Anonym’us
Les Mots sans les Noms
jeudi 1 mars 2018
Un auteur sur la terrasse : Fabien Pesty

Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse
Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse
Épilogue
Article 226-10
Modifié par Ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 — art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002
– C’est quoi ce foutoir ? Oh non ! Pitié !
Mon premier manuscrit envoyé, c’est un « Poulpe » de la série culte des années 90 créée par Jean-Bernard Pouy. À propos de ce petit polar, j’ai une anecdote : je ne connaissais pas cette série écrite par des auteurs différents à partir d’une bible commune. Or le premier « Poulpe » que je lis (de Pascal Dessaint) se passe exactement là où je possède une grange à foin que je retape alors chaque été en Ariège : le crime est même commis dans magrange. Tout y est, les lieux, les gens et… l’ours. Y voyant un signe, j’écris en 2 mois ½ un « Poulpe » que j’adresse à l’éditeur La Baleine. Mon manuscrit sera publié… quatre ans plus tard. Inutile de dire que je n’y croyais plus. Le bouquin s’est très bien vendu. Alors que l’éditeur était sur le point d’en faire une BD, dépôt de bilan… pas de bol.
Le personnage principal de ma propre série des « Polycarpe » porte le patronyme de Houle, histoire de filer la métaphore maritime en hommage à La Baleine et au Poulpe qui m’ont porté chance.
Le style fait l’œuvre, comme la gestuelle et les expressions sont le reflet de la personnalité. Au-delà de l’histoire qui est racontée, le plaisir de la lecture vient du rythme, des sonorités, du choix des mots, des tournures de phrases, du point de vue de la narration : on doit montrer les scènes sous différents angles, zoomer, prendre du champ, etc. L’effet produit sur le lecteur doit être l’objectif de l’écrivain. On écrit pour être lu, pour témoigner le mieux possible de notre condition d’humain, non pour complaire à soi-même. Contrairement aux apparences, les styles les plus limpides sont les plus chiadés. J’approuve ce que dit Éric Maravélias sur les dialogues : dans un roman, on ne peut pas reproduire les dialogues de la vraie vie, ce serait insupportable pour le lecteur.
Tous les genres littéraires sont possibles, mais c’est par l’écriture que l’auteur va plus ou moins toucher le lecteur, laisser son empreinte.
Sans. Je suis même tellement maso que les douleurs de l’enfantement, ça me plaît… Et puis, comme pour les vrais naissances, une fois le « travail » fini, on se réjouit de son bébé, on ne se souvient plus de la douleur.
Quand j’ai beaucoup travaillé un paragraphe que je dois supprimer, ça me fait mal au cœur, alors je le place dans un fichier nommé « paragraphes en réserve » avec la consolation de me dire que je les réutiliserai. En fait, je ne les réutilise jamais…
Sinon, j’aime boire un whisky à la fin d’une journée d’écriture, pour passer agréablement du monde virtuel au monde réel !
Écrire des nouvelles est pour moi un art un peu frustrant car j’aime entrer dans l’intimité de mes personnages, les retrouver comme des amis, ce que me procure l’écriture des romans. Le roman rend compte de la vie en société, tandis que la nouvelle montre des personnages à un moment clé de leur destinée. En dehors de ma saga des « Polycarpe », j’aime écrire des « instantanés », sorte de récits courts où je montre des comportements révélateurs d’une personnalité, sans scénarios ni chutes… qui épinglent nos congénères.
Quand le livre est achevé, quand je ne me demande plus comment je vais continuer le récit parmi les dizaines d’options narratives possibles, je fais ma propre relecture. Mais mon mari est le véritable premier lecteur, intransigeant mais juste. Il ne laisse passer aucune invraisemblance, ni erreur de date… Je ne soumets plus mes manuscrits à mes amies ; malgré leur bienveillance, elles considèrent que tant qu’un livre n’est pas imprimé, il n’est pas fini et me suggèrent d’autres péripéties, une autre fin…
Pendant les périodes d’écriture intense, je lis peu de fictions. Je lis des biographies, des revues, des journaux. Je ne veux pas me laisser influencer par l’écriture des autres auteurs. Je vis en symbiose avec mes personnages ; le soir je m’endors en imaginant ce qu’ils feront le lendemain…. Hors période d’écriture, en revanche, je lis beaucoup. Je suis tentée par les romans promus dans la presse, je les achète, mais hélas je suis souvent déçue… J’apprécie bien les chroniques des blogueuses littéraires qui permettent de faire un choix avant d’acheter les livres.
Caldwell avec Jenny toute nue, Duras et ses petits chevaux de Tarquinia, Virginia Woolf avec Mrs Dalloway et La promenade au phare… mais aussi Le Décaméron de Boccace, Les Illusions perdues, L’éducation sentimentale… Les auteurs qui m’ont donné envie d’écrire des romans policiers : G. Leroux et A. Christie. Et j’ai de la reconnaissance pour Lilian Jackson Braun (la série des chats, Les grands détectives) qui a inventé le roman policier sans policier, sans détective, sans violence, voire sans suspense… mais non sans humour ; grâce à elle, j’ai su que c’était possible !
Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Je n’éprouve pas l’envie d’écrire, mais le besoin. Un besoin aussi irrépressible que manger ou dormir. De sorte que je ne risque pas la panne ! L’inspiration, c’est autre chose et ça se résout par le travail. J’ai peur parfois d’être empêchée physiquement d’écrire, je m’imagine mal écrire en clignant des yeux… là, j’abandonne d’avance.
C’est une initiative formidable qui met en œuvre des valeurs que je partage : auteurs édités et non édités sur la même ligne de départ, un prix non bidouillés, des lecteurs internautes qui donnent leur avis… et faire partie d’une petite bande d’énergumènes à cicatrices …
Si le polar est aujourd’hui en tête des ventes, c’est que le pouvoir des bien-pensants de la littérature a perdu du terrain. Les demoiselles Lelongbec qui tenaient les librairies et qui régnaient sur les bibliothèques ont passé la main… La violence de nos sociétés est seulement plus visible : au temps de saint Polycarpe, (1er siècle après J-C) on torturait, on brûlait, on écorchait son prochain pour un oui, un non ! Les polars sondent la violence, en éclairent les causes, montrent les terribles failles de nos congénères.
En dehors du prochain Polycarpe, Le dernier clou du cercueil, le 8ème de la série, qui sortira en 2018 si tout va bien, je vais publier Les petits secrets de Polycarpe, un recueil de réflexions sur l’écriture de ma série et sur l’écriture en général.
Je prépare actuellement, avec mon confrère Denis Soubieux et ma consœur Nicole Parlange, la deuxième édition de POLAR SUR LOIRE, le salon du polar qui réunit des auteurs de Touraine et du Val de Loire. Ce salon est organisé par des auteurs pour des auteurs, sans interventions d’élus et sans subventions. L’an passé, nous avons fait un tabac. Il aura lieu le 25 novembre 2017, salle Ockeghem, dans le Vieux Tours, de 10 h 30 à 19 h.
Salut aux participants du concours Anonym’us et aux organisateurs.
Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse
Si j’ai retenu une chose des dizaines de textes lus sur l’écriture, sur les conseils d’écrivains reconnus à des débutants, c’est de travailler. Toujours, sans cesse. Peu importe qu’on essaie de copier les manies de X ou Y qu’on adore, sa méthode de travail ne sera pas forcément la bonne pour nous. Par contre, chercher au plus près ce que l’on veut dire, pourquoi, comment, ce qu’on veut générer comme sentiment chez le lecteur, ce qu’on veut dire de nous, du monde, de notre perception, ça demande de beaucoup travailler. Pas forcément de s’asseoir tous les jours à heure fixe devant son texte, mais de plonger en soi, quelque part. De se questionner sur ses intentions, de toujours chercher à faire mieux. Bien sûr, il faut savoir trouver le moment où on se dit « c’est bon », et ne pas devenir obsessionnel et passer sa vie sur les mêmes trois lignes…3. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
Ah les manies ! Oui en y réfléchissant, j’en ai quelques unes… Je n’écris que le soir, soit dans mon canapé, soit dans mon lit, calée dans des coussins. J’ai besoin du calme extérieur, de l’obscurité et de l’absence de sollicitations… J’écoute toujours de la musique, ou presque, comme pour à la fois me plonger dans ce que j’écris et rythmer mes pensées, sans que la nature de la musique ne déteigne sur le propos. Je peux raconter une histoire drôle en écoutant du black metal satanique, comme avoir en fond sonore de la pop acidulée alors que je raconte des horreurs.5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
C’est amusant de répondre à cette question en ayant écrit trois romans et encore publié aucun ! J’aime beaucoup l’exercice de concision que demande l’écriture d’une nouvelle, le travail de précision, la recherche d’efficacité et de rapidité. Dans un roman, c’est le déroulement, au contraire qui va me plaire, le fait de m’attacher plus durablement aux personnages, à leur inscription, leur façon d’être et ce qu’ils veulent dire. C’est complémentaire, je trouve.6. Votre premier lecteur ?
