Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.
Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.
Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !
Et merci à Aurélia pour ce challenge.
Le livre en cause
Le châtiment du sang, Céline Picard
CHAPITRE 1
Banjo est un golden retriever heureux. Tous les dimanches, Paulette, sa maîtresse, l’emmène au club canin où il retrouve ses congénères pour travailler l’obéissance, domaine dans lequel il n’excelle guère, et pour se dépenser en pratiquant l’agilité. Mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est s’amuser avec une belle braque croisée répondant au doux nom de Gaïa.
Comme chaque semaine, Paulette et Banjo parcourent à pied les deux kilomètres qui séparent la maison du centre d’éducation. Ils profitent ainsi des premières lueurs de l’aube qui donnent des reflets dorés à la campagne silencieuse et discrète. Les champs labourés aux mottes argileuses saillantes attendent les semailles du blé d’hiver dans un silence ouaté. Seuls quelques animaux, fouissant, cherchant, chantant, apportent une belle sonorité à cette paix. L’automne est déjà bien avancé, mais la douceur, fragment de l’été passé, ne veut pas renoncer. Malgré cette impression estivale, la pluie a fait la veille une apparition soudaine et les sols ont déjà absorbé ce précieux élixir de vie pour le restituer aux nappes phréatiques et à la flore. Quelques flaques et des lambeaux épars de brume humide attestent de son passage. Cette eau bénéfique exhale les parfums et Banjo en profite au maximum, la truffe au vent. À peine a-t-il levé son museau que ses cellules olfactives captent un puissant fumet. Il s’arrête, renifle et essaie de localiser ce mélange d’odeurs de charognes de rongeurs et de viscères d’un chevreuil dans lesquels il adore se rouler. Banjo se presse de suivre cette fragrance avant qu’elle ne disparaisse, malgré les remontrances de sa maîtresse qui le perd de vue et s’affole en imaginant son état de saleté. Comme chaque fois qu’il s’éloigne, elle le repère grâce à ses aboiements, le rejoint et se demande ce qu’il a bien pu trouver. Lorsqu’elle arrive à sa hauteur et s’apprête à lui passer la laisse, elle s’étonne de trouver Banjo calme, incrédule. Elle lève les yeux. Son nerf optique lui transmet alors les informations captées par les cellules rétiniennes. Son cerveau effectue le travail d’analyse. Elle intègre ce qu’elle vient de voir. Elle reste là, figée, la main sur la laisse. Puis, brusquement, ses muscles se mettent en action, elle a un mouvement de recul et hurle d’une force inimaginable. Son cœur s’emballe, il bat si fort et si vite qu’elle croit faire un malaise cardiaque. Elle pense qu’elle va s’évanouir, mais son corps réagit différemment. Ses jambes décident à sa place et, aussi vite qu’elles le lui permettent, Paulette détale comme si Lucifer en personne lui demandait un service. Au bout de la laisse, Banjo la suit sans rechigner. C’est seulement en arrivant au bout du chemin que son corps cesse de fuir. Elle réussit à prendre son téléphone malgré les tremblements incontrôlables qui agitent ses mains et sans qu’elle sache comment parvient à composer le 18. Elle décrit tant bien que mal ce qu’elle a découvert à son interlocuteur et raccroche aussitôt. Troublée, perdue, Paulette s’effondre et caresse son chien pour occuper ses mains et son esprit en attendant que quelqu’un vienne les délivrer de ce cauchemar. Elle est assise et Banjo, couché sur ses jambes, ne songe plus qu’à protéger sa maîtresse.
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Le livre en cause
La femme paradis, Pierre Chavagné
Coupée de la civilisation depuis plusieurs années, une femme sans passé survit au coeur de la forêt. Elle a apprivoisé les règles du monde sauvage pour mener une vie faite de pêche, de maraîchage et de méditation, où le sang n’est jamais versé en vain. Son existence Spartiate et harmonieuse est bouleversée lorsqu’un coup de feu claque sur le causse. Cette détonation précipitera une série d’événements implacables questionnant les forces qui l’ont amenée à choisir l’exil, la place qu’elle occupe dans le monde des hommes, et la trace qu’elle souhaite y laisser. Se jouant habilement de la mince frontière qui sépare le désir de la raison, ce texte vif et cinglant ébranle nos certitudes. Que sauver quand tout s’effondre ?
I LA DÉTONATION
Mes souvenirs sont des crépuscules; aucune de mes histoires n’a de commencement. Son œil fixe la frontière. À l’ouest, une colline nue et ronde, tachée de genêts; à l’est, une forêt de pins noirs au garde à-vous; entre les deux, s’étirant du nord au sud, un plateau karstique, une étendue rase, sans arbre ni buisson, aux herbes trop courtes pour onduler dans le vent. Tout y est figé. Seules les ombres changeantes des plus gros rochers posés là insufflent la vie. Un sol lunaire sur lequel prospéraient moutons et chèvres quand il y avait encore des bergers. Aucune trace de chemin ni de construction. Les poteaux des clôtures ont été repris et brûlés. Un ruisseau dégoutte de la colline et serpente en pente faible entre les blocs de granit. Le débit est ténu. Elle n’entend rien. Allongée sur le ventre, immobile, l’humidité du sol infuse sa chemise à hauteur de poitrine, l’air glacé lui griffe les joues, un vautour fauve plane en cercle à son zénith, elle ne bouge pas. Elle attend. Hier, dans cette zone, aux confins de son territoire, il y a eu une détonation. Elle balaye le causse d’un regard alangui. Elle ignore ce qu’elle cherche alors elle ne s’attarde sur rien. Ses pupilles dilatées flottent dans le paysage, elles s’habituent aux dégradés de vert, de gris, de noir, aux variations de lumière, découvrent des formes, fouillent les ombres. Les rondeurs de la colline dessinent le buste d’une femme généreuse, soulignent son front, son nez, son épaule, son sein lourd jusqu’à l’auréole vert empire de son sexe clair que délimite un tapis de myrtilles sauvages. À la lisière de la forêt, l’œil se fatigue. La vision se brouille comme à travers un grillage. Que distinguer à trois cents mètres dans un enchevêtrement de troncs ? Alors, elle recherche l’indice d’une présence dans l’agitation des branches basses. La nature est harmonie, elle quête la dissonance : la présence humaine.
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Le livre en cause
Rosalie Lamorlière de Ludovic Miserole
1
En ce mois d’août 1847, la canicule s’est installée. L’air est si étouffant que rares sont les parisiens qui osent affronter le soleil. La capitale vit au ralenti.
Pourtant, et malgré ses quatre-vingts ans, Rosalie Lamorlière brave le danger en faisant son entrée dans une des cours intérieures de l’Hospice des Incurables. Elle est venue ici précisément parce qu’elle était certaine de n’y trouver personne. Car qui serait assez fou pour venir ici, dans cet espace de verdure, par endroits jauni ? Autour d’elle, les hauts murs des bâtiments austères empêchent la moindre brise de circuler. Et ce ne sont pas les rares bancs disposés en cercle, sous le feuillage des quelques arbres plantés là, qui pourraient inciter les pensionnaires à y tenir assemblée.
La chaleur ne fait pas peur à la vieille dame. Depuis la Conciergerie, où elle était employée sous la révolution, elle a appris à l’apprivoiser. En août 1793, l’atmosphère y était irrespirable. A chaque aspiration, on avait le sentiment de se brûler les poumons.
Assise à l’ombre d’un marronnier, Rosalie se souvient de ce jour de l’été 1793, tout aussi suffocant. Elle n’avait alors que vingt-cinq ans. Un homme s’était présenté avec l’idée saugrenue de sauver la prisonnière la plus impopulaire du pays ! Ses armes ? Un bouquet d’œillets, une volonté de fer et une once de folie. Au début on aurait pu croire à une plaisanterie. Mais Marie-Antoinette s’était prise au jeu du doux rêveur. Elle, qui jusque là refusait toute tentative d’évasion, s’était finalement laissée convaincre par ce chevalier de l’ordre de Saint-Louis.
La vieille dame ne peut se défaire de ses souvenirs qui la hantent comme un mauvais rêve depuis plus de cinquante ans… Chaque nuit, elle revoit ces images et se réveille en nage, dans son lit étroit de l’Hospice des Incurables où elle a été placée par la Duchesse d’Angoulême11 qui a ainsi récompensé sa conduite, son dévouement et sa discrétion.
Vingt-cinq longues années à vivre ici, accompagnée de son mal incurable : une sciatique ancienne dont elle n’arrive à se défaire22.
Depuis son arrivée dans l’établissement, Rosalie demeure en retrait. Une ombre qui passe et que l’on ne remarque pas. Une femme discrète et mystérieuse préférant le silence aux confidences, la retenue à toute forme d’intimité. La vieille dame espère que la mort viendra la délivrer bientôt.
– Mademoiselle, on demande à vous voir.
Rosalie sursaute. Elle n’avait pas entendu Sœur Félicité faire son entrée dans la cour.
– Vous devez vous tromper, ma Sœur. Je n’attends personne.
– Et pourtant une certaine Hélène Grancher désire s’entretenir avec vous.
– Que me veut-elle ?
– Je ne sais.
Contrairement à d’habitude, aujourd’hui l’accent belge de Sœur Félicité33 ne parvient pas à amuser Rosalie.
– Je n’y suis pour personne !
– Me demanderiez-vous de mentir ?
– Je ne veux aucune visite.
– N’êtes-vous pas lasse de demeurer seule, à longueur de journée ?
– Non !
– Que dois-je dire à cette Madame Grancher ?
– Rien.
La religieuse s’éloigne et laisse Rosalie à ses interrogations. La vieille dame en a assez d’être un objet de curiosité pour tous ces écrivains et journalistes qui cherchent le moindre détail sur les derniers jours de la Reine à la Conciergerie. Cette Madame Grancher doit être une de ceux-là ; une curieuse ou une passionnée qui désire solliciter ses souvenirs. Ces soixante-seize jours à servir Marie-Antoinette avant sa montée à l’échafaud résument pour beaucoup l’existence de Marie-Rosalie Delamorlière4 et la résumeront encore certainement pendant bon nombre d’années. Etrange destinée d’être immortalisée aux yeux des Français pour avoir effectué consciencieusement son métier de servante ! Rosalie veut être tranquille, près du puits de la cour Saint Louis. Une construction pas très haute faite de pierres grisâtres. Sur la margelle, trois longs piquets de fer recouverts peu à peu par une clématite envahissante.
– Mademoiselle Lamorlière !
