaine de mètres. Quelques pas et j’y suis. Des paroles entendues à la fac me reviennent. La dilution de responsabilité. L’effet témoin. Les mythes du viol. La moquerie. La victime de viol culpabilisant pour ses actions ou tenues soi-disant inadéquates. « Tu l’as bien cherché ! » « Tu n’avais qu’à pas t‘habiller aussi sexy ! » Je pense à tout ça quand j’aperçois l’un de mes violeurs, larve abjecte, venir dans ma direction. Je me tapis dans l’ombre, le regarde passer sans me voir. Le plus jeune. Quinze ou seize ans. Grand max. Encore un pas en arrière. Ma main trouve la poignée d’une porte ouverte derrière moi. Je recule à l’intérieur de la pièce sombre. Du matériel de nettoyage, quelques outils. Au hasard, j’attrape un balai. Je fouille dans mon MP3, cherche une chanson violente pour me donner du courage, pour fermer la gueule à l’impression d’avoir perdu une bataille avant même d’avoir commencé à me battre. Je m’arrête sur la ligne de basse de The Trooper  d’Iron Maiden. Dans un flash, je vois le type couché sur moi. J’entends leurs injures. Loin dans le brouillard. Je sais que ces images me hanteront bien des années. Je serre fort le manche à balai. Un flot d’adrénaline se répand en moi. L’instinct sur pilote automatique, je fonce, vise la tête, mets toutema rage dans mon coup. Un bruit mat qui le propulse contre un véhicule garé le long de la voie ferrée. Son crâne heurte la tôle, il s’écroule.
Toujours viser la tête. La semaine dernière j’ai vu le film 28 Jours plus tard au cinoche. Ce qui marche avec les zombies marche avec les violeurs. J’aurais pu aussi jouer la carte du coup dans les couilles. Question d’opportunité et de taille de l’ennemi.
Après quelques secondes il parvient à se redresser :
— Toi !
Les yeux lui sortent presque de la tête.
— Qu’est-ce que tu me veux, sale pute ?
— Tu ne vois pas ce que je veux ?
Rase-bitume tente de se mettre debout. Ça dodeline sévère. Il se passe une main sur le haut du crâne, regarde le sang sur ses doigts. Beaucoup de sang d’ailleurs.
— Qu’est-ce que tu m’as fait!
— Pas besoin de sortir de Harvard pour deviner.
Ses yeux se révulsent. La sueur dégouline dans mon dos. Plus rien n’a de sens. Nous avons inversé les rôles.
— J’ai besoin d’aide, merde !
— Besoin d’aide ? BESOIN D’AIDE ?
Mon rire part dans les aigus. De nouveau un pas en avant.
Son regard me fixe.
— Je n’ai rien à voir dans tout ça, ok ? Je n’étais qu’un simple voyageur. Un putain de simple voyageur !
— Un putain de simple voyageur, tu déconnes ? T’es carrément un héros mec ! T’es venu m’aider quand tes potes me violaient ?
Je vois bien dans son regard qu’il sent tenir là sa dernière chance. Ce sac à merde en rajoute :
— Ouais c’est ça, je suis venu t’aider.
Je fais mine de réfléchir. Ses yeux perdent leur fixité démente.
— Tu as débarqué à quel moment ? Avant que le deuxième me viole ou après ?
— Avant ! Je suis intervenu avant ! J’ai essayé de les empêcher !
Je balance mon morceau de balais.
— Tu ne pouvais pas me le dire avant que je te frappe ?
Il bafouille, ne semble pas y croire, ni entendre le sarcasme dans ma voix. J’entrevois même une lueur d’espoir s’allumer dans ses yeux. Dans les profondeurs de ma poche, j’attrape mon trousseau de clés. Rase-bitume se rue sur moi, j’encaisse de plein fouet la violence du choc, mais d’un coup sec et rapide, je lui plante ma clé dans la carotide. Il porte la main à son cou, au ralenti, vacille comme un putain de poivrot, puis tombe et roule dans le caniveau. Mon estomac se retourne. La nausée me prend à la gorge, me brûle les entrailles comme de l’alcool sur une plaie à vif.
L’instant d’après, je respire à pleins poumons.
Je suis en pleine forme, vivante.
Tremblante mais vivante.
Je traverse la place devant la gare routière, évite les flaques. Un soiffard squelettique titube sous l’arrêt de bus. Je m’arrête, ramasse une bouteille de Heineken vide au pied du clodo.
Les deux autres n’ont pas bougé, espérant l’accalmie. Je pense à ce qu’ils ont fait, à ce qu’ils m’ont fait subir.
Ça y est, ça se sépare. Le maigrichon dit bye-bye au gros et part en cavalant sous des trombes d’eau. Je suis à dix mètres de ce résidu de fausse couche quand il s’arrête à la porte d’un immeuble. Je remonte ma capuche et cours m’abriter à ses côtés. Je tripote mes clés comme si je rentrais chez moi. La serrure bourdonne, il s’apprête à entrer dans le hall quand j’explose la Heineken juste derrière son oreille. Impression que son crâne éclate sous le choc. Il tombe en avant, parvient malgré tout à faire volte-face. Je plonge de toutes mes forces la moitié de la bouteille qu’il me reste dans l’œil droit de cette raclure. Hurlement écœurant dans sa gorge. Il s’écroule en arrière, son corps s’agite, un flot de sang coule comme un robinet ouvert par le cul de la bouteille.
Next.
Pelouse envahie de mauvaise herbe, de vieilles mobylettes et tout un bric-à-brac de jardinage. Une fois encore, je m’empare du premier outil qui me tombe sous la main. J’arrive juste à temps pour voir gras-double monter les marches devant la porte d’entrée d’un pavillon.
— Hé mec !
Il se retourne, vient vers moi. C’est le plus bourré des trois. Le pire de la bande.
Petit ricanement aviné :
— Mais c’est cette petite salope de Jennifer ! Qu’est-ce que tu viens faire là ?
Il titube en s’approchant, déboutonne son jean :
— Tu n’en as pas eu assez tout à l’heure ? T’en redemandes ?
Je lève le bras, imagine déjà les dents du râteau planté dans son crâne avant de porter le coup fatal. Le bruit sordide que fait le choc contre sa tempe, la façon dont il s’écroule me convainc que lui aussi n’est pas près de se révéler. Quelques gémissements. Ça pisse le sang.
Je le contourne, sors de ma transe.
Je marche sous la pluie.
Je prends conscience des derniers événements, pense à ce que ces raclures m’ont fait subir.
La vie est semée d’atrocités que nous ne parvenons pas toujours à éviter.
Je sais que le traumatisme restera en moi.
Que le reste de ma vie ne sera plus comme avant.
Que je me sentirais dans un état de danger permanent.
Que ma confiance envers les hommes est détruite.
Même si je sais que ce ne sont pas les hommes qui sont mauvais.
Que ce sont les choses que certains font qui sont impardonnables.


Vous aussi vous pouvez essayez de retrouver quel auteur a écrit cette nouvelle.

Pour vous aidez la liste des auteurs en course est ICI

Moi j’ai déjà ma petite idée.

Et vous ?


Trophée Anonym’us : Interview Magalie Le maître

Anonym’us

Les Mots sans les Noms

 jeudi 19 octobre 2017


Une auteure de la team sur la terrasse : Magali Le Maître

  1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?

J’ai envoyé mon premier polar « Quelqu’un comme elle » à une quinzaine d’éditions. David Lecomte de Fleur Sauvage m’a répondu très vite; une incroyable aventure qui continue avec mon deuxième thriller, « Le bal de ses nuits ». Je suis fière d’être une fleur sauvage.

  1. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?

Un style fluide, une intrigue addictive, une critique sociale et un drame psychologique. C’est mon cocktail préféré quand je lis les autres.

  1. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?

Sans. J’ai du mal à accoucher de mes romans, mais si ça ne fait pas mal, où est la délivrance?

  1. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?

Mes clopes, mes bières, et le silence. Quand la vague arrive, je m’y plonge, laissant ma vie sur la rive. Je refais surface après 2 ou 3 semaines, le « premier jet » terminé. Après ça se gâte. Des mois de relecture.

  1. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?

Ecrire un roman, c’est un travail de titan. Ecrire des nouvelles, des poèmes, des contes, pour un esprit synthétique comme le mien, c’est prendre son pied sans trop se fouler. C’est là que ça devient périlleux : un texte court ne demande pas moins de rigueur, au contraire! La paresseuse exigeante que je suis (terrible paradoxe!) doit retrouver ses exigences de romancière. Parce que je n’aime pas manquer de respect, ni aux mots, ni au lecteur.

  1. Votre premier lecteur ?

Mon double, resté sur la rive.

  1. Lire… Peut-on écrire sans lire ?

Question pertinente, c’était mon sujet de mémoire, du temps où j’avais une vie d’adulte. On a chacun ses idées, mais on partage tous les mêmes mots. J’ai besoin de me nourrir de la musique des autres pour créer la mienne. Mais comme je suis feignante, je suis plus accro aux chansons et aux films qu’aux bouquins. Pour moi, l’art c’est un seul univers plein d’étoiles uniques. D’ailleurs je fais un peu dans le court-métrage, le slam…

  1. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?

On va retirer « littéraire »: Thiéfaine, Maupassant, Sautet, Baudelaire, Leonard Cohen, Sailor et Lula… La liste est longue, et je vous cite pas mes excellents copains auteurs! (bon d’accord: Manu, Denis, Gilles, Marc, Stanislas, Mickaël, Hervé, David, James, Christophe, Alexandra, Armelle, Jibé, Patrick, Philippe, Cédric, Sandra, Gaylord, Ben, Yvon, Alain, Gaëlle, Didier, Eric, Yannick, Annie…)

  1. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?

C’est l’horreur. Je suis en plein dedans. Sortez-moi de là ! C’est pas l’envie ou les idées qui manquent, c’est l’énergie. J’attends que ça revienne.

  1. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?

Parce qu’Eric Maravélias… ça suffit comme réponse?

  1. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?

Le polar est devenu le roman social contemporain. Le monde marche sur la tête, alors le dénoncer en l’assassinant, c’est exutoire pour le lecteur comme pour l’auteur.

  1. Vos projets, votre actualité littéraire ?

Je continue la promo dédicaces et salons du « Bal de ses Nuits » sorti en avril, et j’ai soumis mes contes allégoriques à un artiste talentueux pour une éventuelle publication illustrée par lui. Il est intéressé… les contes, c’est fait pour rêver, non?

  1. Le (s) mot(s) de la fin ?

Un message: notre époque éprouve durement nos facultés à exister, j’invite donc à la révolte: artistes et lecteurs, soyons tous passionnés!

Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse

Trophée Anonym’us : Nouvelle 4, Le 18h43

Aujourd’hui c’est le jour du Trophée Anonym’us sur A vos crimes

Votre blog est associé à cette fantastique initiative qui consiste à demander à des auteurs connus, reconnus ou amateurs d’écrire une nouvelle anonymement. Aussi, un jury de lecteurs, départagera  à l’aveugle et votera pour une des nouvelles en course. Et il y a 23 compétiteurs en lice cette année.

Pour en savoir plus sur le Trophée Anonymu’s c’est Ici

dimanche 15 octobre 2017

Nouvelle 4 : Le 18h43

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Le 18h43

Pour l’instant il dort. Sonné. Repu. Protégé par l’oubli.
Peut-être même qu’il rêve.
Je l’observe. Ça fait vingt minutes. Il n’a pas bougé.
Un peu de bave a séché au coin de sa bouche, rosie par ce filet de sang généreusement jailli de ses narines.
La jeunesse est si facilement impressionnable. La peur a suffi. Coagulation en alerte ! L’épistaxis était à prévoir.
D’accord, le coup de pelle l’a bien achevé, pourtant, je n’ai plus la main aussi lourde.
Les mômes d’aujourd’hui sont trop friables. À peine plus denses qu’une motte de terre sèche. Des copeaux de misère qu’un pet d’oisillon suffit à envoyer valser.
Ceux de la ville surtout.
Ils arrivent par le train de 10 h 7, le cœur asphyxié de goudron. Ils courent cent mètres, respirent une pleine goulée d’air et aussitôt ils sont soûls.
Les grands espaces leur tombent dessus comme un tsunami d’émotions. Ils s’ébattent, se croient libres, jappent, sautent, s’enhardissent et, d’un seul coup, ils flageolent.
L’air d’ici leur arrache les poumons, force leurs petits alvéoles à se décrasser et la fatigue les prend tels que, dans une respiration têtue.
Ils s’écroulent sur eux-mêmes, un peu étonnés, la tête dans le ciel et là, c’est le coup de massue. Suffit que l’herbe soit bien moelleuse, du duvet de nouveau-né, et c’est comme si le ventre de la terre d’un coup les absorbait ou les rétrécissait.  Ils plantent leurs mirettes dans le grand plafond bleu et, hop, ça finit de les emporter.
D’un côté, ils sont comme sertis au sol, de l’autre, comme aspirés par l’immensité.
Ils ont beau avoir de grands parcs, là-bas à Paris, y a bien qu’ici qu’ils connaîtront ça.
Et pas que les mômes. J’en ai vu des bonshommes, des costauds, tout aussi figés dans la béatitude qu’à leur première branlette.
Jusqu’à maintenant je les observais. Silencieux. Curieux.
Je connais par cœur leur terrain de jeux. C’était le mien, il y a longtemps. Avant que la ligne de chemin de fer ne vienne le couper en deux.
À cette époque, je ne me rendais pas compte. C’était le paradis mais je ne le savais pas.
Il m’a fallu grandir. Voir mon père perdre le peu qu’il possédait. Ma mère rapetisser. Leur couple se fendre à mesure que s’étiolaient leurs rêves.
Ils n’avaient connu que ce bout du monde. Cette plaine sans limites. Ces herbes sauvages. Ce toit bleu qui parfois grondait et dégorgeait son fiel mais qui toujours finissait par renaître.
Avant la ligne de chemin de fer. Avant que l’on rase leur maison. Qu’ils soient chassés. Acculés à rejoindre le bourg.
Avant. Il y a longtemps.
Deux générations sont passées depuis. Moi. Et mon fils.
Tout le monde est parti.
La gare est restée.
Une fois par an, chaque été, elle déverse son quota de touristes.
Beaucoup de familles et donc de gamins.
Ils viennent pour le lac. Artificiel.
La nature. Apprivoisée.
Le grand air. Poissé de leurs rires criards.
Paraît que ça leur fait du bien.
La plupart n’ont jamais vu de vache ailleurs que sur un paquet de lait ou une tablette de chocolat. Alors  y a des navettes. Qui les acheminent vers la seule ferme encore en activité. Laquelle garantit ses produits frais. 100 % bio.
Celle où travaillaient mon père, ma mère et les générations précédentes.
Mais pas moi. À l’âge où j’aurais pu et dû prendre la relève, mes parents vivaient déjà à la ville.
J’ai grandi un pied dans la bouse, l’autre dans le béton. Aujourd’hui encore, je ne sais pas lequel des deux a fait de moi ce que je suis devenu : un vieillard aigri.
Qui revient chaque été.
Qui attend.
J’ai un cabanon dans la parcelle de bois au nord du lac. Une remise qui sert au garde forestier onze mois sur douze. Ce qu’il reste de l’atelier paternel. Personne ne sait que j’y vis quinze jours par an. C’est une zone protégée. Interdit de pénétrer.
De là, je surveille la débandade estivale.
Je compte les gamins. Cette fois-ci, ils sont vingt-deux.
Comme aujourd’hui, le 22 août.
Hasard ou coïncidence ! C’est la première fois que ça arrive. Il n’y en aura pas de seconde.
Brave jeunesse qui pense tout connaître. Quand elle croit avoir tout à gagner, elle ne sait pas encore que nous, nous n’avons plus rien à perdre.
Nous, les vieux. Moi, l’ancien.
Il m’en aura fallu du temps. De longues années. Toutes de trop.
Ce fut pourtant simple.
Attendre qu’ils s’éparpillent, que l’un d’eux s’éloigne, à peine, j’arrive tout tremblotant, en sueur, je demande de l’aide, l’œil humide, d’une voix affaiblie.
Pas difficile en fait.
À croire qu’on ne leur apprend rien à ces petits gars des villes. Même pas à se méfier !
Il ne m’en fallait qu’un et je l’ai eu.
Je l’observe et j’ai un doute.
Quarante minutes à présent qu’il gît là, sur le plancher de la remise. Étendu comme il est tombé, sa face d’ange contre bois, après que je lui ai filé un coup de pelle alors qu’il allait crier en se retrouvant face à face avec Léon.
Léon, c’est une mygale. Une Aphonopelma chalcodes plus précisément. Pas des plus dangereuses, non, mais avec une faculté de bombardement assez impressionnante.
Une seule de ses projections de soies urticantes et vous êtes bons pour vous plonger le crâne dans un gros baquet d’eau. Avec le souvenir d’une glue vivace longtemps collée à la peau.
Six mois que j’essaie de l’apprivoiser. En vain. Comme toutes ses congénères depuis 33 ans. Depuis mon fils. À chaque fois, elles se planquent, bien à l’abri dans leurs terrariums. Ce sont des solitaires, comme moi, et je sais bien ce que la solitude peut creuser dans le fond du ciboulot.
Moi aussi, j’ai des envies de bombardement, des humeurs à soulager.
Le gamin va devoir s’y faire. Parce que le plus dangereux des deux n’est pas celui qu’on croit.
Dans mon terrarium à moi, aucune vitre ne fait barrage.
Suis ici chez moi.
Et l’intrus, c’est lui. Eux. Ces gosses et leurs parents. Le train et la ligne de chemin de fer. Le trou qu’ils ont fait dans la vie de ma famille. L’absence. L’oubli.
La mort.
Qui ôte toutes les bonnes raisons de vivre et te force à admettre que tu n’as plus rien à perdre.
Ce gosse est un hasard. Je ne l’ai pas choisi. Il est venu tout seul.
Y pourront dire ce qu’ils veulent. S’il est venu, c’est qu’au fond de lui, il savait. On le sait toujours quand l’heure vient. C’est fugace, on ne sait pas comment, on le ressent et nos pas nous mènent là où nous devons être.
C’est bien ce qu’ils ont essayé de me faire gober à moi.
Il n’est pas bien gros, plutôt petit. Un poids léger qui arrange bien mon affaire.
Voilà qu’il émerge. Il est temps. Suis sûr que ça s’affole déjà à l’extérieur.
Le compte à rebours est lancé. Ils vont venir. Tout doit être prêt.
Le 18 h 43 est toujours à l’heure.
Il me regarde avec des yeux affolés. Je lui ai saturé la bouche de coton et l’ai scotchée avec du gros Chatterton trouvé sur une étagère. Heureusement d’ailleurs car, dans ce que je m’apprête à faire, rien n’a été prémédité. Sans cette aubaine, il aurait déjà couiné comme un bébé phoque en train de glisser sur sa banquise à la recherche de sa maman.
Je ne sais pas ce que le phoque fait dans mon histoire. Sûrement sa truffe noire de poussière et ses deux billes sombres qui battent des cils à la cadence d’un marteau-piqueur.
C’est fou ce que ce gamin est expressif.
Il s’en faut de peu que je lui rallonge un coup de pelle. Est-ce que je couine, moi ?
Qui peut dire qu’il m’a entendu me plaindre une seule fois ? Qui ?
Qu’est-ce qu’il croit ? Que ses trombes d’eau qui lui sortent maintenant de partout vont m’apitoyer ?
Je le répète, je n’ai plus rien à perdre.
Tout a commencé ici et doit finir ici.
J’y suis né et j’y mourrai. Une partie du gamin avec moi.
Aucune raison que ça se passe autrement. Pas aujourd’hui.
Des années que je me plante là à ronger mon frein. À les regarder s’ébattre sans vergogne sur ce que fut mon enfance. À cause de cette foutue ligne de chemin de fer qui m’a emporté ailleurs. Et, des années plus tard, ma descendance.
Mon fils. Coupé en deux lui aussi. Ici même. Un 22 août.
Il n’y a que le vélo qu’on a retrouvé intact. Le reste n’était que bouillie. Deux cents tonnes, c’est du lourd quand on a 12 ans. Il avait le même âge que moi quand l’exil nous a court-circuité l’avenir.
Tout ça pour quoi ? Qui ?
Une bande de touristes inconscients. Sacrilèges. Blasphémateurs.
Il est temps de leur passer l’envie.
Zone sinistrée. À jamais. Pour toujours. Pour tout le monde.
Le gamin sera mon témoin.
Je vais l’asseoir contre l’arbre. Celui-là même où on a retrouvé la cervelle de mon fiston après qu’il fut décapité.
Trois tours de corde afin qu’il ne bouge pas, et le train de 18 h 43 restera gravé dans sa mémoire. C’est peu cher payé, je trouve.
Je vais m’allonger pour toujours, Léon à mes côtés.
Léon, c’était aussi le nom de mon fils.
J’espère qu’ils comprendront.
Le garde forestier saura leur expliquer. Il sait lui. Il m’a connu.
Avant que j’attrape la folie et que j’aie, comme ils disent, une araignée dans le plafond.