Je commence par relire mes textes à voix haute en marchant dans mon salon, pour trouver la musique du texte, dépister les répétitions et voir si le texte prend forme, lu tel quel. Après, vient l’étape premier lecteur, ou plutôt première lectrice, puisque ma meilleure amie, illustratrice et coloriste de BD, lit mes textes depuis des années et me donne son ressenti, son avis sur les passages à revoir, le travail à apporter. C’est une étape indispensable !7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
A mon sens, ce serait une aberration ! Les écrivains que je fréquente sont de grands lecteurs qui restent en prise avec le monde littéraire et son actualité. Je ne comprends pas comment on pourrait écrire sans se nourrir de l’écriture des autres.8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Il y en a tellement ! En fonction des époques et de ce que je cherchais dans les livres. Poppy Z. Brite, Bret Easton Ellis, Guillaume Dustan, Marguerite Duras font partie des piliers… Mais pourrais-je ne pas céder au name dropping et ne pas citer Jim Harrison, Charles Bukowski, Jack Kerouac, William Burroughs, Nina Bouraoui, Hervé Guibert, Virginie Despentes, John Fante, Ann Scott, Raymond Carver, Camille Laurens (et beaucoup d’écrivains américains dont le sens de la nouvelle reste inégalé à mes yeux). En fait, je peux tomber amoureuse d’une nouvelle, d’une phrase, d’un regard sur le monde, d’une manière de le retranscrire comme d’une oeuvre entière. Autant dire que ma bibliothèque me pose quelques soucis de place.9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Je suis en train de finaliser un recueil de nouvelles, et j’en suis folle de joie. J’ai toujours rêvé de publier des nouvelles plus que des romans. En France, c’est moins bien vu et plus délicat de publier des nouvelles quand on n’a pas déjà deux ou trois romans à son actif. Je suis en train de travailler avec une maison que j’adore et suis de près depuis des années… Et puis par ailleurs, j’ai toujours deux ou trois projets en cours, en lecture, construction, élaboration… Bref, ça devrait bientôt voir le jour !13. Le (s) mot(s) de la fin ?
Les Mots sans les Noms
Les Mots sans les Noms
1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
Bonjour, quand même ! On n’est pas des bêtes ! Bon, oui, le manuscrit, l’éditeur, les espoirs pleins les yeux mirant chaque page qui sort de la photocopieuse, avec au final un ticket de caisse d’une tonne, mais qui ne pèse pas encore aussi lourd que toute l’ambition que tu y as mis… Jusqu’au drame. Le silence. Plus que le refus, même non motivé (ou bien par une lettre standardisée) ; le foutu silence. Mais c’est une histoire que tout le monde a vécu, miracles mis à part. D’une confondante banalité, même, cette histoire !
2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Ça vaut ce que ça vaut, et sans prétention aucune ; mais il est clair que j’apporte beaucoup de soin au style et à la « petite musique des mots », au rythme etc… Sur le fond, mon leitmotiv était de livrer une copie réaliste et crédible cliniquement, loin de certaines caricatures pseudo-psychiatriques que l’on rencontre dans beaucoup de « romans de genre »
3. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
J’aurais voulu dire « avec », par confort. Mais en réalité c’est « sans », ça m’épuise, ça prend la place de tout le reste, sommeil compris, ça m »est sans doute nécessaire pour rendre un copie forte et urgente… Pour le moment du moins, je ne sais pas faire autrement. Tant que cela est synonyme de spontanéité et objet d’un fort sentiment d’accomplissement artistique, ça continuera comme ça.
4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
Procrastiner. Même quand j’ai quatre heures devant moi, le temps de me mettre dans un certain état, me laisser traverser par les idées qui viennent, s’imposent parfois, à la naissance d’un fil à tirer ; je sais que je n’écrirai de manière vraiment productive que dans la dernière heure… Ça, plus la musique et le café, évidemment.
5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plaît dans chacune d’elles ?
Le vertige d’un roman, parce que tout est possible, l’horizon est souvent lointain, on respire, on peut prendre le temps, mais il faut s’astreindre à une certaine méthodologie. La concision et les contraintes d’une nouvelle, encore plus à thème imposé, ça a quelque chose de jouissif aussi, à réussir des contorsions pour faire entrer dans une cage cette animal a priori inapprivoisable qu’est l’inspiration.
6. Votre premier lecteur ?
Moi. Je pense que c’est très important, de prendre du recul et de relire en se disant en permanence : « si j’étais le lecteur lambda qui tombe sur ce texte, qu’est-ce que je ressentirais ?». Ensuite bien sûr je travaille avec deux ou trois beta lecteurs de confiance. Ma femme juste après, je ne peux pas lui montrer quelque chose de pas suffisamment abouti.
7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Non. Absolument impossible. Du moins pour la fiction. Pour le témoignage, c’est différent je pense. En tout cas, on ne peut pas écrire sans « avoir lu ». C’est une culture, une gymnastique du cerveau, des archétypes, une notion (même partielle) de tout ce qui a déjà été dit et de quelle façon… Par cont pendant la phase de création très intense, là, j’éprouve beaucoup de mal à lire. Ça me parasite, ça chasse les idées qui germent et m’habitent alors. Ce qui fait que depuis deux ans, j’ai beaucoup réduit mon rythme de lecture.
8.. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
J’ai une culture classique. Imposée puis par goût. Zola en particulier. Par transgression adolescente, j’ai ensuite lu beaucoup de science-fiction, de fantasy, mais avec toujours la quête d’une vraie plume, Dan Simmons par exemple. Le polar, le thriller, c’est venu plus tard, parce que le temps pour lire était plus réduit à l’âge adulte et j’avais comme beaucoup de gens le besoin un peu primaire de ressentir, fort et vite. Mais je pense que ce genre peut ne pas se résumer à ça. C’est vraiment réducteur et un peu snob de le croire. Je citerais Vargas pour la plume, là aussi. Mais il y en aurait tellement d’autres…
9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Je suis « auteur », mais avant les mots j’utilisais la photographie comme media. Les pannes d’inspiration ne m’ont jamais fait peur. C’est typiquement quand ont s’acharne à chercher ses clés que le trousseau reste introuvable. Si on laisse venir, si on repose son esprit, voire qu’on le met un peu en jachère, en lisant à nouveau par exemple ou en vivant d’autres expériences, en se ré-ouvrant aux autres : là les idées reviennent naturellement. Pour le moment ça s’est toujours passé comme ça. Si don il y a, il est peut-être là…
10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
Je n’ai pas eu à « accepter », puisque c’est une place que s’est libérée et qui m’a permis de proposer ma candidature. J’ai rapidement retenu l’attention et je n’en croyais pas mes yeux. Mais effectivement, le concept d’une joute d’auteurs reconnus et plus anonymes à l’aveugle est vraiment très stimulante. Quant à l’aspect humain ressenti lorsque plusieurs membres du jury sont venus me saluer et me souhaiter bonne chance : c’est rare et très appréciable.
11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes ?
Les mass media voudraient le croire. Je pense que des histoires sombres dans la tradition orale ou depuis l’invention de l’imprimerie, l’Homme a toujours aimé s’en raconter. Pour expier ses peurs, pour souder les groupes dans une communauté de destin ou contre un ennemi commun, réel ou fantasmé. Il n’y pas plus de serial killers depuis qu’on les glorifie, j’en suis persuadé. Et il n’y pas plus de vocation de flic depuis Colombo ou Maigret. Il y a des équilibres immuables, des vocations de malfaisance ou de défenseurs de la veuve et de l’orphelin. C’est inhérent à la nature humaine. Le reste est affaire de marketing et de mode. Et il est de ce fait difficile de valoriser une démarche qu’on pense « artistique » dans un « marché » qui vise des cœurs de cible et se nourrit annuellement (voire plus) du thriller typique venu du nord ou du roman option flic bourru cinquantenaire ou de la surenchère sanguinolente etc… La bulle éclatera et la lassitude pointera son nez si on ne valorise pas les propositions plus en marge, qui débordent des cases, les genres et les grosses ficelles un peu usées…
12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
Je termine cette trilogie avec le sentiment d’avoir beaucoup donné de moi. Je me mets un peu en dormance justement là, comme les orchidées pour qu’elles refleurissent, il faut les assécher un peu, qu’elles luttent pour leur survie… Mais ça revient vite, parfois malgré moi… J’écris plutôt des textes courts actuellement, certains servent à des participations à des concours, d’autres à des recueils de nouvelles comme celui au profit de la fondation ELLE. Je ne m’interdis rien, je n’ai pas de plan de carrière, je saisis les opportunités et les rencontres, ça a toujours plutôt porté ses fruits, que ce soit plume en main ou derrière mon objectif photo…
13. Le (s) mot(s) de la fin ?
Les Mots sans les Noms
« Il était une fois… un livre.
Sagement rangé pendant des années dans un petit coin de tête, il n’ennuyait personne. Jusqu’au jour où il en a eu assez. Déclenchant ainsi une révolution.
– Il n’y a plus rien dans le frigidaire !
– Ah bon ?
– Si on partait à la mer ce week-end ?
– Euh, non…
– Maman, pourquoi tu me dis qu’il ne faut pas passer trop de temps devant des écrans et que tu restes toute la journée devant ton ordinateur ?
– C’est différent, maman travaille…
Mais comme toute révolution finit par se terminer un jour, fort heureusement, le calme est enfin revenu. Le jour où la dernière page est sortie de l’imprimante et où il s’est installé confortablement dans le tiroir du bureau.
Pas pour longtemps cependant. Il n’avait pas fait tout ce chemin pour rester enfermé dans un meuble. Et le voilà reparti dans ses activités militantes. Nouant insidieusement des contacts avec l’extérieur et créant son propre réseau de soutien. C’est ainsi que les publicités pour des maisons d’édition ont commencé à fleurir comme par magie au-dessus de son tiroir.
Un contrat à compte d’éditeur, pourquoi pas… Et hop, signé avec Nouvelles Plumes, le voici parti pour de nouvelles aventures. Mais le rêve a progressivement viré au cauchemar et il a donc préféré faire ses valises plutôt que de voir l’histoire se terminer en thriller.
Il embrassa alors l’autoédition et il vécut heureux… »
J’ai la tête dans les nuages et les pieds sur terre. Le résultat ? Ce sont des livres qui flirtent avec le fantastique, tout en cherchant à être vraisemblables. Je m’attache donc tout particulièrement à la cohérence de l’histoire, de manière à ce que le lecteur puisse se dire : « … et si c’était vrai ? ».
