Les larmes noires sur la terre de Sandrine Collette, lecture 2



Les larmes noires sur la terre de Sandrine Collette, lecture 2

Un livre qui m’a bouleversé et interrogé

Pour comprendre pourquoi, …

Je vous propose de lire la suite de ce roman

Souvenez vous je vous proposais le début ICI

Les larmes noires sur la terre de Sandrine Collette, lecture 2

*

Et puis il y a eu la vieille. Une surprise de plus pour Moe, la mamie, pas aimable au demeurant, qui est arrivée comme chez elle avec son Rodolphe triomphant, son meilleur petit-fils, qu’elle a dit. Pouvait plus rester seule. Avec sa jambe abîmée, elle tombait, ne se relevait pas. Qu’à cela ne tienne : la chambre d’amis était vide. La vieille venait se refaire une santé, Moe n’était pas prévenue, Rodolphe n’a pas laissé de place à la contestation – la famille, c’est la famille. Qu’elle restera là pour la fin de ses jours, il omet de le préciser. Et des petits-fils, elle en a pas d’autre ? demande Moe au bout de quelques semaines. Rodolphe ne répond pas.

Encore qu’elle ne prend pas beaucoup de place, la vieille, une fois qu’elle a quitté sa chambre. Elle s’assied sur le banc dans la cuisine, pas loin du poêle pour avoir chaud, et elle ne bouge plus jusqu’au soir – sauf pour aller pisser. Mais elle surveille. Voit tout, avec ses petits yeux qui se ferment à demi après le déjeuner, et quand Moe croit qu’elle somnole, elle les ouvre grand d’un coup en entendant le papier du chocolat, Range ça, ma fille, tu sais bien que tu es trop ronde. Ah oui, pour regarder, elle regarde. Si le déjeuner est prêt à l’heure. Si c’est bien cuit bien lavé. Si l’eau chaude ne coule pas trop longtemps, pour ne pas gâcher. Si le feu ne s’éteint pas, mais s’il ne va pas trop fort non plus. Et elle récite chaque fois au retour de Rodolphe, un beau rapport qu’elle lui prépare, Moe a fait ci, Moe a nettoyé ça, Moe a oublié de, commencé à, mis en. Saleté de vieille. Avec sa patte toute noire qu’il faut soigner le matin en ouvrant le pansement et en arrêtant de respirer pour ne pas vomir à cause de l’odeur. Est-ce que c’est à elle Moe de le faire, vraiment, à cette vieille qui n’est ni sa mère ni sa grand-mère, est-ce qu’il n’y a pas des infirmières qui pourraient venir – et Rodolphe s’énerve, Toute la journée à la maison et ça veut rien foutre, mais qu’est-ce que c’est que cette gale !

Alors Moe l’écrit dans son carnet : « la gale ». C’est comme ça qu’il l’appelle quand il est colère, presque chaque jour. La vieille boit du petit-lait. Princesse, taipouet, gale, c’est la dégringolade. Et pourtant elle n’est pas que méchante, la mamie, et peu à peu Moe se surprend à bavasser quelques instants avec elle quand Rodolphe est parti au travail, à refaire un café qu’elles sirotent dans un silence paisible, entrecoupé de quelques phrases sur le temps, les chiens ou le menu du lendemain, parfois sur l’enfance de la vieille en Alsace, qu’elle y a laissé son cœur, l’Alsace, la seule chose qui lui délie si complètement la langue et fasse briller ses yeux voilés par la cataracte. Bien sûr, le soir elle dira à Rodolphe que Moe a traîné, qu’elle n’a pas eu le temps de tout faire, misère. Mais Moe s’en fout. Les mois et les années ont passé, et son envie de tout secouer. Rodolphe râle. Elle lui oppose son sourire lointain en préparant le dîner, et tout s’arrête, happé par la grisaille de la maison, de la campagne et des âmes. N’eût été la patte de la grand-mère à soigner, la vie serait presque supportable.

