PREMIÈRES LIGNE #82, Il pleut sur Managua de Sergio Ramírez

PREMIÈRES LIGNE #82

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Il pleut sur Managua de Sergio Ramírez

1. ADIÓS REINA DEL CIELO

La fenêtre du bureau de l’inspecteur Dolores Morales au troisième étage de l’immeuble de la police nationale, sur la plaza del Sol, occupé par la direction de la brigade des stupéfiants, restait toujours ouverte, car le système d’air conditionné ne fonctionnait plus depuis des siècles. Il ne la fermait jamais, même quand il pleuvait, et le rideau de cretonne, roulé à une extrémité, n’était plus qu’un lambeau d’étoffe lourd d’humidité et de poussière.

Ce cube d’aluminium et de verre avait été le siège d’une compagnie d’assurances, avant la révolution sandiniste1, et ne présentait qu’une seule nouveauté : une modeste pyramide en plexiglas installée sur la terrasse à la demande du commissaire Cesar Augusto Canda, qui, en bon sociétaire de la Fraternité Ésotérique des Rose-Croix, croyait aux vertus du magnétisme biologique.

Dans un coin du bureau, à l’écart de la table métallique, brillait l’écran de l’ordinateur, qui avait plutôt l’air d’encombrer dans cette pièce mal équipée, aux murs de laquelle étaient fixées des photos éparpillées, de moyen format : une escouade de guérilleros maigres, barbus et mal armés, parmi lesquels on pouvait reconnaître l’inspecteur Morales ; des policiers en civil qui trinquaient autour d’une table, toujours avec l’inspecteur Morales, pour célébrer un anniversaire ; une autre photo qui le représentait recevant l’insigne correspondant à son nouveau grade ; et une autre sur laquelle on le voyait saluer le chef de la DEA2 pour la zone Amérique centrale et Caraïbes, en visite au Nicaragua.

Il s’approcha de la fenêtre, le téléphone portable collé à l’oreille. Le numéro était toujours occupé. En bas, sur le parking, des chants dissonants se mêlaient aux pétarades des fusées qui éclataient en volutes légères dans le ciel. Il était plus de midi, et la couronne de la Vierge de Fatima brillait sous le soleil d’une canicule finissante, tandis que l’icône, en pèlerinage à travers tout le Nicaragua, avançait entre deux haies de policiers, sur un char fleuri porté par les épaules des officiers, hommes et femmes, de l’état-major. Les sons de la marche festive, exécutée par un orchestre militaire, arrivaient étouffés ; l’air chaud semblait les disperser, comme la fumée de l’encensoir qu’agitait lentement l’aumônier, un homme aussi volumineux qu’une armoire à glace, qui ouvrait la procession sous une chasuble violette à parements dorés.

L’inspecteur Morales savait qu’en bas son absence ne passait pas inaperçue, et il n’insista pas davantage pour obtenir sa communication.

Il enfila la chemise de son uniforme – avec la chaleur il préférait travailler en tee-shirt – et sortit dans le couloir désert, où il ne rencontra personne, à part doña Sofía.

Officiers de police, simples flics et subalternes, enquêteurs, secrétaires, femmes de ménage, tout le monde était en bas, aux côtés des chefs, qui recevaient la Vierge Pèlerine ; tout le monde, sauf doña Sofía Smith, sa voisine du quartier de l’Éden. Indifférente au vacarme extérieur, celle-ci continuait à astiquer le carrelage avec un balai-serpillière trempé dans un désinfectant couleur turquoise, à l’odeur douceâtre, qu’on n’utilise nulle part, Dieu sait pourquoi, sauf dans les prisons et les casernes.

Lorsque l’inspecteur Morales passa près d’elle, elle se mit au garde-à-vous, levant le manche du balai comme un fusil, une habitude héritée du temps où elle en avait un vrai, un vieux BZ tchèque, un matamachos3, quand la police s’appelait police sandiniste. Et elle ne fit rien pour cacher son dédain. Tôt le matin, elle avait laissé sur le bureau de l’inspecteur Morales un mémorandum, écrit au crayon au dos d’une fiche de réclamation de fournitures de bureau :

Sujet : Activités religieuses. À : Camarade Artemio.

