Dans la brume écarlate de Nicolas Lebel, lecture 3



Et si on lisait le début !

Dans la brume écarlate de Nicolas Lebel, lecture 3

Un livre qui m’a bouleversé et interrogé

Pour comprendre pourquoi, …

Je vous propose de lire le début

 

Et si on lisait le début !

Dans la brume écarlate de Nicolas Lebel, lecture 3

 

Minuit

— Tu aurais vu ta tête !

Accrochée au bras de Mehrlicht, Mado peinait à se remettre de la représentation. Une hilarité continue la secouait depuis qu’ils étaient sortis du théâtre. Ils marchaient maintenant sur le trottoir, dans le brouillard et la fraîcheur de la nuit.

— Ah tu m’as bien monté la pendule avec ton spectacle de magie, grogna Mehrlicht en tirant sur son mégot. C’était qui, ces deux barjos ?

— C’est du Grand-Guignol ! Du film d’horreur avant l’heure ! Le spectacle de ce soir est une adaptation de plusieurs pièces qui étaient jouées en 1898 dans le véritable théâtre du Grand-Guignol, rue Chaptal. Les gens se pressaient pour voir des monstres abominables créés par des savants fous machiavéliques, dévorer des jeunes vierges innocentes dans des gerbes de sang ! Le tour de magie est une version grand-guignolesque de la traditionnelle boîte à sabres… Et pour le coup, c’était gore !

— Super… T’aurais pu prévenir au lieu de te marrer comme une baleine. J’avais l’air fin.

Il souffla sa fumée. D’une pichenette, il envoya tournoyer son mégot rougeoyant dans le brouillard. Mado pouffa.

— Ça faisait un moment que je voulais voir ce spectacle ! Alors, j’ai réservé deux places dès que j’ai su qu’on se retrouvait à Paris. Et c’était bien plus drôle de te faire la surprise que de te préparer !

— Bah voyons… Remarque, on peut difficilement se préparer à terminer en cubes sur une scène devant un public qui se gondole parce qu’on te débite à la scie…

Ils rirent ensemble, et il sentit les bras de Mado se resserrer sur le sien. Elle leva vers lui ses yeux bleus et lui sourit, révélant sa 20petite incisive cassée en biseau. Mehrlicht ne voyait pas ses cernes bruns, ses sourcils en accent circonflexe, les mèches blanches qui couraient dans sa tresse noire. Ou peut-être, au contraire, aimait-il chacun de ces détails, et sa taille menue, et son esprit, et sa détermination à abattre tous les obstacles de la vie, à être heureuse quoi qu’il advînt… même lorsqu’on le coupait en morceaux. Depuis leur rencontre dans le Limousin quelques mois plus tôt, à l’époque où il enquêtait sur l’Empoisonneuse, ils avaient tout mis en œuvre pour se retrouver. C’était lui d’abord qui était revenu plusieurs fois à Mèlas, par commodité puisqu’elle y tenait une auberge et faisait de grosses journées. Puis il lui avait proposé de venir à Paris et de faire la connaissance de son fils Jean-Luc, comme pour officialiser quelque chose qui n’avait pas besoin de l’être. Mado avait immédiatement accepté d’être un peu plus que la « copine du Limousin » pour ce flic qui, au premier coup de fil de son commissaire, pouvait déguerpir et la planter là. Les impératifs du service se conjuguaient à la distance pour les maintenir éloignés l’un de l’autre, et pourtant ils avaient tenu bon et se retrouvaient ce soir sur ce trottoir parisien, l’un contre l’autre, blottis dans la brume, à l’abri sous la nuit. Ils s’embrassèrent un moment sans un mot, puis toujours silencieux, souriant à l’invisible, ils prirent le chemin du retour.

— Ça ne t’ennuie pas pour l’hôtel, tu es sûr ?

Mado tenait manifestement à s’expliquer de nouveau.

— Aucun problème.

— Je suis contente d’avoir rencontré ton fils au déjeuner. C’est un gamin chouette. Vraiment…

— Ouais… S’il bossait un peu plus et jouait un peu moins avec son ordinateur, il serait encore plus chouette… Il t’a bien aimée aussi !