Sur un plan plus pratique, le travail de relecture et de correction est pour moi aussi important que l’écriture à proprement parler. Le lecteur doit pouvoir profiter de l’histoire sans être perturbé par des fautes à chaque page. Il est clair qu’un autoédité ne dispose pas des mêmes moyens qu’une grande maison d’édition. Je ne peux pas promettre qu’il ne restera pas quelques coquilles dans mes livres, mais j’essaye de les traquer au maximum, épaulée en cela par des bénévoles que je ne remercierai jamais assez.
J’ai opté pour la césarienne. Avec péridurale.
De la musique, de la musique, encore de la musique… Lorsque j’écris, j’écoute certains albums en boucle. Simplement car ils s’adaptent parfaitement à l’ambiance de mes romans. Chacun de mes livres restera lié à la musique qui a accompagné ces longues heures d’écriture. Il me suffit de réécouter ces morceaux pour me replonger dans l’histoire et retrouver mes personnages. Pratique, non ?
J’ai découvert le format « nouvelles » avec un groupe qui s’appelle « Histoires sous influence ». Je dois avouer m’être énormément amusée. C’est un exercice complètement différent, notamment lorsque l’on doit se conformer à des règles ou à des mots imposés.
L’écriture d’un roman demande du temps, beaucoup de temps. Lorsque je n’en ai pas suffisamment, les nouvelles sont une bonne alternative pour retrouver le plaisir d’écrire.
Désigné d’office, pas de chance !
Avant de publier mes romans, je fais tourner mes manuscrits dans un cercle restreint, mes « correcteurs ». Leur rôle est primordial, puisque c’est grâce à leurs retours détaillés et à leurs observations que je vais pouvoir affiner le livre, voire corriger certains passages.
Lorsque Le Cercle Manteia a été terminé, je ne savais pas trop quoi en faire. Alors j’ai sélectionné dans mon entourage quelques personnes à qui j’ai remis le manuscrit sans préciser qui en était l’auteur, de manière à recueillir des avis objectifs. Aujourd’hui, je ne manque pas de volontaires, c’est nettement plus facile. Les échanges sont souvent passionnants et très enrichissants.
Lire ou écrire, il faut choisir !
Enfin, pour ce qui me concerne. Lorsque je suis plongée dans l’écriture, cette activité devient tellement envahissante qu’il ne reste plus beaucoup de place pour le reste. Mais pas d’inquiétude, je me rattrape lorsque le livre est fini.
Je n’ai jamais été déçue par les livres de Ken Follett. Il a le don de manier la plume, mélangeant avec subtilité Histoire et roman. J’ai toujours été en admiration devant les œuvres de Tolkien, qui a réussi à créer un univers grandiose. Mais il y a beaucoup d’autres auteurs dans ma bibliothèque, connus ou inconnus, qui m’ont fait rêver. Inutile de préciser que vous y trouverez plus de thrillers et de polars que de classiques ou de poésie.
Enfin du temps pour lire les romans des autres ! Et Dieu sait combien j’ai de retard…
Non, cela ne m’inquiète pas. J’ai toujours considéré l’écriture comme un loisir et un plaisir. Si l’envie n’y est plus, c’est qu’il est temps de faire une pause. Je suis persuadée qu’elle reviendra un jour.
L’anonymat me va très bien. Je suis du genre discret. Je préfère rester en retrait et observer plutôt que de me lancer dans de grands discours. Pas très vendeur, j’admets, mais on ne se refait pas. Le concept de ce Trophée, que j’avais croisé à diverses reprises sur les réseaux sociaux, m’a donc interpellée.
Je peux vous conseiller un psy si vous voulez. Parce que moi, je n’ai pas la réponse à cette question… Les lecteurs de polars et de thrillers me semblent plutôt normaux dans l’ensemble.
S’agit-il de voyeurisme, d’un exutoire ? Ou ne serait-ce pas plutôt le besoin de s’identifier à un personnage qui, dans la majeure partie des cas, va chercher à combattre cette violence ? Personnellement, dans mes romans, j’aime jouer sur différents tableaux. La noirceur des uns fait ressortir l’humanité des autres.
Le cinquième roman, que j’ai momentanément abandonné pour laisser un petit peu de place à des projets non littéraires. Des salons, sans doute, je vais y penser.
Je préfère penser qu’il s’agit d’une histoire sans fin.
Bonne continuation à vous !
Les Mots sans les Noms
Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
Après avoir achevé l’écriture de Fidèle au poste, mon premier roman, je l’ai envoyé à beaucoup d’éditeurs par courrier, en espérant qu’un jour quelqu’un m’appelle après avoir eu un coup de cœur pour mon texte… J’ai attendu plusieurs mois, puis j’ai commencé à recevoir des lettres de refus au compte-goutte jusqu’à abandonner l’espoir que ce roman convainque qui que ce soit.
Quelques mois plus tard, j’ai décidé de tenter ma chance en autoédition : je n’avais rien à perdre. Au pire, il ne se passerait rien, et au mieux, mon roman trouverait des lecteurs… J’ai eu la chance incroyable que Fidèle au poste plaise et se transforme en succès… au point qu’ensuite, plusieurs maisons d’édition viennent à moi pour me proposer de le publier… ! C’est comme ça que ce premier roman a débarqué en librairie en 2016, pile un an après sa sortie en autoédition.
J’essaye de toujours chercher (et trouver) des intrigues originales, des structures narratives différentes qui sortent un peu de l’ordinaire. Et je ne commence à écrire que lorsque le squelette du roman me semble solide et crédible, lorsque je me sens en totale empathie avec mes personnages…
En voici une drôle de question 😉 Écrire est-il plus difficile qu’accoucher… Mmm, je dirais que j’écris plus facilement dans la noirceur et la douleur, j’ai un penchant pour le sombre, pour les failles de l’être humain, pour tout ce qui peut le faire basculer du « mauvais » côté… Donc : sans péridurale !
Hormis le silence pour parvenir à m’entendre penser, rien d’extravagant, je pense… Et la manie de faire des dizaines de petites fiches en amont de l’écriture du roman !
Dans la nouvelle, j’aime l’idée de parvenir à accrocher le lecteur et à le convaincre en peu de temps. J’aime l’idée de chute inattendue, de bouleversement en quelques pages à peine. Dans le roman, j’apprécie la possibilité de pouvoir inventer et développer la psychologie des personnages, de permettre au lecteur de se mettre dans leur peau pendant un temps bien plus long, un temps qui permet davantage l’attachement.
Mon père !
Je ne pense pas. Avant d’écrire, j’ai d’abord été une dévoreuse de livres. Et si je lis moins aujourd’hui faute de temps, il n’en reste pas moins qu’il me semble essentiel de pouvoir découvrir ce que font et inventent d’autres auteurs.
Laura Kasischke, Stephen King, Roald Dahl, Liane Moriarty… Des auteurs que j’admire beaucoup !
Derniers coups de cœur en date : Nous rêvions juste de liberté de Henri Loevenbruck et Le gang des rêves de Luca Di Fulvio.
Je suis quelqu’un de très manichéen, alors oui, je sais, tout au fond de moi, qu’il est possible qu’un jour, je me réveille sans plus avoir la moindre envie d’écrire. Je ne le souhaite pas, mais je sais que c’est dans mon tempérament. Et si ça doit arriver, ça arrivera. Écrire est une passion, un besoin, une envie. Que ce soit quelque chose d’éphémère ou pas, quelle importance, au fond ? Je n’écrirai jamais par obligation, par corvée. Advienne que pourra 😉
J’aime beaucoup l’idée que les nouvelles soient anonymes et que les participants soient à la fois des romanciers publiés et des personnes qui ont envie de se frotter à l’écriture d’une nouvelle… J’ai suivi les deux éditions précédentes en lisant un certain nombre de textes, et quand on m’a offert l’opportunité de participer pour l’édition 2017, j’étais ravie !
Je n’en suis pas certaine, je me demande même si, au contraire, face à la violence du monde, les lecteurs ne sont pas plus enclins à lire des textes légers et pleins d’espoir… Mais je me dis que peu importe l’état du monde et de notre quotidien, il restera toujours une part sombre chez n’importe quel être humain. Cette facette qui aime le noir, la douleur, la souffrance. Je crois que j’écris des choses assez dures parce que c’est une façon pour moi d’exorciser certaines peurs, de transcender certaines angoisses et de les dépasser par la fiction. Peut-être que les lecteurs ont ce même besoin ?
Un roman plutôt noir/polar qui sortira en autoédition en novembre prochain, et un roman de littérature générale qui sortira chez Michel Lafon au printemps 2018 !
Merci de votre accueil sur le blog, j’ai hâte de découvrir, dans quelques mois, les nouvelles du cru 2017 !
Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse
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5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
J’aime le côté fonceur et imprévisible de la nouvelle, sa manière d’aller droit au but, mais jamais là où on l’attend, d’entrer sans préambule dans le vif du sujet, la sensation de chute libre qu’elle nous promet.
J’aime l’architecture du roman, l’épaisseur de ses personnages, les liens qu’on tisse avec eux, toutes ces vies parallèles.
Et dans un cas comme dans l’autre, toujours, la musique et le rythme des mots, leur espièglerie.
6. Votre premier lecteur ?
Il est bicéphale : ma sœur et mon compagnon, tous deux écrivains, donc à la fois critiques et bienveillants, éminemment utiles et compétents.
7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Sans doute, le premier ou la première de l’humanité à avoir eu l’idée de coucher des mots par écrit l’a fait sans référence aucune. Mais fort heureusement, l’immense majorité des auteurs sont aussi des lecteurs, ce grâce à quoi il y a aujourd’hui encore plus de lecteurs que d’auteurs.