Etonnée, la vieille dame se retourne. Une femme de taille moyenne lui sourit. Le visage est rond, à peine ridé malgré des cernes marqués. Les cheveux bruns sont relevés en un chignon parfaitement attaché. Elle doit avoir quarante ans environ.
Cette personne vient assurément parler des jours funestes de 1793. Le simple fait de l’avoir appelée Lamorlière est un signe des plus révélateurs. Sait-elle seulement la véritable identité de la patiente de cet hospice ? En ces temps terribles, il était préférable d’ôter de son patronyme tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à une particule. De même pour les prénoms. Mieux valait éviter toute connotation antirévolutionnaire. Mademoiselle Marie-Rosalie Delamorlière avait donc laissé la place à cette Rosalie Lamorlière, servante dans l’antichambre de la mort, jeune fille au service d’Antoinette, dernière Reine de France.
– Je suis celle que vous recherchez.
Hélène considère ce beau visage sur lequel le temps ne semble avoir aucune prise. La vieille dame s’impatiente.
– Je suis infirmière. Je rends visite aux malades dans divers endroits de Paris.
– Je me porte bien, vous savez.
– Vraiment ? Alors pourquoi vous trouvez-vous aux Incurables ?
Mademoiselle Delamorlière sourit.
– Une vieille sciatique qui ne veut plus me quitter. Nous nous sommes habituées l’une à l’autre durant toutes ces années.
– Une amitié bien contraignante.
– Douloureuse, mais fidèle. Mais n’est-ce pas, Madame, de la Conciergerie que vous vouliez me parler ?
L’infirmière paraît gênée. Mademoiselle Lamorlière est perspicace.
– Au hasard d’une de mes nombreuses lectures, j’ai appris votre présence ici en 1836.
– Vous êtes venue ici pour rien. Je n’ai plus rien à révéler sur ces sombres années. J’ai tout dit.
– Je le sais. Mais j’ai lu vos témoignages et je voulais vous rencontrer. Ma démarche peut vous paraître cavalière et je vous prie de m’en excuser. Il est vrai que si la curiosité était une vertu, je serais assurément une des femmes les plus respectées du royaume.
– Hélas madame ! La concurrence est rude et la place manquerait aux Tuileries pour toutes les vertueuses de votre genre.
Rosalie l’invite à prendre place à ses côtés. Si elle est résolument décidée à ne rien raconter, la présence d’Hélène peut néanmoins lui apporter un peu de distraction en ce lieu qui en est tellement dépourvu. Et puis elle a réussi à piquer sa curiosité. Pourquoi désire-t-elle se plonger dans le passé et dans une des périodes les plus sombres que la France ait connues ?
– Vous êtes donc une lectrice assidue.
– Depuis mon plus jeune âge, je dévore les livres d’Histoire.
– Comme je vous envie ! Je ne sais pas lire.
– Je suis désolée.
– Il ne faut pas. Je me console en me disant que je ne suis pas la seule.
– Certes, mais…
– Alors ! Qui êtes-vous Madame Grancher ?
La brutalité de la question décontenance Hélène. L’infirmière est venue pour soutirer quelque confidence à la vieille demoiselle et la voici prise à son propre piège.
– Que vous dire ?
– Eh bien parlez-moi de vous. Je ne connais jamais la vie des gens qui veulent connaître la mienne. Avouez que ce n’est pas juste.
– Vous avez raison.
– Alors cette fois-ci, on fera l’inverse. Je ne vous adresserai la parole qu’en échange de la vôtre.
– Bien… Par quoi voulez-vous que je commence ?
– Comme vous voulez.
L’infirmière hésite.
– Je suis née à Paris, à la fin du siècle dernier.
– La Terreur vous a donc épargnée.
– Mes jeunes années ont été relativement confortables, loin des soucis liés au manque d’argent ou de pain sur la table.
– Madame vous avez bien de la chance.
– Oui, mes parents ont tout fait pour me préserver.
Rosalie se tourne vers son interlocutrice, sourcils froncés.
– Et puis ? N’est-ce pas là dans l’ordre des choses ? Encore faut-il avoir les moyens d’y parvenir.
Madame Grancher comprend sa maladresse.
– Nous n’étions pas pauvres, il est vrai. Pour autant cela ne nous a jamais empêchés de connaître notre bonheur et de l’apprécier. Fille unique, j’ai été choyée et ma famille a mis un soin tout particulier à parfaire mon éducation. Je suis donc entrée très tôt en institution religieuse et je n’en suis sortie qu’à l’âge de vingt ans.
– Vous avez donc été bien longtemps éloignée des tourments de votre temps. Et qu’avez-vous fait en sortant ?
– Mon père m’a fait épouser un instituteur, plus âgé que moi. Nous avons eu deux enfants.
– Vos proches semblent avoir pris beaucoup de décisions à votre place.
– Ils ne voulaient que mon bien.
– Evidemment. Quels sont les prénoms de ces deux innocents ?
– Mon fils s’appelle Valérien. Il est né très vite après notre mariage et Claire, ma fille, est venue au monde trois ans plus tard.
– Valérien, dîtes-vous ? Voilà, ma foi, un prénom étrange et original.
– Oui. C’est le nom d’un sénateur romain, proclamé empereur par ses troupes. C’est Joseph, mon mari, qui l’a choisi. Hélas, j’ai appris plus tard qu’il fut aussi à l’origine de persécutions chrétiennes.
– Personne n’est parfait.
Hélène ne comprend pas. Les deux livres qu’elle avait lus montraient une Rosalie douce et sensible. Rien à voir a priori avec cette femme froide, voire cynique.
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Le livre en cause
La moisson des innocents, Dan Waddell
Ils furent deux enfants assassins, condamnés pour avoir battu à mort un vieil homme sans défense. Deux garçons maudits qui ont purgé leur peine et se construisent une vie d’adulte sous des noms d’emprunt. Dieu sait comment, un justicier a retrouvé leur trace pour leur infliger les affres de l’enfer. L’inspecteur Foster sait que les explications se trouvent dans le village de Mackington, qui n’a jamais pardonné aux deux « petits bâtards diaboliques ». Mais la scène du crime passé est aussi celle de ses propres souvenirs, des premiers pas d’un jeune enquêteur idéaliste, dans un pays minier sortant exsangue de l’ère Thatcher. Alors qu’il replonge à contrecoeur dans cette affaire dont les conclusions lui ont laissé un goût amer, il découvre qu’une liste ultraconfidentielle de personnes protégées, vivant sous une nouvelle identité, a été volée au ministère de l’Intérieur. Y figurent le nom des deux victimes, mais aussi celui de son ami Nigel Barnes, qui lui a sauvé la vie quelques années auparavant. Face au danger imminent, le généalogiste devra se pencher sur le cas le plus complexe de sa carrière : le sien.
Dan Waddell débrouille avec une habileté machiavélique l’écheveau des souvenirs pour établir que les secrets des enfants terribles ne sont souvent, en vérité, que de terribles secrets d’enfants.
Meurtre de Kenny : deux suspects 22 juillet 1992
Deux écoliers sont actuellement entendus par les policiers chargés de l’enquête sur le meurtre ignoble dont a été victime Kenny Chester, mineur à la retraite.
Les deux enfants, âgés selon nos informations de seulement neuf et dix ans, ont été arrêtés hier soir à leur domicile respectif, quelques jours après la découverte à Dean Bank, un site isolé et pittoresque de Mackington dans le Northumberland, du corps battu et sommairement enseveli de monsieur Chester, soixante-treize ans.
The Herald connaît les noms des deux garçons mais ne les révélera pas pour préserver la sécurité de leurs familles. Ils seraient élèves d’une école primaire proche du domicile de monsieur Chester et du lieu du crime.
La nouvelle a laissé les habitants de Mackington complètement abasourdis. « Nous n’arrivons pas à croire que des membres de notre communauté aient commis une telle atrocité », nous a déclaré madame Gladys Wrenshaw, commerçante. « Tout le monde est sous le choc. Kenny était quelqu’un de bien, connu et respecté. Avoir été abattu ainsi, comme un animal, c’est ignoble. Ceux qui ont fait cela devraient craindre pour leur vie. Il y a ici des gens qui pourraient les mettre en pièces. »
Avant d’ajouter : « Et ce ne serait que justice. »
Il y a maintenant trois jours que la Grande-Bretagne a été saisie d’horreur suite à la découverte du corps de monsieur Chester, veuf, quelques heures après que sa famille a signalé sa disparition.
Le cadavre présentait de multiples blessures. L’un des inspecteurs a confié au Herald qu’il avait été victime d’une agression d’une « violence inouïe ». Selon toute vraisemblance, ses meurtriers ont ensuite essayé de dissimuler le corps en l’enterrant.
D’après une source policière, il est possible que monsieur Chester, qui a travaillé pendant quarante-huit ans aux Houillères Mackington, jusqu’à sa retraite il y a huit ans, ait été encore vivant quand on a commencé à l’ensevelir.
Un porte-parole de la police a officiellement annoncé : « Deux garçons de Mackington sont entendus dans le cadre de l’enquête. »
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Le livre en cause
Le gibier : une meute ne lâche jamais sa proie, Nicolas Lebel
Le gibier
La journée du commissaire Paul Starski commence assez mal : une prise d’otage l’attend dans un appartement parisien. Arrivé sur place avec sa coéquipière, la glaciale et pragmatique Yvonne Chen, il découvre le corps d’un flic à la dérive et celui d’un homme d’affaires sud-africain. Tous les indices accusent Chloé de Talense, une brillante biologiste. Et amour de jeunesse de Starski, qui prend l’enquête à bras-le-corps-et certainement trop à coeur -, tandis que les meurtres se multiplient. Car l’étau se resserre autour de Chloé. Elle semble être le gibier d’une chasse à courre sanglante lancée à travers la capitale.
I
Les chasses du Grand Veneur
1
Phase 2 – L’appât : pâture employée pour attirer le gibier.
André Cavicci remarqua soudain que le jour se levait, étirant un filtre bleuté et froid sur Paris. Il avait passé la nuit à marcher, puis à attendre, avait oublié les heures et les distances. Le soleil paraissait maintenant presque par surprise. On était le 5 mars et tout pouvait se jouer.
Il raccrocha et empocha son téléphone. Planté sur le trottoir désert, il inspecta la rue étroite où la fille l’avait entraîné. Un vent glacé s’engouffra entre les façades et balaya la chaussée noire de pluie. Cavicci ressentit la froidure de l’aube, un souffle piquant qui perça son trois-quarts élimé et le fit frissonner. Il tira une dernière bouffée sur son mégot de Marlboro avant de l’envoyer voleter d’une pichenette. Enfin, il sortit son arme et entra dans l’immeuble.