Festival Sans Nom 2017 – Programme des festivités 2nd partie

Je vous le disais la semaine dernière, les 20, 21 et 22 octobre prochains, je serai à Mulhouse au salon du polar le « Festival Sans Nom »

Aussi pour que vous ayez envie de m’y rejoindre je vous propose de feuilleter le menu de ce week-end qui s’annonce copieux.

Aujourd’hui place au programme du Samedi soir et du dimanche

 

Samedi 21/10 en soirée

19h 30 : Concert de musique de chambre avec l’orchestre symphonique de Mulhouse.

Un programme « sang pour sang » Polar avec d’un côté B. Hermann, compositeur emblématique d’Hitchcock, et Philip Glass avec sa musique entêtante et pleine de suspense.

PHILIP GLASS
5ème quatuor à cordes

BERNARD HERMANN
Souvenirs de voyage

Manuel Poultier, clarinette | Michel Demagny, Laurence Clément, violons | Clément Schildt, alto | Americo Esteves, violoncelle

Lieu :
Société Industrielle de Mulhouse – 68100 Mulhouse

Renseignements :
03 69 77 67 80
Web : orchestre-mulhouse.fr
Mail : osm@mulhouse-alsace.fr

Horaires :
Samedi 21 Octobre 2017 à 19h30
Tarifs : 5€

Participation 5 Euros.
Billetterie Weezevent obligatoire : www.weezevent.com/concert-de-l-osm

21h Ciné-Concert au Temple Saint Etienne

Avec la projection du 1er polar de l’histoire du cinéma :
Regeneration, tourné par Raoul Walsh en 1915.
Accompagnement musical Simon Medz.

Résumé :
Orphelin à 10 ans, Owen est recueilli par des voisins miséreux et violents du Bowery, dans le sud de Manhattan…
Le premier long métrage de Raoul Walsh, tourné dans les quartiers misérables de New York et adapté de la biographie d’un authentique gangster repenti.

Entrée gratuite dans la limite des places disponibles. Plateau à la sortie.

Dimanche 22/10

A la Société Industrielle de Mulhouse

10h-18h dédicaces des auteurs invités au salon

16h Lecture de contes pour enfants

Myriam Weill, lectrice, proposera pour les plus petits (3-7 ans) une lecture de contes le samedi et le dimanche à 16 heures et un coin coloriage sera installé.

16h30 : Conférence de Bob Garcia, Tintin à Baker Street

Dans le cadre du Festival Sans Nom, le salon du polar de Mulhouse, Bob Garcia animera une conférence autour des univers de Tintin et de Sherlock Holmes.
L’objectif est de présenter, de façon ludique et interactive, les univers de Tintin et de Sherlock, et de montrer la filiation entre les deux héros. Une belle manière de (re)découvrir l’œuvre de Doyle à travers Tintin.

Pour tout public, de 7 à 77 ans… forcément !

Entrée libre, dans la limite des places disponibles

Présentation de l’auteur :
Bob Garcia est ingénieur diplômé de l’école centrale de Lyon. Après quelques années passées dans l’industrie des télécoms, il opte pour une carrière artistique (musicien de jazz et écrivain).

Il a écrit plusieurs romans, dont :

  • La Ville monstre, 2007
  • Duel en enfer : Sherlock Holmes contre Jack l’Eventreur, 2008
  • Les spectres de Chicago, 2016
  • L’Affaire Mina Marten – Sherlock Holmes contre Conan Doyle, 2017

Et plusieurs études tintinophiles :

  • Tintin à Baker Street , 2006
  • Hergé et le polar, 2006
  • Hergé et le 7e art, 2007
  • Hergéographie ou le monde selon Tintin, 2011
  • Tintin le rêve américain, de la BD au film, 2011
  • L’Histoire selon Tintin, 2013

Il a également rédigé de nombreux articles pour diverses revues de jazz et de polar, ainsi que l’essai Jazz et Polar.

Voilà pour la suite et fin ce salon FSN.

J’espère que vous y passerez un beau week-end.

Pour moi c’est certain il sera de folie.

Festival Sans Nom 2017 – Programme des festivités 1er partie

Je vous le disais la semaine dernière, les 20, 21 et 22 octobre prochains, je serai à Mulhouse au salon du polar le « Festival Sans Nom »

Aussi pour que vous ayez envie de m’y rejoindre je vous propose de feuilleter le menu de ce week-end qui s’annonce copieux.

Voici. donc le programme détaillé de toute ce que vous pourrez trouver durant le Festival Sans Nom 2017 , le salon du polar de Mulhouse, en dehors des dédicaces le samedi et dimanche de 10h à 18h : interviews et tables rondes, cinéma, concerts, photo, apéro littéraire, activité pour les enfants…

De quoi mettre l’eau à la bouche, non ? 😉

En plus pour les locaux ou les vacanciers ça commence le Jeudi !

Jeudi 19/10, 2 RdV

1 : Séance Polar SNCF pour un voyage qui décoiffe

Rendez-vous le jeudi 19 octobre, de 19h00 à 21h00, au cinéma Le Palace de Mulhouse pour une séance de projection gratuite, à l’issue de laquelle de nombreux cadeaux seront à gagner.

SNCF propose aux fans de polar une projection des 7 courts métrages en compétition pour le PRIX SNCF DU POLAR 2018. L’opportunité pour les spectateurs mulhousiens présents de figurer parmi les premiers cinéphiles de France à assister à la projection de cette sélection 2018, réalisée par une équipe de 21 experts passionnés qui ont traqué durant toute l’année les meilleures œuvres polar parues aux quatre coins du monde.

À l’issue de la projection, le public pourra voter pour le meilleur court métrage. En votant, ils deviendront de fait membres du jury du PRIX SNCF DU POLAR, premier Prix du Public en France, et contribueront ainsi à l’élection du lauréat de l’année.

Jeu concours SNCF : de nombreux lots à remporter pour les participants

En attribuant une à cinq étoiles à leur film préféré, les participants à la projection pourront également participer au jeu concours organisé par SNCF ce soir-là, qui offrira des polars et un voyage SNCF aux spectateurs tirés au sort. Les noms des gagnants seront annoncés sur place, ils pourront ainsi repartir avec leurs lots le soir même.

7 films concourent au titre de PRIX SNCF du Polar 2018.

  • COUNTY STATE USA – États-Unis
    Jonathan Nowak (8th Street Productions)
    Après avoir braqué une banque dans une petite ville de province, un adolescent doit s’en remettre entièrement à un autochtone, un agriculteur menacé de saisie.
  • STANDBY – Royaume-Uni
    Charlotte Regan (Jack Hannon)
    Gary et Jenny partagent le même bureau : les sièges avant d’une voiture de patrouille. Leur relation contraste avec le défilé de voyous qui occupent le siège arrière.
  • MATICES – Mexique
    Saul Masri (GarciaBross)
    Lors d’une partie d’échecs, deux vieillards se reconnectent avec un passé qu’ils pensaient avoir laissé derrière eux.
  • SPEED DATING – France
    Daniel Brunet & Nicolas Douste (AS&M Prod)
    Jacques, négociateur au GIGN, a 7 minutes pour séduire une femme… Le temps de désamorcer la bombe sur laquelle elle est assise.
  • BALCONY – Royaume-Uni
    Toby Fell-Holden (Film London)
    Dans un quartier où règnent de fortes tensions raciales, une adolescente se rapproche d’une jeune immigrée, victime de préjugés et de harcèlement.
  • SECOND LIFE – Russie
    Alexander Harlamov (Ivan Yakovenko production)
    Yuri emménage dans un nouvel appartement. La visite d’une voisine lui apprend que l’ancien locataire des lieux a été assassiné. Un étranger sonne alors à sa porte…
  • GARDEN PARTY – France
    Film de fin d’études par : Babikian, Bayoux, Caire, Dufresne, Grapperon, Navarro (MOPA)
    Poussés par leur instinct, des amphibiens explorent une villa abandonnée.

Avertissement :
Afin de ne choquer aucun des spectateurs, SNCF recommande de ne pas laisser voir ces films par les plus jeunes.

2 : Soirée Ciné-Lecture: « Mais que fais la Police »

Soirée ciné lecture présentée par Olivier Arnold, réalisateur mulhousien de nombreux courts-métrages et passionné de cinéma et de Woody Allen

  • Accueil du public: lecture de sketchs policiers de Woody Allen tirés de son ouvrage Dieu, Shakespeare et moi (opus 1), Editions Virgule, 1985.
  • Présentation de deux courts-métrages de 7 minutes chacun:
    Brochettes (2015): un grand repas de famille où chacun se demande où a bien pu passer le grand-père…
    Free as a bird (2017): le perroquet d’une jeune chanteuse est l’unique témoin du meurtre de sa maîtresse…
  • Présentation de Woody Allen, cinéaste reconnu pour son humour, son autodérision, et qui évoque avec finesse les perplexités de ses contemporains. Ce mélange de gravité et d’ironie se retrouve particulièrement dans ses comédies policières, notamment Meurtre mystérieux à Manhattan…
  • Présentation du film Meurtre mystérieux à Manhattan(Woody Allen 1993): Carol et Larry Lipton vivent une vie confortable dans un luxueux appartement de Manhattan. Ils font la connaissance de leurs voisins, un couple plus âgé. Le lendemain, la femme décède brutalement d’une crise cardiaque. Carol n’arrive pas à croire à ce décès soudain et se met à enquêter sur ce veuf un peu trop joyeux. Elle entraîne dans ses investigations son mari Larry, qui préférerait de beaucoup la tranquillité de son foyer…
  • Discussion autour du film…

Tarifs Palace habituels

 

Né en 1980 à Belfort, Olivier ARNOLD est fasciné depuis son enfance par le cinéma. Une passion qui va guider ses choix personnels et professionnels. Il poursuit des études d’Histoire avec une option en Histoire du cinéma de 1998 à 2003 et prépare dans la foulée le concours du CAPES dans la même dominante. Depuis 2003, il est professeur d’histoire-géographie en collège dans la ville de Mulhouse. Mais le cinéma ne le quitte jamais. A partir de 2006, où il obtient la certification complémentaire Cinéma et Audiovisuel, il monte un ciné-club dans son établissement et s’attaque à la réalisation de courts-métrages, dont plusieurs reçoivent des soutiens institutionnels.

Samedi 21/10 en journée

A la Société Industrielle de Mulhouse

1oh-12h Atelier d’écriture par Nick Gardel

Durant deux heures, venez écrire une courte nouvelle (deux pages maximum) avec un auteur présent au Festival Sans Nom 2017, sur un thème et des indications qu’il vous dévoilera sur place.

