Trophée Anonymus 2019 : Le podium

Trophée 2019 – Le podium


Trophée Anonym’us, les mots sans les noms 2019
Buste en argile – Pièce unique façonnée par Eric Maravelias

Enfin les résultats du Trophée 2019 !
Après une aventure qui vous tient en haleine depuis septembre à raison d’une nouvelle et d’une interview chaque semaine, une aventure relayée par de nombreux blogs qui, sans faiblir, ont eux aussi partagé les nouvelles des 22 auteurs de la Team  vous allez enfin découvrir le podium 2018.
Nous remercions plus particulièrement les blogs Les livres d’ElieLila sur sa terrasse,le site de Jean Marcel, celui de Libres Ecritures, qui nous accompagnent depuis plusieurs années, voire, pour quelques uns d’entre-eux, depuis le début de cette aventure il y a maintenant cinq ans. Grâce à Dominique Terrier (Alias Jean Marcel ou vice-versa) les recueils des nouvelles publiées tout au long des cinq années de ce trophée sont également présents sur le site Atramenta sur la page dédiée au trophée  qu’il en soit vivement remercié.
Nous remercions aussi chaleureusement les 21 auteurs qui ont osé se frotter à l’art difficile de la nouvelle et soumettre aux membres du jury cette dernière de façon anonyme. Merci à eux d’avoir joué le jeu. Cette année encore, nous avons été heureux de découvrir des nouvelles d’une grande diversité et d’une grande richesse que le jury a eu bien du mal à départager.
Enfin ce Trophée ne serait rien sans l’enthousiasme du jury, que nous remercions pour la qualité des échanges, même s’ils furent râpeux, parfois… et la bonne humeur communicative tout au long du Trophée. 

Pour cette cinquième édition du Trophée
 le gagnant est …

Balthazar Troppavec la nouvelle Autoportrait

Pour mieux connaitre l’auteur petit retour sur son Interview et sur sa page auteur sur Babelio

A la seconde place 

Katia Campagneavec la nouvelle Quand la terre mourra


Pour mieux connaitre l’auteur petit retour sur son Interview et sur sa page auteur sur Babelio


A la troisième place 

Nick GardelAvec la nouvelle Il faut bien se nourrir

Pour mieux connaitre l’auteur petit retour sur son Interview et sur sa page auteur sur Babelio

Enfin, en quatrième et  cinquième places mais quasi ex aequo… 


Une histoire d’Oreille de Frédérique Hoy son interview etsa page auteur sur babelio
Rédemptionde Céline Denjean son interview etsa page auteur sur babelio

Encore un grand merci à tous !

Trophée Anonym’us, les mots sans les noms ! La Solution du KiaEkriKoi

Trophée Anonym’us, les mots sans les noms ! La Solution du KiaEkriKoi

La réponse du KIAEKRIKOI, 
par ordre alphabétique d’auteurs.
Vous pouvez cliquer sur leur nom pour retourner directement sur leur nouvelle.

Sophie Aubard


Nouvelle 20 – Un air de famille

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Solene Bakowski


Nouvelle N°12 – Nos chers voisins

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Katia Campagne


Nouvelle N° 10 – Quand la terre mourra

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Céline Denjean


Nouvelle 17 – Rédemption

Et pour revoir la vidéo « indice » cliquez ici ?!


Sandrine Destombes


Nouvelle 21 – Faute Grave

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Pascale Dietrich


Nouvelle 18 – L’intersection

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Eric Yann Dupuis


Nouvelle N°4 – Le spectre de la vérité

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Sacha Erbel


Nouvelle N°2 – Plus fort que Superman

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Nick Gardel


Nouvelle N°7 : Faut bien se nourrir

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Fred Gevart


Nouvelle 16 : Marie Martine – De la neige en été

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Fredérique Hoy


Nouvelle N°6 : Histoire d’Oreille

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Stéphanie Lepage


Nouvelle N°5 – Beauté épinglée


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Guy Masavi


Nouvelle N°8 : Tout ce qui est humain

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Salvatore Minni


Nouvelle 14 – Béton armé

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Natacha Nisic


Nouvelle N°3 – Dans la bouche

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Tom Noti 


Nouvelle N° 11 – The Champion

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David Patsouris


Nouvelle N°14 – Elle a peur, peut-être

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Laurence Simao


Nouvelle N°13 – Trois âmes pour seule arme

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Simon François


Nouvelle N°15 – Contrechamp

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Ahmed Tiab 


Nouvelle N°9 : Un soir d’orage

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Balthazar Tropp 


Nouvelle N° 1 – Autoportrait

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Trophée Anonym’us : KiaEkriKoi ?

5e Trophée Anonym’us, les mots sans les noms… KiaEkriKoi ?


Le penseur, Auguste Rodin


le KiaEkriKoi, petit jeu d’indices vidéo pour tenter de retrouver …

Qui a écrit Quoi…

Cliquez sur le nom de chaque auteur(e) pour lancer une petite vidéo, généralement décalée, mais qui tient lieu d’indice pour retrouver qui  a écrit quelle nouvelle. 
Nous vous conseillons d’installer AD Blocks pour limiter la pub au visionnage des vidéos.

Pour relire une nouvelle, cliquez sur cette dernière.  Les auteurs sont classés par ordre alphabétique, les nouvelles par ordre de parution. Saurez-vous retrouver qui a écrit quoi ?


 1. Auto-portrait
 2. Plus fort que superman
 3. Dans la bouche
 4. Le spectre de la vérité
 5.  Beauté épinglée
 6. Une histoire d’oreille
 7. Faut bien se nourrir
 8.  Tout ce qui est humain
 9. Un soir d’orage
10.  Quand la terre mourra
11.  The Champion
12.  Nos chers voisins
13.  trois âmes pour seule arme
14.  Elle a peur peut-être
15.  Contrechamp
16.  Marie-Martine, de la neige en été
17. rédemption
18.  L’intersection
19.  retardataire
20.   Un air de famille
21. Faute grave

Pas simple même avec les indices, hein ?

Alors à demain pour la solution !

Trophée Anonym’us : Attention ça commence à se dévoiler


KiaEkriKoi

Dimanche 28 Avril 2019, le KiaEkriKoi, petit jeu d’indices vidéo pour tenter de retrouver … Qui a écrit Quoi…
Lundi 29 avril, les réponses à cette épineuse question
Mardi 30 avril, vous connaîtrez enfin les cinq nouvelles sélectionnées par le jury et parmi elles, celle qui se sera hissée à la première place.