Il retint le battant de la porte cochère pour l’empêcher de claquer et s’immobilisa dans le hall carrelé. À l’affût, il perçut le pas mat de la fille, le rythme souple de ses talons hauts sur les marches à mesure qu’elle grimpait l’escalier. Elle devait déjà être au deuxième étage.
Cavicci passa la tête par-dessus la rampe, se tordant le cou. Il vit là-haut, dans la faible lueur électrique, la pâle menotte aux doigts grêles qui glissait sur le bois, s’élevait en cercles concentriques, et le trench-coat beige fluide et insolent qui souffletait les barreaux. À pas feutrés mais rapides, il monta 12les marches à son tour. Il ne la laisserait pas lui échapper, cette fois ; après dix-huit mois d’errements, il se retrouvait à Paris sur les traces de cette gamine d’à peine trente ans, le seul lien qui lui restait, le seul maillon entre les meurtres de Claudel à Lyon, de Birzaian à Bordeaux, et les autres… Elle était sa dernière amarre dans le réel quand tout le monde le disait fou.
Sa seule piste. Sa dernière chance. Sa rédemption.
Les talons de la jeune femme claquèrent sur le parquet du palier. Elle était au troisième étage. Cavicci accéléra. Il n’était pas question de frapper à toutes les portes pour la débusquer s’il la perdait maintenant. Il gravit les marches quatre à quatre en retenant son souffle lourd. Le tapis vert de l’escalier assourdissait son pas. Il arriva au troisième étage à l’instant où elle entrait dans un appartement au bout du couloir. Il s’approcha lentement, son poids faisant grincer les lattes anciennes. Son cœur cognait fort dans sa poitrine et dans sa gorge.
La porte était entrouverte, comme une invitation. Il déglutit, inspira fort, s’assura qu’une balle était chambrée dans le canon de son arme et poussa doucement la porte. Le timbre ténu d’une trompette ou d’un clairon jusqu’alors inaudible lui parvint, un air sautillant et chaotique. Il risqua un coup d’œil à l’intérieur et découvrit une petite entrée parquetée aux murs blancs, qui donnait sur cinq autres pièces.
— Megara ? Megara, vous m’entendez ? appela-t-il.
Le clairon, moqueur, caracola en guise de réponse.
Cavicci franchit le seuil. Surpris par la chaleur de l’appartement, il se lança, traversa l’entrée, son arme devant lui, braqua sur sa droite une cuisine vide, puis un salon, et se figea. Au bout de la pièce, dans la clarté bleutée qui s’invitait par la fenêtre, ses talons effilés plantés dans un épais tapis chinois, Megara lui faisait face, immobile comme si elle consentait enfin à se laisser regarder, le menton tendu vers lui avec arrogance. Cavicci détailla ses traits pour la première fois, ses pommettes hautes, ses lèvres charnues, ses cheveux châtains retenus en queue-de-cheval, ses yeux gris, profonds. Et froids. Quelque 13chose clochait. Son maquillage, peut-être, ou ses vêtements qui la vieillissaient, à moins qu’il ne s’agisse de ses cheveux, plus sombres que dans son souvenir. Elle semblait avoir largement dépassé la trentaine.
La femme leva la main gauche où fumait une cigarette qu’elle porta à sa bouche sans le lâcher des yeux. D’un geste lent, elle pointa la télécommande vers la chaîne stéréo et augmenta le volume. La musique lointaine devint claire. Cavicci reconnut un ensemble de cors de chasse ; il pâlit et baissa son arme malgré lui. Après des mois de traque, il l’avait localisée à Paris et l’avait suivie toute la soirée avant de la perdre encore et de la retrouver enfin. Il l’avait regardée marcher dans les rues de la ville, danser avec des inconnus, et rire jusqu’à s’oublier. En cet instant, il aurait pu se demander combien d’hommes avaient suivi cette beauté jusqu’à la mort. Il n’en eut pas le temps ; elle lui sourit.
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Le livre en cause
Du fond des âges, René Manzor
Il est trop taro pour avoir peur…
Nouvelle-Zélande. Un petit garçon court à perdre haleine dans les rues de Christchurch, poursuivi par un homme armé. Des coups de feu éclatent. À l’hôpital, on découvre que l’enfant a été porté disparu il y a trois ans. Il s’appelle Nateo, c’est le fils du célèbre explorateur Marcus Taylor. Pourquoi le retrouve-t-on maintenant ? Était-il séquestré ? S’est-il enfui ? Et qui peut vouloir tuer un enfant de huit ans ?
Un an auparavant, le glaciologue Marcus Taylor dirige une mission de scientifiques envoyés dans une base implantée en plein milieu de l’Antarctique. Quand ils arrivent sur place, ils découvrent des bâtiments saccagés et déserts. L’équipe précédente a disparu sans laisser de trace.
Quel lien y a-t-il entre la réapparition de l’enfant et cette expédition qui tourne au cauchemar ?
Une chose est sûre. Il est trop tard pour avoir peur….
Prologue
Présent
Christchurch,
Nouvelle-Zélande
L’enfant maori se retourna sous une pluie battante et aperçut le 4 × 4 Holden qui fonçait droit sur lui. L’innocence de ses huit ans se chargea soudain de panique ; celle qu’éprouvent les animaux traqués.
Le premier tir fit exploser le pare-brise d’une fourgonnette, à quelques centimètres de lui. Le petit garçon bondit en avant, jetant toutes ses forces dans une fuite désespérée. Le verre brisé taillada ses pieds nus, mais l’enfant ne sentit rien. Pas plus la douleur que le sang jaillissant de ses blessures.
Le vieux Russe qui le poursuivait pointait son fusil à lunette à travers la portière, tout en hurlant au conducteur de stabiliser la voiture. Mais la minitornade qui soufflait sur Christchurch rendait la manœuvre difficile. D’autant que les essuie-glaces ne parvenaient plus à dégager les trombes d’eau.
L’enfant bifurqua vers une avenue adjacente.
Un second tir fit exploser la vitrine d’une boutique, sur ses talons.
Un chaos indescriptible régnait dans la rue. Des gens criaient, d’autres se cachaient où ils pouvaient.
Le chauffeur vira un peu trop sèchement à droite et percuta une camionnette, garée en double file. Les piétons se jetèrent à couvert pour éviter le véhicule. Les roues de la Holden accrochèrent le bord du trottoir et une violente secousse ébranla l’habitacle.
Déstabilisé, le tireur se dégagea de la fenêtre, le temps d’essuyer la pluie qui noyait ses yeux et sa visée. Sa cible était en vue, à une vingtaine de mètres. Mais elle se déplaçait beaucoup trop vite. Elle zigzaguait au beau milieu du trafic, tandis qu’un concert de klaxons éclatait dans son sillage.
— Qu’est-ce que tu fous ? hurla le vieux Russe. Rattrape-le !
Il se déporta sur la gauche et se faufila entre les voitures arrivant en sens inverse. Contraintes de s’écarter, elles protestèrent avec force coups de frein et de klaxon.
Tandis que l’enfant maori courait à perdre haleine, il risqua un coup d’œil par-dessus son épaule. Le faisceau rouge de la visée laser le trouva. Une détonation retentit. Il changea brutalement de direction, dérapa sur la chaussée mouillée et chuta. Des pneus hurlèrent sur l’asphalte, laissant derrière eux de larges traînées de gomme.
Quand le garçon releva les yeux, la calandre de l’autocar qui aurait dû l’écraser se dressait, fumante, au-dessus de lui.
Pendant quelques secondes, ses poursuivants crurent l’avoir perdu.
— Il est où ? demanda le tireur en dégageant la buée qui s’accrochait au pare-brise.
Le chauffeur leva les yeux vers son rétroviseur et aperçut le fuyard qui traversait l’avenue, en prenant tous les risques.
— Derrière nous ! hurla-t-il en tournant sèchement le volant à gauche.
La Holden rebondit sur le terre-plein central, pulvérisa une fontaine décorative et s’élança, un peu trop vite, à la poursuite de l’enfant. Les piétons qui traversaient s’éparpillèrent comme des quilles de bowling. Ne parvenant pas à se stabiliser, la Holden arracha la portière ouverte d’une berline, faucha une rangée de parcmètres et alla s’encastrer, côté conducteur, dans un camion en stationnement.
L’aile arrière gauche du poids lourd perfora l’habitacle de la Holden. Des fragments de verre et de métal sifflèrent dangereusement autour de la tête du passager, manquant de le décapiter. Le chauffeur, lui, n’eut pas la même chance. Le vieux Russe grimaça à la vue de son corps broyé par la carrosserie.
Mais il n’abandonna pas pour autant.
À travers les débris du pare-brise, il vit l’enfant maori pénétrer dans un immeuble bourgeois. Le tueur s’extirpa tant bien que mal…
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Peine capitale, Isabelle Villain
1
23 novembre 2011.
Elle se sent désespérément seule. Depuis quand est-elle coincée ici ? Elle n’en a pas la moindre idée. La notion du temps est un élément très abstrait lorsqu’on est enfermé. Trois jours, peut-être quatre ? Son mari a bien évidemment signalé sa disparition, et la police s’est certainement lancée à sa recherche, mais dans quelle direction ? La dernière chose dont elle se souvient remonte pour elle à une éternité.
En premier lieu, remettre de l’ordre dans ses idées. Cet effort pour creuser au plus profond d’elle-même se révèle être un véritable calvaire.
Mais au bout de quelques minutes d’intense concentration, certains flashs, un peu comme des éclairs lumineux, lui reviennent en mémoire : ce soir-là, elle était rentrée de l’hôpital beaucoup plus tard que d’habitude, vers 23 heures. Il y avait eu un gigantesque carambolage sur le périphérique entre la porte de Choisy et la porte d’Ivry. Des dizaines de véhicules s’étaient encastrés les uns dans les autres, et le SAMU avait dénombré plusieurs blessés graves dont deux hommes en état de mort cérébrale. Le service d’accueil des urgences de la Pitié-Salpêtrière, qui jusque-là était exceptionnellement désert, s’était retrouvé encombré d’une multitude de brancards. Elle pouvait encore entendre le bruit des roues sur le sol et les cris des blessés. En arrivant chez elle, totalement vidée, elle avait pris une douche et englouti un plat de pâtes sur lequel elle avait râpé quelques copeaux de parmesan frais.