J’ai reçu une invitation à la réception de la Vierge de Fatima, mais qu’on ne compte pas sur ma présence. J’ai honte pour mes camarades révolutionnaires, qui se prêtent à cette mascarade.

Elle continuait à l’appeler Artemio, pseudonyme sous lequel elle l’avait connu dans la résistance urbaine, alors qu’elle-même servait de courrier clandestin. Ils étaient entrés ensemble dans la police sandiniste à la chute de Somoza en 1979, et comme son fils unique José Ernesto, alias William, était tombé au combat à El Dorado pendant l’insurrection des quartiers Est de Managua, elle était toujours montée sur les estrades lors des cérémonies anniversaires de la fondation de la police, avec les autres mères des héros et martyrs, toutes portant le deuil et tenant le portrait encadré de leurs fils.

Fille d’un lieutenant des Marines américains cantonnés au Nicaragua jusqu’en 1933 et d’une modiste du quartier de San Sebastián, couturière à domicile pour les épouses des officiers yankees, elle portait le nom de Smith parce que sa mère le lui avait donné d’autorité, sans passer par le mariage. Évangéliste à mort et sandiniste à mort, doña Sofía était un dur mélange de deux dévotions ; et comme les rites de la révolution n’étaient plus en usage, elle se réfugiait dans ceux du culte protestant, en fidèle assidue de l’Église de l’Eau Vive.

À son entrée dans la police, elle avait assumé ses fonctions de femme de ménage avec une discipline de partisane, tout à ses tâches de nettoyage en uniforme vert olive, pantalon et chemise, son insigne de militante sur la poche, côté cœur. Depuis, elle n’avait pas bougé, même s’il n’y avait plus de réunions du comité de base ni de journées de travail volontaire. Elle portait maintenant un uniforme gris avec une jupe. Elle en avait deux, et il y en avait toujours un qui séchait sur l’étendage du patio de sa maison. Comme ils étaient voisins, chaque fois qu’il le pouvait l’inspecteur Morales l’emmenait dans sa Lada bleu ciel, rescapée de cette époque.

L’inspecteur Morales répondit à son regard de reproche avec un vague geste d’impuissance, et aussi prestement que le lui permettait la prothèse de sa jambe gauche, il descendit les marches étroites plongées dans la pénombre, l’ascenseur étant condamné depuis des années.

Alors qu’il se battait sur le front Sud en novembre 1978, pendant l’un des combats pour s’emparer de la colline 33, celui où était tombé le curé asturien Gaspar García Laviana, une balle de Galil lui avait brisé les os du genou. On l’avait évacué d’urgence vers le camp sanitaire installé au hameau de La Cruz, de l’autre côté de la frontière avec le Costa Rica, et de là on l’avait transporté en avion à l’hôpital Calderón Guardia de San José, où on avait dû l’amputer, car la gangrène menaçait. C’est à Cuba qu’on lui avait mis la prothèse et, même si elle était bien moulée, la couleur rosâtre du vinyle jurait avec sa peau très brune.

Il se mêla au groupe d’officiers, au milieu des applaudissements nourris, au moment où la Vierge de Fatima était hissée sur l’autel érigé à l’ombre des acacias, au pied des baies vitrées. L’inspecteur Padilla, directrice des ressources humaines, les fesses et les seins plantureux sculptés dans son uniforme, reçut des mains de l’imposant aumônier un feuillet, s’approcha du micro, salua l’assemblée et récita d’une voix qui manquait de souffle et d’assurance :