8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
En vrac et pour citer les premiers qui me passent par la tête, il y a des gens comme Milan Kundera, Laurent Gaudé, Pascale Kramer, Stefan Zweig, Olivier Adam, Sartres, Maupassant, Tanguy Viel, Noël Nétonon Ndjékéry, Agnès Dessartes, Buzzati, Benacquista, Platon qui sont pour moi des puits sans fond d’inspiration
9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
L’écriture se nourrit de la vie. Quand je n’ai plus envie d’écrire, c’est que la vie m’appelle à d’autres aventures qui, une fois digérées, alimenteront certainement mon inspiration. Forte de cette idée, je me laisse facilement dissiper par des rencontres, des expériences inédites, des activités, des défis. Et parmi les gens que je côtoie, beaucoup se projettent dans mes histoires, en tant que personnages, mais jamais dans les rôles ou les situations que j’aurais imaginés.
10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
J’en rêve depuis que j’ai eu vent du Trophée. L’idée d’organiser un concours sous cette forme est excellente, je trouve génial de faire se mesurer des auteurs qui n’ont plus rien à prouver et d’autres plus novices ou moins reconnus, fabuleux que les premiers jouent le jeu, je n’ai rencontré que des gens sympas et passionnés dans le cadre de cet événement et, pour une petite Suisse, toute occasion de mettre un orteil en France, littérairement parlant, est bienvenue.
11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes ?
Je déteste les étiquettes, les modes, les mouvements de masse et les classements en genres. Il y a de bons livres dans tous les genres ou presque, et surtout parmi les inclassables, le grand public a souvent des goûts pathétiquement convenus et toutes les époques ont été marquées par la violence. Je crois que les gens qui ont réellement connu l’enfer sont les plus aptes à chercher la lumière, le noir m’apparaît parfois comme une (im)posture de privilégié.
12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
Un micro-roman vient de paraître chez un éditeur spécialisé dans le noir. Sinon, je suis à la recherche d’un éditeur pour mon septième ouvrage, un récit intitulé Tonitruances autour de la colère qui se transmet d’une génération à l’autre et ravage tout sur son passage.
13. Le (s) mot(s) de la fin ?
Si un gros éditeur français souhaite publier ou du moins lire « Tonitruances » suite à cette interview, qu’il sache que moi, je suis d’accord et même si ce n’était pas le cas, je tiens à remercier chaleureusement les initiateurs de ce concours, les organisateurs et toute l’équipe qui gravite autour pour les magnifiques rencontres, croisières, repas que cet événement a déjà occasionné pour moi et pour tous ceux qu’il me projet encore.
Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse
Les Mots sans les Noms
1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
Je n’ai pas fait beaucoup d’envoi aux éditeurs. Ma première version a été envoyée aux nouveaux auteurs dans le cadre du prix vsd du premier polar. Recalé. Puis chez tenté ma chance chez Ring au début de la création de la maison d’édition. Recalé.
2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Je relis beaucoup, beaucoup trop. J’ai besoin d’entendre la « musique » du texte, que les dialogues sonnent comme un bon film.
3. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
Toujours à sec ! J’ai mis 10 ans à écrire mon premier roman. Il m’est arrivé de ne pas y toucher pendant des mois entiers. Pour le second, je vais aussi « vite ». Je n’ai pas de contrainte (peut-être pas d’idées non plus) et je vais à mon rythme. Il m’arrive d’avoir des flashs et j’écris comme un taré pendant deux jours. C’est rare.
4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
Pas vraiment. Vu ma façon de travailler, je ne me mets jamais « en condition » pour écrire. Je prends énormément de notes par contre. J’utilise la fonction dictaphone de mon téléphone car si je devais utiliser un style, il faudrait que j’engage un mec de la NSA pour me relire.
5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est-ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
C’est la première fois que je me lance dans l’écriture d’une nouvelle. Je manque un peu de recul pour dire si l’expérience m’a plu ou non. Mais ça va, ça passe !
6. Votre premier lecteur ?
Le correcteur orthographique de Word.
7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Je suis d’abord lecteur avant de devenir auteur. C’est le plaisir que m’a procuré la lecture qui a donné naissance à celui de l’écriture. Ma passion reste le cinéma classique. « Classique de ma génération », c’est-à-dire le cinéma américain des années 90.
8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Les auteurs de la Série Noire classique. Les grands noms du noir. Harry Crews, Ellroy,Ken brunen,Lawrence Block, l’anglo-français Robin Cook, James Ellroy ou encore le belge Paul Colize mais aussi Bret Easton Ellis, Bukowski, Houellebecq, Moix, Beigbeder…. Il y a peu j’ai découvert l’auteur de roman noir, Michael Guinzburg, qui écrit sur l’invisibilité des laissés pour compte et des marginaux. Une écriture sombre et hardcore comme j’aime.
9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Ça m’arrive tout le temps alors j’arrête d’écrire, je lis, regarde des films. J’attends que ça passe.
10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
J’ai croisé Eric sur mon premier salon du polar, juste après la sortie de mon roman. Il m’a parlé du projet. J’ai signé même si la nouvelle était un exercice que je n’avais jamais pratiqué.
11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
Je ne suis pas psy et je n’ai pas vraiment d’avis sur la question. Il y a quand même un grand effet de mode sur certains auteurs que les lecteurs qualifient de « noir » ou « violent » mais qui reste grand public. J’ai beaucoup d’ami se revendiquant amoureux du genre « noir » mais n’accrochant pas à mes conseils lectures qui sont, pour le coup, des vrais romans noirs, sordides et violents.
12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
J’espère terminer mon second manuscrit d’ici la fin de l’année. J’anime une chaine Youtube depuis quelques mois pour parler de mes lectures. D’ailleurs, je prépare une vidéo pour parler du Trophée.
13. Le (s) mot(s) de la fin ?
Un mot pour Eric : Merci de m’avoir donné la possibilité de participer au Trophée.
Un mot pour les autres participants : Laissez-tomber je sais déjà que j’ai gagné !
Les Mots sans les Noms
1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
C’était en 2004 pour « En t’attendant ». Ce roman venait de recevoir la bourse découverte du CNL. J’étais convaincue que les portes allaient s’ouvrir. Résultat : avalanche de refus. Je l’ai rangé gentiment et me suis attelée au suivant. J’aime les défis ! Ils sont un puissant levier de création 😃
2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Aucune. Suis dans un total-lâcher-prise. C’est là, en moi, je le sais, toujours en action. Il faut juste le bon moment pour oser reprendre « la souris » et écrire le premier mot. Jusqu’à la Fin, ça ne me quitte plus.
3. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
Sans. Que du bonheur ! Et même parfois des instants de pure jouissance.
4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?Une seule : toujours commencer par relire ce qui a été écrit précédemment. Sinon, c’est partout, tout le temps, que ce soit dans ma tête ou confortablement installé devant mon ordinateur.
5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est-ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
Ce qui justement les oppose.
Les nouvelles font un bien fou à l’âme pour le sentiment d’immédiateté qu’elle procure. Le résultat est rapide, efficace, souple.
Le roman est un long travail, une lente maturation et crée une grande intimité avec l’histoire et les personnages. C’est un voyage singulier, très riche et absorbant.
J’aime autant les deux. Tous dépend du besoin d’écrire et de ce que j’ai à dire.
6. Votre premier lecteur ?
Pas un mais plusieurs. Pas toujours les mêmes. Aucune pression à ce niveau. C’est selon le genre du livre et le contexte de ma vie au moment de l’écriture.
7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
NON. Définitivement non. Pas un soir sans ouvrir un livre. Tellement à apprendre… et à rêver encore…
8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Ma première lecture importante a été le dictionnaire. Mes muses sont les chanteurs français d’avant les années 80. Leur mélodie m’ont appris la musique des mots. La lecture est venue tard et il est passé beaucoup de monde dans mes préférences. Mes muses changent au gré de mon évolution. En ce moment c’est plutôt Sandrine Colette, Marcus Malte, Karine Giebel…
9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
C’est une question à laquelle je refuse de penser. Superstition ! Ne jamais prévoir le danger sinon il arrive. J’oublie cette possibilité. C’est plus simple. Je fais confiance à la vie !
10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
Pourquoi pas ! Dès qu’il y a un défi, hop j’y vais… « Il n’y a pas de chemin vers le bonheur, le bonheur est le chemin ».
11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
C’est à eux qu’il faut poser la question. Moi je sais pourquoi j’écris, mais eux, pourquoi nous lisent-ils ???? Surement pour croire que ce monde-ci puisse être sauvé et la justice certaines fois rendue !
12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
23 septembre 2017, sortie de mon second polar à Paris. En chemin d’écriture pour le troisième. Et certainement aussi un livre sur le voyage. Ma seconde passion.
13. Le (s) mot(s) de la fin ?
Gratitude. Mot de chaque instant pour cette vie fière et têtue dont je découvre et savoure chaque jour sa richesse.
Les Mots sans les Noms
2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
13. Le (s) mot(s) de la fin ?
Les Mots sans les Noms
jeudi 26 octobre 2017
Une interview réalisée en collaboration avec le blog partenaire Lila sur sa terrasse
Les Mots sans les Noms
jeudi 19 octobre 2017
J’ai envoyé mon premier polar « Quelqu’un comme elle » à une quinzaine d’éditions. David Lecomte de Fleur Sauvage m’a répondu très vite; une incroyable aventure qui continue avec mon deuxième thriller, « Le bal de ses nuits ». Je suis fière d’être une fleur sauvage.
Un style fluide, une intrigue addictive, une critique sociale et un drame psychologique. C’est mon cocktail préféré quand je lis les autres.
Sans. J’ai du mal à accoucher de mes romans, mais si ça ne fait pas mal, où est la délivrance?
Mes clopes, mes bières, et le silence. Quand la vague arrive, je m’y plonge, laissant ma vie sur la rive. Je refais surface après 2 ou 3 semaines, le « premier jet » terminé. Après ça se gâte. Des mois de relecture.