Trophée Anonym’us, L’interview de la semaine : Solène Bakowski

L’interview de la semaine : Solène Bakowski

Solène Bakovski

Cette année, ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont concocté les questions de l’interview, celles qui leur trottent dans la tête, celles qu’on ne leur pose jamais, ou tout simplement celles qu’ils aimeraient poser aux autres auteurs.


Aujourd’hui l’interview de Solène Bakowski


1. Certains auteurs du noir et du Polar ont parfois des comportements borderline en salon. Faites-vous partie de ceux qui endossent le rôle de leurs héros ou protagonistes pendant l’écriture, histoire d’être le plus réaliste possible ?Bande de psychopathes !

J’essaie de me mettre en condition, mais juste dans ma tête. Pas de rituel sanglant, pas de maléfice, c’est promis. Rien qu’un peu d’imagination 😉

2. Douglas Adams est promoteur de 42 comme réponse à la vie, l’univers et le reste. Et vous quelle est votre réponse définitive ?

Aucune réponse définitive. Ce qui est définitif est mort alors que la vie est mouvement. Du coup, je ne suis pas à l’abri de changer d’avis cinquante fois dans les cinq prochaines minutes.

. Y a-t-il un personnage que vous avez découvert au cours de votre vie de lecteur et avec lequel vous auriez aimé passer une soirée ?

Dorian Gray (du roman Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde). Il me fascine !

4. Si tu devais avoir un super pouvoir ce serait lequel et pourquoi?

Celui de me télétransporter, pour pouvoir être là où j’en ai envie au moment où je le souhaite.

5. Est-ce que tu continuerais à écrire si tu n’avais plus aucun lecteur ? (même pas ta mère)

Oui, sans aucune hésitation. J’écris d’abord pour moi, parce que ça me procure un plaisir fou.

6. Quel a été l’élément déclencheur de ton désir d’écrire ? Est-ce un lieu, une personne, un événement ou autre ?

Je ne me souviens de rien de précis. Je crois que le désir d’écrire a émergé à la suite de plusieurs petits événements, de minuscules traumatismes qui m’ont rendue muette sur le moment mais que j’avais besoin de mettre en mots pour en chercher le sens. Chez moi, l’écriture est née d’une incompétence à m’exprimer correctement à l’oral.

7. Est-ce que le carmin du sang de ses propres cicatrices déteint toujours un peu dans l’encre bleue de l’écriture ?

Pour peu qu’on écrive avec honnêteté et pour les bonnes raisons, je crois que oui.

8. Penses tu qu’autant de livres seraient publiés si la signature était interdite ? Et toi, si comme pour le trophée Anonym’us, il fallait publier des livres sous couvert d’anonymat, en écrirais-tu ?

J’écris parce que j’aime écrire. Je ne cours pas après la notoriété et je me fiche bien qu’on connaisse mon nom. J’espère que c’est le cas de la plupart des auteurs.

9. Pourquoi avoir choisi le noir dans un monde déjà pas rose ?

C’est indépendant de ma volonté… Les histoires qui me viennent naturellement sont toujours sombres, je ne sais pas pourquoi.

10. Quelles sont pour toi les conditions optimales pour écrire ?

Il faut avoir du temps et de la disponibilité d’esprit.

11. si vous deviez être ami avec un personnage de roman, lequel serait-ce?

Madame Bâ, magnifique personnage imaginé par Erik Orsenna dans le roman du même nom.

12. Quel est ton taux de déchet (nombre de mots finalement gardés / nombre de mots écrits au total ) ? Si tu pouvais avoir accès aux brouillons/travaux préparatoires d’une œuvre, laquelle serait-ce ?

Je ne sais pas, ça dépend, je dirais que je supprime entre 10 et 20% de ce que j’ai écrit. Parfois plus, parfois moins, je n’ai pas de règle.Les premiers romans de Stephen King et Au-revoir là-haut de Pierre Lemaître.

Trophée Anonym’us : Nouvelle 21 – Faute Grave

dimanche 3 mars 2019

Nouvelle 21 – Faute Grave

Nouvelle 21 – Faute Grave

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Julia ne comprenait pas pourquoi elle devait s’obliger à revivre cette scène, encore et encore. Cette technique ne fonctionnait pas. Elle ne cessait de le dire. Loin de calmer ses angoisses, cela ne faisait qu’augmenter son sentiment de culpabilité. À quoi bon lui rappeler qu’elle était la seule à s’être sortie indemne de ce massacre ? Comment ce médecin pouvait-il croire que ça l’aiderait à surmonter ce traumatisme qui l’empêchait de reprendre sa vie en main ?

Depuis un an, Julia appréhendait ses nuits encore plus que ses journées. Éveillée, elle pouvait contrôler sa pensée, mais, lorsque les lumières de sa chambre s’éteignaient, elle savait que des fantômes attendaient patiemment dans un coin de la pièce pour venir la hanter. Les premiers temps, elle avait accepté les somnifères qu’on lui donnait sans rechigner, espérant que ce sommeil artificiel lui offrirait quelques heures de répit. Le constat fut sans appel. Aucune chimie ne pourrait effacer ses souvenirs.Ce sang… Ces corps… Comment oublier ? Julia n’était de toute façon pas sûre d’en avoir le droit. Son quotidien était peut-être devenu un enfer depuis ce funeste jour, mais elle était encore en vie. Elle le regrettait parfois, souvent même, mais elle était là, et sa seule présence en ces murs était en soi un privilège. Oublier aurait été un manque de respect à l’égard de ses collègues, de ces hommes et de ces femmes qu’elle fréquentait depuis presque dix ans.