Places limitées à 12 personnes. Chacun est prié d’emmener son ordinateur portable afin de pouvoir rédiger la nouvelle.

Après délibération du jury le jour même, les meilleures nouvelles seront publiées par la suite sur le site officiel du Festival Sans Nom.

Participation gratuite.
Billetterie Weezevent obligatoire : www.weezevent.com/atelier-d-ecriture-5

Présentation de l’auteur :
Après avoir exercé différents petits boulots, Nick Gardel intègre l’Éducation nationale. Il s’y occupe d’adolescents désocialisés et déscolarisés qu’il a pour mission de ramener dans un chemin plus droit. Né dans le 93, Alsacien d’adoption, il publie des polars depuis 2010, irrigués de son expérience du terrain tout en rendant hommage, à chaque fois, à une certaine conception du polar à la française. Fourbi étourdi (Caïman, 2017) raconte l’épopée de Jean-Edouard qui a la malencontreuse idée de voler une DS dans laquelle il trouve bien malgré lui une mallette remplie de petites coupures et l’encombrant cadavre qui l’accompagne.
Dans son tout nouveau roman, Chorale, on retrouve plusieurs des personages de ses précédents romans. Un magasin qui explose, un mitraillage à la kalachnikov, une sirène recherchée, un gang sanguinaire, Peter, Jean-Édouard et Lorelei sont des habitués du chaos. Quand leurs extraordinaires aptitudes pour les ennuis s’entrecroisent, cette troupe soudée par l’amitié prend la route à bord d’une vieille DS qui en a vu d’autres. Mais jusqu’où peut conduire l’amitié ?

15h-16h Photographie souvenir

Faites vous photographier par Marie et Grégory et repartez avec un souvenir personnalisé du Festival.

16h Lecture de conte pour enfant

Myriam Weill, lectrice, proposera pour les plus petits (3-7 ans) une lecture de contes le samedi et le dimanche à 16 heures et un coin coloriage sera installé.

17h30-19h : Apéro littéraire spécial polar par Carobookine.

En présence d’Olivier Norek, parrain de cette 5ème édition, et de Dominique Maisons, venez partager un moment de convivialité entre passionnés. Discussion animée autour des romans des deux auteurs et présentation des coups de cœur qui font l’actualité du Polar.

http://carobookine.com/apero-litteraire-special-polar-le-2110/

Voilà pour bien débuter ce salon FSN.

Demain vous aurez droit à la suite si vous êtes sages

Trophée Anonym’us : Interview Jeremy Fel

jeudi 12 octobre 2017

Un auteur de la team sur la terrasse : Jeremy Fel

 

1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
Tout s’est passé assez rapidement, j’ai eu beaucoup de chance. Je commençais tout juste à envoyer le manuscrit par la poste et Emilie Colombani, mon éditrice chez Rivages, est tombée sur le blog où j’avais publié les trois premiers chapitres et m’a demandé de lui envoyer le manuscrit en PDF. Sachant qu’elle le lisait et qu’elle s’y intéressait vraiment, je ne l’ai plus envoyé à personne, me disant (connaissant son travail et grand lecteur des éditions Rivages depuis longtemps) que si par miracle elle acceptait de m’éditer, je signais tout de suite ! Et un matin est venu le coup de téléphone tant attendu…

2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Il faut que le résultat sur la page soit le plus fidèle à l’idée que j’avais, que rien dans le texte ne bloque pendant mes relectures, que la phrase coule exactement comme je le voulais, de la façon la plus claire et simple possible. Je vois en général d’abord les scènes en images, le but est ensuite de les retranscrire le plus fidèlement possible par les mots.

3. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?Ce n’est jamais douloureux d’écrire pour ma part, même si ce n’est pas non plus, bizarrement, un plaisir au sens strict du terme. Le plaisir vient plutôt ensuite, à la réécriture, quand l’essentiel du texte est là est que mon travail est de l’améliorer le plus possible.

4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?

Je n’ai pas vraiment de rituels ou de manies. Je ne m’impose pas de nombres d’heures de travail par jour où un endroit précis pour écrire. En général, j’ai besoin d’être confortablement installé, allongé sur mon lit par exemple. Et, en dehors de notes, je n’écris que sur mon ordinateur.

5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est-ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
J’ai commencé par écrire des nouvelles, mon premier roman pourrait d’ailleurs aussi être considéré comme un recueil de nouvelles. Ce travail oblige à aller à l’essentiel. Le texte, à l’arrivée, devant être tendu comme la corde d’un arc. Mon prochain roman sera en revanche assez long. Ce qui me plait dans l’écriture d’un roman, c’est au contraire de pouvoir laisser libre court à mon imagination, sans règles, sans restrictions.

6. Votre premier lecteur ?
Maintenant, mon éditrice. Qui d’ailleurs va bientôt recevoir le manuscrit de mon deuxième roman. Elle sera la première à le lire.

7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
J’ai du mal à l’imaginer. Pour ma part, c’est en grande partie mes lectures qui ont forgé l’auteur que je suis.

8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?

Pêle-mêle : Joyce Carol Oates, Stephen King, Michael Cunningham, Lautréamont, Dostoïevski, John Irving, Dan Simmons, Clive Barker, Cormac Mac Carthy, William Burroughs…

9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ? 
S’il y a quelque chose dont je ne manque pas, je pense, c’est bien d’imagination. Je n’ai pas forcément d’inquiétude de ce côté-là. Et je n’ai pas encore, je touche du bois, ressenti la fameuse « angoisse de la page blanche ».

10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
Car on me l’a proposé, tout simplement. C’est toujours un plaisir qu’on puisse penser à moi pour de tels projets. Et c’est aussi un challenge que je suis content de relever, j’aime beaucoup le principe des nouvelles écrites de façon anonyme, entre auteurs publiés ou non.

11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
C’est un peu comme pour les films d’horreur. Ce besoin de ressentir des émotions fortes. On peut être naturellement attiré par la violence, la noirceur, qui dans dans les films ou les romans est une sorte de reflet exacerbé de celle qui nous entoure tous les jours. Les romans de genre, comme le polar ou le roman noir, jouent bien sûr là-dessus et sont en général très narratifs, ce qui reste pour la plupart des lecteurs le plus important (à tort ou à raison) : suivre une bonne histoire.

12. Vos projets, votre actualité littéraire ?

Je travaille actuellement sur plusieurs projets scénaristiques, et mon deuxième roman sortira l’année prochaine chez Rivages.

13. Le (s) mot(s) de la fin ?

En contrepoint à la noirceur du monde que nous évoquions précédemment, ce titre de mon morceau préféré des Smiths : There Is a Light That Never Goes Out.

Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse

Trophée Anonym’us : Nouvelle 3 : No Man’s land

Anonym’us

Les Mots sans les Noms

dimanche 8 octobre 2017

Nouvelle 3 : No Man’s land

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No Man’s land

La nuit qui venait s’annonçait glaciale et pleine de brouillard. Le pilonnage avait cessé en début de soirée, la terre ne tremblait plus ; une accalmie sépulcrale régnait sur le no man’s land qui débutait aux premières fermes de Chaudancourt. Tassés dans leur tranchée, les guetteurs avaient les pieds dans la boue et le regard tourné vers la ligne de feu adverse. Abrutis de fatigue, ils tapaient du pied pour conjurer le froid. Personne ne prêtait attention aux gaspards qui se faufilaient entre leurs jambes. Certains étaient gros comme des chats.
Le 2e classe Gaston Lamotte était trempé, ses vêtements pesaient une tonne et sa chemise avait la consistance d’un vieux cuir raidi par la crasse. Il piquait du nez quand brusquement, quelqu’un gueula dans son dos. C’était Louis Garrigue de la prévôté : un butor colérique au crâne luisant comme un œuf. Ses épaules portaient les insignes de sergent. Beaucoup le haïssaient, car à chaque fois que les poilus montaient à l’assaut des lignes ennemies, il s’arrangeait pour rester au chaud dans sa casemate, occupé à ouvrir les courriers des soldats. Officiellement, c’était pour des motifs de sécurité : il fallait censurer ceux qui, volontairement ou non, signalaient la position du régiment. En fait, seules les lettres d’amour l’intéressaient. Surtout celles qu’écrivaient les demoiselles, avec du joli papier parfumé à la violette. Certains affirmaient qu’il conservait les plus impudiques dans une cantine, fermée par un lourd cadenas. La clef pendouillerait à son cou, dissimulée sous un tricot.
Le pandore remontait la tranchée en interpellant tous les gars qu’il croisait.
Ses yeux lançaient des éclairs et sa façon de rouler le « r » donnait à ses propos un ton grand-guignolesque.
— Le commandement recherche activement cet homme, disait-il en brandissant la photo d’un visage patibulaire.
Beaucoup de poilus le connaissaient déjà. C’était Léon Vachard, un déserteur qui avait récemment pointé les deux gendarmes qui s’apprêtaient à le renvoyer vers son unité. On annonçait une belle récompense pour qui lui mettrait la main au collet.
« Un pauvre type que les gaz ont rendu cinglé », songea Gaston.
Autour de lui, des soldats sifflaient de contentement.
Louis Garrigue ajouta :
— Si vous le descendez, c’est bien. Si vous le ramenez vivant, c’est mieux encore. De toute façon, la guillotine l’attend.
Il s’éloigna en pataugeant dans la glaise.
Gaston Lamotte avait d’autres préoccupations en tête.
***
Lors du précédent engagement, le capitaine de Château Blanc était tombé devant les boches. À lire le rapport rédigé par un sous-officier, il avait reçu une balle dans le dos. Les règlements de compte à la faveur d’un assaut n’étaient pas si rares, mais généralement elles ne concernaient que les hommes du rang. Pour l’heure, personne n’avait pu identifier le tireur. Ce n’était guère surprenant, le militaire était haï par beaucoup : on lui reprochait son lamentable esprit tactique ainsi que son obstination aveugle. Il avait déjà envoyé à la boucherie un nombre incalculable de Français. Son dernier fait d’armes remontait à dix jours ; après une charge qui mobilisa deux cents hommes, les bougres reçurent de Château Blanc l’ordre de canarder une position ennemie avant de réaliser qu’il s’agissait d’une tranchée occupée par des compatriotes. Cent dix poilus y laissèrent la vie.

Aussi, quand le colonel exigea qu’on récupère la dépouille du capiston, allongée au beau milieu du no man’s land, les volontaires se firent attendre. On procéda alors à un tirage au sort et Gaston Lamotte fit partie des élus. Il essaya crânement d’argumenter que depuis plusieurs jours, il toussait et vomissait de la bile après avoir inhalé de l’acide cyanhydrique en raison d’un masque à gaz défectueux, mais rien n’y fit.

