Et si on lisait le début !
Les Lames du cardinal de Pierre Pevel
Un livre qui m’a intéressé et interrogé
Pour comprendre pourquoi, …
Je vous propose de lire le début
Les Lames du cardinal de Pierre Pevel, lecture 2
I
L’appel aux armes
1
Haute et longue, la pièce était tapissée de livres dont les élégantes dorures luisaient dans une pénombre roussie à la flamme des bougies. Dehors, derrière les épais rideaux de velours rouge, Paris dormait sous un ciel étoilé et la grande quiétude de ses rues enténébrées parvenait jusqu’ici, où le grattement d’une plume troublait à peine le silence. Mince, maigre, pâle, la main qui tenait cette plume traçait une écriture fine et serrée, nerveuse mais dominée, sans rature ni surcharge. Souvent, la plume allait à l’encrier. Elle était guidée par un geste précis et, sitôt revenue sur le papier, elle continuait de crisser au fil d’une pensée qui n’hésitait pas. Rien, sinon, ne bougeait. Pas même le dragonnet pourpre qui, roulé en boule, le museau sous l’aile, dormait d’un sommeil paisible près du sous-main en maroquin.
On frappa à la porte.
La main ne cessa pas d’écrire mais le dragonnet, dérangé, ouvrit un œil d’émeraude. Parut un homme portant l’épée et une casaque en soie écarlate frappée, sur ses quatre pans, d’une croix blanche. Il s’était respectueusement découvert.
— Oui ? fit le cardinal de Richelieu en écrivant toujours.
— Il est arrivé, monseigneur.
— Seul ?
— C’était la consigne.
— Bien. Faites-le entrer.
Le sieur de Saint-Georges, capitaine aux gardes de Son Éminence, s’inclina. Il allait se retirer quand il entendit :
— Et épargnez-lui les corps de garde.
Saint-Georges comprit, s’inclina encore et, en sortant, prit soin de refermer la porte sans bruit.
Avant d’être reçus dans les appartements du Cardinal, les visiteurs ordinaires devaient traverser cinq salles où des sentinelles étaient régulièrement relevées, de jour comme de nuit. Elles avaient l’épée au côté et le pistolet à la ceinture, veillaient à l’affût du moindre soupçon de danger et ne laissaient passer personne sans un ordre exprès. Rien n’échappait à leurs regards qui, d’inquisiteurs, n’attendaient que de se faire menaçants. Revêtus de la célèbre casaque, ces hommes appartenaient à la compagnie des gardes de Son Éminence. Ils l’escortaient partout où elle allait et n’étaient jamais moins d’une soixantaine partout où elle résidait. Ceux qui n’étaient pas de faction dans les couloirs et les antichambres tuaient le temps entre deux rondes, leurs mousquetons à portée de main. Et les gardes n’étaient pas les seuls à protéger Richelieu : tandis qu’ils assuraient la sécurité à l’intérieur, une compagnie de mousquetaires défendait les dehors.
Cette vigilance affichée n’était pas une simple démonstration de force pompeuse. Elle avait sa raison d’être, même ici, en plein Paris, dans le palais que le Cardinal faisait embellir à deux pas du Louvre.
Car, à quarante-huit ans, Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu se trouvait être l’une des personnalités les plus puissantes et les plus menacées de son temps. Duc et pair du royaume, membre du Conseil et principal ministre de Sa Majesté, il avait l’oreille de Louis XIII avec qui il gouvernait la France depuis une décennie. Cela lui valait de compter de nombreux adversaires dont les moins acharnés n’intriguaient qu’à provoquer sa disgrâce, quand d’autres envisageaient tout bonnement de le faire assassiner – attendu qu’un exilé peut se jouer des distances et qu’un prisonnier a toujours la ressource de s’évader. Des complots avaient bien failli réussir naguère et de nouveaux se préparaient sans doute. Richelieu devait ainsi se garder de tous ceux qui le détestaient parce qu’ils jalousaient l’influence qu’il exerçait sur le roi. Mais il lui fallait également se prémunir contre les attentats ourdis par les ennemis de la France, au premier rang desquels figuraient l’Espagne et sa Cour des Dragons.
Minuit allait sonner.
Le dragonnet, somnolent, poussa un soupir las.
— Il est bien tard, n’est-ce pas ? fit le Cardinal en adressant un sourire attendri au petit reptile ailé.