Le simple fait de repenser à cette assiette la fait frissonner. Son estomac contracté se rappelle à son bon souvenir. Depuis quand n’a-t-elle rien avalé ? Ne pas y penser. Ne surtout pas se laisser distraire. Revenir à son emploi du temps pour tenter de comprendre ce qui a bien pu lui arriver : une promenade dans la rue avec Flesh, son chien, un bon gros caniche gris au regard triste. Cette sortie nocturne était habituellement le job de son mari, mais Stéphane était en déplacement ce soir-là. Elle était allée chercher la laisse. Son chien avait pigé en un quart de seconde que l’heure de la récréation avait sonné. Malgré ses treize ans et un début d’arthrose, il s’était mis à faire des bonds en sautant sur ses deux pattes postérieures et en couinant légèrement. Elle avait enfilé un jogging, un gros pull en cachemire et son manteau puis avait descendu à pied les trois étages.
À cet instant, en caressant délicatement ses jambes, elle sent sous ses doigts le contact du coton molletonné. Elle porte toujours le même survêtement, et n’a donc, en toute logique, jamais regagné son domicile.
Elle ferme les yeux pour essayer de retrouver toute sa concentration. Elle est épuisée, mais ce travail de mémoire lui semble important : il faisait nuit noire et un petit crachin humide lui effleurait le visage. Elle marchait tranquillement dans la rue, puis plus rien, le néant. Une sensation de brouillard intense, un mal de tête lancinant et une odeur d’éther ou peut-être de chloroforme dans la bouche.
Mais pourquoi elle ? Que peut bien lui vouloir son kidnappeur ? Cela n’a aucun sens. Sa famille ne roule pas sur l’or.
Soudain, son visage se contracte. Elle grimace. Elle ressent de violentes douleurs dans les bras et le bas du dos. Il l’a très certainement frappée. Mais l’a-t-il violée ? Elle n’en garde pas le moindre souvenir.
Durant les premières heures de sa captivité, pleine d’espoir et de détermination, elle a tenté de se représenter l’endroit dans lequel elle est retenue prisonnière. En rampant le long des parois, elle a calculé que la pièce ne doit pas mesurer plus d’une dizaine de mètres carrés, tout au plus. Des murs humides, criblés de petites brèches. De la pierre poreuse. La cave d’une très vieille maison certainement.
Peine capitale Elle marchait tranquillement dans la rue puis le trou noir. Une sensation de brouillard intense, un mal de tête lancinant et une odeur d’éther ou peut-être de chloroforme dans la bouche. Mais pourquoi elle ? Que pouvait bien lui vouloir son kidnappeur ? Cela n’avait aucun sens. À partir d’un cadavre découvert dans un lac du bois de Boulogne, le commandant Rebecca de Lost, chef de groupe au 36, quai des Orfèvres, s’engage dans une enquête tortueuse. Le corps est demeuré trop longtemps dans l’eau, les chairs sont trop gonflées pour permettre son identification… Les policiers de la célébrissime Crim se lancent dans des investigations en vue d’élucider une série de crimes. Quel est ou quels sont les liens entre ces assassinats ? Qui est ou quels sont ces criminels morbides ?
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Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.
Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !
Et merci à Aurélia pour ce challenge.
Le livre en cause
La chambre close : le roman d’un crime de Maj Sjöwall et Per Wahlöö
Une femme commet un braquage au cours duquel un homme est tué accidentellement. Dans le même temps, deux dangereux pilleurs de banques écument stockholm, et mettent la police sur les dents. Martin Beck quant à lui, reprenant le travail après une longue convalescence, se heurte à une affaire bizarre : un vieil invalide nécessiteux est retrouvé mort dans une pièce sordide soigneusement fermée de l’intérieur. Il a une balle dans le ventre. La police veut conclure à un suicide, mais dans ce cas où est passé le pistolet ? Un pistolet qui, justement, semble avoir servi au braquage… À partir d’un classique mystère de chambre close se dessine progressivement une affaire complexe, à la résolution parfaitement amorale.
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Au moment où elle sortit de la bouche de métro de Wollmar Yxkullsgatan, 14 heures sonnaient à l’église de Maria. Elle s’arrêta pour allumer une cigarette, avant de se diriger à grands pas vers la place de Mariatorget.
La vibration de l’air, propageant le bruit des cloches, lui rappela les tristes dimanches de son enfance. Elle était née et avait grandi à quelques pâtés de maisons de cette église, où elle avait été baptisée et fait sa communion voilà près de douze ans. Tout ce dont elle se souvenait, ainsi que des cours de catéchisme, c’était d’avoir demandé au pasteur ce qu’avait voulu dire Strindberg lorsqu’il avait parlé du « soprano splénétique » des cloches de l’église de Maria, mais elle ne se rappelait pas ce qu’il lui avait répondu.
Le soleil lui brûlait le dos et, après avoir traversé Sankt Paulsgatan, elle ralentit l’allure afin de ne pas être en sueur. Elle comprit soudain combien elle était nerveuse et regretta de ne pas avoir pris un calmant avant de partir de chez elle.
Une fois arrivée au milieu de la place, elle trempa son mouchoir dans l’eau de la fontaine avant d’aller s’asseoir sur un banc, à l’ombre des arbres. Elle ôta ses lunettes, se frotta rapidement le visage avec son mouchoir humide, essuya ses verres avec un pan de sa chemise bleu clair puis remit les lunettes. Ensuite elle enleva son chapeau de toile bleu à larges bords, souleva ses cheveux blonds qui lui tombaient si bas dans le cou qu’ils effleuraient les pattes d’épaules de la chemise et s’essuya la nuque. Enfin, elle remit son chapeau, le baissa sur son front et resta assise là, absolument immobile, son mouchoir roulé en boule entre ses mains.
Au bout d’un moment elle étala le mouchoir sur le banc, à côté d’elle, et s’essuya les mains sur son jean. Elle regarda sa montre, qui indiquait 14 h 10, et s’accorda trois minutes pour se calmer avant de continuer, puisqu’il le fallait.
Lorsque sonna le quart, elle souleva le rabat du sac de toile vert posé sur ses genoux, prit le mouchoir maintenant tout à fait sec et le laissa tomber à l’intérieur sans se donner la peine de le plier. Puis elle se leva, passa la sangle du sac sur son épaule droite et se remit en marche.
Tout en se dirigeant vers Hornsgatan elle sentit qu’elle se détendait et s’efforça de se persuader que tout irait bien.
C’était le dernier jour de juin, un vendredi, et, pour bien des gens, les vacances venaient de commencer. Hornsgatan était très animée, tant sur les trottoirs que sur la chaussée. Au débouché de la place, elle tourna à gauche et se trouva alors à l’ombre des immeubles.
Elle espérait avoir bien fait de choisir ce jour-là. Elle avait soigneusement pesé le pour et le contre et elle était bien consciente qu’il lui faudrait peut-être remettre l’exécution de ses projets à la semaine suivante. Ce ne serait pas bien grave, dans ce cas, mais elle préférait être soulagée de la tension nerveuse de l’attente.
Elle arriva plus tôt qu’elle ne l’avait pensé et s’arrêta du côté de la rue qui était à l’ombre, tout en observant la grande baie vitrée, en face. Le soleil s’y réfléchissait, mais elle était de temps en temps masquée par la circulation très dense de la rue. Elle put cependant constater que les rideaux étaient tirés.
Elle fit lentement les cent pas sur le trottoir en faisant semblant de regarder les vitrines, et, bien qu’il y eût une grande pendule un peu plus loin dans la rue, devant un magasin d’horlogerie, elle ne cessait de consulter sa montre-bracelet. Tout en surveillant du coin de l’œil la porte d’en face.
À 14 h 55 elle se dirigea vers le passage clouté situé au carrefour et, quatre minutes plus tard, elle se trouva devant l’entrée de la banque.
Avant de pousser la porte et d’entrer, elle souleva le rabat de son sac.
Du regard elle fit le tour de ce local, qui abritait une agence d’une grande banque. Il était en longueur, et la porte et l’unique baie occupaient l’un des murs de la largeur. À droite, un comptoir courait sur toute la longueur. À gauche, se trouvaient quatre pupitres fixés au mur et, plus au fond, une table basse de forme ronde et deux tabourets recouverts d’un tissu à carreaux rouges. Tout au bout partait un escalier très raide qui descendait en colimaçon vers ce qui devait être la salle des coffres et la chambre forte.
Il n’y avait qu’un client devant elle, un homme en train de ranger des billets et des papiers dans sa serviette.
Derrière le comptoir étaient assises deux employées et, un peu plus loin, un homme consultait un fichier.
Elle se dirigea vers l’un des pupitres et chercha un stylo dans le compartiment extérieur de son sac, tout en observant du coin de l’œil le client pousser la porte de la rue et sortir. Elle prit un imprimé et se mit à dessiner dessus. Mais elle n’eut pas longtemps à attendre avant de voir le directeur de l’agence aller verrouiller la porte d’entrée. Puis il se baissa pour soulever le taquet qui retenait la porte intérieure et, tandis que celle-ci se refermait avec un petit soupir, regagna sa place derrière le comptoir.
Elle sortit alors son mouchoir de son sac, le prit dans sa main droite et fit semblant de se moucher tout en avançant vers le comptoir, l’imprimé à la main.
Une fois arrivée devant la caisse, elle laissa tomber l’imprimé dans son sac, en sortit un filet en nylon qu’elle posa sur le comptoir, puis saisit le pistolet et le pointa vers la caissière en disant, le mouchoir devant la bouche :
C’est un hold-up. Le pistolet est chargé et, si vous bronchez, je tire. Mettez tout l’argent que vous avez dans ce filet.
La femme qui se trouvait en face d’elle la regarda avec de grands yeux, prit lentement le filet et le posa devant elle. L’autre femme, qui était en train de se peigner, assise sur une chaise, s’arrêta dans son geste et laissa retomber ses mains. Elle ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose mais n’émit pas le moindre son. L’homme, qui se tenait toujours derrière son bureau, esquissa un geste rapide, mais elle braqua aussitôt le pistolet dans sa direction et cria :
Ne bougez pas ! Les mains en l’air, tout le monde !
Puis elle agita le canon de son arme en direction de la femme, apparemment paralysée, qu’elle avait devant elle, et reprit :
Qu’est-ce que vous attendez ? J’ai dit tout l’argent !
La caissière commença alors à mettre les liasses de billets dans le filet et, une fois qu’elle eut terminé, le posa à nouveau sur le comptoir. De derrière son bureau l’homme dit soudain :
Vous ne vous en tirerez pas comme cela. La police va…
Taisez-vous ! s’écria-t-elle.