Notre Dame est apparue pour la troisième fois à Coba de Iria le 13 juin 1917 afin de révéler le deuxième secret aux petits frères bergers Lucía, Francisco et Jacinta qui ont vu soudain un éclair et Elle est apparue vêtue de blanc entourée d’une lumière resplendissante et a dit des guerres viendront qui entraîneront la faim et les persécutions contre l’Église causées par la Russie et le Saint Père sera en danger mais si ma prière est exaucée la Russie se convertira et il y aura la paix sinon la Russie propagera le communisme et les bons seront martyrisés…

La lecture à peine terminée, la sous-inspectrice Salamanca, chef des archives générales et de la documentation, libéra un couple de colombes enfermées dans un carton d’emballage de bouteilles d’huile de cuisine, percé de trous au couteau. Les colombes survolèrent quelques instants la couronne de la vierge avant d’aller se poser plus loin, sur la pyramide de la terrasse, au-dessus de laquelle passait le lent cortège des nuages.

L’inspecteur Morales avait suivi les colombes du regard, mais ce qui continuait à occuper ses pensées, c’était l’appel qu’il avait manqué. Le sous-inspecteur Bert Dixon, du commissariat de police de Bluefields, l’avait appelé le matin même, peu après sept heures, pour l’informer de la découverte d’un yacht abandonné à Pearl Lagoon. Il avait hâte de l’avoir au bout du fil.

La Laguna de Perlas s’étend sur un territoire sauvage de basses terres situées au nord de Bluefields, le chef-lieu de la région autonome de l’Atlantique sud, là où les rivières qui suivent leur cours arbitraire s’entrelacent avec les biefs, canaux, lagunes et lagons, et constituent ainsi les seules voies de communication entre les villages. La plus importante, entre le Rio Escondido et le Rio Grande, se trouve séparée de la mer des Caraïbes par une étroite bande qui se termine à la Barra de Perlas, un passage praticable en fonction de la marée. Mais la manière la plus commune d’y entrer et d’atteindre les villages situés aux alentours, c’est par le Canal Moncada, qui la relie au Rio Kukra, dont le cours sinueux continue jusqu’à Big Lagoon, où un autre tronçon navigable, le canal Fruta de Pan, se jette dans le flot nourri du Rio Escondido. De là, on arrive à la baie de Bluefields, et, en sens contraire, vers l’ouest, au port fluvial de Rama, où commence la route qui conduit jusqu’à Managua, à l’autre bout du pays.

Une grande baleine, très élégante, abandonnée près de la communauté de Raitipura, à l’embouchure du petit canal Awas Tingni, lui avait dit Lord Dixon avec cet accent de la côte qui l’amusait toujours, comme s’il parlait avec un caramel dans la bouche. Il l’appelait Lord Dixon en raison de ses manières impeccables : il n’élevait jamais la voix, même lorsqu’il se fâchait, et quand il disait des gros mots, il les laissait tomber avec douceur, comme s’il les méditait.

Cette circonspection, héritée de son père, un pasteur morave4 qui l’avait conçu alors qu’il avait déjà soixante-dix ans, le conduisait à vouvoyer Morales, bien qu’ils aient tous deux le même grade d’inspecteur et soient liés par une vieille intimité. Mais, de toute façon, l’un était chef du Service d’intelligence de la direction de la brigade des stupéfiants à Managua, au niveau national, et l’autre occupait le même poste à Bluefields, ce qui en faisait son subordonné au sein de la bureaucratie complexe des commandements de la police.

“Enfant de vieux, tempérament heureux”, avait coutume de lui dire l’inspecteur Morales, lorsque, à l’occasion d’un voyage de Lord Dixon à Managua, ils s’asseyaient au fond de la cour du bar Wendy, à Rubenia, pour boire quelques bières.

De son côté, Lord Dixon avait l’habitude de lui dire, avec un rire retenu, qu’au lieu de Dolores Morales, il aurait dû s’appeler au contraire Placeres Físicos5 vu que de toute évidence, son principal vice, c’étaient les femmes. Doña Etelvina, la propriétaire du Wendy, leur offrait toujours les deux premières tournées. En tant qu’informatrice de la police, elle était protégée et pouvait laisser son établissement ouvert au-delà des heures réglementaires, avec le juke-box à plein volume, au grand dam des riverains. Elle avait aussi le droit d’admettre la présence de “libellules”, comme elle appelait les putains, à condition qu’elles soient accompagnées d’un client.