Une soupe aux lentilles. Voilà ce qui l’avait sauvée. Une simple soupe qu’elle avait préféré consommer au comptoir de ce petit commerce. C’était une première. Julia ne se mêlait d’ordinaire pas à la foule. Elle aimait la solitude, le bruit feutré de son bureau. Déjeuner entourée d’inconnus ne lui ressemblait pas. C’est pourtant ce qu’elle avait fait ce jour-là. Ce vendredi noir comme elle l’appelait désormais.Dès lors, comment ne pas s’interroger sur le destin ? Ce karma dont elle avait entendu parler sans que cela ne lui évoque quoi que ce soit. Ce n’était pas son heure, diraient certains. Peut-être. Sûrement même, puisqu’elle était là pour en témoigner. Admettre cette théorie lui posait cependant un problème. Cela revenait à accepter que c’était en revanche le moment opportun pour ceux qui n’avaient pas survécu. Gilbert, ce comptable à six mois de la retraite, qui ne cessait de parler de ses projets. Noémie, cette jeune femme de trente-trois ans, qui était contente d’avoir trouvé une nounou pour ses enfants de deux et cinq ans. Ces hommes et ces femmes n’étaient pas ses amis. Elle n’aurait certainement pas participé à leur pot de départ et n’aurait jamais pris de leurs nouvelles s’ils avaient été remerciés. De là à accepter leur mort sans ciller…

Julia se souvenait parfaitement de l’état d’esprit dans lequel elle se trouvait quelques minutes encore avant le drame. Elle revenait de sa pause déjeuner, l’humeur légère. Il ne lui restait plus que quelques heures à travailler avant de pouvoir profiter de son week-end. Elle n’avait rien prévu de particulier, mais l’idée de pouvoir se détendre deux jours d’affilée, au calme dans son appartement, suffisait à embellir sa journée. Le livre qu’elle avait commencé l’attendait bien sagement sur sa table de chevet. Ses chats se loveraient sur ses cuisses tandis qu’elle vivrait mille aventures sans bouger de son canapé. C’est comme ça qu’elle aimait sa vie. Seule et sans danger. Sans concession ni discussion. À quelques semaines de ses quarante ans, Julia aimait sa vie solitaire malgré les remontrances à peine voilées de sa mère qui la poussait à se ranger. « Se ranger ». Une expression qu’elle vomissait. N’avait-elle pas plus de valeur qu’un plaid qu’on met au placard quand arrive l’été ? De toute façon, à force de refuser les invitations de ses collègues, les sollicitations s’étaient faites de plus en plus rares au fil des années, jusqu’à disparaître totalement, et cela lui convenait parfaitement. Julia donnait le change toute la semaine pour renvoyer l’image qu’on attendait d’elle : une femme discrète, mais avenante, aimable et performante. Une personne dévouée qui savait se faire oublier. En d’autres termes, une employée modèle. Le samedi et le dimanche étaient donc sacrés. Ils n’appartenaient qu’à elle. Personne ne pouvait les lui voler. C’est à ces heures futures que Julia pensait en entrant dans les locaux de cette petite imprimerie de quartier.Le reste de ses souvenirs étaient flous et certainement déformés. Elle entendait encore résonner un glas au loin. Le médecin évoquait pour sa part une allégorie. Une représentation de son macabre décompte. Douze sons de cloche pour douze cadavres.Gilbert, Noémie, Arthur, Solène, Vincent, Jacques, Patrick, Laurent, Béatrice, Bertrand, Sophie et Denis. Huit hommes et quatre femmes. Ce manque de parité semblait dérisoire aujourd’hui. Tous ses collègues étaient morts, sans exception. La lame du couteau n’avait fait aucune distinction de genre.Non, définitivement, Julia ne voulait pas se revivre cette scène et ce médecin ne pourrait pas l’y obliger.

*

– Ce que vous me dites, c’est qu’il n’y a toujours pas de progrès, c’est bien ça ?

– Pas dans le sens où vous l’entendez, mais Julia va mieux, c’est indéniable.

– Mieux ? J’espère que vous plaisantez !

– Le traitement que nous lui prescrivons répond parfaitement à nos attentes. Son humeur est stabilisée et je peux vous assurer qu’elle ne représente plus aucun danger pour elle ou pour autrui.

– Désolé, mais il va m’en falloir un peu plus. Que je sache, elle est toujours dans le déni !

– Et elle le restera peut-être toute sa vie, vous devez vous y préparer. Cela ne veut pas dire qu’elle recommencera. Et puis je suis obligé de tempérer vos propos. Même si Julia n’a pas encore pris conscience de ses actes, elle a récemment admis avoir une part de responsabilité dans ce qui s’est passé. De manière détournée, je l’admets, mais c’est un début.– Vous vous parlez de cette histoire de film ?

– Que Julia ait reconnu avoir ressassé ce scénario des dizaines de fois est une petite victoire en soi !

– Une victoire… Une échappatoire, oui ! Un leurre ! Elle vous mène par le bout du nez, voilà ce que je pense !

– Sauf que c’est mon avis qui compte dans ces murs et je ne partage pas votre point de vue. Julia est persuadée d’avoir influé sur le cours du destin. De manière involontaire, bien sûr, mais elle ressent une certaine culpabilité. N’est-ce pas ce que vous attendez de sa part ? Le début d’un remords ?

– Ne jouez pas sur les mots avec moi, docteur ! Je ne suis pas un de vos patients que vous pouvez embobiner avec des images ou autres métaphores. Julia ne regrette rien pour la simple et bonne raison qu’elle refuse de voir la vérité en face. Ce film dont elle vous a parlé, je l’ai visionné, figurez-vous !

– Et qu’en avez-vous déduit ?– Que Julia se moque de nous dans les grandes largeurs ! Cette scène dont elle ne cesse de vous parler n’a rien avoir avec celle que j’ai découverte ce jour-là. Vous n’y étiez pas, moi si, et croyez-moi quand je vous dis que je ne suis pas près de l’oublier.

– Vous avez raison, je n’y étais pas, cela ne veut pas dire que je ne prends pas cette affaire au sérieux. Vous ne voyez pas le rapport avec ce film car vous ne cherchez pas à comprendre ce qu’il s’est passé dans la tête de Julia au moment des faits. Vous voulez une explication rationnelle, un élément concret qui vous permette d’accepter une vérité qui vous dérange. Malheureusement, dans mon domaine, il n’est pas rare que certaines questions restent sans réponse. On peut supposer, présumer et parfois même concevoir une certaine logique, même si celle-ci nécessite de faire abstraction de sa propre raison.

– Très bien, alors expliquez-moi ce que je ne conçois pas !

Le lien était facile à démontrer, mais le médecin savait qu’il s’adressait à une oreille réfractaire. L’homme qui lui faisait face était de toute évidence en colère. Il ne cherchait pas une explication, mais une justice. Un signe qui lui prouverait que cet acte ne resterait pas impuni. Ce que le patricien dirait n’y changerait rien. Ce dernier le savait, pourtant il se plia à l’exercice sans se faire prier.

La vie de Julia avait basculé dix-huit mois plus tôt. Il n’avait fallu qu’un simple grain de sable dans son train-train quotidien pour que tout son monde s’écroule.