Puis elle jeta le mouchoir dans son sac resté ouvert et prit le filet, dont le poids lui parut très prometteur. Elle braqua ensuite son pistolet, à tour de rôle, vers les trois employés tout en se dirigeant lentement vers la porte, à reculons.
Soudain, venant de l’escalier situé au fond de la pièce, quelqu’un se jeta sur elle. C’était un grand homme blond, en pantalon blanc très bien repassé et blazer bleu aux boutons bien astiqués et portant un grand blason brodé en fils d’or sur la poitrine.
Un claquement très sec retentit dans la pièce et se répercuta d’un mur à l’autre et, tout en sentant son bras projeté malgré elle vers le plafond, elle vit l’homme au blason doré faire un bond en arrière. Elle eut le temps de noter que ses chaussures étaient neuves, qu’elles étaient blanches et avaient d’épaisses semelles en caoutchouc rouge rayé, mais ce n’est que lorsque sa tête alla cogner sur le dallage, avec un affreux bruit sourd, qu’elle comprit qu’elle l’avait tué.
Elle jeta son pistolet dans son sac, lança un regard affolé aux trois personnes mortes de peur qui se tenaient derrière le comptoir et se précipita vers la porte. Elle ouvrit celle-ci, après s’être un peu énervée sur le verrou, et, avant de se retrouver dans la rue, elle eut le temps de se dire : « Du calme, il faut que je marche tout à fait normalement. » Mais, une fois sur le trottoir, elle se mit à courir à moitié vers la première rue transversale.
Elle ne vit pas vraiment les gens autour d’elle, sentant seulement qu’elle heurtait plusieurs d’entre eux au passage, tandis que la détonation continuait à retentir dans ses oreilles.
Elle tourna le coin de la rue et se mit alors à courir vraiment, le filet à la main et son sac lui cognant contre la hanche. Elle ouvrit brutalement la porte de l’immeuble dans lequel elle avait habité étant enfant, enfila jusqu’au bout le couloir bien connu qui donnait sur la cour et, une fois parvenue là, ralentit l’allure et se mit à marcher normalement. Au fond de la cour, elle pénétra dans un autre immeuble qu’elle traversa également et se retrouva dans une nouvelle arrière-cour. Là, elle descendit l’escalier très raide menant à la cave et s’assit sur la dernière marche.
Elle essaya alors de mettre le filet de nylon noir dans son sac, par-dessus le pistolet, mais il n’y tenait pas. Elle ôta donc son chapeau, ses lunettes, ainsi que sa perruque blonde, et fourra le tout à la place. Elle était maintenant brune, les cheveux courts. Elle se leva, déboutonna sa chemise, l’enleva et la mit également dans le sac. Dessous, elle portait un maillot de coton noir à manches courtes. Elle passa la sangle de son sac sur son épaule gauche, prit le filet à la main et regagna la cour. Elle traversa plusieurs autres immeubles et plusieurs cours et enjamba deux murets avant de se retrouver dans la rue, à l’autre extrémité du pâté de maisons.
Elle entra dans un magasin d’alimentation, acheta deux litres de lait, qu’elle mit dans son sac à provisions avec, par-dessus, le filet de nylon noir.
Puis elle se dirigea vers Slussen et prit le métro pour rentrer chez elle.
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Le livre en cause
Le crépuscule des éléphants, Guillaume Ramezi
À tous ceux qui se battent au quotidien pour changer les choses.
Quand l’éléphant trébuche, ce sont les fourmis qui en pâtissent
Proverbe africain
PROLOGUE
Esmond Martin n’avait pas bu une goutte depuis des années. Ce soir-là, lorsqu’il rentra à la nuit tombée dans sa modeste demeure des faubourgs de Libreville, il jeta sa sacoche tachée de sang au pied du porte-manteau et, sans même prendre la peine de se laver les mains, sortit l’antique bouteille de Glenmorangie vingt ans d’âge qui croupissait dans le buffet. Il s’en servit une grande rasade et vida le verre d’un seul trait. Le liquide épais et tiède, réchauffé par la moiteur de l’été gabonais, lui brûla à peine la gorge, réveillant vaguement de vieux démons enfouis depuis qu’il s’était épris de ce pays et de ses merveilles. D’une certaine façon, ces dernières avaient été sa bouée de sauvetage, alors il investissait toute son énergie pour les défendre depuis vingt ans. Aujourd’hui pourtant, il avait l’impression que toutes ces années avaient été vaines. Vingt ans qu’il écumait les forêts pour localiser les troupeaux. Vingt ans qu’il fréquentait à longueur d’année les écoles, de la capitale jusqu’aux plus petits villages, pour leur apprendre, leur prouver qu’ils devaient protéger leur faune. Vingt ans qu’il soutenait les ONG désireuses d’informer le grand public occidental. Vingt ans qu’il frappait aux portes des gouvernements successifs pour les convaincre qu’ils auraient plus à gagner, à long terme, dans le développement d’un véritable écotourisme que dans la déforestation massive.
En fin d’après-midi, quand Bonaventure l’avait appelé, c’est un ranger en pleurs qui lui avait demandé de venir le rejoindre. Esmond Martin avait sauté dans sa Jeep et s’était précipité à sa rencontre. Il avait eu l’occasion de voir des horreurs depuis tout ce temps, mais ce qu’il avait découvert en arrivant dépassait l’entendement. Il en avait compté trente-quatre au total. Trente-quatre cadavres à qui il ne manquait que les défenses. Trente-quatre éléphants massacrés pour leur ivoire. Parmi eux, il y avait même des éléphanteaux. Certains si jeunes que le précieux matériau devait à peine poindre au coin de leurs bouches. Ils avaient été exterminés quand même, juste pour le plaisir sans doute. Au moins, les fois précédentes, avaient-ils laissé la vie sauve à ceux ne présentant aucun intérêt et les rangers avaient pu les récupérer pour les confier à la réserve. C’était le quatrième carnage en un mois et cette fois, l’ampleur était phénoménale. Ils étaient face à une attaque d’envergure.
Les brigades d’intervention avaient bien repéré quelques groupes de braconniers qui avaient franchi la frontière récemment, mais sans jamais parvenir à les prendre sur le fait. Sur le chemin du retour, après plusieurs coups de téléphone désespérés, Esmond avait réussi à obtenir un rendez-vous avec le Premier ministre pour le lendemain matin. Il devait absolument le convaincre de déployer l’armée autour des zones d’habitations principales des derniers troupeaux d’éléphants présents dans la région.
Un bruit dans la ruelle à l’arrière de la maison le sortit de ses réflexions. Il tendit l’oreille. Après quelques secondes pendant lesquelles il ne perçut rien de plus, il reporta son attention sur son verre et se resservit. Il n’entendit pas la porte de la cuisine s’ouvrir et, lorsque la machette s’abattit sur sa nuque, il n’eut pas le temps de réagir. Il était déjà trop tard. Une poignée d’autres coups précis et haineux plut sur son crâne et le haut de son corps, le privant même d’une dernière pensée pour ses protégés.
En à peine deux minutes, Esmond Martin, l’ultime rempart préservant les éléphants gabonais de la barbarie venait de céder.
Le crépuscule des éléphants Au Gabon, le danger est omniprésent. Des meurtres atroces ont été commis… Andreas ne se fie pas aux autorités locales corrompues jusqu’à la moelle. Lorsque Camille, capitaine de police à Paris, reçoit son appel de détresse, elle n’hésite pas à se mettre en danger pour le rejoindre. La jeune femme va se retrouver au coeur d’un trafic d’ivoire international qui ne laisse aucune chance aux éléphants et leurs défenseurs. À qui profite réellement ce commerce ? Qui en tire les ficelles ? À qui peut-on réellement se fier ? Guillaume Ramezi met en lumière un commerce illégal et pourtant toujours d’actualité dans un thriller à la fois angoissant et touchant.
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Le livre en cause
Âmes animales, J.R. dos Santos
Le roi du thriller bien informé s’attaque au grand sujet du moment : l’intelligence animale. Un corps est retrouvé flottant dans l’un des réservoirs de l’Oceanário de Lisbonne. Tous les indices convergent vers la culpabilité de Maria Flor, qui est arrêtée. Un seul homme peut l’aider : son mari, Tomás Noronha. Pour prouver son innocence, Tomás doit trouver le véritable auteur du crime. Cela le conduit au projet secret de la victime – et aux mystères du tableau le plus ésotérique de Jérôme Bosch Le Jardin des délices. Au bout de la quête se cache l’un des plus merveilleux secrets de la Nature : l’intelligence, les émotions et la conscience des animaux.
Avec Âmes animales, le maître du polar scientifique est de retour avec une aventure qui pointe la bestialité des hommes et révèle l’intelligence animale. S’appuyant sur les dernières recherches scientifiques en éthologie, José Rodrigues dos Santos nous oblige à regarder la face la plus sombre de l’humanité.
PROLOGUE
Les yeux pâles d’Ana étaient si bleus qu’on aurait dit la planète en modèle réduit. La petite attendait dans la première file, les doigts de la main gauche enroulés dans ses mèches châtain clair, son autre main serrant le billet avec force comme si elle craignait que le vent ne l’emporte. Un immense tumulte l’entourait ; c’étaient ses camarades de classe qui s’agitaient, tout excités. Ils étaient partis de bonne heure de Leiria afin de rejoindre Lisbonne pour cette visite tant attendue, mais Ana restait à l’écart du chahut, le regard toujours rivé sur les portes closes devant elle, l’esprit en proie à un tourbillon d’émotions. Elle craignait ces portes, voulant tout à la fois qu’elles s’ouvrent et qu’elles ne s’ouvrent jamais, terrorisée et fascinée par ce qu’elle allait trouver derrière.
— Allons, les enfants ! Du calme, tonna la professeure Arlete en consultant sa montre. Il est dix heures moins deux minutes, ils vont ouvrir.
Les mots de l’enseignante avaient pour but de calmer les écoliers, mais ils eurent l’effet inverse. L’imminence de l’ouverture des portes accrut l’impatience des enfants et, aussi incroyable que cela puisse paraître, le brouhaha ne fit que s’intensifier. L’excitation était à son comble et finit par gagner Ana qui, s’efforçant pourtant de contenir le mélange de peur et de curiosité qui l’habitait, ne put se réfréner et se mit à sautiller.
— Les requins ? Maîtresse, les requins ?
— Du calme, du calme…
— Est-ce qu’ils vont nous manger, maîtresse ? Ils vont nous manger ?