Ecrire un roman, c’est un travail de titan. Ecrire des nouvelles, des poèmes, des contes, pour un esprit synthétique comme le mien, c’est prendre son pied sans trop se fouler. C’est là que ça devient périlleux : un texte court ne demande pas moins de rigueur, au contraire! La paresseuse exigeante que je suis (terrible paradoxe!) doit retrouver ses exigences de romancière. Parce que je n’aime pas manquer de respect, ni aux mots, ni au lecteur.
Mon double, resté sur la rive.
Question pertinente, c’était mon sujet de mémoire, du temps où j’avais une vie d’adulte. On a chacun ses idées, mais on partage tous les mêmes mots. J’ai besoin de me nourrir de la musique des autres pour créer la mienne. Mais comme je suis feignante, je suis plus accro aux chansons et aux films qu’aux bouquins. Pour moi, l’art c’est un seul univers plein d’étoiles uniques. D’ailleurs je fais un peu dans le court-métrage, le slam…
On va retirer « littéraire »: Thiéfaine, Maupassant, Sautet, Baudelaire, Leonard Cohen, Sailor et Lula… La liste est longue, et je vous cite pas mes excellents copains auteurs! (bon d’accord: Manu, Denis, Gilles, Marc, Stanislas, Mickaël, Hervé, David, James, Christophe, Alexandra, Armelle, Jibé, Patrick, Philippe, Cédric, Sandra, Gaylord, Ben, Yvon, Alain, Gaëlle, Didier, Eric, Yannick, Annie…)
C’est l’horreur. Je suis en plein dedans. Sortez-moi de là ! C’est pas l’envie ou les idées qui manquent, c’est l’énergie. J’attends que ça revienne.
Parce qu’Eric Maravélias… ça suffit comme réponse?
Le polar est devenu le roman social contemporain. Le monde marche sur la tête, alors le dénoncer en l’assassinant, c’est exutoire pour le lecteur comme pour l’auteur.
Je continue la promo dédicaces et salons du « Bal de ses Nuits » sorti en avril, et j’ai soumis mes contes allégoriques à un artiste talentueux pour une éventuelle publication illustrée par lui. Il est intéressé… les contes, c’est fait pour rêver, non?
Un message: notre époque éprouve durement nos facultés à exister, j’invite donc à la révolte: artistes et lecteurs, soyons tous passionnés!
Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse
Je vous le disais la semaine dernière, les 20, 21 et 22 octobre prochains, je serai à Mulhouse au salon du polar le « Festival Sans Nom »
Aussi pour que vous ayez envie de m’y rejoindre je vous propose de feuilleter le menu de ce week-end qui s’annonce copieux.
Aujourd’hui place au programme du Samedi soir et du dimanche
Un programme « sang pour sang » Polar avec d’un côté B. Hermann, compositeur emblématique d’Hitchcock, et Philip Glass avec sa musique entêtante et pleine de suspense.
PHILIP GLASS
5ème quatuor à cordes
BERNARD HERMANN
Souvenirs de voyage
Manuel Poultier, clarinette | Michel Demagny, Laurence Clément, violons | Clément Schildt, alto | Americo Esteves, violoncelle
Lieu :
Société Industrielle de Mulhouse – 68100 Mulhouse
Renseignements :
03 69 77 67 80
Web : orchestre-mulhouse.fr
Mail : osm@mulhouse-alsace.fr
Horaires :
Samedi 21 Octobre 2017 à 19h30
Tarifs : 5€
Participation 5 Euros.
Billetterie Weezevent obligatoire : www.weezevent.com/concert-de-l-osm
Avec la projection du 1er polar de l’histoire du cinéma :
Regeneration, tourné par Raoul Walsh en 1915.
Accompagnement musical Simon Medz.
Résumé :
Orphelin à 10 ans, Owen est recueilli par des voisins miséreux et violents du Bowery, dans le sud de Manhattan…
Le premier long métrage de Raoul Walsh, tourné dans les quartiers misérables de New York et adapté de la biographie d’un authentique gangster repenti.
Entrée gratuite dans la limite des places disponibles. Plateau à la sortie.
Myriam Weill, lectrice, proposera pour les plus petits (3-7 ans) une lecture de contes le samedi et le dimanche à 16 heures et un coin coloriage sera installé.
Dans le cadre du Festival Sans Nom, le salon du polar de Mulhouse, Bob Garcia animera une conférence autour des univers de Tintin et de Sherlock Holmes.
L’objectif est de présenter, de façon ludique et interactive, les univers de Tintin et de Sherlock, et de montrer la filiation entre les deux héros. Une belle manière de (re)découvrir l’œuvre de Doyle à travers Tintin.
Pour tout public, de 7 à 77 ans… forcément !
Entrée libre, dans la limite des places disponibles
Présentation de l’auteur :
Bob Garcia est ingénieur diplômé de l’école centrale de Lyon. Après quelques années passées dans l’industrie des télécoms, il opte pour une carrière artistique (musicien de jazz et écrivain).
Il a écrit plusieurs romans, dont :
Et plusieurs études tintinophiles :
Il a également rédigé de nombreux articles pour diverses revues de jazz et de polar, ainsi que l’essai Jazz et Polar.
1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
Tout s’est passé assez rapidement, j’ai eu beaucoup de chance. Je commençais tout juste à envoyer le manuscrit par la poste et Emilie Colombani, mon éditrice chez Rivages, est tombée sur le blog où j’avais publié les trois premiers chapitres et m’a demandé de lui envoyer le manuscrit en PDF. Sachant qu’elle le lisait et qu’elle s’y intéressait vraiment, je ne l’ai plus envoyé à personne, me disant (connaissant son travail et grand lecteur des éditions Rivages depuis longtemps) que si par miracle elle acceptait de m’éditer, je signais tout de suite ! Et un matin est venu le coup de téléphone tant attendu…
2. Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Il faut que le résultat sur la page soit le plus fidèle à l’idée que j’avais, que rien dans le texte ne bloque pendant mes relectures, que la phrase coule exactement comme je le voulais, de la façon la plus claire et simple possible. Je vois en général d’abord les scènes en images, le but est ensuite de les retranscrire le plus fidèlement possible par les mots.
3. Ecrire… Avec ou sans péridurale ?Ce n’est jamais douloureux d’écrire pour ma part, même si ce n’est pas non plus, bizarrement, un plaisir au sens strict du terme. Le plaisir vient plutôt ensuite, à la réécriture, quand l’essentiel du texte est là est que mon travail est de l’améliorer le plus possible.
4. Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
Je n’ai pas vraiment de rituels ou de manies. Je ne m’impose pas de nombres d’heures de travail par jour où un endroit précis pour écrire. En général, j’ai besoin d’être confortablement installé, allongé sur mon lit par exemple. Et, en dehors de notes, je n’écris que sur mon ordinateur.
5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est-ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
J’ai commencé par écrire des nouvelles, mon premier roman pourrait d’ailleurs aussi être considéré comme un recueil de nouvelles. Ce travail oblige à aller à l’essentiel. Le texte, à l’arrivée, devant être tendu comme la corde d’un arc. Mon prochain roman sera en revanche assez long. Ce qui me plait dans l’écriture d’un roman, c’est au contraire de pouvoir laisser libre court à mon imagination, sans règles, sans restrictions.
6. Votre premier lecteur ?
Maintenant, mon éditrice. Qui d’ailleurs va bientôt recevoir le manuscrit de mon deuxième roman. Elle sera la première à le lire.
7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?
J’ai du mal à l’imaginer. Pour ma part, c’est en grande partie mes lectures qui ont forgé l’auteur que je suis.
8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Pêle-mêle : Joyce Carol Oates, Stephen King, Michael Cunningham, Lautréamont, Dostoïevski, John Irving, Dan Simmons, Clive Barker, Cormac Mac Carthy, William Burroughs…
9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
S’il y a quelque chose dont je ne manque pas, je pense, c’est bien d’imagination. Je n’ai pas forcément d’inquiétude de ce côté-là. Et je n’ai pas encore, je touche du bois, ressenti la fameuse « angoisse de la page blanche ».
10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
Car on me l’a proposé, tout simplement. C’est toujours un plaisir qu’on puisse penser à moi pour de tels projets. Et c’est aussi un challenge que je suis content de relever, j’aime beaucoup le principe des nouvelles écrites de façon anonyme, entre auteurs publiés ou non.
11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
C’est un peu comme pour les films d’horreur. Ce besoin de ressentir des émotions fortes. On peut être naturellement attiré par la violence, la noirceur, qui dans dans les films ou les romans est une sorte de reflet exacerbé de celle qui nous entoure tous les jours. Les romans de genre, comme le polar ou le roman noir, jouent bien sûr là-dessus et sont en général très narratifs, ce qui reste pour la plupart des lecteurs le plus important (à tort ou à raison) : suivre une bonne histoire.
12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
Je travaille actuellement sur plusieurs projets scénaristiques, et mon deuxième roman sortira l’année prochaine chez Rivages.
13. Le (s) mot(s) de la fin ?
En contrepoint à la noirceur du monde que nous évoquions précédemment, ce titre de mon morceau préféré des Smiths : There Is a Light That Never Goes Out.
Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse
Les Mots sans les Noms
Aussi, quand le colonel exigea qu’on récupère la dépouille du capiston, allongée au beau milieu du no man’s land, les volontaires se firent attendre. On procéda alors à un tirage au sort et Gaston Lamotte fit partie des élus. Il essaya crânement d’argumenter que depuis plusieurs jours, il toussait et vomissait de la bile après avoir inhalé de l’acide cyanhydrique en raison d’un masque à gaz défectueux, mais rien n’y fit.