 

*

La jambe de la vieille ressemble à un champ après la guerre, crevassé et tordu, percé d’obus d’où partent en étoiles de longues fissures noires, comme sur une vitre cassée par un caillou. C’en est un mystère de savoir d’où viennent ces trous de peau, ces minuscules cratères inversés, engloutis à l’intérieur, vers l’os, là où la chair déserte. Reliés l’un à l’autre par des veines violettes enflées les jours de chaleur, recroquevillées et enfouies quand il gèle, et la vieille qu’il pleuve qu’il s’ensoleille les frotte du plat de la main pour faire passer le sang, tordant son dos et se redressant bientôt en grimaçant de douleur. Au fond des crevasses, rien ne cicatrise, ni l’épiderme inguérissable ni l’odeur de viande morte, et chaque jour est une lutte inutile pour refermer les blessures et calmer la souffrance qui creuse le corps jusqu’au tréfonds. Moe nettoie et soigne et badigeonne devant la vieille muette qui jamais ne se plaint, les lèvres pincées sur les gémissements qu’elle ravale. Quand le pansement enfin enlève aux yeux du monde les plaies et l’air vicié, elles soupirent toutes les deux de cette petite victoire, d’une bataille remise à plus tard, à demain les suintements et la peau arrachée, et le noir sur la jambe qu’elles font semblant de ne pas voir s’étendre. La vieille touche la bande du bout des doigts.

— C’est tout propre, elle dit.

Moe ramasse le pansement usagé, les cotons souillés avant que les chiens ne les chipent. Elle ouvre la porte et respire jusqu’à ce que l’odeur ancrée dans son nez et jusqu’en haut de ses sinus s’estompe, que le serrement de sa gorge se relâche, au début elle aspire l’air par la bouche pour être sûre de ne pas croiser les relents âcres au bord de ses lèvres. Elle murmure, Voilà c’est fait, mais ce n’est pas pour la vieille qu’elle le dit, c’est pour elle, rien que pour elle, la vieille elle s’en moque à ce moment-là.

 

*

Alors non, six ans plus tard, il ne faut pas attendre que cette joie de vivre qu’elle avait chevillée au corps soit intacte, il ne faut même plus croire qu’elle supportera tout indéfiniment, le lit la cuisine les ménages, si c’était cela la vie.

Parfois elle prend la voiture pour aller faire la fête, le samedi soir, ces bals de campagne misérables qui sont sa seule distraction. Rodolphe laisse faire. Impose les dîners à dix-huit heures trente, été comme hiver, s’endort sur le canapé devant la télévision, bien avant le début du film, terrassé par la bière, le vin, l’alcool, tout mélangé dans des ronflements de brute. Quand Moe lui dit : J’y vais, il n’entend pas. Mais la vieille la regarde elle avec du reproche dans les yeux.

— Qu’est-ce que tu vas donc chercher là-bas.

Moe ne répond pas. Le lendemain, c’est encore la vieille qui dira à quelle heure elle est rentrée, si elle marchait droit, et si elle avait cet étrange sourire en coin.

— T’étais où, demandera Rodolphe.

— Je t’ai prévenu en partant hier, je suis allée au bal.

— Au bal ! criera la vieille.

— Je faisais rien de mal.

— Au bal, tu entends !

— Tais-toi ! gueulera Rodolphe – et toi aussi la gale, j’en ai assez de vous deux, assez des bonnes femmes, des faiseuses d’emmerdes, comme si tout était pas déjà assez compliqué comme ça.

 

 

Compliqué c’est sûr, et pas facile, à reprendre les ménages le lundi à sept heures, mais qu’ont-elles donc les vieilles de ce pays à vouloir laver et récurer dès l’aube quand le reste de leur journée est vide et que cela la couperait d’un peu d’animation si Moe venait à onze heures, ou à quatorze. Mais elles n’en démordent pas d’année en année, il n’y a que Guilaine qui ait accepté de changer les horaires, Guilaine qui toujours prépare du café et mille sucreries parce qu’elle dit qu’elle essaie des recettes, un temps de répit avec elle dans la chaleur du poêle, les plants du potager sur la table et les caresses des gros chats noirs qui se frottent contre les jambes. Mais les autres. Qu’elles iraient jusqu’à décompter les minutes qui manquent, à se plaindre du retard certains matins quand la route est glissante et que Moe conduit au pas, terrifiée par le gel auquel elle ne s’est jamais habituée. Jusqu’à la voler sur les sous, comme la vieille Mona l’autre jour qui a donné moins que convenu, et Moe a hésité avant de lui dire :

— Mais il en manque.