Gaston n’était pas vraiment surpris du résultat ; une fois encore c’était Garrigue qui avait procédé au tirage. Il soupçonnait à chaque fois le gendarme de truquer l’opération. Ce dernier l’avait pris en grippe dès le premier jour de son affectation ; il lui reprochait d’être un instituteur arrogant, juste bon à faire de belles phrases.
— T’es pas dans ton salon, lui disait-il souvent, crois pas que tes fichus bouquins te protégeront de la mitraille des Teutons. Tôt ou tard, il y en a un qui t’embrochera comme un poulet. On verra si tu prends encore tes grands airs, une baïonnette bien enfoncée dans les boyasses !
Gaston savait parfaitement à quoi s’en tenir.
Il veut ta peau et il l’aura.
Tu restes dans cette unité et tu es un homme mort !
***
Les deux brancardiers attendirent que de gros nuages occultent la lune pour se hisser en dehors de la tranchée. Des arbres déracinés et les trous creusés par les bombes ralentissaient leur progression. Gaston et son compagnon d’infortune guettaient la moindre aspérité pour se protéger des tirs rasants.
Surtout ne pas tousser, tu risquerais d’alerter une sentinelle ennemie !
La nuit était pleine d’ombres et partout, l’odeur de charogne le disputait à celle de la terre.
Ils virent un amoncellement de corps près d’un chêne. Des gémissements s’en échappaient ; la dépouille du capitaine se tenait à proximité. Au moment où Gaston se redressa pour empoigner son brancard, une violente quinte de toux le plia en deux.
Presque aussitôt jaillit la clarté d’une fusée éclairante et concomitamment, une grêle de mitraille les jetèrent dans la première cavité venue.
Lamotte se tassait sur lui-même, le temps que le marmitage cesse.
Quand il releva la tête, celle de son équipier avait disparu, soufflée par une volée de shrapnels. La panique le submergea et il se rua droit devant. Au même moment, l’enfer se déchaînait. Il essayait de se boucher les oreilles pour ne pas entendre le miaulement des bombes qui retombaient en tourbillonnant. Un orage de feu, la nuit illuminée par les flammes et les déflagrations. Un dépôt de munitions explosa au contact d’un projectile et il lui sembla que la terre entière se soulevait pour l’avaler.
Il s’évanouit.
Quand il reprit ses esprits, il vit qu’il se trouvait dans une ligne allemande. Un pilonnage intensif avait soufflé les casemates encore debout. De son côté, Gaston n’avait plus sa pétoire et la crosse de son révolver était fendue.
Des boyaux boueux partaient dans tous les sens, il ne savait où aller. Au loin, on entendait sporadiquement la batterie des canons de campagne.
Au détour d’un fossé, il remarqua un entassement de caisses qui formait un escalier. Il se hissa par — dessus et vit un bout de champs cratérisé. De l’autre côté, une chapelle sans toit signait l’orée d’un petit bois. Il aperçut la pancarte plantée aux abords : « Achtung minen ! ».
Il rampa une vingtaine de minutes pour rejoindre l’abri. À l’intérieur, il s’adossa contre un mur lézardé. Il ne tarda pas à s’assoupir.
Une toux brûlante le tira de sa torpeur. Pendant qu’il crachait ses poumons au pied d’un bénitier, il ne vit pas la silhouette qui s’était rapprochée.
Quand il releva la tête, elle se tenait devant lui.
La bambine se nommait Alice, c’était la fille du cantonnier de Chaudancourt. Ses cheveux roux étaient noués en grosses nattes.
On racontait au sein de la troupe que l’homme servait occasionnellement de passeur. Une dizaine de poilus avait déjà rejoint l’arrière en empruntant des chemins à travers bois que ne connaissaient ni la hiérarchie ni les boches.
Gaston Lamotte flaira sa chance. Puisqu’on l’envoyait au casse-pipe récupérer un salaud de macchab, qui soupçonnerait que sa disparition n’était pas liée à une roquette ennemie ? Dans le sud, où habitait sa sœur, il pourrait se cacher le temps que cesse cette foutue guerre.
Alice restait prudemment l’écart. Elle se contentait de l’observer, avec un mélange de curiosité et de malice.
Gaston lui jura qu’il n’était pas un détrousseur ou un de ces pauvres gars, rendus cinglés par les gaz, qui rôdaillaient dans les tranchées abandonnées.
Des explications qui parurent convaincre la fillette.
Ils marchèrent côte à côte une vingtaine de minutes.
La bambine empruntait des sentiers à l’écart.
Le marmitage avait épargné la maison du cantonnier. Gaston le vit dans son potager, occupé à ramasser des courgettes ; la guerre semblait déjà loin.
Durant la soirée, Lamotte avala une soupe épaisse et discuta du prix de son évasion. Ce n’était pas si cher ; il lui resterait de quoi prendre le train pour Decazeville et retrouver sa sœur.
Après avoir sorti les billets de dix francs de sa poche, Gaston monta se coucher à l’étage. Il était abruti de fatigue. C’était une petite chambre qu’occupait jadis l’aîné du cantonnier. Il était tombé aux chemins des Dames et depuis, l’homme vivait seul avec sa fille.
Abruti de fatigue, le soldat sombra dans un sommeil agité. Pourtant, il faisait encore noir quand une nouvelle quinte de toux le réveilla, suivie d’un violent haut-le-cœur. Quelque chose dans la soupe ne passait pas. Il mourrait de soif. Il y avait un seau d’eau dans la pièce d’à côté. À tâtons dans l’obscurité, il se dirigea vers la porte et l’ouvrit avant de constater son erreur. Ce n’était pas le bon endroit.
Il alluma une lampe à acétylène qui traînait là et tomba sur des dizaines de bardas et tout autant de casques Adrien, entassés les uns sur les autres. Une grande caisse débordait de cartouchières et de fusils.
En ressortant dans le couloir, il vit de la lumière qui filtrait d’en bas. Le père et la fille chuchotaient. Les paroles étaient inintelligibles, mais il lui sembla que quelque chose clochait.
Un pressentiment angoissé lui serrait la poitrine.
Il s’habilla avec hâte avant de se laisser tomber depuis l’étage par la fenêtre de la chambre. Il se ramassa lourdement au sol et boita vers une grange. Il s’y cacha, le temps de reprendre son souffle.
Il régnait une odeur bizarre à l’intérieur. Un rayon de lune perçait la toiture malmenée avant d’éclairer une table sur laquelle se trouvait le corps d’un homme mort. Une pelle était posée non loin. On s’apprêtait à l’enterrer.
Le soldat s’approcha. Il reconnut le visage de Léon Vachard.
Le tueur de gendarmes…
***
Le cadavre ne présentait aucune blessure apparente, mais une étrange substance laiteuse sourdait de sa bouche.
On l’a empoisonné !
Gaston songea à la soupe qu’on lui avait fait boire ainsi et à tous ces poilus qui s’étaient « sauvés » grâce au passeur. Ils n’étaient pas allés bien loin…
Sans demander son reste, il s’enfuit à travers champs.
Au petit jour, le fantassin sentit qu’il ne ferait pas un pas de plus.
Putain de cheville, j’ai dû me la fouler en bombant de la chambre. Et cette douleur dans mes tripes. Ils ont dû mettre du raticide dans leur saloperie de soupe !
Il s’assit sur le bord d’une départementale et attendit sans pouvoir se relever.
Une heure passa puis un camion vint se garer sur le bas-côté. Gaston n’eut que la force de demander après son casernement. Il se dit qu’en plaidant la bonne foi, on le croirait peut-être. Il s’était égaré, voilà tout. Il fallait surtout qu’il dorme.
Le métayer, qui était un brave homme, le déposa à la brigade de gendarmerie la plus proche. C’était là que le Louis Garrigue coordonnait les recherches après Vachard. Il était seul derrière son bureau. Quand il vit l’état sans lequel se trouvait Lamotte, il remercia le chauffeur et conduisit le soldat dans sa voiture.
Le 2e classe débita son histoire en prenant soin d’omettre sa mésaventure à la ferme.
Garrigue hocha la tête, la mine sombre.
Étrangement, sa voix était plus douce qu’à l’ordinaire.
— Tu es un miraculé, l’instit. La plupart de tes camarades n’ont pas survécu à la dernière offensive des boches. J’ignore comment tu t’en es sorti, mais ce soir, tu dormiras dans des draps frais à l’hôpital militaire.
Sur ces mots, le gendarme claqua la portière.
Le cahotement de la bagnole berçait Louis qui sombra vite.
Quand le gendarme le secoua, il rêvait d’un bout de lard et d’un bain chaud.
En descendant de l’automobile, il ne reconnut pas son campement. C’était la cour d’une ferme à l’aspect familier.
Non loin, Alice se tenait près de son père, armé d’un fusil.
Garrigue prit son révolver d’ordonnance et fit sortir Gaston de la voiture.
— Tu peux récupérer le corps de Vachard, lança le cantonnier à l’attention du gendarme : on l’a chopé avant-hier, il est raide comme un coup de trique.
L’autre opina du chef avant d’ajouter :
— Pour la récompense, c’est la moitié chacun, comme d’habitude.
— Et le monsieur ? demanda la fille en désignant Gaston.
Le gendarme haussa les épaules.
— Enterrez-le dans un trou et faites-le péter comme les autres, ça passera pour une bombe des boches.
À ces mots Alice sautilla en battant des mains.

Voilà donc la 3e nouvelle.

Là je ne vois pas quel auteur parmi les participants à ce trophée a bien pu écrire celle-ci

Et vous ?

Festival Sans Nom 2017 : Concours Bourbon Kid

  Les 20, 21 et 22 octobre prochain,  je serai et participerai au Festival sans Nom, le polar à Mulhouse 

En effet j’ai eu l’honneur d’être nommée jurée du premier prix du Festival sans Nom. FSN pour les intimes. C’est mon ami Yvan Fauth qui a lancé ce prix pour la cinquième édition de FSN. Mais de tout cela je vous en reparler dans la semaine.

Aujourd’hui j’ai la chance de vous présenter un super concours, lié à ce salon polar, pour gagner 4 exemplaires du Bourbon Kid dédicacés par l’auteur Anonyme

Allez je laisse Yvan vous présenter tout cela !

 Festival Sans Nom 2017 : Concours Bourbon Kid

 

Concours exceptionnel à l’occasion du Festival Sans Nom 2017 :

Quatre exemplaires du Bourbon Kid dédicacés par l’auteur Anonyme sont à gagner !