Une grippe contractée au contact d’un de ses collègues. Une grippe mal soignée qui l’avait mise hors-jeu un temps. Voilà ce qui avait ruiné la vie de cette femme. Elle y croyait dur comme fer, en tout cas. Julia s’était toujours targuée de ne jamais poser un jour de congé. Elle ne prenait même pas les cinq semaines qu’elle cotisait dans l’année. Dévouée à son travail, Julia était persuadée d’être un élément indispensable à son patron, c’est pourquoi elle n’avait pas été étonnée d’être remplacée le temps de ses trois semaines d’arrêt-maladie. Le travail qu’elle abattait chaque jour ne pouvait attendre. Julia avait d’ailleurs tenu à vérifier chaque soir auprès de l’intérim qu’aucun retard n’était accumulé. Pour Julia, il ne faisait aucun doute que cette jeune femme ne pourrait pas faire illusion bien longtemps.Quand son patron lui avait annoncé à son retour que cette petite pimbêche — seul prénom que Julia consentait à lui donner — allait rester dans l’équipe, Julia ne s’était tout d’abord pas inquiétée. Au contraire, elle y a vu une certaine reconnaissance de la part de son supérieur. Il paraissait évident que Julia méritait d’être assistée dans son travail.Ce n’est qu’au bout de quelques semaines que Julia comprit que sa propre présence au sein de l’entreprise n’était plus si appréciée. Les remontrances devenaient quotidiennes, pour un oui ou pour un non. Elle qui n’avait jamais commis la moindre erreur se voyait reprocher toutes sortes de peccadilles. Une faute de frappe dans un mémo interne, une conversation trop forte dans un couloir, ou encore un café trop corsé qu’elle préparait pour toute l’équipe chaque matin et dont elle n’avait pourtant jamais changé le dosage. Bref, chaque soir Julia quittait son poste avec un goût amer. Elle ne ressentait plus cette satisfaction du travail bien fait qui lui tenait tant à cœur.Affectée par cette situation, Julia commença à perdre de son assurance. Elle avait la sensation que son supérieur lui attribuait des missions de plus en plus compliquées à réaliser. Prise de doute quant à ses capacités, Julia revenait sans cesse sur son travail au point d’accumuler du retard dans ses tâches quotidiennes, qu’elle gérait pourtant depuis dix ans presque les yeux fermés. Son tempérament avait changé, lui aussi. De plus en plus irascible envers ses collègues, notamment avec la fameuse « pimbêche » que tout le monde avait adoptée, Julia se retrouvait chaque jour un peu plus isolée. Seule Sophie, la maquettiste, passait encore une tête, de temps à autre, dans son bureau pour la saluer.Quand son patron la convoqua pour un entretien, Julia se présenta à lui avec l’espoir d’une petite fille cherchant le réconfort et les encouragements d’un parent aimant. La veille, il l’avait surprise en train de pleurer devant son ordinateur. Il n’avait rien dit et s’était contenté de refermer la porte. Par pudeur, certainement. C’est en tout cas ce qu’avait pensé Julia sur l’instant. Elle respectait énormément ce chef d’entreprise, de quinze ans son aîné, qui prenait soin de ses employés sans jamais s’immiscer dans leur vie privée. Elle ne comprit pas tout de suite pourquoi Gilbert se tenait debout, à ses côtés. Julia ne voyait en lui que le comptable qui lui validait ses bons de commande et notes de frais, elle oubliait qu’il était également en charge des Relations Humaines de la société.

L’air accablé qui se lisait sur le visage des deux hommes laissait penser qu’un de leurs collègues venait de décéder. Julia dut relire trois fois la lettre que Gilbert lui avait tendue avant de comprendre de quoi il retournait.

« Faute grave ». Voilà les deux mots qui avaient changé le cours de la vie de cette employée qu’elle estimait modèle. Deux mots qu’elle n’aurait jamais cru lire ou entendre à son sujet. Bien sûr, l’erreur était avérée. Julia avait tardé pour envoyer le courrier en recommandé que lui avait transmis son patron, mais ce n’est pas elle qui l’avait rédigé. Cette mission avait été confiée à la « pimbêche », la nouvelle chouchoute attitrée ! C’est elle qui aurait dû être chargée de le poster. Elle encore, et son patron bien sûr, qui savait à quel point cette lettre ne pouvait attendre. Comment Julia aurait pu deviner que de la date de son envoi dépendait un gros contrat avec l’État ? Aujourd’hui, on lui reprochait un manque à gagner de cinquante mille euros pour la société. C’était injuste, Julia le savait et le cria d’ailleurs haut et fort, mais le combat était perdu d’avance. Un dossier à charge avait été constitué à son encontre. Tous les petits manquements qu’elle avait accumulés depuis plusieurs semaines avaient été consignés. Gilbert avait également noté ses retards répétitifs avec la précision d’une horloge suisse. Certes, ils n’excédaient jamais plus d’un quart d’heure, mais, mis bout à bout, ils devenaient pénalisants. Le DRH avait pris un air navré en lui donnant le coup de grâce. Dans la pochette qu’il tapotait du bout des doigts se trouvaient aussi des témoignages de ses collègues jurant sur l’honneur que Julia avait un comportement agressif qui nuisait à l’ambiance générale de la société.Son patron n’avait même pas daigné la regarder dans les yeux. Il tapotait sur son téléphone portable quand Gilbert avait signifié à Julia qu’elle avait le droit de faire appel à un représentant pour défendre son dossier, mais qu’il allait dans l’intérêt de tous que ce licenciement se passe de manière apaisée. Julia avait essayé de réagir, d’argumenter chaque point qui lui était reproché, mais son patron lui avait coupé la parole en annonçant que l’entretien était terminé, les yeux toujours rivés sur son écran. Il n’avait ajouté qu’un point : elle était tenue d’effectuer sa période de préavis en télétravail afin d’éviter tout malaise.Abasourdie, Julia était sortie rapidement de la pièce, incapable de retenir ses larmes plus longtemps.

– Vous devez comprendre que ce travail représentait plus qu’un passe-temps ou un moyen de gagner sa vie, précisa le médecin. Il était la clé de voûte de Julia, son seul point d’ancrage avec la société.

– Vous oubliez sa famille !