Ils partageaient diverses affinités et avaient la même taille, ce qui leur permettait d’échanger sans problème leurs uniformes, et le cas échéant leurs vêtements civils, slips compris, même si l’inspecteur Morales avait pris plus de ventre au fil des années et que Lord Dixon flottait un peu dans les habits de son homologue quand il s’en servait, lorsque ses séjours à Managua se prolongeaient plus qu’ils n’auraient dû.

Lord Dixon avait été informé de la découverte par radio, depuis le poste de police du lieu-dit Laguna de Perlas, et il avait immédiatement pris un bateau à moteur pour se rendre sur le site, muni d’un Polaroïd. Il avait expédié à Managua, la veille au soir, par le dernier vol de la Compagnie Côtière, les photos qu’il avait prises sur place.

Le yacht, étranger de toute évidence, avait dû profiter de la marée haute pour entrer dans la lagune par le passage de la barre, à contre-courant. Et on n’abandonnait pas une embarcation de luxe dans une zone aussi perdue, en admettant, ce qui était peu probable, qu’il s’agissait d’une sortie de pêche, et qui plus est d’une sortie de pêche en pleine nuit, puisque personne n’avait vu naviguer le yacht à la lumière du jour.

–  Et au scanner, qu’est-ce que ça a donné ? avait demandé l’inspecteur Morales.

–  Je l’avais pas pris, avait répondu Lord Dixon. Pour quoi faire ? Qui d’autre que les narcotrafiquants peut se payer le luxe d’abandonner un yacht qui vaut un demi-million de billets verts ?

–  Alors, on n’a pratiquement rien, avait rétorqué l’inspecteur Morales.

–  Je vais vous remonter le moral, avait dit Lord Dixon, en plus des photos, il y a également une enveloppe, avec des traces de ce qui me paraît être du sang.

Une ordonnance fit son apparition au même moment dans l’encadrement de la porte, agitant un sachet en papier kraft, et il lui fit signe d’entrer.

–  Tu parles d’un hasard ! Voilà justement ton petit colis qui arrive, avait dit l’inspecteur Morales en s’efforçant d’ouvrir le sachet, le téléphone calé contre sa joue.

Le sachet de polyéthylène qui contenait l’échantillon tomba sur le sol et l’ordonnance s’empressa de le ramasser.

–  C’est pas du hasard, c’est de l’efficacité, avait répondu Lord Dixon, en riant de son rire tranquille.

L’inspecteur Morales sortit les photos, mit de côté les factures, une pour les quatre bidons d’essence correspondant au voyage aller et retour du bateau à moteur, et une autre pour l’achat de recharges de Polaroïd.

–  Elles sont bien pâles, ces photos ! dit l’inspecteur Morales. On va demander à Chuck Norris de t’offrir un appareil numérique.

–  Ou même un de ces modestes téléphones qui prennent des photos, dit Lord Dixon, faites qu’il ait pitié de nous.

L’inspecteur Morales se mit à rire. Mais, loin de la sérénité qui émanait du rire de Lord Dixon, le sien sonnait plutôt comme le croassement d’un perroquet insolent.

Le surnom dont Lord Dixon avait affublé Matt Revilla, l’agent de liaison de la DEA à Managua, n’était pas gratuit. C’était une copie conforme du Chuck Norris des films, avant que Chuck Norris ne devienne vieux, avec le même corps de gorille nain, la tignasse rousse et une barbe également rousse, fournie et broussailleuse. C’était un Portoricain né dans le Bronx et élevé au milieu des Portoricains, qui, en quête d’une bourse d’études universitaires, s’était enrôlé à Fort Stewart dans la 24brigade d’Infanterie mécanisée et avait ainsi participé à l’opération Tempête du Désert en Irak, en 1991.