Lui-même avait les traits tirés par la fatigue et la maladie en cette nuit de printemps 1633.
Normalement, il serait bientôt couché. Il dormirait un peu si ses insomnies, ses migraines, les douleurs dans ses membres l’épargnaient. Et surtout si personne ne venait le réveiller avec une nouvelle urgente exigeant au mieux des consignes vite données, au pire la tenue d’un conseil immédiat. Quoi qu’il advienne, il serait debout à deux heures du matin, et déjà entouré par ses secrétaires. Après une rapide toilette, il déjeunerait de quelques gorgées de bouillon et travaillerait jusqu’à six heures. Peut-être profiterait-il ensuite d’une à deux heures de sommeil supplémentaires, avant que le gros de sa journée ne commence avec la ronde des ministres et des secrétaires d’État, des ambassadeurs et des courtisans. Mais le cardinal de Richelieu n’en avait pas encore fini pour aujourd’hui avec les affaires de l’État.
Des gonds grincèrent à l’autre bout de la bibliothèque, puis un pas décidé martela le parquet dans un cliquetis d’éperons alors que le cardinal de Richelieu relisait le rapport destiné à présenter au roi la politique à mener contre la Lorraine. Incongrue à cette heure et sonnant telle une charge sous les plafonds peints de la bibliothèque, le bruit grandissant acheva de réveiller le dragonnet. Lequel, au contraire de son maître, leva la tête pour voir qui arrivait.
C’était un gentilhomme blanchi sous le harnois de la guerre.
Grand, vigoureux, encore solide malgré les années, il avait des bottes hautes aux pieds, le chapeau à la main et la rapière au côté. Il portait un pourpoint ardoise à petits crevés rouges et des chausses assorties dont la coupe était aussi austère que l’étoffe. Sa barbe rase était du même gris argenté que ses cheveux. Soigneusement taillée, elle couvrait les joues d’un visage sévère creusé par les combats et les longues chevauchées sans doute, par les regrets et les tristesses peut-être. Son port était martial, assuré, fier, presque provocant. Son regard n’était pas de ceux que l’on fait baisser. Une chevalière en acier terni ornait l’annulaire de sa main gauche.
Laissant un silence s’installer, Richelieu acheva sa relecture tandis que son visiteur attendait. Il parapha la dernière page, la saupoudra pour l’aider à sécher, et souffla dessus. Les volutes qui s’élevèrent agacèrent les narines du dragonnet. Le petit reptile éternua, ce qui fit naître un sourire aux lèvres maigres du Cardinal.
— Désolé, Petit-Ami, murmura-t-il.
Et considérant enfin le gentilhomme, il dit :
— Un instant, voulez-vous ?
Il agita une clochette.
Le tintement fit venir l’infatigable et fidèle Charpentier, qui servait Son Éminence en qualité de secrétaire depuis vingt-cinq ans. Richelieu lui remit le rapport qu’il venait de signer.
— Avant que de me présenter demain devant Sa Majesté, je veux que le Père Joseph lise cela, et qu’il y ajoute les références bibliques qu’il aime tant et servent si bien la cause de la France.
Charpentier s’inclina et s’en fut.
— Le roi est fort pieux, sembla expliquer le Cardinal.
Puis, enchaînant comme si l’autre venait d’entrer :
— Soyez le bienvenu, monsieur le capitaine de La Fargue.
— « Capitaine » ?
— C’est bien votre grade, n’est-ce pas ?
— ça l’était avant que l’on me retire mon commandement.
— On souhaite que vous repreniez du service.
— Dès à présent ?
— Oui. Auriez-vous mieux à faire ?
C’était la première passe d’armes, et Richelieu présageait qu’il y en aurait d’autres.
— Un capitaine commande une compagnie, fit La Fargue.
— Ou une troupe, à tout le moins, aussi modeste en nombre soit-elle. Vous retrouverez la vôtre.
— Elle est dispersée. Grâce aux bons soins de Votre Éminence.
Une lueur étincela dans l’œil du Cardinal.
— Rappelez vos hommes. Des lettres qui leur sont destinées n’attendent plus que d’être envoyées.
— Tous ne répondront peut-être pas.
— Ceux qui répondront suffiront. Ils étaient des meilleurs, et doivent l’être encore. Le temps qui a passé n’est pas si long…
— Cinq ans.
— … Et libre à vous d’en recruter d’autres, poursuivit Richelieu sans s’interrompre. Il m’a d’ailleurs été rapporté que, malgré mes ordres, vous n’avez pas coupé tous les ponts.