— Allez, les enfants, on se calme !
— C’est vrai qu’il y a des poulpes géants ? Maîtresse, est-ce que les poulpes vont nous attraper et nous broyer ?
Ils assaillaient l’enseignante de questions, criant ou riant, ne tenant pas en place, et elle commença à se sentir exaspérée.
— Écoutez, ou vous vous calmez, ou…
Le vacarme devint tout d’un coup infernal et la professeure Arlete, sentant qu’il se passait quelque chose dans son dos, se retourna, vit la porte s’ouvrir et deux employés s’installer de chaque côté pour contrôler les billets. Cela suffit pour que les enfants se mettent à courir et se déversent dans le bâtiment tel un tsunami.
Comme ses camarades, Ana avait déjà vu à la télévision ou sur Internet des images de la grande structure emblématique de la partie est de la capitale, mais rien ne l’avait préparée à ce qu’elle vit. L’Oceanário de Lisbonne était l’un des aquariums marins les plus grands et les plus modernes au monde, et sa splendeur le rendait presque intimidant lorsque, plongeant dans le couloir, on débouchait sur un immense hall entouré d’une gigantesque baie vitrée.
L’aquarium principal.
C’était comme si vous entriez dans une ville noyée au fond de l’océan, entourée de tous les animaux étranges que celui-ci peut contenir. Des poissons
e toutes les couleurs et de toutes les formes se détachaient derrière le grand vitrage, certains solitaires et d’autres en banc, certains gigantesques comme les thons, d’autres minuscules comme les poissons-clowns, ou encore étranges tels les poissons-lunes, mais aussi des raies manta et des tortues, des poulpes avec leurs tentacules ondulantes, des algues dansant dans les profondeurs entre des anémones jaunes et des coraux multicolores. Pourtant, le plus impressionnant au milieu de ce monde bleu et étrangement silencieux, c’étaient les figures minces et menaçantes qui zigzaguaient au cœur de cette vaste masse d’eau, prédateurs chassant leurs proies, véritables assassins des profondeurs.
— Les requins ! hurlèrent presque à l’unisson les enfants dès qu’ils firent face à cette vision aux dimensions gigantesques. Oh la la ! Regardez les requins !
C’étaient justement les requins qui, de tous les animaux marins, effrayaient le plus Ana. En les voyant si près face à elle, à peine séparés par une baie vitrée qui, en plus, lui paraissait fragile, la petite fille fut prise de panique et se mit à courir. Elle voulait faire demi-tour et ressortir par où elle venait d’entrer, mais le flot de ses camarades de classe qui continuaient de se précipiter dans l’Oceanário l’obligea à prendre des passages sur le côté ; elle franchit une porte et courut le long des couloirs, s’enfonçant dans le bâtiment, l’aquarium central toujours tout autour d’elle, comme si les requins la pourchassaient. Ana accéléra encore ; tout ce qu’elle voulait, c’était sortir de là, partir le plus vite possible, fuir ce lieu de cauchemar et échapper aux horribles monstres marins qui menaçaient de traverser la baie vitrée pour l’engloutir, comme elle les avait vus dévorer tant de gens dans les films qui l’empêchaient de dormir.
Elle déboucha sur un bassin secondaire, visiblement bien séparé de l’aquarium principal ; elle sentit qu’elle était enfin hors de danger et qu’elle pouvait s’arrêter de courir. L’endroit où elle avait trouvé refuge était isolé ; aucun risque de voir arriver les requins. Elle s’adossa à la balustrade, essoufflée, les yeux rivés au sol et les poumons en feu, se remettant de sa frayeur et de sa course. Maudits requins ! Ici, au moins, elle en était libérée. Elle respira profondément, soulagée, et, retrouvant son calme, leva la tête. Elle était seule. Elle entendait les cris de ses camarades de classe, mais leurs voix étaient distantes, perdues quelque part au loin. Elle se força à reprendre sa respiration et, enfin rassurée, regarda autour d’elle.
(…)
Les blogueurs et blogueuses qui y participent aussi :
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Le livre en cause
Immortel : le premier être humain immortel est déjà né, José Rodrigues dos Santos
Le premier être humain immortel est déjà né. Après avoir annoncé la naissance de deux bébés génétiquement modifiés, un scientifique chinois disparaît. La presse internationale commence à poser des questions, les services secrets tentent de trouver des réponses, un homme contacte Tomás Noronha à Lisbonne. Celui qui se présente comme un scientifique travaillant pour la DARPA, l’agence pour les projets de recherche avancée de la Défense américaine, est à la recherche du savant disparu. Tomás découvre alors les véritables enjeux du projet secret chinois…
Pour le grand retour de Tomás Noronha, le héros de La Formule de Dieu, J. R. dos Santos a choisi le sujet qui est dans toutes les têtes : l’intelligence artificielle. L’humanité touche-t-elle à sa fin ou fait-elle face à un nouveau départ ? Sur la base des recherches les plus avancées, J. R. dos Santos nous entraîne dans une aventure à couper le souffle et dévoile l’extraordinaire destin de l’humanité. Il nous démontre avec toujours autant de sérieux que la science est sur le point d’atteindre sa plus grande réalisation : la mort de la mort. Bientôt, nous pourrons vivre sans jamais mourir. Nous serons… Immortels.
Prologue
Sentant tous les yeux rivés sur lui, le professeur Yao Bai passa la main sur son front pour en ôter la sueur. Il faisait une chaleur humide et étouffante à Hong Kong, mais ce n’était pas pour cela qu’il transpirait et que son cœur battait la chamade. L’amphithéâtre de l’université était bondé. Si la plupart des personnes de l’assistance étaient des étudiants, il y avait aussi plusieurs hommes en costume cravate mais aucun d’eux n’avait l’air d’un scientifique ; des espions probablement, pensa le professeur Yao Bai. Les uns de Taïwan, d’autres des États-Unis, et certains de Russie et d’Inde. Et plusieurs agents chinois, stratégiquement placés afin d’assurer sa sécurité – ou pour s’assurer qu’il ne commettrait aucune erreur, ce qui revenait au même.
Il prit une profonde respiration, essayant de se détendre. Ce qui devait arriver arriverait. Ce n’était pas parce que son gouvernement avait dépêché quelques gros bras qu’il empêcherait quoi que ce soit. Sachant ce qui était en jeu, Pékin avait beaucoup hésité à le laisser aller à Hong Kong. Le professeur Yao Bai suspectait qu’on ne lui avait accordé l’autorisation que pour tenter de l’arracher à la dépression dans laquelle il s’était enfoncé à cause de son fils. Rien de tout cela n’avait d’importance. Ce qui importait vraiment, c’était qu’il fût là. La grande roue du destin avait commencé à tourner et aucun gros bras ne pourrait l’arrêter.
Un homme en costume, un Asiatique mais de culture visiblement occidentale, s’approcha du micro qui se trouvait au milieu de l’estrade. C’était Robert Ho, le doyen de l’université de Hong Kong.
— Bonjour à tous, dit Ho dans un mandarin hésitant, car il était plus à l’aise en cantonais ou en anglais. Aujourd’hui, notre invité est une célébrité méconnue. Père d’un grand héros chinois, le célèbre astronaute Yao
Jingming, le professeur Yao Bai est le plus éminent scientifique de Chine. Son nom est bien connu dans les milieux universitaires, en particulier dans les domaines de la biotechnologie, des sciences cognitives et de l’intelligence artificielle, mais rares sont ceux qui ont eu le plaisir de le rencontrer personnellement. En fait, c’est un personnage tellement insaisissable que d’aucuns ont pu penser qu’il n’était qu’une légende, inventée par les autorités de Pékin. – Rires dans la salle. – Quand nous avons commencé à planifier cette Conférence internationale sur le génome humain, nous avons aussitôt envisagé d’en faire notre invité d’honneur, tout en étant conscients qu’il serait pratiquement impossible de le faire venir. Nul n’imagine les heures que nous avons passées, les efforts que nous avons déployés, les promesses que nous avons faites, les personnes qu’il a fallu contacter, mais… nous y sommes arrivés. Mesdames et messieurs, le professeur Yao Bai.
Son corps rondouillard, son expression débonnaire et sa barbe effilée donnaient au professeur Yao Bai un air de Kong Fuzi, le sage Kong, plus connu en Occident sous le nom de Confucius. Outre sa réputation de génie et le fait qu’il était le père de l’astronaute le plus célèbre de Chine, son allure suscitait la sympathie dans l’amphithéâtre. Cachant sa nervosité, le scientifique chinois se leva sous un tonnerre d’applaudissements, se dirigea vers le centre de l’estrade, salua le recteur d’une révérence et se planta devant le micro. Le moment était venu de faire ce qu’il s’était promis.
Il jeta sur l’assistance un regard inquiet, fixant les visages souriants des jeunes et ceux réservés des hommes en costume cravate. Il fut tenté de sécher la sueur qui lui couvrait à nouveau le front, mais il se retint. Il devait se concentrer sur l’objet de sa présence ici. C’était tout ce qui comptait.
— Pendant des millénaires, l’humanité a été obsédée par les limites de sa condition animale, commença-t-il dans un mandarin parfait. La faim fut le plus grand de ses maux. Les hommes ont vécu la quasi-totalité de leur existence au bord de la pénurie, passant des jours et des jours sans manger et sans savoir quand ils trouveraient quelque chose à se mettre sous la dent. Il suffisait d’une mauvaise récolte et la moitié de la famille périssait. Une sécheresse, et la famine décimait d’un seul coup 10 % de la population. Quant aux épidémies, n’en parlons pas. Les gens étaient toujours malades et tombaient comme des mouches. À elle seule, la peste noire a tué entre soixante-dix et
deux cents millions de personnes en Eurasie. Dans certaines villes, la moitié de la population a disparu. Pouvez-vous imaginer l’ampleur de la catastrophe ?
Il fit une pause pour permettre au public d’assimiler ce qu’il venait de dire.
— Nous n’avons de cesse de nous plaindre de tout, affirmant que la situation s’aggrave constamment, mais nous oublions facilement à quel point la vie était plus difficile pour nos ancêtres, reprit-il. À notre époque, celui qui perd son emploi ne risque pas de mourir de faim. Au contraire, dans une économie développée, un chômeur peut très bien aller au restaurant pour se plaindre de son sort, tout en se délectant de deux ou trois siu mai qu’il paiera avec son allocation chômage. À bien y regarder, il y a actuellement sur notre planète bien plus de gens qui souffrent du surpoids que de la faim. L’obésité est même devenue l’un des plus grands maux de l’humanité. Il suffit de me regarder pour s’en rendre compte. – Des éclats de rire se firent entendre dans l’amphithéâtre. – Aujourd’hui, le sucre tue plus que les balles. Compte tenu de ces progrès, je vous demande : que nous reste-t-il à résoudre ?