Le Festival Sans Nom, le salon du polar de Mulhouse qui se tient les 21 et 22 octobre 2017, tient son appellation du Livre Sans Nom sorti en 2010 aux Éditions Sonatine. Depuis, c’est devenu une série à succès et les livres s’arrachent à chaque publication.

Cette connexion avec les romans de l’auteur Anonyme ne pouvait que nous donner envie de mettre en avant le nouvel épisode qui vient de sortir en librairie : Bourbon Kid (voir la chronique  d’Yvan et du livre ici).

Nous vous proposons, avec la complicité des Éditions Sonatine, de gagner 4 exemplaires de ce roman fou, dédicacé à votre nom par l’auteur Anonyme ! (et on peut vous assurer que c’est bien le vrai, même si on ne connaît pas plus son identité que vous).

Pour jouer, c’est simple, envoyez-nous une photo mettant en scène votre roman préféré de la série. Faites parler votre imagination !

Vous avez jusqu’au jeudi 19/10/2017 pour nous envoyer vos contributions à l’adresse mail suivante : yvanfsn@gmail.com

Le vendredi 20/10/2017, lors du lancement du FSN, seront mis en ligne sur notre page Facebook les différentes photos reçues (tant qu’elles ne contreviennent pas au règlement de Facebook).

Les quatre photos qui obtiendront le plus de « J’aime » des visiteurs, entre le vendredi 20/10 lors de la mise en ligne et le lundi 23/10 à 23h59, seront déclarées gagnantes.

Précisions : ce concours est complémentaire de celui qui a été lancé par Sonatine. Ne pourront participer que des photos qui n’ont pas été envoyées dans le cadre du concours de l’éditeur. Concours ouvert à la France métropolitaine.

Merci de préciser dans votre mail de participation : vos nom, prénom et adresse, le pseudo sous lequel vous souhaitez que la photo soit publiée et le nom que vous souhaitez voir apparaître sur votre dédicace si vous faites partie des heureux gagnants.

Amusez-vous bien et bonne chance ! Un grand merci aux Éditions Sonatine pour ce beau partenariat.

Lien vers le site internet du Festival Sans Nom, avec toutes les infos (auteurs et programmation)

Trophée Anonym’us : Interview Luce Marnion

jeudi 5 octobre 2017

Une auteure de la team sur la terrasse :

Luce Marmion

1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?

Le premier manuscrit accepté est celui du Vol de Lucrèce. Devant l’afflux des manuscrits de polar reçus, l’éditeur (polar pavillon noir) avait en 2016 nommé un jury (comité de lecture d’une vingtaine de personnes) à la bibliothèque de Semoy, pour élire « le » manuscrit de l’année parmi la cinquantaine retenue par ses soins. C’est tombé sur le mien.

2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?

Mes exigences sont sévères, tant pour l’écriture elle-même que pour le scénario. Je retravaille sans cesse le texte et le modifie à chaque relecture. Jamais satisfaite.3. Ecrire… Avec ou sans péridurale Écrire… sans péridurale pour l’action, l’imaginaire, le contenu, mais avec des forceps pour le phrasé…4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
Écrire… Un peu tout le temps, à condition d’avoir plusieurs heures devant moi, ce qui n’est pas évident. Avec des récrés… thé, gâteaux, voire pire, et… Facebook qui me harcèle. J’écrivais beaucoup plus avant FB (l’année dernière) mais l’éditeur m’a vivement conseillé de m’y coller. Une belle découverte, mais très chronophage.

5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est-ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
Écrire… Nouvelles, romans : Les nouvelles pour la concision, la dentelle, mais je préfère le roman pour approfondir les caractères. J’ai l’impression de lire, lorsque j’écris, et je regrette de quitter un récit. Je m’attache.

6. Votre premier lecteur ?
Mes premiers lecteurs sont mes proches, amis, frères…

7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?Lire… Peut-on écrire sans lire ? NON NON NON ! la lecture attentive et critique est la meilleure école.

8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?

Lire… Les grands classiques (Maupassant, Flaubert, tant et tant…) et les auteurs de polar comme Ellroy (un maître), Dennis Lehane, Pierre Lemaître (pour tout), Léo Mallet (pour les arrondissements de Paris et son mythique détective), Jean-Bernard Pouy, Dantec, Vargas (les premiers).

9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète? Que feriez-vous ?
Jamais à court d’inspiration, les idées et projets se bousculent.

10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?

Le Trophée Anonym’us : D’abord par admiration pour Maravélias, j’ai beaucoup aimé La faux soyeuse. Pour le plaisir de rencontrer d’autres auteurs, pour le plaisir de faire partie d’un groupe : écrire est un travail solitaire… Pour le défi.

11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
Le lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général : Bien sûr ! Le polar permet justement de chercher, parfois de trouver des explications aux maux de la société, à ses dérives. Celui que j’écris actuellement a pour sujet les désaxés qui frappent au nom d’Allah…

12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
Deux polars édités : Le vol de Lucrèce et Le mur dans la peau (sortie septembre 2017). Le troisième en route. Je vous joins le dossier de presse du Mur.

13. Le (s) mot(s) de la fin ?

Merci pour votre intérêt


Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse

Trophée Anonym’us : Nouvelle n° 2 : Case Management

Aujourd’hui c’est le jour du Trophée Anonym’us sur A vos crimes

Votre blog est associé à cette fantastique initiative qui consiste à demander à des auteurs connus, reconnus ou amateurs d’écrire une nouvelle anonymement. Aussi, un jury de lecteurs, départagera  à l’aveugle et votera pour une des nouvelles en course. Et il y a 23 compétiteurs en lice cette année.

Pour en savoir plus sur le Trophée Anonymu’s c’est Ici

Allez place à la deuxième nouvelle



dimanche 1 octobre 2017

Nouvelle n° 2 : Case Management

➤ Télécharger en epub
➤ Télécharger en pdfOn s’était donné rendez-vous sur la terrasse du Grütli. Je l’ai trouvé voûté devant une bière, pâle et poché, penaud de mine, creusé de joue et l’œil vitreux. Plus aucune trace de la lueur d’espièglerie qui y flottait encore voici peu. Les traits amers et vieillis par la rancœur. Un crève-cœur. Le pantalon fatigué et la chemise fripée. Et lui flottant dedans tout amaigri. Lui si peu fait pour le travail maintenant dévasté par ces quelques mois de chômage. Après un instant d’hésitation, je lui ai tendu la joue et il m’a embrassée comme si de rien n’était.