Le Festival Sans Nom, le salon du polar de Mulhouse qui se tient les 21 et 22 octobre 2017, tient son appellation du Livre Sans Nom sorti en 2010 aux Éditions Sonatine. Depuis, c’est devenu une série à succès et les livres s’arrachent à chaque publication.
Cette connexion avec les romans de l’auteur Anonyme ne pouvait que nous donner envie de mettre en avant le nouvel épisode qui vient de sortir en librairie : Bourbon Kid (voir la chronique d’Yvan et du livre ici).
Nous vous proposons, avec la complicité des Éditions Sonatine, de gagner 4 exemplaires de ce roman fou, dédicacé à votre nom par l’auteur Anonyme ! (et on peut vous assurer que c’est bien le vrai, même si on ne connaît pas plus son identité que vous).
Pour jouer, c’est simple, envoyez-nous une photo mettant en scène votre roman préféré de la série. Faites parler votre imagination !
Vous avez jusqu’au jeudi 19/10/2017 pour nous envoyer vos contributions à l’adresse mail suivante : yvanfsn@gmail.com
Le vendredi 20/10/2017, lors du lancement du FSN, seront mis en ligne sur notre page Facebook les différentes photos reçues (tant qu’elles ne contreviennent pas au règlement de Facebook).
Les quatre photos qui obtiendront le plus de « J’aime » des visiteurs, entre le vendredi 20/10 lors de la mise en ligne et le lundi 23/10 à 23h59, seront déclarées gagnantes.
Précisions : ce concours est complémentaire de celui qui a été lancé par Sonatine. Ne pourront participer que des photos qui n’ont pas été envoyées dans le cadre du concours de l’éditeur. Concours ouvert à la France métropolitaine.
Merci de préciser dans votre mail de participation : vos nom, prénom et adresse, le pseudo sous lequel vous souhaitez que la photo soit publiée et le nom que vous souhaitez voir apparaître sur votre dédicace si vous faites partie des heureux gagnants.
Amusez-vous bien et bonne chance ! Un grand merci aux Éditions Sonatine pour ce beau partenariat.
Lien vers le site internet du Festival Sans Nom, avec toutes les infos (auteurs et programmation)
1. Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
5. Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est-ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
Écrire… Nouvelles, romans : Les nouvelles pour la concision, la dentelle, mais je préfère le roman pour approfondir les caractères. J’ai l’impression de lire, lorsque j’écris, et je regrette de quitter un récit. Je m’attache.
6. Votre premier lecteur ?
Mes premiers lecteurs sont mes proches, amis, frères…
7. Lire… Peut-on écrire sans lire ?Lire… Peut-on écrire sans lire ? NON NON NON ! la lecture attentive et critique est la meilleure école.
8. Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Lire… Les grands classiques (Maupassant, Flaubert, tant et tant…) et les auteurs de polar comme Ellroy (un maître), Dennis Lehane, Pierre Lemaître (pour tout), Léo Mallet (pour les arrondissements de Paris et son mythique détective), Jean-Bernard Pouy, Dantec, Vargas (les premiers).
9. Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète? Que feriez-vous ?
Jamais à court d’inspiration, les idées et projets se bousculent.
10. Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
Le Trophée Anonym’us : D’abord par admiration pour Maravélias, j’ai beaucoup aimé La faux soyeuse. Pour le plaisir de rencontrer d’autres auteurs, pour le plaisir de faire partie d’un groupe : écrire est un travail solitaire… Pour le défi.
11. Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes?
Le lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général : Bien sûr ! Le polar permet justement de chercher, parfois de trouver des explications aux maux de la société, à ses dérives. Celui que j’écris actuellement a pour sujet les désaxés qui frappent au nom d’Allah…
12. Vos projets, votre actualité littéraire ?
Deux polars édités : Le vol de Lucrèce et Le mur dans la peau (sortie septembre 2017). Le troisième en route. Je vous joins le dossier de presse du Mur.
13. Le (s) mot(s) de la fin ?
Merci pour votre intérêt
Interview réalisé en collaboration avec le blog Lila sur sa terrasse
1- Votre premier manuscrit envoyé à un éditeur, racontez-nous ?
Mon tout premier manuscrit de roman, « Les multiples de un », était un projet de roman noir assez naïf sur les multiples personnalités d’un individu… Il m’a valu les refus des quelques éditeurs sollicités, dont un retour personnalisé assez encourageant qui m’a incité à persévérer.
Mon second manuscrit a été publié (« La disgrâce des noyés » – Editions Baleine), puis il m’a fallu aboutir 7 manuscrits pour de nouveau signer un contrat d’édition (« Travailler tue » – Editions Lajouanie). Un véritable parcours du combattant puisque sur ces 7 manuscrits, j’ai failli signer dans de grandes maisons à plusieurs reprises.
2- Ecrire… Quelles sont vos exigences vis à vis de votre écriture ?
Dans mes premiers écrits j’avais des exigences formelles très arrêtées, par exemple : pas d’éléments d’encrage temporo-spatial, pas de noms propres, pas de dialogues, pas de travail de recherche…
Avec le temps, je cherche plus à adapter la forme du texte avec le fond (l’histoire), bref à trouver la meilleure façon de transmettre une proposition artistique.
Progressivement j’ai donc renié pas mal de mes principes, intégré des dialogues, quelques éléments géographiques, fait quelques recherches (le moins possible).
3- Ecrire… Avec ou sans péridurale ?
Pour ma part, je suis pour une littérature « sans péridurale », le lecteur doit sentir passer le texte dans tout son corps… Quitte à morfler un peu !
4- Ecrire… Des rituels, des petites manies ?
Oh plein… ça dépend de la phase du travail dans laquelle je me trouve. Durant l’écriture du premier jet, il me faut juste un bistro confortable (banquette de Moleskine de préférence) et du café pour écrire de longues heures. Par la suite, comme le travail est plus fastidieux, je dois changer régulièrement de lieux de travail (bibliothèque, espace de co-working, bars…) pour stimuler la créativité, et prendre du recul sur le texte. Quand il faut débloquer une situation, je vais chercher un état second qui me permettra d’être plus clairvoyant sur mon texte, en espérant que l’incohérence ou la solution du problème m’apparaisse. Pour ce faire je vais courir, nager, suer au hammam, méditer…
Sinon j’ai la manie (probablement très répandue) de faire des sauvegardes sur plusieurs supports (clef, ordi, disque dur externe, boites mails…) après chaque session.
Je note aussi constamment sur mon téléphone les idées qui me viennent (en parlant avec des gens, en lisant, en dormant…) c’est parfois impoli, mais j’ai trop peur de passer à côté d’une bonne idée.
5- Ecrire… Nouvelles, romans, deux facettes d’un même art. Qu’est ce qui vous plait dans chacune d’elles ?
Les nouvelles c’est assez gratifiant parce qu’il suffit de quelques jours de travail pour voir le résultat !
Ça permet également de tenter des figures que je n’oserai pas envisager sur le format d’un roman (une forme un peu hybride, un personnage difficile à cerner…).
6- Votre premier lecteur ?
Ça dépend du projet en fait, il peut s’agir de ma compagne, de l’un de mes frères, d’un ami, d’un collègue auteur, voir d’un éditeur…
7- Lire… Peut-on écrire sans lire ?
Oui ! Mais…
J’ai publié mon premier roman sans avoir jamais rien lu (moins d’une dizaine de romans en tout cas), mais très vite je me suis aperçu que je tombais dans des écueils grossiers, faisais des références involontaires, que je n’arrivais pas à suivre les discussions… Depuis mon premier roman, publié en 2011, j’ai dû rattraper mon retard. Je lis 4 à 5 roman par semaine, et en fait c’est génial de lire. Presque aussi bien que d’écrire.
8- Lire… Votre (vos) muse(s) littéraire(s) ?
Il y en a tant ! Echenoz, Bove, Forton, Céline, Fante, Bukowski, Eston Ellis, Selby…
Comme il n’y a que des garçons (presque tous morts), je citerai également Patti Smith, Virginie Depentes, Anne Bourrel et Julia Deck !
9- Soudain, plus d’inspiration, d’envie d’écrire ! Y pensez-vous ? Ça vous est arrivé ! Ça vous inquiète ? Que feriez-vous ?
Ça ne m’est jamais arrivé, mais ça m’angoisse néanmoins… C’est l’envie qui me fait avancer, si je la perds, ça risque d’être difficile de continuer.
J’élèverai des chèvres, sinon… Je trouverai bien quelque chose à faire…
Bon, j’ai toujours 3 ou 4 projets sous le coude, donc normalement ce n’est pas pour tout de suite…
10- Pourquoi avoir accepté de participer au Trophée Anonym’us ?
Après deux années très riches (promo de « Travailler tue », ateliers d’écriture, rédaction de mon 3ème roman…) j’avais envie de retrouver la jubilation de la création pure.
11- Voyez-vous un lien entre la noirceur, la violence de nos sociétés et du monde en général, et le goût, toujours plus prononcé des lecteurs pour le polar, ce genre littéraire étant en tête des ventes ?
Le roman noir est probablement le meilleur vecteur pour appréhender le mal et ses racines, pour comprendre le monde et se purger de la violence.
En ces temps sombres, il est un outil précieux et indispensable.
Après, ce sont un peu toujours les même ficelles qui tirent les ventes du polar… L’immense majorité des auteurs vendent très peu de livres.
12- Vos projets, votre actualité littéraire ?
Je viens de remettre à mon éditeur le manuscrit de mon troisième roman, les heures sont longues et mes ongles bien courts… J’en saurai plus sur mon avenir dans quelques jours.
Sinon j’attaque le prochain, un projet ambitieux, qui va m’occuper pendant au moins deux ans…
13- Le (s) mot(s) de la fin ?
Vive la littérature sans péridurale !
