PREMIÈRES LIGNE #105 : Dernière fenêtre sur l’aurore, David Coulon

PREMIÈRES LIGNE #105

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Dernière fenêtre sur l’aurore David Coulon

Prologue


Un bunker.
Enfoui dans le sol, sous des kilomètres de ronces.
Je l’avais découvert il y a fort longtemps. Mais je ne m’en suis pas servi tout de suite.
En descendant dans ce bunker, on trouve un long couloir sombre. Si un rai de lumière arrive à se frayer un
chemin sous les ronces du dessus, on peut voir des tracés rougeâtres sur les murs humides. “666”.
“Satanis”. “Lilith”. Des inscriptions tachées de sang.
Une pièce, tout au fond. Avec de l’oxygène. De l’air presque pur. Une pièce. Vide.
Il suffira d’y passer quelques week-ends. Accrocher des clous suffisamment solides pour supporter le poids
d’un homme. Pour supporter des mouvements, des tentatives de fuite.
Une idée.
Qui germe comme ça. Mais quand ça germe, c’est qu’il y a des racines. Le vide, peut-être.
Penser à ce qu’on pourrait y faire. Sauter sur l’occasion, ou presque, lorsque je rencontre la fille. Aurore.
Lorsque je perds ma femme.
Longer le couloir sombre ne me fait plus peur pour les mêmes raisons. Ce ne sont plus les inscriptions
satanistes qui ralentissent ma lente progression dans le boyau. Plutôt l’odeur, au loin. Des fragrances de
merde et de mort. De la pisse, aussi. Un soupçon de sang. Une odeur aigre.
Je les ai attachés, tous les quatre. Les uns après les autres.
Tous menottés. Bracelets avec pointes. Ils sont habillés. Ils se font dessus en permanence. Ça doit coller.
Ça doit irriter. Ça doit être moite. Eczémateux.
Je leur apporte à manger tous les soirs. De la bonne chair fraîche, comme ils aiment.
Comme ils aimaient plutôt. Dans une autre vie.
Je les torture aussi, un peu. Un cutter qui tranche un téton. Qui tranche une paupière. Ils n’ont que ce
qu’ils méritent.
J’en ai tué deux.
Parfois, je me demande ce qui m’a pris.
Tu deviens fou, me disait-elle

Première partie

C’est un lit pour faire l’amour.
Un lit à une place, certes, mais un lit sensuel, attirant. Un lit où deux corps ne penseraient qu’à se serrer,
s’étreindre, jouir à n’en plus finir. Un lit aux draps orangés, légèrement dentelés, dont la corolle s’évanouit à
terre. Près de la dentelle, un mince filet de sang. C’est un lit pour faire l’amour, mais c’est un cadavre qui y
sommeille. Une jeune fille. Dix-huit ans, d’après les calculs du flic. Et d’après sa carte d’identité, trouvée
dans son sac, qui confirme ce que la mathématique visuelle avait supposé.
Un filet rougeâtre s’épanche de son cou violé par une lame tranchante. Ses lèvres n’ont pas encore bleui,
ses yeux ne sont pas encore fermés. Le crime est récent. Le corps est encore chaud. On dirait presque que la
fille rougit face à l’inspecteur. Qu’elle rougit de se montrer nue devant lui, la gorge nettement coupée, les
yeux grands ouverts, peut-être encore figés sur le visage du meurtrier.
La jeune fille est sublime. Était. Bernard Longbey a beau approcher deux doigts de sa carotide, il a beau
écouter son cœur, le verdict est irrémédiable. Elle est morte.
Les flashs crépitent derrière lui, presque au ralenti. Il n’a pas entendu ses collègues entrer. Les photos ont
commencé. Les relevés d’empreintes aussi. L’identité judiciaire est venue immédiatement. Même pas besoin
de la contacter. Le médecin légiste ne tardera pas lui non plus, emportant puis disséquant le corps.
— Qu’est-ce que tu fous là, Longbey ?
Rien d’agressif dans cette voix. Bernard a l’habitude qu’on lui pose la même question depuis des mois.
Qu’est-ce que tu fais ici, t’es pas de service. Il se retourne, détachant ses yeux des minces poignets de la fille.
Pat est face à lui. Patrick Bellec, jeune flic aussi ambitieux que beau gosse. La trentaine, brun, une force de la
nature. Tout le contraire de Bernard, en apparence tout du moins. Bernard a trente-cinq ans à peine, mais il
est décrépit. Sale. Vieux. Au bout du rouleau.
— J’ai entendu l’appel radio. J’étais à côté. Je suis venu.
— T’arrives toujours pas à dormir ?
— Comme tu vois…
— Tu la connais ?
Un temps d’arrêt. Réfléchir. Regarder les yeux de la fille. Des yeux trop bleus.
— Non, jamais vue. Tu sais qui c’est ?
— Jernin est en train d’interroger le concierge. Pour l’instant, on sait juste qu’elle s’appelle Aurore
Boischel. 18 ans et quelques. Étudiante, bien sûr.
— Bien sûr ?
— T’as pas vu où on est ? Résidence Les Magnolias. Un truc réservé aux étudiants. Des studios à cinq
cents euros. Autant dire que les charmants bambins qui viennent ici ne sont pas des fils de prolos. T’as fait le
tour du propriétaire ?
— Non, je viens d’arriver.
Deux policiers sont postés à l’entrée du studio, empêchant les autres étudiants de pénétrer dans la chambre.

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