– Je te demande pardon, Denis. J’ai été au-dessous de tout.
– T’y peux rien. On s’est laissé prendre dans un engrenage.
– Je suis contente que notre amitié ait survécu.
Il m’a jeté un regard de naufragé avant de diluer son émotion dans une gorgée de bière. Sa main tremblait comme celle d’un ivrogne.
– C’est tout ce qui me reste.
Une grosse boule s’est formée dans ma gorge. Le serveur venait de nous apporter la carte. J’ai senti que je ne pourrais rien avaler.
– T’as envie de quoi ?
– D’un plat qui se mange froid.
On s’est longuement dévisagés. Comme deux vieux amis qui se connaissent par cœur. Qui s’entendent à demi-mot. Et d’un hochement de tête, on a scellé un pacte. Notre serment du Grütli.
***
Quelques mois plus tôt, dans la festive dissonance de carnaval, on s’empiffrait avec les autres membres du service, on trinquait à la santé d’Hubert, chacun son tour prenait la parole pour relater une anecdote représentative de la bonne entente au sein de l’équipe. On noyait dans le champagne le regret de voir partir à la retraite ce chef si populaire qui n’avait jamais eu à user de son autorité pour nous motiver à donner le meilleur de nous-mêmes. Après plus de vingt ans de collaboration et d’amitié, ce repas d’adieux avait un goût de larmes. Prises par l’émotion, les voix déraillaient autant que les guggenmusik. J’aurais dû y voir un signe.
Hubert était déjà un pilier de l’entreprise quand j’avais été embauchée. C’était mon premier emploi, mon premier chef, quand j’ignorais quelque chose, il mettait cette lacune sur le compte de ma jeunesse. Il soulignait nos compétences, occultait nos erreurs, entretenait l’esprit d’équipe en nous rassemblant chaque fois que l’un de nous fêtait son anniversaire. Il savait mieux que personne désamorcer les tensions et prêter une oreille patiente à nos doléances. Plus qu’un chef, c’était un confident. La fois où je me suis plainte du peu de productivité de Denis, Hubert a trouvé les mots pour me réconforter :
– Chacun à sa manière contribue à la bonne marche de l’entreprise. L’un par son efficacité, l’autre par son entregent. Chacun son talent. Le plus fort a besoin du plus faible pour exprimer son plein potentiel. Comme les briques ont besoin du ciment.
Depuis cette conversation, j’ai considéré Denis comme un défi spirituel. Et l’amitié que mon sympathique collègue m’avait d’emblée inspirée ne s’est plus encombrée d’aucun reproche.
Malgré mes a priori négatifs et la conviction que personne ne saurait être à la hauteur d’Hubert, il faut bien reconnaître que notre nouvelle cheffe est plutôt sympa. Elle a déboulé début mars avec le dynamisme de ses trente ans. L’intérêt qu’elle témoigne à ses collaborateurs et à leurs activités extra-professionnelles la rend immédiatement populaire. Très vite, nous nous retrouvons à parler littérature.
– Ainsi donc, j’ai le privilège de connaître une écrivaine !
Cette vision des choses me flatte venant de quelqu’un de nettement plus jeune et déjà plus haut placée que moi. Louisa adore lire, de même qu’elle partage la passion du shiatsu avec la secrétaire de notre service, discute volontiers football et échecs avec le comptable et échange des astuces de jardinage avec la chargée de communication. Elle s’intéresse même à l’étrange dada de Denis, passé maître dans l’art de manier les automates munis d’une pince au bout d’un bras articulé. Alors que la plupart des gens qui introduisent une pièce dans la machine reviennent bredouilles, mon collègue arrive systématiquement à capturer la peluche de son choix. Un exploit d’autant plus saisissant que les lots en question ne sont plus entassés dans un caisson, mais disposés sur un tapis roulant. Denis passe ses pauses de midi à faire coïncider la vitesse de chute de la pince et la vitesse de rotation des peluches. Il revient au bureau les bras chargés de doudous acquis pour un franc qu’il distribue à tous les étages de l’entreprise.
– C’est donc votre amour des mots qui vous a conduite à la traduction ?
Je confirme mon attachement à la langue de Molière et comme il m’importe que le texte ait l’air d’avoir été pensé en français, mais aussi ma passion pour les particularités de chaque langue, la manière dont l’une éclaire l’autre.
– Ceux qui massacrent le français, je pourrais les tuer !
Elle sourit de ma fougue et je sens une complicité se nouer. Quel soulagement d’être si bien tombée, alors qu’on entend tant d’horreurs au sujet des relations professionnelles !
À mon niveau de notoriété, tout livre vendu est source de joie et chaque personne qui se rend à l’une de mes séances de dédicaces m’inspire une reconnaissance durable. Quand il s’agit en plus de ma nouvelle cheffe, qu’elle m’achète directement trois exemplaires et parle d’en placer un en évidence à la cafétéria, j’en viens à me dire que je n’ai pas perdu au change par rapport à l’ère Hubert. Tandis que j’essaie d’attirer d’autres clients, elle s’immerge dans mon univers. À la fin du temps imparti aux signatures, elle est toujours assise dans un coin de la librairie, à tourner les pages.
– Quelle imagination ! C’est passionnant.
Je rougis, bafouille, la remercie de sa disponibilité.
– T’as fini, je te ramène ? Oh pardon, ça ne te dérange pas qu’on se tutoie ?
J’acquiesce, débordante de contentement. Le printemps commence décidément sous les meilleurs auspices. Louisa pilote une petite Renault alpine chic et sport. Je la félicite de ce choix qui lui correspond si bien. Elle semble apprécier le compliment, me relaie à son tour de tous les éloges qu’elle a entendus au sujet du professionnalisme et de l’efficacité du tandem de traducteurs. Je me rengorge, m’abstiens de relever que Denis n’y est pas pour grand-chose.
J’accueille mon collègue avec un regard accusateur, suivi d’un coup d’œil appuyé sur l’horloge. Denis me salue comme si de rien n’était, allume son ordinateur d’un geste nonchalant, vient aux nouvelles :
– T’as eu du monde à ta séance de dédicaces ?
– On en parlera à la pause, je lui rétorque.
– Tiens, elle est pour toi, celle-là.
Il me tend une de ces foutues peluches que je repousse avec irritation.
– J’en ai déjà deux ; je ne vais pas les collectionner.
– Elle m’a tout de suite fait penser à toi. Le même petit air austère, un peu renfrogné. Je me suis dit : celle-là, il me la faut. Pour Stéphanie.
Je soupire. Le bruit d’un jeu vidéo exacerbe mon agacement.
– Tu sais que ça fait presque deux heures que je bosse ?
– Alors tu dois avoir besoin d’un café. Je t’accompagne ? Je me demande ce qu’ils ont mis comme poisson d’avril dans le journal.
Je suis sur le point de lâcher une salve de reproches quand Louisa déboule dans notre bureau.
– Salut vous deux. Ça gaze ? Qui c’est qui s’est occupé de la version française du mailing ?
Comme d’habitude, c’est moi, je m’étonne qu’elle pose encore la question.
– Très bien dans l’ensemble, mais j’aimerais qu’on regarde deux trois détails. Il me semble que le guide du langage épicène n’est pas toujours respecté. C’est important de féminiser les noms. De nos jours, on dit une agente, une autrice, une rapporteuse.
– Ouh, la rapporteuse, plaisante Denis.
Louisa lui adresse une moue de mépris. Malgré mon accablement à devoir défendre une fois de plus mes convictions en la matière, le dernier terme m’arrache un sourire.
– Je ne pense pas qu’on fasse progresser l’égalité en rappelant à chaque phrase que la protagoniste est une femme. On dit bien une sentinelle, une personne, une recrue et aucun homme ne s’en offusque.
– L’égalité s’écrit. À l’heure actuelle, c’est un acquis. On ne dit plus les traducteurs, mais les traductrices et les traducteurs.
– … compétentes et compétents sont allées et allés ? ironise Denis.
– Ce n’est pas avec la grammaire qu’on fera progresser les salaires, ni reculer la brutalité envers les femmes, je surenchéris.
Ma cheffe se raidit :
– Je ne suis pas venue lancer un débat idéologique. Je vous demande juste de prendre acte. Il y a aussi par endroits un vocabulaire un peu vieillot que j’aimerais qu’on adapte.
Habituée aux compliments, j’accuse le coup avec surprise, jette un coup d’œil sur les mots corrigés :
– Mais pourquoi le terme de workshop ? On a l’équivalent français !
– Ces formations ne sont pas à proprement parler des ateliers.
– Pas le fundraising, tout de même !, je gémis
– Tout le monde appelle ça comme ça, de nos jours.
– Et le desk, le secrétariat est maintenant un desk, je m’étrangle d’indignation.
– Bon, je te laisse prendre connaissance et tu me droppes le texte définitif asap.
– Pardon ?
– Tu me le forwardes.
– Forward fast, pouffe Denis en mimant les mouvements d’un rameur.
Elle le lapide du regard et se dirige vers la porte pour nous signifier que la discussion est close. Dès que son pas disparaît dans le couloir, nous nous tournons l’un vers l’autre : « Tu me le droppes asap », répétons-nous d’une seule voix en singeant son expression. Rien de tel qu’un accablement commun pour se réconcilier.
Le six avril, tout le service moins Louisa se dirige comme un seul homme-et-femme vers le Grütli. Le pli de l’habitude. Il y a longtemps que nous n’avons plus besoin de la secrétaire pour nous rappeler quand l’un de nous fête son anniversaire. Notre comptable en l’occurrence. Sauf qu’à notre étonnement dépité, aucune table n’est réservée à notre nom. Pire : il n’y a pas de place pour douze personnes. Nous restons un moment plantés à l’entrée, décontenancés, gênant les allées et venues des serveurs, avant de décider de nous rabattre sur la pizzeria la plus proche. Soudain, mon ancien chef me manque férocement. Le repas paraît bien morose sans son traditionnel discours et ses pointes d’humour. Le moment de l’addition nous rappelle qu’Hubert offrait toujours le vin. Nous trinquons à sa santé plus qu’à celle du comptable.
– Quelqu’un a pensé à avertir Louisa ? s’enquiert soudain le journaliste.
– Elle avait un dossier pending à terminer asap, explique Denis. Pas question de le postponer.
Cette fois, Louisa ne fait pas irruption dans notre bureau : elle me convoque dans le sien. Je m’y rends à reculons, appréhendant les nouvelles couleuvres au menu. Réponds à son salut cordial par un bonjour un peu crispé. D’un geste, elle m’invite à m’asseoir.
– Tu m’as habituée à de l’excellent travail, Stef, et je n’en attends pas moins d’une écrivaine.
Ce féminin m’agace plus que de coutume. Je l’ai toujours trouvé affreux.
– Mais depuis quelque temps, je te sens moins investie. Ça déteint immédiatement sur la qualité des textes que tu nous rends. Le dernier, franchement, est indigne de toi.
Elle me tend une feuille toute veinée de corrections. Je m’y penche, contrite. Encore un point de terminologie fashion que je n’ai pas respecté. Un soupir m’échappe. Plus loin, une monstrueuse faute d’accord. Je bondis :
– Mais ce n’est pas moi. Jamais je n’aurais écrit « elle s’est dite » !!! Et ce s manquant à un participe passé, ce n’est pas possible qu’il m’ait échappé.
– Tu étais moins concentrée ces derniers jours. J’espère que ce n’est qu’une mauvaise passe.
– Louisa, je vais tirer ça au clair. Je t’assure que je ne commets pas ce genre d’erreurs.
Elle prend le temps de me dévisager :
– C’est grave, Stef, ce que tu insinues là. Pourrais-tu préciser le fond de ta pensée ?
La question me déstabilise. Je n’ai pas voulu porter d’accusation. Juste me défendre contre une injustice.
– Je voulais simplement dire que les accords de participe, c’est quelque chose que je maîtrise parfaitement.
– L’erreur est humaine, ma chère. Je propose que dorénavant, Denis et toi, vous vous relisiez vos textes avant de les renvoyer. Rien de tel qu’un regard extérieur pour minimiser le risque de coquilles.
J’aimerais objecter que Denis, en parfait bilingue, a un français parfois fédéral. Qu’il risque de détériorer mon travail plutôt que de l’améliorer. Ne voyant pas comment formuler ça sans tomber dans la délation, je me tais et encaisse la nouvelle consigne.
Neuf heures, neuf heures trente, neuf heures quarante et toujours personne d’autre que moi dans le bureau des traducteurs. Je fulmine. Contre ma supérieure et ses règles débiles. Contre mon collègue et son incorrigible indolence. Contre la dégradation de la langue avec ma complicité forcée. Mon texte est prêt, je suis censée le rendre pour dix heures, mais avec la bénédiction de Denis qui n’est pas fichu d’arriver. De toute façon, je sais d’avance qu’il ne va rien trouver à y redire, le lui soumettre est une pure formalité. J’hésite à court-circuiter la consigne lorsqu’enfin, la porte s’ouvre sur son pas désinvolte.
– Putain, Denis, t’as vu l’heure ?
– Cool, ma belle, faut pas te mettre dans des états pareils. Je t’offre un café ?
– Écoute, là ça commence à bien faire. Figure-toi qu’on doit tout se relire mutuellement, désormais. Alors tu poses tes fesses et tu me contrôles fissa ce communiqué de presse, il me reste un quart d’heure chrono pour le rendre.
– Tu vas pas vivre longtemps si tu te stresses comme ça. Ils ont mis le quinze avril à dix heures parce qu’il faut bien indiquer un délai. Mais personne ne va mailler si tu l’amènes à midi.
– Denis, j’ai toujours eu de la peine avec ton attitude, mais là, je ne supporte plus.
– Moi, ton petit côté psychorigide, je trouve ça mignon.
Il s’exécute mollement, souligne deux ou trois passages.
– T’as oublié de féminiser un pluriel.
– T’as raison. Qu’est-ce qu’elles me gonflent, ces nouvelles règles !
– Et là, pour l’accord, je ne suis pas sûr.
– Si, si, c’est juste, aucun doute à ce sujet.
– Mince alors, je crois qu’hier, j’ai dû t’ajouter une ou deux fautes.
– Parce que t’avais déjà touché à l’un de mes textes ?
– Ben, c’est ce que veux Louisa, non ?
Une nouvelle convocation me tombe dessus vers la mi-mai. Louisa m’accueille le regard dur, les lèvres pincées, le front scindé d’une ride de contrariété :
– Ça ne peut pas continuer ainsi, Stef, je ne te reconnais plus. On m’avait vanté ton efficacité et ta précision. Ces derniers temps, tu accumules les bévues et les retards. J’espérais que tu aurais une influence positive sur Denis et on dirait plutôt que c’est lui qui déteint.
– Notre tandem fonctionnait très bien avant….
Elle m’interrompt juste à temps pour ne pas m’entendre contester son « leadership ».
– Tu ferais peut-être mieux de consacrer ton énergie à ton travail plutôt qu’à tes romans.
Je me demandais justement si elle avait terminé mon livre et s’il était encore question de l’exposer à la cafétéria. La pointe de mépris clairement décelable dans son intonation m’épargne la peine de lui poser la question.
Depuis deux semaines, la consigne réaménagée par mes soins est plus ou moins gérable. Je corrige la forme et le fond, tandis que Denis se contente de vérifier la bonne application des règles épicènes. Rien d’autre, promis-juré. Quelle n’est pas ma stupéfaction d’entendre, en arrivant dans le couloir, le cliquetis d’un clavier en provenance de notre bureau. Un lundi matin à huit heures ! Jamais en vingt-cinq ans, Denis n’a commencé avant moi. Je n’ose imaginer le savon que Louisa a dû lui passer pour modifier à ce point sa nature profonde. Un second choc m’attend sitôt franchi le seuil : ce n’est pas Denis qui occupe le siège en face du mien. J’en sursaute de surprise. L’intruse se lève et me tend la main :
– Bonjour, je suis Sylvie, votre nouvelle collègue.
Je la dévisage abasourdie. Sa blouse bien boutonnée, son pantalon sans faux pli, sa tenue convenue, la servilité de sa posture, son sourire appliqué, tout en elle respire l’employée modèle et m’inspire d’emblée une franche aversion. Je la devine studieuse, bûcheuse, flatteuse et extensivement disponible. Le genre à compenser le manque de talent par un excès de zèle. Son bureau bien rangé, sans une feuille qui dépasse, et l’alignement rigide de ses dictionnaires, contrastent violemment avec le joyeux foutoir de Denis. Je note avec désolation qu’il ne reste plus la moindre peluche.
Juin commence au ralenti. Rien à traduire, pas une ligne, ma nouvelle collègue engloutissant communiqués de presse et bulletins d’info avec une voracité de rapace affamé.
– Tu veux pas qu’on partage ?
– La cheffe estime que je dois me mettre au courant.
Je soupire devant tant de stakhanovisme. Le cliquetis de ses doigts m’agace prodigieusement. Son air concentré, son souci de bien faire, la peine qu’elle se donne pour chercher des renseignements que je pourrais lui fournir de mémoire. Comme je regrette l’oisiveté de Denis, ses attentions, ses plaisanteries, la bonne humeur qu’il faisait régner ! Je me promets de l’appeler à la pause, hésite, me repasse en boucle mes derniers entretiens avec Louisa, les indices que je lui ai fournis au sujet de l’incompétence de mon collègue, toutes ces bribes de délation qui m’ont échappées et qui ont peut-être conduit à ce désastreux remplacement.
Un coup d’œil à l’horloge m’apprend qu’il ne s’est pas écoulé plus de cinq minutes depuis la dernière fois que j’ai regardé l’heure. J’éprouve enfin tout le poids de l’inactivité. Cette intenable inertie. L’horreur des heures passées à ne rien faire. Pauvre Denis ! J’aimerais lui dire combien je le comprends. J’hésite à quémander une page à l’imposteuse, renonce par amour-propre. Déjà mon imagination s’empare de cette odieuse personne, crée un décor autour d’elle, une famille, une situation qui va me servir d’exutoire. J’ouvre un nouveau fichier et entame une histoire où Sylvie tient un rôle de premier plan.
Surprise en flagrant délit, je me suis vue rappelée à l’ordre. Là où Hubert se serait montré compréhensif, conscient que je sais aussi m’investir à fond en cas d’avalanche, le nouveau management à l’américaine ne plaisante pas : avertissement, menace, sanction.
– Je peux aussi bloquer ta progression salariale. Sylvie n’a de loin pas ton expérience et elle abat déjà plus de travail que toi.
Devant tant de mauvaise foi, j’ai senti un éclat de haine briller dans mon regard. Louisa en a aussitôt remis une couche :
– Tu sais Stef, à ta place, je me tiendrai à carreau. Personne n’est irremplaçable et, à bientôt cinquante ans, on ne vaut plus grand-chose sur le marché de l’emploi. À moins que tu n’espères vivre de tes droits d’auteur, elle a ajouté avec une moue moqueuse.
Depuis, mon début de roman me brûle les doigts. Je m’encombre de toutes ces idées que je n’ose déverser sur clavier. Risque tout au plus une ou deux notes manuscrites pendant que l’autre pianote. Ma tête déborde. Des pans entiers m’échappent et des tournures se perdent. Le temps s’enlise et les heures m’abrutissent. Je me laisse envahir par un immense sentiment d’inutilité, tel que Denis a dû le connaître quand je traduisais avec ferveur à ses côtés.
***
Drôle d’ambiance ce matin au travail. Les premiers arrivés passent le mot aux suivants : on est tous et toutes convoqués à la salle de conférence à neuf heures. Pour une communication du directeur. Les suppositions vont bon train. Vague de licenciements, restructuration, déménagement, délocalisation ? Moi, je suis déjà au courant. Il avait raison, Hubert, chacun a un talent utile à la bonne marche de l’entreprise.
« On va lui régler son cas », a promis Denis quand on s’est revu avant-hier au Grütli. Le plan lui redonnait un peu de poil de la bête. Je n’ai pas émis d’objection sur le fond. Juste corrigé la forme : « De nos jours, on parle de case management. » L’annonce du directeur plonge tout le service dans un abîme de perplexité. Dire que la veille au soir, notre cheffesse enchaînait encore les virages sur la route à flanc de coteau qui mène chez elle. Au volant de sa Renault Alpine. Pas plus grande qu’une peluche, vue d’en haut. Avant qu’une pierre ne lui fonde dessus. Comme une serre de métal en plein pare-brise.