D’après les photos, il s’agissait vraiment d’un yacht impressionnant, long d’une cinquantaine de pieds. Sa cabine de pilotage, aux rambardes d’aluminium, se dressait fièrement au-dessus de la végétation du rivage où il était resté échoué. Mais chaque prise de vue montrait que ce n’était plus qu’une épave inutilisable, dépecée jusqu’à plus soif. Selon le rapport de Lord Dixon, les deux moteurs, 160 chevaux chacun au moins, avaient disparu, de même que le GPS, le sonar, la radio, le gouvernail, les gilets de sauvetage, ainsi que le livre de bord et tous les documents. Et, bien que le nom sur la proue eût été gratté à la va-vite, probablement au couteau, on arrivait encore à lire l’inscription Regina Maris. La plaque d’immatriculation avait également été arrachée.

Une partie de ce saccage était l’œuvre des villageois, mais ceux qui avaient abandonné le yacht avaient aussi voulu effacer toute trace. Une photo du gaillard d’arrière montrait des taches sombres qui se répétaient sur le plancher en bois, même si de nombreuses lattes avaient disparu lors du pillage.

–  Les photos, ça suffit pas, avait-il dit alors à Lord Dixon. Il faut que tu retournes immédiatement à Pearl Lagoon voir ce que tu peux récupérer de tout ce qui a été volé. Et cette fois, n’oublie pas le scanner ! Je veux ton rapport dès ce soir.

On entendait maintenant l’écho des applaudissements qui saluaient le départ de la Vierge Pèlerine. Et, tout en applaudissant lui aussi, sans bien savoir s’il s’était laissé gagner par l’enthousiasme des autres ou s’il faisait semblant, il sentit une petite tape malicieuse sur son épaule : c’était l’inspecteur Alcides Larios, chef du laboratoire de criminalistique, affectant un air cérémonieux de circonstance, qui le regardait derrière ses lunettes sombres, d’un violet intense, dans lesquelles on pouvait se voir comme dans un miroir. Si au temps de la guérilla il n’avait que la peau et les os, aujourd’hui il devait ajuster son ceinturon sous son ventre, la boucle au niveau du pubis. Cela lui donnait un air bizarre, comme s’il traînait la panse d’un autre.

–  Tu as reçu le rapport d’analyse ? demanda l’inspecteur Larios. Service express. C’est bien du sang humain.

Il l’avait reçu ; c’était aussi pour ça qu’il avait hâte de parler à Lord Dixon. Il acquiesça de mauvaise grâce et se retourna vers l’autel face auquel tout le monde s’était mis à chanter Adiós Reina del Cielo. La vierge avait soudain converti en catholiques pratiquants les léninistes les plus endurcis. Doña Sofía avait bien raison de se plaindre. Larios, par exemple, il n’avait rien à faire là : sa juridiction ne s’étendait pas à la plaza del Sol. Éternel secrétaire politique du parti dans les structures centrales de la police sandiniste, il présidait les tribunaux idéologiques qui décidaient de l’attribution du livret de militant, après un examen oral d’aptitude qui pouvait prendre des heures, sans compter les reports, qui excluaient toute possibilité d’avancement. Ce tribunal décidait également des expulsions. Et quiconque se voyait frappé par une mesure d’expulsion des rangs du parti n’avait plus rien à faire dans la police.

La Vierge de Fatima s’éloignait vers le grand portail, accompagnée à nouveau par les chants, la musique de l’orchestre qui jouait toujours Adiós Reina del Cielo, et l’explosion des fusées qui s’élevaient, solitaires, dans un ciel dégagé. Doña Sofía, étrangère à toute cette idolâtrie, vint alors le prévenir qu’on le demandait au téléphone depuis Bluefields.

Il monta les marches avec difficulté, comme d’habitude, obligé de pousser sur sa prothèse avec ses mains. Doña Sofía, qui l’avait précédé, l’attendait à la porte du bureau pour lui remettre le téléphone mobile, et, une fois celui-ci calé contre son oreille, il s’approcha de la fenêtre. En bas, on était en train de hisser la vierge sur le plateau d’un pick-up. Lord Dixon devait avoir entendu la musique et les fusées.