— De quoi ?

— De l’argent.

— Allons donc.

Avec ses doigts boudinés, la vieille a éparpillé les billets et les pièces sur la table de la salle à manger.

— Deux heures à douze euros, et tu t’es arrêtée dix minutes pour prendre un café, ça fait vingt-deux euros.

— Mais le café c’est vous qui me l’avez offert.

— Bien sûr. Je ne te le fais pas payer, tu vois. Juste le temps, je vais pas te payer le temps que tu n’as pas travaillé tout de même.

— L’autre jour quand je suis passée prendre votre colis chez l’épicier, je n’ai rien compté moi.

— C’est sur ta route, hein, tu peux y aller quand même.

— Ce n’est pas vrai, ça me fait un détour.

— Un détour ! Alors que tu as la chance d’être en voiture, tu vas pas me pleurnicher pour si peu.

— Et les dix minutes du café, ce n’est pas si peu ?

— Dis donc, ma fille, où tu veux en venir ? Il y en a des tas des gens comme toi, qui cherchent du travail.

— Des gens comme moi ?

Ce jour-là donc, Moe a perdu une cliente. Ne l’a pas dit à Rodolphe. De toute façon elle lui cache depuis bien longtemps ce qu’elle gagne, mettant sur la table la moitié de ce qu’elle a en poche. Le reste, elle le range dans une boîte enfouie sous les pulls au fond de son armoire. Ça ne s’accumule pas vite. Mais quand Rodolphe n’est pas là, elle compte et recompte, à la fois déçue et ravie ; c’est son billet d’avion retour qu’elle dissimule là.

Le sien, et celui du petit.

 

*

Car il y a l’enfant maintenant. Un enfant si calme, si invisible qu’elle l’oublie de temps en temps. Né au mois de février. En quatre mois, elle a dû l’entendre pleurer deux fois.

Un enfant du bal. Comment pourrait-il en être autrement quand Rodolphe ne la touche plus depuis bientôt trois ans, le corps amolli par une ivresse constante ? Bien sûr qu’il sait. Au début, elle a pensé qu’il la mettrait à la porte ; puis qu’il consentirait à ce qu’elle reste, sous conditions. Pour qu’enfin il la tolère en l’injuriant chaque jour, lui jetant sa faute à la figure devant tous, et qu’importe leur fierté à elle et à lui.

Quand Moe travaille, c’est la grand-mère qui garde la petite chose. Là aussi elle a craint, les premières fois, que l’enfant ait disparu à son retour. Et à vrai dire cela ne l’aurait pas tant bouleversée, cet enfant que son père, marié ailleurs, ne reconnaîtrait jamais. Et puis elle s’est attachée. Pas beaucoup, croyait-elle – mais ce jour où il a fallu l’emmener aux urgences étouffé par une mauvaise grippe, elle a senti à quel point ils étaient liés tous les deux, et comme le silence établi entre eux ne signifiait pas qu’il n’y avait pas d’amour, juste pas la place, pas le temps, cela viendrait.

Ainsi la grand-mère surveille l’enfant et Moe invente des excuses pour s’absenter plus longtemps, prétexte un service à rendre, un appel d’une voisine, une course oubliée. En réalité elle travaille de plus en plus, accepte tout, même le nettoyage des toilettes une fois par mois chez un couple d’agriculteurs, que c’est à lui retourner l’estomac, trente minutes ils lui donnent, six euros, elle s’en moque, elle le fait. Et aussi des soins, pas de raison qu’elle ne s’occupe que de la vieille, pour les autres aussi elle peut laver les peaux usées, panser, faire des piqûres même, parce que les infirmières sont toujours pressées et qu’elles finissent par lui montrer. Elle apprend les gestes, les produits, cela l’intéresse. Et puis vous, vous prenez le temps, vous ne faites pas mal, disent les vieilles parfois. Elle change des sondes, fait des bandages, enlève des fils après des sutures ; continue à récurer des sols et des draps infects. Quand elle rentre, elle se lave les mains pendant dix minutes. La grand-mère la regarde en coin.

— Trop bon, trop con, elle dit. Rendre service aux gens, ça a jamais rapporté.