Il dévisagea l’auditoire avec une expression interrogative. La question pouvait paraître purement rhétorique, mais son regard obstiné et son silence prolongé, comme s’il espérait une réponse, indiquaient clairement qu’il attendait une réaction du public. Une jeune fille au premier rang, sûrement une de ces bonnes élèves comme il en existe dans toutes les classes, de l’école primaire à l’université, leva la main.
— Les… les maladies ?
Malgré sa nervosité, le professeur Yao Bai réprima un sourire ; l’étudiante avait posé exactement la question à laquelle il s’attendait. Ah, comme l’esprit humain était prévisible…
— C’est en effet le prochain défi à relever, convint l’érudit chinois. Nous avons surmonté la faim. Il nous reste à éliminer les maladies. La médecine est dominée par deux écoles, la chinoise et l’occidentale. L’école occidentale est particulièrement efficace en ce qui concerne les maladies déjà déclarées. Lorsqu’une personne a un problème cardiaque, les médecins occidentaux lui font une greffe. Un cœur nouveau, et le problème est résolu. L’école chinoise est surtout efficace en matière de prévention. Nous aimons traiter les maladie
dies avant qu’elles ne surviennent. D’où nos infusions, nos herbes, la recherche de l’équilibre entre le yin et le yang, et ainsi de suite. Comme vous pouvez le deviner, étant Chinois, je m’inscris davantage dans cette tradition. Il me semble préférable d’empêcher l’apparition d’une maladie que de la soigner après coup. C’est aussi votre opinion, du moins je l’espère…
Un chœur d’assentiment parcourut la salle. Le professeur Yao Bai jeta un coup d’œil aux hommes en costume cravate, craignant presque de les voir s’élancer sur l’estrade pour lui tomber dessus, mais de toute évidence ils restaient tranquilles, n’ayant aucune idée de ce qui allait arriver.
— Grâce à la cartographie du génome humain et à la meilleure compréhension du code génétique, nous nous sommes rendu compte que la plupart des maladies dont nous souffrons sont inscrites dans nos gènes, même si le fait qu’elles se déclarent ou non dépend également de facteurs environnementaux. Ma propension aux maladies cardiaques, par exemple, est génétique. Si je ne prends pas certaines précautions dans mon alimentation et mon style de vie, tôt ou tard j’aurai des problèmes au cœur. L’idéal, bien sûr, aurait été que mes parents, lorsqu’ils m’ont conçu, aient pris soin de corriger mes gènes pour faire en sorte que ces maladies ne se déclarent pas. Cela aurait été de la médecine préventive du plus haut niveau. Et puis, pendant qu’ils y étaient, ils auraient pu en profiter pour améliorer les gènes de mon intelligence, pour me rendre plus ingénieux, ainsi que ceux de mon obésité, afin que je puisse manger tous les siu mai dont j’ai envie sans me retrouver dans cet état pitoyable.
D’un geste, il désigna son corps aux rondeurs confucéennes et le public sourit à nouveau ; les plaisanteries d’autodérision atteignaient toujours leur objectif, et sans jamais offenser personne.
— Cependant, pour que mes parents puissent le faire à cette époque, il aurait fallu connaître le rôle des gènes et la technique pour les manipuler, reprit-il. Nous avons cette connaissance aujourd’hui. Et la technique aussi. Elle s’appelle Crispr-Cas9 ; il s’agit d’une technique qui permet de supprimer, d’ajouter et de modifier des sections dans les séquences d’ADN. Grâce à Crispr-Cas9, je peux, par exemple, retirer d’un embryon les gènes des maladies cardiaques et de l’obésité. Avec cette même technique, je peux également introduire dans l’embryon les gènes de l’intelligence, ceux d’une musculature d’’athlète et des yeux bleus. En d’autres termes, je peux créer un être humain entièrement nouveau, sans maladies génétiquement déterminées, et l’améliorer à bien des égards. Plus beau, plus fort, plus intelligent. En un mot, je peux créer un surhomme.
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Le livre en cause
Gaïa, Valérie Clo
Mon jeune collègue et moi avons été envoyés là-bas pour essayer de comprendre ce qui s’est passé il y a cinquante ans dans la région. Difficile de trouver des explications, des informations claires, comme si les gouvernements successifs avaient toujours cherché à minimiser les faits, les responsabilités et les mesures inefficaces prises pendant des années. Quant aux rescapés, la plupart sont restés en état de choc ou mutiques. Cette période reste assez opaque. Dans la littérature scientifique, le nom du village est souvent cité, référencé comme un village avant-gardiste, à la pointe en matière de protection et d’isolation des habitats, très informé sur les questions du climat et les nouvelles façons de vivre en communauté. À ce moment-là, ses habitants ne pouvaient imaginer qu’il était déjà trop tard, qu’on avait dépassé, et de loin, le seuil de tolérance que pouvait supporter la terre.
Lorsque mon patron nous a envoyés en mission, je n’en espérais pas autant. Avec les nouveaux modes de déplacements, nous avons peu l’occasion de nous enfoncer aussi loin dans les terres. Le voyage m’a semblé interminable, et les fouilles longues et difficiles à cause des dégâts de la tempête et du peu de moyens technologiques dont nous disposons désormais. Nous avons monté notre campement à l’entrée du village pour ne pas l’altérer. Rien ne semblait avoir bougé depuis cinquante ans. Dans de nombreuses maisons, nous avons retrouvé des ossements près de l’entrée, comme si les occupants avaient cherché à fuir. D’autres étaient restés dans les pièces dont les murs avaient été renforcés. Plusieurs jours infructueux sont passés à déblayer des détritus en tous genres avant de tomber sur le témoignage des deux sœurs. Je n’oublierai jamais ce moment. C’était à l’étage d’une des premières maisons du village. L’escalier en bois s’effritait, il fallait être prudent pour monter. Il y avait trois grandes chambres. Dans celle du fond, à l’intérieur d’un sac à dos, au milieu de vêtements et de cadavres de bouteilles d’eau, j’ai trouvé le carnet de Laura. Il était sec, cassant, comme s’il avait pris l’eau puis séché au soleil. Dansune autre chambre, rangées au fond d’un tiroir, protégées dans une pochette en carton, j’ai trouvé les lettres de Mel. Ces écrits semblent avoir été rédigés à la même époque sans que les sœurs se soient concertées. Une manne ! Une chance qui nous permet de mieux comprendre le déroulement des événements et les nombreux phénomènes climatiques de cette période. J’ai glissé ma trouvaille dans mon sac sans rien dire à mon collègue et j’ai poursuivi les fouilles. Ce n’est que le soir, après le dîner, au moment où nous nous reposions autour du feu de camp, que j’ai sorti mon trésor et que, à haute voix, en suivant la chronologie des dates, j’ai commencé la lecture.
Laura
15 octobre
Depuis une semaine, le ciel a changé. À l’aube, le soleil est plus rouge, ses contours sont moins nets, comme s’il saignait sur les nuages autour. Difficile d’expliquer aussi cette tension dans l’air. Invisible à l’œil nu, elle affole les appareils électriques et les personnes sensibles. Elle électrise l’atmosphère et rend les gens nerveux, irritables. Cette tension, je la sens dans ma poitrine et mon ventre, elle me met en état d’alerte permanent. On ne sait de quoi elle va enfanter. Elle est comme une boule de boue qui se prépare dans l’ombre depuis des semaines et s’apprête à rouler aveuglément sur nous. Les aiguilles sont au rouge, les scientifiques, sur le pont. On craint le pire, sans savoir si le danger viendra du ciel ou de la terre. Le gouvernement pense qu’il est préférable de ne pas rester isolé et a demandé aux habitants des campagnes de venir se réfugier en ville. Lorsque je vois les oiseaux faire le mouvement inverse, je me demande si c’est une bonne chose. Ils semblent avoir déserté les villes et les seuls qui sont restés tournoient affolés autour des clochers des églises, comme pris au piège. Les rats sortent des caniveaux, se répandent dans les rues, cherchent des abris, comme s’ils avaient été éjectés des sous-sols qui les protégeaient. La terre bouillonne, je l’entends gronder sous mes pieds. Nombreux sont ceux qui refusent d’écouter sa révolte. Ils préfèrent fermer les yeux, ignorer que, la nuit, des loups affamés viennent hurler en ville, que des ours sauvages quittent leurs abris pour saccager les magasins à la recherche d’un peu de nourriture. Ils continuent leur chemin, poings fermés, têtes baissées, déterminés, comme cette femme qui, chaque matin, passe sous ma fenêtre et entre dans les bureaux d’en face. Elle semble virevolter, dans une danse macabre, se moque des rats qui grouillent à ses pieds et de la chaleur anormale de ce mois d’octobre.
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Le livre en cause
Abîmes, Sonja Delzongle
Prologue
17 janvier 1999
Le temps était clair et froid, le ciel, d’un bleu infini sans nuages. Idéal pour une sortie. Ils étaient arrivés tôt à l’aéroclub des Vignobles, dans la région de Bordeaux. Assez pour ne croiser personne. Leur avion, préparé la veille, les attendait. Le rendez-vous avec le pilote qui devait les emmener jusqu’en Espagne, à Ibiza, avait été fixé en toute fin de matinée. Elle s’était déjà assise dans l’avion de tourisme. Un Beechcraft 58TC Baron blanc et bleu, racheté à un Anglais passionné d’aviation civile. Une folie de plus de trois cent mille francs. C’était ce genre de folie d’ailleurs, répétée à l’envi, qui avait eu raison de la fortune de ce riche hôtelier également propriétaire de quatre casinos et de trois boîtes de nuit, dont une à Ibiza. Sa chaîne d’hôtels de luxe, Blue Lagoon, présente en Espagne, au Maroc et sur la Riviera française, était en faillite. Un Russe venait de la lui racheter pour une bouchée de pain.
Une fois aux commandes, l’homme échangea avec sa femme un regard où se mêlaient les sentiments et les contradictions de toute une vie passée ensemble pour le meilleur et pour le pire. Or le pire était là et ils ne pouvaient espérer d’amélioration.