Le vieux gentilhomme cligna des paupières.
— Je constate que la compétence des espions de Votre Éminence n’a pas faibli.
— De fait, il y a peu de chose que j’ignore vous concernant, capitaine.
La main posée sur le pommeau de l’épée, le capitaine Étienne-Louis de La Fargue s’accorda un moment de réflexion. Il regardait droit devant lui, au-dessus de la tête du Cardinal qui, depuis son fauteuil, l’observait avec un intérêt patient.
— Alors, capitaine, acceptez-vous ?
— Tout dépend.
Craint parce qu’il était influent et d’autant plus influent qu’il était craint, le cardinal de Richelieu pouvait ruiner un destin d’un trait de plume ou hâter tout aussi aisément une carrière vers les sommets. On prétendait qu’il était homme à écraser tous ceux qui lui résistaient. On exagérait beaucoup et, comme elle se plaisait à le dire, Son Éminence n’avait d’autres ennemis que ceux de l’État. Mais envers ceux-là, elle savait se montrer impitoyable.
De marbre, le Cardinal durcit le ton.
— Ne vous suffit-il pas, capitaine, de savoir que votre roi vous rappelle à son service ?
Le gentilhomme, alors, trouva et soutint sans faillir le regard acéré du Cardinal.
— Non, monseigneur, cela ne suffit pas.
Et après une pause, il ajouta :
— Ou plutôt, cela ne suffit plus.

Durant un long moment, on n’entendit que la respiration sifflante du dragonnet sous les lambris précieux de la grande bibliothèque du Palais-Cardinal. La conversation avait pris un mauvais tour et les deux hommes, l’un assis, l’autre debout, se toisèrent jusqu’à ce que La Fargue cède. Mais pas en baissant le regard. En le redressant au contraire, de nouveau braqué sur la précieuse tapisserie à laquelle Son Éminence tournait le dos.
— Exigeriez-vous des garanties, capitaine ?
— Non.
— En ce cas, j’ai peur de mal vous comprendre.
— Je veux dire, monseigneur, que je n’exige rien. On n’exige pas ce qui est dû.
— Ah.
La Fargue jouait gros à affronter celui qui passait pour gouverner la France plus que le roi. De son côté, le Cardinal savait que toutes les batailles ne se gagnent pas par un coup de force. Comme l’autre restait figé dans une pose d’attente inébranlable, prêt sans doute à s’entendre dire qu’il passerait le reste de ses jours dans un cul de basse-fosse ou irait bientôt combattre les sauvages des Indes occidentales, Richelieu se pencha sur la table et, d’un index noueux, gratta la tête du dragonnet.
Le reptile baissa les paupières et soupira d’aise.
— Petit-Ami m’a été offert par Sa Majesté, dit le Cardinal sur le ton de la conversation. C’est elle qui l’a ainsi baptisé et il paraît que ces créatures s’accoutument assez tôt à leur sobriquet… Quoi qu’il en soit, il n’attend de moi que d’être nourri et caressé. Je n’y ai jamais manqué, de même que je n’ai jamais manqué à servir les intérêts de la France. Pourtant, si je le privais soudain de mes soins, Petit-Ami ne serait pas long à me mordre. Et ce, sans considération pour les bontés dont je l’aurais comblé par avant… Il y a là une leçon à retenir, ne croyez-vous pas ?
La question était toute rhétorique. Abandonnant le dragonnet pourpre à sa somnolence, Richelieu se renfonça dans les coussins de son fauteuil, coussins qu’il accumulait vainement afin de calmer les affres de ses rhumatismes.
Il grimaça, attendit que les douleurs s’estompent, poursuivit.
— Je sais, capitaine, que je vous ai fait défaut naguère. Vos hommes et vous aviez bien servi. Connaissant vos succès et vos mérites passés, les reproches que l’on vous fit étaient-ils justice ? Certes non. Ils n’étaient que nécessité politique. Je vous accorde que vous n’aviez pas entièrement failli et que l’échec de cette délicate mission au siège de La Rochelle ne vous incombait pas. Mais considérant le tour tragique qu’avaient pris les événements auxquels vous étiez mêlé, la couronne de France ne pouvait que vous désavouer. Il fallait qu’elle sauve les apparences et vous condamne pour ce que vous aviez fait, secrètement, sur ordre. Vous deviez être sacrifié, quitte à ce que cet artifice jette le déshonneur sur la mort de l’un des vôtres.