– Pardonnez ma franchise, mais cela fait un an que je m’occupe de votre sœur et pas une fois elle ne m’a parlé de vous ou de vos parents. Et sans vouloir minimiser la responsabilité de Julia dans ce qui s’est passé, il est clair que de nombreux signes auraient dû vous alerter.

– Quoi, parce que ma sœur avait du mal à encaisser son licenciement et qu’elle a été marquée par une scène de film, je devais m’attendre à ce qu’elle se prenne pour Robert Redford découvrant tous ses collègues massacrés en rentrant de sa pause déjeuner ? Votre raisonnement n’a aucun sens ! Dois-je vous rappeler que dans ce scénario, Redford n’est pas le coupable ? Julia, si !

– Vous saviez que votre sœur nourrissait une haine démesurée envers ses anciens collègues.

– Je pensais que ça lui passerait. Qu’elle nous ferait une mini-dépression comme à son habitude et qu’elle s’en remettrait ! Croyez-vous sincèrement que je ne serais pas intervenu si j’avais su ce qui se tramait dans sa tête ?

– Ne vous avait-elle pas fait part de ses doutes ?

– Quels doutes ?

– D’avoir été la victime d’un complot. Que tous ses collaborateurs avaient une part de responsabilité dans son éviction.

– Si, bien sûr ! Cette idée l’obsédait. Mais j’étais censé faire quoi ? Apporter du crédit à sa paranoïa ?

– Vous comprenez que le monde parallèle qu’elle s’était créé ne pouvait pas être sans conséquence.

– Qu’est-ce que vous cherchez à me dire, à la fin ? vociféra le frère. Que j’aurais dû deviner ce qui allait se passer ? Que j’aurais pu empêcher ce massacre ?

– Le transfert qu’elle avait opéré n’a pas dû vous échapper, quand même.

– C’est facile à dire aujourd’hui, docteur, mais à l’époque je ne connaissais pas le prénom de ses collègues !

– Noémie, Laurent, Sophie, Gilbert… Admettez que c’est peu commun.

– Quoi donc ? Donner ces prénoms à douze chatons pour les égorger ensuite ?

– Oui, par exemple.

Trophée Anonym’us, L’interview de la semaine : Katia Campagne

mercredi 27 février 2019

L’interview de la semaine : Katia Campagne

Katia Campagne

Cette année, ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont concocté les questions de l’interview, celles qui leur trottent dans la tête, celles qu’on ne leur pose jamais, ou tout simplement celles qu’ils aimeraient poser aux autres auteurs.

Aujourd’hui l’interview de Katia Campagne


1. Certains auteurs du noir et du Polar ont parfois des comportements borderline en salon. Faites-vous partie de ceux qui endossent le rôle de leurs héros ou protagonistes pendant l’écriture, histoire d’être le plus réaliste possible ?Bande de psychopathes !

En salon j’essaie juste d’avoir l’air détendue, ce que je suis loin d’être

2. Douglas Adams est promoteur de 42 comme réponse à la vie, l’univers et le reste. Et vous quelle est votre réponse définitive ?

Mais quelle était la question ultime ?

3. Y a-t-il un personnage que vous avez découvert au cours de votre vie de lecteur et avec lequel vous auriez aimé passer une soirée ?

Assez délicat étant donné que je lis énormément de romans avec des psychopathes dedans… ce serait à mon avis dangereux pour ma petite personne d’imaginer une soirée parfaite avec l’un d’entre eux…

4. Si tu devais avoir un super pouvoir ce serait lequel et pourquoi?

J’ai l’habitude de répondre à cette question en disant que j’adorerais remonter le temps pour changer certaines choses de ma vie, mais en même temps j’aurais trop peur de modifier les choses qui ont découlé de ce passé. Alors je vais dire : avoir le pouvoir de bouffer ce que je veux sans grossir

5. Est-ce que tu continuerais à écrire si tu n’avais plus aucun lecteur ? (même pas ta mère)

Oh la lose !! Si même ma mère ne me lit pas je vais être très mal. En même temps j’ai écrit pendant vingt ans sans que personne ne le sache du coup les automatismes reviendrait vite je pense.

6. Quel a été l’élément déclencheur de ton désir d’écrire ? Est-ce un lieu, une personne, un événement ou autre ?

Le désir d’être accomplie, enfin moi-même.

7. Est-ce que le carmin du sang de ses propres cicatrices déteint toujours un peu dans l’encre bleue de l’écriture ?

Pour ma part oui, plus ou moins énormément.

8. Penses tu qu’autant de livres seraient publiés si la signature était interdite ? Et toi, si comme pour le trophée Anonym’us, il fallait publier des livres sous couvert d’anonymat, en écrirais-tu ?


Oui, je pense qu’il doit y avoir une part libératrice dans l’anonymat. On peut montrer aux autres qui l’ont est réellement sans prendre le risque d’un jugement de la part de ceux qui nous connaissent vraiment.

9. Pourquoi avoir choisi le noir dans un monde déjà pas rose ?

Pour extérioriser le noir qui vrombissait dans mes tripes.

10. Quelles sont pour toi les conditions optimales pour écrire ?

Le silence et une cafetière.

11. si vous deviez être ami avec un personnage de roman, lequel serait-ce?

Hannibal Lecter.

12. Quel est ton taux de déchet (nombre de mots finalement gardés / nombre de mots écrits au total ) ? Si tu pouvais avoir accès aux brouillons/travaux préparatoires d’une œuvre, laquelle serait-ce ?


Moi ce serait plutôt l’inverse : je double le nombre de mots de mes brouillons (au minimum).J’aimerais avoir les brouillons de Zola, ou de tout ceux dont on m’a rabâché les analyses quand j’étais au collège. Pour vérifier.

Trophée Anonym’us : Nouvelle 20 – Un air de famille

dimanche 24 février 2019

Nouvelle 20 – Un air de famille

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— Le repas ne te plait pas ?
— Si, papa. Mais, c’est juste…
— Juste quoi ?
— Non, non. Ça va, Papa.
— C’est de ta faute, sans toi, le dîner serait parfait. Alors tu manges !