–  La Russie s’est effondrée, le communisme s’est effondré, nous sommes tous des soldats du Christ, dit-il.

–  Arrête tes conneries, répondit l’inspecteur Morales, qu’est-ce que tu fous avec ce putain de téléphone ? Il sonne toujours occupé !

–  En ce qui me concerne, je rentre à l’instant de Pearl Lagoon et j’accomplis mon devoir en vous appelant avant même d’aller pisser, dit Lord Dixon.

–  L’analyse est formelle, dit l’inspecteur Morales, il y a eu un mort dans le yacht, ou au moins un blessé.

–  Bingo ! s’exclama Lord Dixon. Votre humble serviteur a récupéré un tee-shirt avec des taches qui à première vue sont des taches de sang. Mais pour le photographier, j’aurais d’abord besoin du remboursement des recharges de Polaroïd. J’ai plus d’argent, et on me doit déjà huit bidons d’essence.

–  M’envoie plus de photos, ce que je veux, c’est ce tee-shirt, dit l’inspecteur Morales, et tout ce qu’ils ont trouvé d’autre là-bas.

–  Même les lattes brûlées ? demanda Lord Dixon.

–  Tout ce qu’ils auront pu récupérer, dit l’inspecteur Morales. Et une liste complète de tout le reste. Tu as trouvé des témoins ?

–  Les gens de Raitipura parleront pas, dit Lord Dixon. Par contre, j’ai un commerçant ambulant qui aurait une information à nous donner, mais il demande d’abord une faveur en échange, sinon il lâchera pas le morceau. Il s’appelle Stanley Cassanova.

–  Quelle faveur ? demanda l’inspecteur Morales.

–  Un frère en tôle pour contrebande, dit Lord Dixon. Il s’est fait prendre il y a deux jours alors qu’il traversait la frontière au niveau de Guasaule, en rentrant du Honduras avec tout un lot de marchandises. Il est détenu à Chinandega. Il s’appelle Francis. Francis Cassanova.

–  Pour ça, il faudra que je consulte le commissaire, dit l’inspecteur Morales tout en notant.

–  Bon, Mister Pleasures, voyez ça au plus vite, dit Lord Dixon.

–  Tu n’as qu’à lui promettre.

–  Dans ce cas, vous trouverez bien un accord. On sera là demain matin de bonne heure.

–  Au poil ! dit l’inspecteur Morales. Comme ça tu m’apportes toi-même le tee-shirt et tout le reste.

–  Il y a encore une chose, dit Lord Dixon.

–  Je t’écoute.

–  Le scanner a révélé la présence de traces de poudre, dit Lord Dixon.

–  Tu pouvais pas commencer par là ? s’indigna l’inspecteur Morales.

–  Je sais que vous adorez les surprises.

–  Et c’est tout ce que t’as, comme surprise ? demanda l’inspecteur Morales.

–  Pour le billet d’avion, je vais encore devoir demander une avance à ma tante Grace, dit Lord Dixon.

–  Quel pleurnicheur, dit l’inspecteur Morales.

–  Chaque fois qu’elle me voit entrer dans son restaurant, elle me demande si je la prends pour la trésorière générale de la République, dit Lord Dixon.


1. Révolution qui, en 1979, allait mettre fin à plusieurs décennies de dictature de la dynastie Somoza. (Toutes les notes sont du traducteur.)

2. DEA : “Drug Enforcement Administration.” La DEA (États-Unis) a des “antennes” dans de nombreux États de l’Amérique latine, dont le Nicaragua.

3. Ici : tueur de “machos”, c’est-à-dire de “gringos” ou de “contras” (contre-révolutionnaires).

4. Ordre missionnaire fortement implanté et très influent dans la région de Bluefields, au Nicaragua.

5. Douleurs Morales ou Plaisirs Physiques.

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Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

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