Trophée Anonym’us : Interview Yvan Robin

jeudi 28 septembre 2017

Un auteur de la team sur la terrasse : Yvan Robin

 

1- Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
Mon tout premier manuscrit de roman, « Les multiples de un », était un projet de roman noir assez naïf sur les multiples personnalités d’un individu… Il m’a valu les refus des quelques éditeurs sollicités, dont un retour personnalisé assez encourageant qui m’a incité à persévérer.

Mon second manuscrit a été publié (« La disgrâce des noyés » – Editions Baleine), puis il m’a fallu aboutir 7 manuscrits pour de nouveau signer un contrat d’édition (« Travailler tue » – Editions Lajouanie). Un véritable parcours du combattant puisque sur ces 7 manuscrits, j’ai failli signer dans de grandes maisons à plusieurs reprises.

2- Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Dans mes premiers écrits j’avais des exigences formelles très arrêtées, par exemple : pas d’éléments d’encrage temporo-spatial, pas de noms propres, pas de dialogues, pas de travail de recherche…
Avec le temps, je cherche plus à adapter la forme du texte avec le fond (l’histoire), bref à trouver la meilleure façon de transmettre une proposition artistique.
Progressivement j’ai donc renié pas mal de mes principes, intégré des dialogues, quelques éléments géographiques, fait quelques recherches (le moins possible).

3- Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
Pour ma part, je suis pour une littérature « sans péridurale », le lecteur doit sentir passer le texte dans tout son corps… Quitte à morfler un peu !

4- Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
Oh plein… ça dépend de la phase du travail dans laquelle je me trouve. Durant l’écriture du premier jet, il me faut juste un bistro confortable (banquette de Moleskine de préférence) et du café pour écrire de longues heures. Par la suite, comme le travail est plus fastidieux, je dois changer régulièrement de lieux de travail (bibliothèque, espace de co-working, bars…) pour stimuler la créativité, et prendre du recul sur le texte. Quand il faut débloquer une situation, je vais chercher un état second qui me permettra d’être plus clairvoyant sur mon texte, en espérant que l’incohérence ou la solution du problème m’apparaisse. Pour ce faire je vais courir, nager, suer au hammam, méditer…
Sinon j’ai la manie (probablement très répandue) de faire des sauvegardes sur plusieurs supports (clef, ordi, disque dur externe, boites mails…) après chaque session.
Je note aussi constamment sur mon téléphone les idées qui me viennent (en parlant avec des gens, en lisant, en dormant…) c’est parfois impoli, mais j’ai trop peur de passer à côté d’une bonne idée.

5- Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
Les nouvelles c’est assez gratifiant parce qu’il suffit de quelques jours de travail pour voir le résultat !
Ça permet également de tenter des figures que je n’oserai pas envisager sur le format d’un roman (une forme un peu hybride, un personnage difficile à cerner…).

6- Votre premier lecteur ?
Ça dépend du projet en fait, il peut s’agir de ma compagne, de l’un de mes frères, d’un ami, d’un collègue auteur, voir d’un éditeur…

7- Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Oui ! Mais…
J’ai publié mon premier roman sans avoir jamais rien lu (moins d’une dizaine de romans en tout cas), mais très vite je me suis aperçu que je tombais dans des écueils grossiers, faisais des références involontaires, que je n’arrivais pas à suivre les discussions… Depuis mon premier roman, publié en 2011, j’ai dû rattraper mon retard. Je lis 4 à 5 roman par semaine, et en fait c’est génial de lire. Presque aussi bien que d’écrire.

8- Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Il y en a tant ! Echenoz, Bove, Forton, Céline, Fante, Bukowski, Eston Ellis, Selby…
Comme il n’y a que des garçons (presque tous morts), je citerai également Patti Smith, Virginie Depentes, Anne Bourrel et Julia Deck !

9- Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Ça ne m’est jamais arrivé, mais ça m’angoisse néanmoins… C’est l’envie qui me fait avancer, si je la perds, ça risque d’être difficile de continuer.
J’élèverai des chèvres, sinon… Je trouverai bien quelque chose à faire…
Bon, j’ai toujours 3 ou 4 projets sous le coude, donc normalement ce n’est pas pour tout de suite…

10- Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
Après deux années très riches (promo de « Travailler tue », ateliers d’écriture, rédaction de mon 3ème roman…) j’avais envie de retrouver la jubilation de la création pure.

11- Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes ? 
Le roman noir est probablement le meilleur vecteur pour appréhender le mal et ses racines, pour comprendre le monde et se purger de la violence.
En ces temps sombres, il est un outil précieux et indispensable.
Après, ce sont un peu toujours les même ficelles qui tirent les ventes du polar… L’immense majorité des auteurs vendent très peu de livres.

12- Vos projets, votre actualité littéraire ?
Je viens de remettre à mon éditeur le manuscrit de mon troisième roman, les heures sont longues et mes ongles bien courts… J’en saurai plus sur mon avenir dans quelques jours.
Sinon j’attaque le prochain, un projet ambitieux, qui va m’occuper pendant au moins deux ans…


13- Le (s) mot(s) de la fin ?

Vive la littérature sans péridurale !

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