— « Femme, femme, femme, fais-nous voir le ciel, Femme, femme, femme, fais-nous du soleil… »

— Put… Ahhh ! C’est mon portable…

Mehrlicht extirpa le petit téléphone de la poche de son imper et regarda l’écran.

— Tiens… Quand on parle du loup… L’animal m’a laissé trois messages. Allô ?

— Papa, c’est Jean-Luc ! Ça va ?

21— Oui. Il y a un problème ou tu m’appelles à minuit pour me demander si ça va ?

— Non, je…

Il reprit en chuchotant.

— Je suis chez Kevin. Je me suis dit que c’était mieux de… si vous aviez l’appart pour vous… que vous soyez tranquilles. Je voulais t’avoir au téléphone avant que vous n’arriviez, pour te prévenir, histoire que… que tu ne croies pas que j’étais là, tu vois ?

— Je vois. Mais on sera à l’hôtel de Mado. On préfère faire comme ça.

— Ah OK ! L’hôtel. OK !

— Merci, en tout cas.

— Bah non… Je trouve que… non, non…

— C’est quoi la nouvelle sonnerie que tu as mise sur mon portable ? C’est Serge Lama ?

— Non. De la variété française des années 1970-1980. Ton époque, quoi ! Ça te changera de Brel. Je n’ai pas dit que c’était mieux, mais ça devrait être plus gai. Bon, la bise à Mado. Je te laisse.

— C’est ça. Va au lit. Tu as cours, demain.

— Ouais, ouais. Salut !

Il raccrocha et rangea son portable.

— Lui aussi s’inquiète de l’endroit où on va dormir, alors il est chez un copain et nous laisse l’appart ! J’ai tout à coup l’impression que c’est moi, l’ado !

Elle sourit avant de rectifier.

— Je ne suis pas inquiète, capitaine. Mais je ne suis pas du tout prête à passer la nuit chez toi, ni même à y aller… Les lieux sont encore…

Elle ne cherchait pas ses mots, elle avait peur de les prononcer. Mehrlicht acheva la phrase :

— … encore un peu trop habités par Suzanne. Hantés par son fantôme ! Tu peux le dire. J’avais rien touché depuis… Il m’a fallu quatre ans pour mettre ses affaires dans des cartons.

— C’est ton fils qui l’a fait…

— Ouais… Et il me tanne pour qu’on disperse les cendres de Suzanne quelque part… et pour que j’arrête de les conserver comme des reliques à la maison.

Mado ne commenta pas, alors il poursuivit :

22— Je comprends, je t’assure. On fera les choses quand on sera tous les deux prêts à les faire. Voilà !

Elle lui sourit.

— En parlant d’être prêt, comment tu te sens pour les sélections ?

— J’ai encore deux jours. C’est mercredi matin ! Mais je suis paré. J’ai fini l’Universalis. Et avec Mickael et Sophie qui me tapent 5 balles dès que je jure ou que je dis un mot grossier, j’ai perdu… j’ai presque perdu cette manie… C’est ce qui m’a coûté ma place au pupitre, la dernière fois ! Alors là, je vais te les plier, ces sélections, tu vas voir ! Je les attends leurs « Questions pour un champion » ! Lepers ou pas, ils me porteront tous en triomphe !

— Oui, bon, c’est juste les sélections. S’ils te gardent, tu enregistreras l’émission plus tard.

— Comment ça « s’ils me gardent » ? Tu doutes, félonne ?

— Pas du tout ! Tu es déjà mon champion à moi !

— Ah ! Voilà ce que je voulais entendre. Je vais leur faire cracher un max !

— Heu… Un max de dicos !

Ils rirent ensemble.

— Un max de dicos, répéta Mehrlicht. Je vais les mettre sur la paille, Larousse et FR3 !

— Maintenant c’est France 3 !

— OK. À genoux, France 3 ! Ils crieront grâce !

— Je sais, mon champion. Ils n’ont aucune chance !

Ils s’embrassèrent et entrèrent dans l’hôtel.

Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

2 réflexions sur « Dans la brume écarlate de Nicolas Lebel, lecture 3 »

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