Ils enfilèrent leur casque et le moteur se mit à tourner. Tandis que l’appareil s’ébranlait, la femme, les yeux rivés à la piste qui s’ouvrait devant eux, sortit discrètement un cachet d’un pilulier et le mit sur sa langue avant de l’avaler avec une douloureuse contraction de la gorge. Son geste n’avait pas échappé à l’homme, mais il ne le releva pas et se concentra sur le décollage imminent. Elle essuya tout aussi discrètement, d’un vague mouvement de l’index, une larme qui venait de s’échapper du coin de son œil droit. Celui qu’il ne pouvait pas voir. À quoi cela aurait-il servi qu’il surprenne une émotion qu’elle ne pouvait plus contrôler ? Elle qui avait pourtant tout maîtrisé dans sa vie. Jusqu’à ce que les événements s’emballent comme une voiture sans freins en pleine descente vers le précipice. Elle ne pouvait que se le reprocher à elle-même, pas à lui. Les choix qu’elle avait faits n’appartenaient qu’à elle.
Lancé, le Beechcraft toussa, mais l’appareil était encore vaillant. Ils mirent à peine une demi-heure à atteindre les premiers sommets dentelés des Hautes-Pyrénées. L’avion prit encore un peu d’altitude et l’homme bloqua les commandes. Il se tourna vers sa femme, les yeux
brillants des larmes qu’il parvenait encore à contenir. Il ne savait pas exactement ce qu’il pleurait le plus. La faillite de ce qu’ils avaient mis des années à bâtir, un empire, ou bien celle de leur mariage, entraîné dans la débâcle.
— Il est encore temps de choisir, Dolores, lui dit-il doucement. Je te dépose à Ibiza et je repars.
— Non, Viktor, faisons ce qu’on a prévu. Allons jusqu’au bout, cette fois. Ensemble.
— Alors trinquons à nous, répondit-il en sortant de sa sacoche camouflée sous son siège une bouteille de Dom Perignon, millésime 1977, et deux flûtes en cristal.
— Notre année de mariage…, souffla-t-elle.
Elle aurait voulu sourire mais ne donna à voir qu’une grimace.
Le champagne bruissa dans les flûtes, avant de déborder dans un jet mousseux.
— À nous, alors.
— À nous, murmura-t-elle dans un hochement de tête.
— Et pardon, Dolores, du fond du cœur, pardon.
Il avala une première gorgée, puis une deuxième en fermant les yeux, sa main sur celle de sa femme, puis coupa le moteur.
— Je ne regrette rien, tu sais, Viktor.
Ce fut leur dernier mensonge avant que le Beechcraft ne piquât du nez aux alentours de 8 h 30, les précipitant vers le massif éclatant de blancheur et vers la mort que, ensemble, ils avaient choisie.
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Le livre en cause
Dans les brumes de Capelans , Olivier Norek
– 1 –
Saint-Pierre.
Résidence surveillée.
Localisation classée secret défense.
En rideaux opaques, la neige tombait à l’horizontale, portée par le vent violent qui soufflait contre les fenêtres blindées de la maison, posée sur les rochers d’une falaise recouverte d’une forêt dense dont les derniers pins surplombaient l’océan. À l’intérieur, le flic regardait dehors sans voir autre chose que du blanc parasite, comme si la baraque était enserrée d’un fil d’araignée épais et hermétique.
C’était apaisant, de ne rien discerner. Il aimait cet endroit où le mot « disparaître » s’entendait au sens propre comme au figuré. Et voilà bien longtemps qu’il avait disparu.
Il avait eu une équipe, elle avait été sa famille, mais il n’avait pas su la protéger. Il avait voulu démissionner, il l’avait même écrit et signé, mais en dernier recours, on lui avait proposé ce job. L’idée était venue directement de Fleur Saint-Croix, une magistrate qu’il avait connue il y a des années, en qui il avait confiance, et qui avait été propulsée à la tête d’un tout récent service. Un job parfait pour lui, elle le lui avait assuré, où il ne fréquenterait que des ordures, elle le lui avait promis. Un job où il ne risquait de croiser personne de son ancienne vie, là-bas, au bout du monde, et il avait dit qu’il y penserait.
Ne plus être responsable de quiconque, ne plus s’inquiéter pour les autres, déjà fait, déjà subi. Alors il avait accepté et collectionné lesdites ordures. Depuis six années déjà. Six années au cours desquelles il avait préféré ne donner aucune nouvelle, pas vraiment sûr qu’on en attende, ni qu’il manque à qui que ce soit.
Il avait rempli chacune de ses missions avec professionnalisme et était devenu le préféré du programme pour lequel il travaillait, libéré de tout sentimentalisme, dénué d’états d’âme, ce que requérait exactement la fiche emploi de son nouveau boulot.
Il n’avait donc pas eu la moindre empathie pour ses treize derniers clients et il n’en avait pas plus pour Isaac, le quatorzième, ce type maigrelet, perdu dans la chemise qu’on lui avait achetée et qui ouvrait de grands yeux ronds, pas vraiment certain d’avoir entendu ce qu’il avait entendu.
– T’es un sale chien, Coste. T’oserais pas !
– Ne sous-estime pas le désintérêt que je te porte, lui assura le flic
Il aurait pu directement poser le canon de son flingue sur la nuque de son « repenti » que cela n’aurait pas rendu la menace plus réelle.
– T’es pas censé me protéger ? s’étrangla Isaac.
– Absolument pas. Ta protection, c’est la phase d’après. Et c’est pas ma mission. Moi, je suis juste une balance. Je pèse les âmes de ceux qu’on m’envoie. Je vérifie s’ils méritent d’entrer dans le programme
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Dernière fenêtre sur l’aurore David Coulon
Prologue
Un bunker. Enfoui dans le sol, sous des kilomètres de ronces. Je l’avais découvert il y a fort longtemps. Mais je ne m’en suis pas servi tout de suite. En descendant dans ce bunker, on trouve un long couloir sombre. Si un rai de lumière arrive à se frayer un chemin sous les ronces du dessus, on peut voir des tracés rougeâtres sur les murs humides. “666”. “Satanis”. “Lilith”. Des inscriptions tachées de sang. Une pièce, tout au fond. Avec de l’oxygène. De l’air presque pur. Une pièce. Vide. Il suffira d’y passer quelques week-ends. Accrocher des clous suffisamment solides pour supporter le poids d’un homme. Pour supporter des mouvements, des tentatives de fuite. Une idée. Qui germe comme ça. Mais quand ça germe, c’est qu’il y a des racines. Le vide, peut-être. Penser à ce qu’on pourrait y faire. Sauter sur l’occasion, ou presque, lorsque je rencontre la fille. Aurore. Lorsque je perds ma femme. Longer le couloir sombre ne me fait plus peur pour les mêmes raisons. Ce ne sont plus les inscriptions satanistes qui ralentissent ma lente progression dans le boyau. Plutôt l’odeur, au loin. Des fragrances de merde et de mort. De la pisse, aussi. Un soupçon de sang. Une odeur aigre. Je les ai attachés, tous les quatre. Les uns après les autres. Tous menottés. Bracelets avec pointes. Ils sont habillés. Ils se font dessus en permanence. Ça doit coller. Ça doit irriter. Ça doit être moite. Eczémateux. Je leur apporte à manger tous les soirs. De la bonne chair fraîche, comme ils aiment. Comme ils aimaient plutôt. Dans une autre vie. Je les torture aussi, un peu. Un cutter qui tranche un téton. Qui tranche une paupière. Ils n’ont que ce qu’ils méritent. J’en ai tué deux. Parfois, je me demande ce qui m’a pris. Tu deviens fou, me disait-elle
Première partie
C’est un lit pour faire l’amour. Un lit à une place, certes, mais un lit sensuel, attirant. Un lit où deux corps ne penseraient qu’à se serrer, s’étreindre, jouir à n’en plus finir. Un lit aux draps orangés, légèrement dentelés, dont la corolle s’évanouit à terre. Près de la dentelle, un mince filet de sang. C’est un lit pour faire l’amour, mais c’est un cadavre qui y sommeille. Une jeune fille. Dix-huit ans, d’après les calculs du flic. Et d’après sa carte d’identité, trouvée dans son sac, qui confirme ce que la mathématique visuelle avait supposé. Un filet rougeâtre s’épanche de son cou violé par une lame tranchante. Ses lèvres n’ont pas encore bleui, ses yeux ne sont pas encore fermés. Le crime est récent. Le corps est encore chaud. On dirait presque que la fille rougit face à l’inspecteur. Qu’elle rougit de se montrer nue devant lui, la gorge nettement coupée, les yeux grands ouverts, peut-être encore figés sur le visage du meurtrier. La jeune fille est sublime. Était. Bernard Longbey a beau approcher deux doigts de sa carotide, il a beau écouter son cœur, le verdict est irrémédiable. Elle est morte. Les flashs crépitent derrière lui, presque au ralenti. Il n’a pas entendu ses collègues entrer. Les photos ont commencé. Les relevés d’empreintes aussi. L’identité judiciaire est venue immédiatement. Même pas besoin de la contacter. Le médecin légiste ne tardera pas lui non plus, emportant puis disséquant le corps. — Qu’est-ce que tu fous là, Longbey ? Rien d’agressif dans cette voix. Bernard a l’habitude qu’on lui pose la même question depuis des mois. Qu’est-ce que tu fais ici, t’es pas de service. Il se retourne, détachant ses yeux des minces poignets de la fille. Pat est face à lui. Patrick Bellec, jeune flic aussi ambitieux que beau gosse. La trentaine, brun, une force de la nature. Tout le contraire de Bernard, en apparence tout du moins. Bernard a trente-cinq ans à peine, mais il est décrépit. Sale. Vieux. Au bout du rouleau. — J’ai entendu l’appel radio. J’étais à côté. Je suis venu. — T’arrives toujours pas à dormir ? — Comme tu vois… — Tu la connais ? Un temps d’arrêt. Réfléchir. Regarder les yeux de la fille. Des yeux trop bleus. — Non, jamais vue. Tu sais qui c’est ? — Jernin est en train d’interroger le concierge. Pour l’instant, on sait juste qu’elle s’appelle Aurore Boischel. 18 ans et quelques. Étudiante, bien sûr. — Bien sûr ? — T’as pas vu où on est ? Résidence Les Magnolias. Un truc réservé aux étudiants. Des studios à cinq cents euros. Autant dire que les charmants bambins qui viennent ici ne sont pas des fils de prolos. T’as fait le tour du propriétaire ? — Non, je viens d’arriver. Deux policiers sont postés à l’entrée du studio, empêchant les autres étudiants de pénétrer dans la chambre.