Moe sourit. C’est pas grave. Jette un œil sur le berceau.

— L’a pas bougé, marmonne la vieille. Y pourrait être mort que ça changerait pas grand-chose.

— Il dort c’est tout. On voit son ventre qui se soulève. Il est plus heureux que nous sûrement.

Elle grimpe l’escalier quatre à quatre, range l’argent dans la cagnotte. Redescend préparer le déjeuner ou le dîner, un biberon, une purée. Une étrange fébrilité l’a prise depuis que l’enfant est là, une sorte d’urgence, partir. Impossible de rester maintenant qu’il y a cet être neuf. Impensable de l’imaginer grandir ici, entre les reproches, le mépris et les bouteilles d’alcool, la vieille qui tape avec sa canne sur le bord du berceau pour s’assurer qu’il est bien vivant, le faisant sursauter chaque fois, Rodolphe et son regard torve, elle est certaine qu’il va se passer quelque chose si elle ne fait rien, le temps est en suspens depuis ces quatre mois-là, et l’humeur, et ce qu’il y a dans l’air.

 

*

Elle le sait parce que Rodolphe a commencé à lever la main sur elle, sans doute qu’avec l’enfant il s’y est senti autorisé, et elle Moe n’avait rien à dire, Fallait réfléchir avant, elle le chante presque, certains jours, en passant un doigt hésitant sur sa joue bleuie. Quelques gifles ici et là – pas pire que les insultes au fond, si ça en était resté là. Mais quand le poing se ferme, quand ses yeux à elle ne voient plus clair quelques instants à cause des coups. Quand elle marche courbée le lendemain parce que cela fait encore mal. Quand elle croise le regard de Rodolphe sur le berceau. Il suffira d’un verre de trop, mais elle n’arrive plus à les compter. Juste la certitude que le temps presse. Et cette cagnotte qui n’arrive pas à grimper, pas assez vite, avec ces pauvres billets de cinq ou dix euros et quelques pièces pour faire illusion.

Elle a revu le père de l’enfant. Il ne donnera rien. J’ai déjà les miens.

— Celui-là aussi, c’est le tien, murmure Moe.

— çui-là il existe pas pour moi, tu comprends ça ? Je peux pas. J’ai une famille.

— Et m’aider à partir ?

— Si tu crois que j’ai l’argent.

— Même pas grand-chose.

— Mais tu t’en vas alors, c’est compris ?

Il a sorti deux billets de cinquante euros de son portefeuille. Elle était si abasourdie qu’elle n’a rien dit d’autre. Cent euros. Leur valeur, à l’enfant et à elle, aux yeux de l’homme.

 

*

Et le petit la regarde bien droit tandis qu’elle le change sur le bord de la table et qu’elle lui soulève les fesses en le nettoyant avec un coton et de la crème. Il sent la peau et la douceur, cette odeur si singulière qu’ont les bébés la première année avant de devenir des enfants, quelque chose de troublant, de profondément attirant, et Moe se penche davantage, pose le nez sur le ventre rond pour respirer le parfum indéfinissable.

— C’que tu fais ? marmonne la vieille à l’autre bout de la table.

Elle ne répond pas. Se redresse, sent s’évanouir la magie à mesure qu’elle s’éloigne, les mains courant sur le petit corps dont les bras s’agitent. Une peau si tendre, et si lisse. Elle ne se lasse pas de la toucher. Suivre du doigt les contours, les pleins, les courbes, les ombres roses, les joues minuscules qui sourient. Elle prend le bébé contre elle, l’enfouit au creux de son épaule. Le cache dans ses cheveux. Partout l’odeur l’enivre, et l’infinie délicatesse d’une chair diaphane, un velours, une caresse.

Et pourtant il faut que cela cesse, la vieille derrière elle s’interroge, demande, crie presque. À ce moment-là, Moe se sent capable de l’étouffer sous un oreiller. Elle remmaillote le petit. Après, ce n’est plus pareil. Il ne sourit plus. Elle le couche dans le berceau.

 

*

Alors parce qu’il est impossible d’attendre davantage, Moe se prépare à partir. Elle explique à Rodolphe, un matin où il n’a pas encore trop bu. Pas de colère. Juste qu’elle n’a pas d’avenir. Il se moque :

— Et là où tu veux aller, t’en auras, de l’avenir ?