Une gifle cuisante s’abat sur la joue de Raphaël, les larmes coulent au fond de son cœur. Il mâche, déglutit péniblement. Un œil sur la pendule, dans dix minutes il sera hors d’atteinte. Dans son lit. Demain, il rentre au CM1. Il est allé regarder les listes, la chance est de son côté, il reste dans la classe de Capucine. Sa maîtresse est une princesse assise en amazone sur une licorne. Lentement, elle descend de sa monture et lui dépose un baiser sur la joue. Capucine est si belle, mais pas autant que sa maman. D’ailleurs, elle ne ressemble pas à maman. Personne ne lui ressemblera jamais. Elle creuse comme elle de jolies fossettes pour éclairer ses yeux rieurs les rares fois où elle l’embrasse. Capucine dépose les baisers comme Maman. Un bisou sniffeur, le baiser qui respire, qui hume qui aime. Mais maman est maman.

Capucine est ravie. Raphaël sera son élève. Elle a fait des pieds et des mains pour le garder cette année. Ce gamin est un modèle, trop peut-être, insuffisamment remuant pour un enfant de son âge, un hyper taciturne. Il échange parfois quelques mots, ne refuse pas le dialogue, répond avec parcimonie quand on le questionne. Le minimum. Raphaël est à l’image de son père. D’ailleurs, ils n’ont pas parlé une seule fois avec Capucine l’an dernier. Une énigme.Marc Sainte Baume dépose son fils tous les matins, le laisse sans y penser, comme un jeu de clés dans un vide-poche. Pas même une rapide caresse sur le haut du crâne, jamais une parole pour Capucine. Il n’était pas plus bavard avant la disparition de sa femme. Misogyne ou dégouté de l’école dans sa jeunesse, voire les deux. Capucine hésite. 

Aujourd’hui, les enfants partent en excursion, une sortie de cohésion. Ils vont avant tout expulser le trop-plein d’énergie qu’ils ont accumulé pendant leurs vacances et qui ne peut se libérer dans une salle de classe sans risquer de fissurer le tableau. Et les tympans de Capucine. Dans le bus, les gamins entonnent les tubes de l’été Simples-basiques, Défaites de famille. Le petit cheval blanc de Brassens a fini depuis longtemps dans des plats de lasagne surgelés. Ils sont vingt-quatre, effectif réduit. Deux mamans sont venues en renfort, elles sont de toutes les excursions. Elles auraient aimé être enseignantes, alors pendant ces escapades elles braconnent un peu la vie qu’elles n’ont pas eue. Elles en profitent aussi pour tenter d’en connaître un peu plus sur tel ou tel enfant « à problèmes ». Il faut bien tuer le temps en attendant de retrouver sa progéniture à la sortie des classes. 

Capucine et les deux mamans se répartissent les baigneurs, huit chacune. Tous les enfants ont rejoint leur groupe à l’exception de Raphaël. Capucine le tire vers elle par les épaules « Il restera avec moi ». Les trois bandes organisées avancent de façon désordonnée vers la plage. Les mamans plus pressées que la maîtresse ont pris la tête du peloton. 


Capucine a ingurgité une quantité phénoménale de café pour anesthésier sa fatigue. Sa vessie menace de se laisser aller sans autorisation si elle ne la soulage pas rapidement.
— Arrêt pipi ! Ceux et celles qui ont envie d’aller aux toilettes viennent avec moi. Les autres s’assoient sur le banc sans bouger et attendent que je leur dise qu’on y va d’accord ? 
Les enfants acquiescent à l’unisson.
— On peut leur laisser notre sac, maîtresse ? 
— Oui Anna. Maintenant, Raphaël et Anna avec moi.

Elle les compte, un dans chaque main, six sur le banc. Capucine sort des toilettes en se maudissant de sa mine défaite. La nuit à écrire. Rapidement, elle extrait un fard et un pinceau de son sac à main. Deux touches de rose. « C’est mieux comme ça ! » 

Sitôt dehors, elle fait le compte de ses chérubins. Sept ! Il en manque un. La hantise première de toute institutrice, égarer un enfant. Impossible, entre le pipi et le fard à joues, elle ne s’est pas absentée plus de deux minutes. Raphaël est farouche, il a dû s’isoler, ou est encore aux toilettes. Les portes s’ouvrent, accompagnées d’un « Raphaël ? », puis les portes claquent « Putain, Raphaël, réponds ! » L’angoisse laisse la place à la peur panique. 

Les enfants n’ont rien vu. Raphaël a disparu. La directrice de l’école est avisée. La police débarque, sirènes hurlantes. Les bois, les environs et tous les bâtiments sont passés au peigne fin. Le fond de la marre peu profonde est ratissé. Les élèves choqués ont rejoint leurs familles. À l’exception de Raphaël. 

****** 


Depuis plusieurs jours Capucine ne dort plus, Capucine ne travaille plus. Capucine ne vit plus. Son médecin l’a arrêtée. État de choc. Bain de culpabilité. Deux coups brefs à sa porte, un coup d’œil au judas. Marc Sainte-Baume apparaît défiguré. Le chagrin.
— Qu’avez-vous fait de Raphaël ?! 
— Monsieur Sainte-Baume, je suis comme vous, j’ignore où est Raphaël et je serais la première heureuse de le retrouver. 
— Vous mentez ! Vous n’êtes qu’une garce tordue ! Je sais comment vous gagnez votre vie avec vos bouquins de cul. Je comprends pourquoi votre mari s’est tiré. Vous avez un grain ! 
— Ce ne sont pas des livres pornos, mais de la romance érotique. Je les écris justement parce que mon ex-mari ne paie pas la pension alimentaire. Vous êtes très en colère contre moi, et je le comprends. Mais, je n’y suis pour rien dans la disparition de Raphaël. Si ce n’est que j’ai eu besoin d’aller aux toilettes et lui aussi. Et, les livres n’ont jamais enlevé d’enfants. 
— Bobards ! Vous n’êtes qu’une menteuse ! Vous allez payer. 
Il lui frappe le haut de l’épaule avec l’index. Un pic-vert. Ce n’est pas douloureux, mais intrinsèquement abaissant. Trois syllabes. 
— SA-LO-PE ! 
— Sortez ! 

Fin des hostilités. Capucine est à bout. L’échafaud crie vengeance. Les coups de fil se succèdent, des insanités, des jurons et parfois les promesses d’un viol mérité. Capucine est abattue. Les parents d’élèves l’ont désignée « coupable », et la vindicte populaire se déchaîne. 