La Fargue acquiesça, mais il lui en coûtait.
— La nécessité politique, lâcha-t-il d’un ton résigné en caressant du pouce, à l’intérieur de son poing, l’anneau de sa chevalière en acier.
Semblant soudain très las, le Cardinal soupira.
— L’Europe est en guerre, capitaine. Le Saint Empire est à feu et à sang depuis quinze ans et la France devra sans doute aller y combattre bientôt. L’Anglais menace nos côtes et l’Espagnol nos frontières. Quand elle ne s’arme pas contre nous, la Lorraine accueille à bras ouverts tous les séditieux du royaume cependant que la reine mère complote contre le roi depuis Bruxelles. Des révoltes éclatent dans nos provinces et c’est souvent au plus haut niveau de l’État qu’il faut traquer ceux qui les fomentent et les conduisent. Et je vous fais grâce des partis secrets, parfois à la solde de l’étranger, qui tirent les fils de leurs intrigues jusque dans le Louvre.
Richelieu planta son regard dans celui de La Fargue.
— Je n’ai pas toujours le choix des armes, capitaine.
Il y eut un long silence, puis le Cardinal dit :
— Vous ne recherchez ni la gloire ni la fortune. De fait, je ne peux rien vous promettre. Soyez même assuré que je n’hésiterais pas plus qu’hier si, demain, les circonstances exigeaient que l’on sacrifie votre honneur ou votre vie à la raison d’État…
Cet accès de franchise surprit le capitaine, qui tiqua et regarda Richelieu dans les yeux.
— Mais ne refusez pas la main que je vous tends, capitaine. Vous n’êtes pas de ceux qui reculent devant le devoir, et le royaume, bientôt, aura trop besoin d’un homme tel que vous. J’entends par là d’un homme capable de réunir et de commander de fines lames loyales et courageuses, habiles à agir promptement et dans le secret, et enfin qui tuent sans remords et meurent sans regret pour le service du roi. Allons, capitaine, porteriez-vous toujours cette chevalière si vous n’étiez plus celui que je crois ?
La Fargue ne sut que répondre mais pour le Cardinal, l’affaire était entendue.
— Vos hommes et vous aimiez à vous appeler les « Lames du Cardinal », ce me semble. C’était un nom qui ne se murmurait pas sans inquiétude chez les ennemis de la France. Pour cela, entre autres raisons, il me plaisait. Gardez-le.
— Malgré tout le respect que je vous dois, monseigneur, je n’ai toujours pas dit oui.
Richelieu dévisagea longuement le vieux gentilhomme, son visage maigre et anguleux n’exprimant que froideur. Puis il se leva de son fauteuil, alla légèrement écarter un rideau pour regarder dehors et lâcha :
— Et si je vous disais qu’il pourrait être question de votre fille ?
Pâlissant, ébranlé, La Fargue tourna la tête vers le Cardinal qui semblait absorbé par la contemplation de ses jardins à la nuit.
— Ma… fille ?… Mais je n’ai pas de fille, monseigneur…
— Vous savez bien que si. Et je le sais aussi… Rassurez-vous, cependant. Le secret de son existence est gardé par des personnes rares et sûres. Je crois que même vos Lames ignorent la vérité, n’est-ce pas ?
Le capitaine prit sur lui, abandonna un combat perdu d’avance.
— Est-elle… en danger ? demanda-t-il.
Richelieu sut alors qu’il avait gagné. Toujours de dos, il cacha un sourire.
— Vous comprendrez bientôt, dit-il. Pour l’heure, rassemblez vos Lames dans l’attente de connaître le détail de votre première mission. Je vous promets que cela ne tardera pas.
Et gratifiant enfin La Fargue d’un regard par-dessus son épaule, il ajouta :
— Le bonsoir, capitaine.
Lu il y a longtemps mais les nouvelles couvertures sont superbes !!
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Oui moi aussi lu à sa sortie, mais là c’est une intégrale, les 4 en 1
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Mieux que les anciens barils de poudre ! 4 en 1 😆
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Non, non ça ne lave pas plus blanc que blanc ! mdr 🤣🤣🤣🤣
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Heureusement, tu imagines la tête de t-shirt noir ??? 😀
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Non, non je n’ose pas ! 🤣🤣 🤣🤣
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Argh !!
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hihi 😛
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