— On verra. J’espère.

— Tu te fais de belles illusions.

— Je ne peux pas rester comme ça toute ma vie. J’ai vingt-six ans. C’est trop long.

— Mais fais ce que tu veux ! Faudra juste pas revenir pleurer ici.

— Je reviendrai pas.

— J’crois que c’est mieux. Je suis pas un con, quand même.

— Je suis désolée. Mais je ne vois pas… enfin voilà, je suis désolée.

— C’est ça.

— Vraiment.

— Tu pars quand ?

— Je ne sais pas.

— Eh bien faudrait savoir parce que j’ai pas que ça à faire, moi.

— Je te dirai.

— Traîne pas.

Et au fond rien ne change dans leur existence les semaines qui suivent, ils étaient donc déjà si abîmés pense-t-elle, et leurs vies si éloignées, séparées d’avance. Seule la vieille boude, ne desserrant plus les lèvres de la journée. Moe n’insiste pas. Elle préfère le silence, tout entière tournée vers la fuite, car c’est ainsi qu’elle appelle son départ au-dedans d’elle, quelque chose d’éperdu, et toujours trop lent, elle piétine, ronge son frein. Rodolphe rentrant le soir jette son manteau sur le fauteuil.

— Tiens, la gale est toujours là.

Même pas une question. Il se délecte de son impuissance. Sait qu’elle finira par rester : elle n’a pas de solution. Lui ne bouge pas, profondément indifférent, désagréable ni plus ni moins qu’avant. Pas d’effort. Qu’elle en soit consciente, il ne modifiera rien. Pas à lui de le faire. Tout pourrait continuer de la même façon que les six années précédentes si elle ne s’acharnait pas à vouloir partir. Cracher sur un toit et un garde-manger toujours rempli ? Pauvre folle. Qui ignore la chance qu’elle a.

Et elle court toujours plus de ménage en cuisine, comme prise à la gorge, excédée par tout ce qui n’avance pas, l’argent qui manque, le travail qui ne vient pas, l’enfant recroquevillé sans un son dans son berceau. Jusqu’au jour où elle rencontre la fille d’une de ses vieilles clientes, qui habite à la ville. Elles ont le même âge. Une sympathie presque immédiate, et Moe s’efforce de paraître plus joyeuse et plus invisible. Travaille en babillant, frotte et récure, s’efface. Réjane la chahute, l’aide un peu, grimace devant l’évier crasseux.

— Comment tu fais pour supporter cette vie-là ?

Et Moe lui raconte. La maison sordide, l’alcoolisme de Rodolphe, la vieille qui guette. L’enfant muet. Sa petite existence en boucle, morose et sans issue. Personne sur qui compter ; seul, n est fichu. Elle veut une seconde chance. Réjane a un sourire en coin.

— Et si tu venais chez moi, le temps de trouver une solution ?

 

*

Alors voilà, elle s’en va. Elle le dit à Rodolphe. Le lendemain, en rentrant des ménages, elle trouve ses affaires entassées dans des sacs-poubelle de cent litres rangés dehors, le long de la maison. Cela ne prend pas lourd : un sac pour elle, un plus petit pour l’enfant. Le reste, c’est à lui.

— Y a rien que tu emmènes d’autre, c’est compris ?

Elle se tait. Depuis qu’elle lui a annoncé son départ, elle garde avec elle l’argent économisé, dans une poche contre son ventre. Elle cale l’enfant par-dessus. La seule chose qu’elle n’aurait jamais laissée. Elle s’appuie contre le mur extérieur de la grange, tout juste abritée de la pluie tiède et orageuse, et elle attend, l’enfant sur sa hanche, les deux sacs en plastique noir posés à côté. Solitaire encore une fois : Rodolphe a refermé la porte derrière lui. Plus rien ne filtre de l’intérieur de la maison, pas même le bruit de la télévision allumée toute la journée. Moe regarde l’enfant qui regarde les gouttes d’eau tomber de la gouttière, ne pense à rien. Juste tenir debout. À quinze heures, la voiture de Réjane entre dans la cour.

Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

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