Une nouvelle de 20.000 signes maximum, noir ou polar.
Des auteurs vont concourir de façon anonyme pour gagner le trophée. Qu’ils soient connus, reconnus ou des inconnus.
Des cadors édités et des non édités jugés à l’aveugle. Un vote à l’aveugle pour le jury qui ne connaîtra pas le nom des auteurs.
Un Trophée, un buste en argile, réalisé à la main par Eric Maravélias sur FB.
Les trois premiers invités au festival des « Pontons flingueurs », à Annecy, en juin, pour la remise du Trophée.
La fabuleuse histoire d’Edmond Locard, flic de province de Marielle Larriaga.
Malheureusement épuisé chez l’éditeur
Fabuleuse est l’histoire de ce jeune médecin légiste lyonnais, Edmond Locard, que l’on a comparé, non sans raisons, à Sherlock Holmes, la créature de Conan Doyle.
Dans ce récit, nous le découvrons, au travers de souvenirs personnels et familiaux: un homme élégant, érudit, mélomane, séduisant, séducteur. Un chercheur qui s’inscrit dès le début du vingtième siècle dans l’histoire des empreintes digitales, des traces, des indices, des recherches toxicologiques, balistiques, qui vont préluder aux découvertes de la criminalistique d’aujourd’hui avec, entre autres, celte molécule biologique: l’ADN, preuve incontournable de culpabilité ou d’innocence, et la mise en place à Lyon des services d’Interpol, inextricable réseau international où s’empêtrent les criminels.
Fabuleuse est la toile de fond historique de ce récit : a mythique Belle Époque, ses apaches, principal risque d’insécurité des premières décennies du 20e siècle, contre lesquels Clémenceau va dresser ses Brigades du Tigre, qu’a chanté Philippe Clay :
« De vrais robots, toujours à l’affût, jamais au repos.
De face, de dos, de profil, ils ont nos bobines en photo,
M’sieur Clémenceau…
Kaléidoscope prodigieux que ces grandes affaires judiciaires du 19e et du 20e siècle: l’affaire Dreyfus, l’espionne Mata-Hari, le provocateur Lacenaire, des drames villageois, des assassinats sordides, des attentats et des meurtres politiques qui ont, en leur temps, passionné l’opinion publique, la presse, inspiré les écrivains, les cinéastes, Des accusés sur lesquels plane l’ombre maléfique de la guillotine.
Et, puisqu’en France tout se termine par des chansons, celte histoire à laquelle Edmond Locard fut mêlé de près : l’épopée du terrible Bonnot et de sa bande, évoquée par Joe Dassin :
« Dans la de Dion Bouton cachait les voleurs,
Octave comptait les gros billets et les valeurs,
Avec Raymond-La-Science, les bandits en auto,
C’était la bande à Bonnot. »
Découvrir Edmond Locard c’est se replonger aux débuts de la police scientifique moderne. Bien avant l’utilisation de l’ADN, cet homme génial, médecin légiste et homme de culture, a doté la ville de Lyon du premier laboratoire français de police technique, capable de résoudre les crimes les plus abominables. Au travers de la vie de cet infatigable chercheur, le lecteur va découvrir l’avancée des travaux sur le crime et le criminel depuis le XIXème siècle avec Cesare Lombroso et Alexandre Lacassagne jusqu’aux empreintes génétiques utilisées pour la première fois en 1986 par le britannique Alec Jeffreys.
PREMIÈRE PARTIE
Et vous pouvez retrouvez ICI, mon avis sur le lecteur de cadavres
Empreintes criminelles est une série télévisée française en six épisodes de 52 minutes, créée par Stéphane Drouet, Olivier Marvaud et Lionel Olenga d’après une idée originale de Stéphane Drouet et diffusée les 25 mars et 1er avril 2011 sur France 2.
Avec Pierre Cassignard, Julie Debazac, Arnaud Binard, Alexandre Steiger, Hubert Benhamdine, Sören Prevost, Cassandre Vittu, Jacques Fontanel
À Paris, dans les années 1920, à l’intérieur d’un grenier poussiéreux de la PJ parisienne, un laboratoire de police unique au monde prend forme. Julien Valour, policier torturé mais visionnaire, est aux commandes de cette unité très spéciale. Il est accompagné de Léa Perlova, une experte scientifique indépendante et féministe, Pierre Cassini, un flic de terrain à l’ancienne, Marius Delcourt, un policier doué pour les inventions en tout genre, Martello, un jeune flic idéaliste, et Pauline Kernel, une jeune bourgeoise qui fait ses premiers pas comme médecin légiste. Avec la volonté des pionniers, ces hommes et ces femmes se battent sans relâche pour imposer leurs nouvelles méthodes… Ils tentent de faire perdurer cette unité dont l’existence est régulièrement remise en cause par la police classique…
Allez… Petit retour au temps des pionniers où la France fut le berceau historique de cette police d’un nouveau genre…
Une série à l’esthétique soignée, aux personnages charismatiques voire drôles (le duo Marius et Martello)
La série trouve d’abord son originalité dans sa créativité visuelle : décors soignés,ambiance vaporeuse, le tout sur fond de musique pop et trip-hop
Outre les enquêtes bien ficelées qu’elle nous fait suivre, Empreintes Criminelles a le mérite de nous éclairer sur la naissance d’une nouvelle ère de la Police Criminelle.
Bon ok, les scénaristes jouent un peu avec la réalité historique. Le premier labo de police scientifique a vu le jour à Lyon.
Mais bon, là nous sommes dans Le Paris des années 1920. Et c’est à cette période de l’après guerre que les agents de la police française commencent à utiliser des méthodes scientifiques pour confondre les délinquants et criminels. À l’intérieur d’un grenier poussiéreux de la PJ parisienne, un groupe forme un laboratoire de police unique au monde, et marque les débuts de la police technique et scientifique.
Le personnage de Julien Valour est basé sur la vie du scientifique Edmond Locard, fondateur du premier laboratoire de police scientifique au monde (1910).
Je vous reparlerai bientôt de Locard, c’est certain , mais revenons à notre série…
La série compte donc, six épisodes.
Une deuxième saison avait été commandé par la chaîne TV mais elle n’a jamais vu le jour !
Pourtant le premier épisode de cette saison 2 été écrit par Lionel Olenga et Laurent Scalese. Cet épisode d’ouverture devait répondre aux questions posées à la fin de la saison 1 car il est vrai que le final de la première saison laisser un commissaire Valour en bien mauvaise posture et une unité dissoute…
Les autres épisode eux aussi ont été écrit comme le précise Lionel Olenga un des directeurs de la collection » Ces épisodes 7 à 12 existent. Des auteurs les ont scénarisés, d’abord sous forme de synopsis, puis de séquenciers et enfin… d’une première version de continuité dialoguée. »
Mais France 2 a décidé la non-reconduction de la série. Pour mon plus grand regret.
Il parait qu’elle n’a pas eu assez d’audience. Pourtant 3,2 millions de spectateur ça me parait un bon début non.
Maintenant France 2 aurait peut-être du la programmé différemment plutôt que ce passage éclair sur 2 soirée. Trois épisodes à la suite, ça fait beaucoup, non ? Surtout ça fait finir trop tard une soirée pour les personnes qui bossent tôt le lendemain. Et puis pourquoi regarder la seconde soirée si on a déjà loupé la moitié de la série.
C’est vraiment dommage ce gâchis. Mais bon, vous pouvez la voir en streaming. Car visiblement il n’y a pas eu de production DVD ! Là aussi dommage !
Allez pour vous donnez envie : quand « Les Experts » rencontrent « Les Brigades du Tigre »
Alors survint une rencontre qui allait enfin le mettre en contact avec le reste du monde. Il fit la connaissance de Christopher Morcom, un garçon de l’internat de Ross. Alan avait déjà remarqué Morcom en 1927 et avait été très frappé par l’apparence de ce garçon, ne fût-ce qu’en raison de sa très frêle constitution. Blond et mince, il avait un an de plus qu’Alan et était dans la classe supérieure. Alan voulait « regarder son visage attirant ». D’ailleurs, plus tard dans l’année, Christopher s’absenta de l’école et revint, comme le nota Alan, le visage émacié. Ce dernier partageait avec Alan une véritable passion pour la science, tout en étant profondément différent. Les institutions qui constituaient autant d’obstacles pour Alan devenaient pour Christopher Morcom les instruments d’une réussite facile et la source même d’une multitude de prix, de bourses et de louanges.
La profonde solitude d’Alan se déchirait enfin. Il ne se montrait pas très doué pour la conversation, cependant il trouva un terrain d’entente grâce aux mathématiques. « Pendant ce trimestre, Chris et moi avons commencé à échanger autour de nos problèmes favoris et à discuter de nos méthodes. » Il serait bientôt impossible de séparer les différents aspects de la pensée et du sentiment. Christopher allait être son premier amour masculin, le premier d’une longue série. C’était une relation empreinte d’abandon de soi – Alan « vénérait le sol que Christopher foulait »… « Tous paraissaient tellement ordinaires à côté de lui. » En même temps, il était extrêmement important que Christopher prenne les idées scientifiques de son ami au sérieux. « Les principaux souvenirs que j’ai gardés de Chris concernent presque exclusivement les choses gentilles qu’il me disait parfois. »
C’est donc sans doute avant et après les cours d’Eperson que Christopher et Alan commencèrent à parler de la relativité ou bien qu’Alan lui montra certains de ses travaux – il avait par exemple calculé π à la trente-sixième décimale. Au bout de quelque temps, Alan découvrit une autre possibilité de rencontrer Christopher. Il apprit, par hasard, que le mercredi après-midi Chris se rendait à la bibliothèque, au lieu de rejoindre l’étude de son internat (Ross ne permettait pas aux élèves de travailler ensemble sans surveillance, craignant les amitiés particulières…) « J’appréciais tant la compagnie de Chris que je pris moi aussi l’habitude d’aller à la bibliothèque au lieu de travailler à l’étude », avoua Alan.