Elle a dû expliquer à la police « ses choix littéraires ». Elle vit seule avec ses deux enfants. Les fins de mois difficiles arrivent souvent dès le dix. En plus de l’écriture, elle dirige l’étude, pas pour mettre du beurre dans les épinards, mais simplement des pâtes dans leurs assiettes. Tard le soir, quand les enfants sont couchés, elle écrit des romans érotiques. Sous un pseudo évidemment. Il ne faudrait pas que les élèves apprennent la vérité sur leur maîtresse et ses livres dégoûtants. Surtout, ils ne doivent pas savoir que ses premiers lecteurs sont leurs parents. Elle ne gagne pas une fortune, mais ses enfants n’ont pas faim et ils peuvent s’offrir quelques extras. 

Sa boîte aux lettres est truffée d’insultes, de menaces. Il y en a même qui lui demandent de faire disparaître leur enfant, moyennant finances. Capucine est responsable de la disparition de Raphaël. Aucun doute. Elle se devait d’assurer sa sécurité, elle a failli. Moins forte que le malade qui l’a enlevé. Chaque sortie est une partie de roulette russe. Mais les temps ont changé, toutes les chambres ont une balle. Les fous gagnent trop souvent, les victimes jamais. 

Son mobile gronde. Tous les bruits sont devenus agressifs. Un message de la directrice de l’école « On est avec toi, tiens bon. Toujours aucune nouvelle de Raphaël ». Et une photo des murs extérieurs de sa classe couverts d’affiches « Capucine dégage ! », « Enfants en danger ». La sonnerie du téléphone fixe retentit, menaçante. 
— Fichez-moi la paix ! 
— Madame Moletin, s’il vous plait. Je n’appelle pas pour vous accabler. Vous devez savoir. 
— Je vous écoute, vous avez deux minutes. 
— Je m’appelle Chloé, je suis… Enfin, j’étais la belle-sœur d’Axelle. Mon frère Marc était fou de sa femme. Elle a été renversée en allant chercher Raphaël à la sortie des classes. Alors, comprenez, l’école assassine ceux qu’il aime. Pour la deuxième fois. 
— Mais, je n’ai pas tué Raphaël ! 
— Il est brisé par la douleur, ne lui en voulez pas. 

Sa famille, ses voisins, ses amis et les parents d’élèves ont la vengeance acerbe. Les tracts circulent, les pétitions s’accumulent. Un énorme casse-toi ! a été tagué sur la porte de son appartement. Capucine lit son avenir dans le fond de sa tasse de thé vert purifiant et la lance violemment contre le mur du salon. Le liquide dégouline, le mur pleure. Lentement, elle rétrécit jusqu’à former une boule anéantie sur le canapé. Le claquement de son fard à joues lui vrille les oreilles. Si elle n’avait pas pris le temps de se remaquiller ? Si elle n’avait pas eu envie d’aller aux w.c. ? Si elle avait simplement fait ce pour quoi elle est payée ? 

Raphaël, elle y pense toute la journée. Mais une autre culpabilité la consume. Ses enfants. Ils ont quitté l’appartement. Tombés du nid. Son mari en a obtenu la garde exclusive, elle ne les voit plus que quelques heures par semaine, sous surveillance. Trop malmenés au Lycée. Insultés, chahutés. Et les livres de leur mère circulaient, vicieusement annotés. Sur Facebook, ils ont été lynchés, ridiculisés sur des publicités trafiquées. Trop jeunes, spirale trop cruelle. Leur père a sauté sur l’occasion. Et, il devait prendre une revanche sur Capucine. Il l’avait plaquée, morveux, avec des prétextes vaseux. Il n’allait pas manquer de justifier une décision que lui-même ne parvenait pas à expliquer. 

Depuis que les enfants vivent avec lui, il ne s’en occupe pas plus qu’avant. Mais plus de pensions à payer. Il n’a pas pu s’en priver, plus que hurler avec les loups, il l’a déchiquetée. Pour le bien des enfants. Évidemment. 

— Tu es complètement inconsciente, Capucine ! Tu t’imaginais quoi avec tes bouquins de cul ? Tu es instit, tu t’occupes des gosses, pas du slip de leurs parents. Mets-toi à leur place deux minutes, à la place de nos gamins et à la mienne aussi ! Rien dans le crâne. Depuis que je suis parti, tu fais n’importe quoi ! 

Il accompagne ses paroles de l’index. Son doigt lui pique l’épaule. Elle n’en peut plus de ces mots sensés la convaincre qu’on lui injecte à coup d’ongle dans la peau. Capucine ne répond pas. Le dégoût. Vingt ans de mariage, deux enfants heureux, un époux donnant l’impression de l’être. Un tissu d’hypocrisies ? Une accumulation de faux-semblants, la poussière des leurres assez compacte pour dissimuler la patine du passé heureux. Plus d’énergie, la niaque s’est écroulée. Plus d’enfants, plus de Raphaël, plus de mari, plus de travail, plus d’amis. Plus rien de ce qui constituait sa vie. Paralysée dans une camisole tissée de haine et de mensonges, Capucine paie le prix de la faute. 

**** 

Marc Sainte Baume est sous les spots de la Police. Sa femme, son fils, et maintenant l’Instit. Un accident, un disparu, une suicidée. Trois morts, un lien, un homme. Le déni. 

Axelle, l’épouse de Marc Sainte-Baume est morte. Renversée par une voiture à proximité de l’école de Raphaël. Il y a trois ans. Elle allait chercher son petit cœur à la sortie des classes. La police est restée sur cette version. Marc adorait sa femme. Pas le courage de la vérité. La tristesse et la douleur de cet homme étaient indicibles. Tous les policiers compatissaient, tant d’amour perdu. Une souffrance inouïe, palpable. Aimer autant ? Quelle culpabilité pour tous ces agents du service public qui pour certains n’aimaient qu’à pas contenus, convenus, cadencés. Après un séjour en clinique psychiatrique, Marc a repris sa vie. Comme sur des charbons ardents. L’accablement avait revêtu des idées hideuses. Une rancœur extraordinaire. Une haine d’abord diffuse s’était installée dans le cœur de Marc. L’école. Elle l’avait privé d’Axelle, son épouse, lui laissant pour preuve du manque, la seule présence de son fils. Axelle s’était montrée morose dès l’entrée de Raphaël à l’école. Elle se sentait inutile, aspirait à retrouver un emploi. Marc ne voulait plus qu’elle travaille. L’amour valait plus que les euros. Comment faire flamber un foyer sans buche ? disait-il. Axelle était l’étincelle, le crépitement, la chaleur et la lumière de leur foyer. Par amour, par faiblesse, Axelle n’a plus travaillé. Marc y a longtemps pensé. Après sa mort. Elle aurait dû reprendre son poste de contrôleuse de gestion. Elle ne serait pas allée à l’école. Vivante. L’école tue… L’école a tué Axelle, s’ils n’avaient pas eu d’enfant. Si… 

Raphaël. Quel supplice, un affront. Il affichait les mêmes traits que sa mère, cette manière unique de fermer les yeux en hochant la tête pour dire non. Ce même rire pur, tout droit sorti du cœur, ce même grain de beauté au-dessus du sourcil gauche. Marc en voulait à son fils. Sans lui, sa vie n’aurait pas ce goût acide de mort. Ce vide immense empli de la lourdeur du néant. 

***** 

La police en est convaincue, Marc a enlevé Raphaël. Le gamin avait si peur de son père qu’il lui a juste obéi. Pétrifié. Ensuite, Marc l’a endormi avec un oreiller puis jeté, loin de sa mère. Il ne méritait pas de reposer auprès d’elle. Son corps a été retrouvé au fond du lac de Jablines, un trou perdu, connu des seuls pompiers. Et des noyés. Marc Sainte Baume perdu dans sa cellule s’est enfui grâce à un stylo. Un bon coup dans la carotide. Beaucoup de sang pour une mort silencieuse. Raphaël, Axelle, Capucine. Marc. Et toujours le silence. 

Depuis longtemps, il avait entrepris des recherches sur l’Instit. Capucine était rapidement apparue sur des sites d’auteurs, stylo à la main et sourire aux lèvres, en train de dédicacer ses torchons. 

Il a çà et là partagé ses doutes avant la disparition de Raphaël. Aucune affirmation, juste quelques échanges à mots couverts en faisant promettre la plus totale discrétion auprès des mamans. Il avait recruté ses complices, la mise à mort s’organisait. Capucine se désintégrait. 

***** 

— Chloé, vous étiez au courant pour votre belle-sœur ? 
— Oui. Axelle n’a pas été renversée en allant chercher Raphaël à l’école. Elle avait un rendez-vous. 
— Vous n’avez rien dit à Marc ? 
— Je ne me sentais pas le courage de lui dire qu’elle avait rendez-vous avec l’amour. Que ce n’était pas lui ? Si j’avais su… 

Un tourbillon. Un grain de peau sur ses lèvres. Des mots éperdus, perdus, des souvenirs défendus. Sous ses doigts, des courbes se dessinent. Une relation inavouable. Axelle, le grand amour de Chloé. Son rendez-vous avec la mort. 

Une larme glisse, suivie d’un hurlement. La violence du mensonge.




Trophée anonym’us : L’interview de la semaine : Fred Gevart

mercredi 20 février 2019

L’interview de la semaine : Fred Gevart

Fred Gevard

Cette année, ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont concocté les questions de l’interview, celles qui leur trottent dans la tête, celles qu’on ne leur pose jamais, ou tout simplement celles qu’ils aimeraient poser aux autres auteurs.

Aujourd’hui l’interview de Fred Gevart

1. Certains auteurs du noir et du Polar ont parfois des comportements borderline en salon. Faites-vous partie de ceux qui endossent le rôle de leurs héros ou protagonistes pendant l’écriture, histoire d’être le plus réaliste possible ?Bande de psychopathes !

Non (les taiseux, comme on dit, ont le vent en poupe).

2. Douglas Adams est promoteur de 42 comme réponse à la vie, l’univers et le reste. Et vous quelle est votre réponse définitive ?

Pour la vie et l’univers, 42 me paraît effectivement une réponse correcte. En revanche, pour le reste, il me semble qu’il faille tout de même tenir compte du dénivelé.

3. Y a-t-il un personnage que vous avez découvert au cours de votre vie de lecteur et avec lequel vous auriez aimé passer une soirée ?

Sans trop d’hésitation Dean Moriarty, sauf que certains soirs j’insisterais vraiment pour faire le bob quand il se met en tête de prendre la route pour traverser le pays.4. Si tu devais avoir un super pouvoir ce serait lequel et pourquoi?Sans doute celui de ressusciter les deadlines.

5. Est-ce que tu continuerais à écrire si tu n’avais plus aucun lecteur ? (même pas ta mère)

All work and no play makes Jack a dull boy.

6. Quel a été l’élément déclencheur de ton désir d’écrire ? Est-ce un lieu, une personne, un événement ou autre ?

C’est une partie qui s’est jouée en deux manches. La première c’était en 4ème, j’ai écrit un poème au sujet d’un personnage de BD qui m’avait ému, et pas mal d’autres ont suivi. Puis il y a eu une mi-temps, et la deuxième manche (décisive) s’est jouée en 1997 à cause à la fois d’une personne et d’un lieu (commun), dont les initiales sont SK.

7. Est-ce que le carmin du sang de ses propres cicatrices déteint toujours un peu dans l’encre bleue de l’écriture ?

Certains voient l’écriture comme une suture sur la plaie, d’autres comme le sel.

8. Penses tu qu’autant de livres seraient publiés si la signature était interdite ? Et toi, si comme pour le trophée Anonym’us, il fallait publier des livres sous couvert d’anonymat, en écrirais-tu ?

Oui, mais dans ce cas je préfèrerais les écrire incognito.

9. Pourquoi avoir choisi le noir dans un monde déjà pas rose ?

A vrai dire, je ne me souviens plus si c’est parce que je n’ai pas trouvé l’interrupteur ou bien parce qu’on avait coupé le courant.

10. Quelles sont pour toi les conditions optimales pour écrire ?

10 à 12°c, pas de pluie, vent nul. Et surtout, comme je l’évoquais tout à l’heure, pas trop de dénivelé.

11. si vous deviez être ami avec un personnage de roman, lequel serait-ce?

Franchement, quand on est pote avec Bubba, comme Patrick Kenzie et Angela Gennaro, je pense qu’on doit se sentir un peu plus peinard.

12. Quel est ton taux de déchet (nombre de mots finalement gardés / nombre de mots écrits au total ) ? Si tu pouvais avoir accès aux brouillons/travaux préparatoires d’une œuvre, laquelle serait-ce ?

A part compter les « E » dans le premier jet de La Disparition de Perec en cas d’insomnie, je ne vois pas. Pour ce qui est de mes statistiques personnelles, je viens de les vérifier (je te remercie pour cette question, c’était quand même très fastidieux). Est-ce un signe ? Mon taux est de 42,195 % Je te propose d’arrondir à 42.

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