Puis il y eut bientôt le club de musique créé à l’initiative du progressiste Eperson. Christopher, pianiste émérite, en était un membre assidu. Alan n’était guère mélomane, mais certains dimanches après-midi, il se laissait traîner par Blamey jusqu’aux appartements d’Eperson. Il s’installait alors et, au son haché des symphonies que délivraient les 78 tours, jetait à la dérobée des regards vers Chris. Cela faisait incidemment partie des efforts louables de Blamey pour montrer à Alan qu’il existait autre chose dans la vie que les mathématiques. Ayant remarqué que son protégé ne disposait que de peu d’argent de poche, Blamey lui apprit également à fabriquer un poste à galène et Alan fut ravi de découvrir que ses mains malhabiles étaient capables de faire quelque chose qui fonctionnait, même s’il ne pourrait jamais espérer rivaliser d’adresse avec Christopher.
À Noël, Eperson rapporta :
« On a passé ce trimestre, et on passera les deux suivants à combler les nombreux trous dans ses connaissances et à les organiser. Il a l’esprit très vif et est capable de devenir “brillant”, cependant son travail est encore un peu brouillon. Il se laisse rarement décourager par un problème, néanmoins ses méthodes sont souvent grossières et désordonnées. La minutie et la perfection viendront sans aucun doute avec le temps. »
Il aurait certainement trouvé le diplôme d’études secondaires très ennuyeux, par rapport à l’étude des travaux d’Einstein. Toutefois il se souciait davantage d’être à la hauteur de ce qu’on attendait de lui, maintenant que Christopher avait fait « nettement mieux » à l’examen de fin de trimestre. En janvier 1929, Alan put enfin suivre tous les cours de première et se retrouva donc constamment avec Christopher. Il s’arrangea pour être assis à côté de lui à chaque fois. Alan écrivit :
« Christopher fit quelques-unes des remarques que je redoutais à propos de la coïncidence, mais sembla m’accueillir d’une manière passive. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que nous commencions à faire des expériences de chimie ensemble et à échanger nos idées sur toutes sortes de sujets. »
Malheureusement, Christopher prit froid et fut absent du collège durant presque deux mois et Alan ne put travailler avec lui.
« Le travail de Chris était toujours meilleur que le mien parce qu’il était très méticuleux. Il était très intelligent, et ne négligeait jamais le moindre détail, il ne commettait ainsi que très peu d’erreurs de calcul. Lors des travaux pratiques, il avait un don pour toujours découvrir la meilleure méthode possible. Par exemple, il savait estimer la durée d’une minute à une demi-seconde près. Il lui arrivait parfois d’apercevoir la planète Vénus en plein jour. Naturellement, il avait une excellente vue, mais ce genre d’anecdote est très révélatrice de sa personnalité. Il avait également beaucoup de talents pour les choses du quotidien, comme conduire, se battre et jouer au billard. Il était impossible de ne pas admirer de telles aptitudes, et je rêvais d’avoir les mêmes. Chris était toujours très fier de ses performances, et je crois que ce fut ce qui éveilla mon esprit de compétition et me donna envie de faire quelque chose susceptible de susciter son admiration. Cette fierté s’étendait à ses affaires. Il n’hésitait jamais à vanter les vertus de son stylo à plume, au point de me faire saliver avant de comprendre qu’il tentait de me rendre jaloux. »
Avec un peu d’inconséquence, Alan ajouta également :
« Chris m’a toujours semblé très modeste. Par exemple, il ne disait jamais à M. Andrews que ses idées n’étaient pas réfléchies, alors qu’il en avait régulièrement l’occasion. Plus particulièrement, il détestait vraiment froisser qui que ce soit, et présentait souvent ses excuses (par exemple à ses professeurs) dans des situations où ce ne serait pas venu à l’idée d’un garçon moyen. »
Les garçons moyens, comme le reconnaissaient toutes les histoires d’école et les magazines, avaient beaucoup de mépris pour ses enseignants. C’était la plus grande contradiction du système. Mais Christopher était au-dessus de tout cela :
« Ce que je trouvais très surprenant chez Chris, c’est qu’il avait un code de moralité très précis. Un jour, il parlait de la dissertation d’un examen, et expliquait comment cela l’avait conduit à aborder le sujet du bien et du mal. D’une certaine manière je n’ai jamais douté que tout ce qu’il faisait était bien, et je crois que ce n’était pas simplement dû à mon admiration sans bornes.
Prenons le langage grossier, par exemple. L’idée que Chris puisse se montrer grossier était simplement ridicule, et, bien sûr j’ignore comment il se comporte avec les autres, mais j’aurais tendance à croire qu’il leur couperait la parole plutôt que de se montrer choqué. Tout cela pour vous expliquer à quel point sa personnalité m’impressionnait. Je me souviens d’un jour où je lui avais fait délibérément une remarque qui n’aurait pas eu sa place dans un salon, et à laquelle personne n’aurait prêté attention à l’école, juste pour voir de quelle manière il allait le prendre. Il me le fit aussitôt regretter, sans même sembler furieux ou suffisant. »
Cependant, en dépit de tant de vertus étonnantes, Christopher Morcom demeurait humain. Il faillit bien avoir des ennuis le jour où, jetant des pierres sur les trains du haut du pont ferroviaire, il toucha par mégarde un cheminot. Il s’amusa aussi à envoyer des ballons remplis de gaz jusqu’au collège de filles de Sherborne, ce qui n’était pas un mince exploit. En outre, les heures qu’ils passaient au laboratoire étaient loin d’être austères. Un troisième larron, un véritable athlète nommé Mermagen, se joignit à eux en physique et ils se retrouvaient tous les trois à faire leurs travaux pratiques dans un réduit annexe sous la surveillance de Gervis. Les cours de ce dernier ne manquaient d’ailleurs pas d’animation en leur présence, toutefois Christopher se demandait s’il n’allait pas opter plutôt pour la musique.
Le trimestre d’été 1929 fut extrêmement studieux car il fallait préparer le baccalauréat. Là encore la présence de Chris éclaira l’univers d’Alan. « Comme toujours, ma grande ambition était de faire aussi bien que Chris. J’avais toujours autant d’idées que lui, mais je ne m’appliquais pas autant à les mener à bien. » Auparavant, Alan n’avait jamais prêté attention aux réflexions qu’on lui faisait pour les petits détails de présentation ou de style, car il n’avait jamais travaillé que pour lui-même. Il s’apercevait maintenant que si Chris trouvait le système valable, c’est qu’il ne devait pas être si mauvais, et qu’il aurait tout intérêt à apprendre à communiquer. Mais il lui restait encore beaucoup à faire. Andrews fit remarquer que son élève « faisait au moins des efforts pour améliorer son style dans les exercices écrits », même si Eperson, tout en notant un progrès prometteur, soulignait encore la nécessité de « rédiger une solution claire et nette sur le papier ». L’examinateur des épreuves de mathématiques du baccalauréat commenta :
« A. M. Turing a fait preuve d’une aptitude remarquable à relever les points les moins évidents qu’il convenait de discuter ou de laisser de côté dans certaines questions, et à découvrir des méthodes permettant d’abréger ou de mettre en lumière les solutions. Cependant il a manqué apparemment de la patience nécessaire à des calculs soignés de vérification algébrique, et son écriture est tellement épouvantable que cela lui a fait perdre beaucoup de points… Parfois parce que son travail en devenait totalement illisible, parfois parce que le fait de ne pas pouvoir se relire lui-même l’a conduit à commettre des erreurs ! Ses dons pour les mathématiques n’ont pas suffi à compenser ses lacunes. »
Alan obtint 1 033 points à ses écrits de mathématiques tandis que Christopher réussit à atteindre 1 436 points.
Les Morcom formaient une famille aisée d’artistes et de scientifiques, et avaient des parts dans une entreprise d’ingénierie dans les Midlands. Ils avaient rénové une demeure jacobine près de Bromsgrove, dans le Worcestershire, et en avaient fait un vaste manoir, le Clock House, où ils vivaient dans un certain luxe. Tout comme le grand-père, le père, Reginald Morcom, travaillait dans une entreprise qui fabriquait des turbines à vapeur et des compresseurs d’air. La mère de Christopher était la fille de sir Joseph Swan, l’inventeur de l’ampoule électrique. À Clock House, Mme Morcom élevait des chèvres. Elle achetait et rénovait des cottages dans le village voisin de Catshill. Tous les jours, elle travaillait sur l’un de ses projets ou pour le comté. Elle avait étudié à Londres, à la Slade School of Art, et y était retournée en 1928, louant un studio et un atelier pour y faire de la sculpture. Fidèle à sa fibre artistique et à son entrain, de retour à la Slade, elle prétendit encore être Miss Swan, mais lorsqu’elle invitait des étudiants à Clock House, elle se déguisait de manière absurde pour incarner Mme Morcom.
Rupert Morcom, le fils aîné, était entré à Sherborne en 1920, puis avait obtenu une bourse pour faire des études scientifiques au Trinity College de Cambridge. Il faisait alors de la recherche à la Technische Hochshule de Zurich. Il était, comme Alan, fou d’expérimentation, et ses parents avaient pu lui faire construire un laboratoire dans leur propriété. Alan ne put dissimuler son envie lorsque Chris, qui lui aussi utilisait maintenant le laboratoire, lui raconta tout cela. Christopher lui parla en particulier d’une expérience que Rupert avait entreprise avant d’aller à Cambridge, en 1925. Elle impliquait l’utilisation d’une vieille connaissance d’Alan : l’iode. Le mélange de solutions d’iodates et de sulfates donnait effectivement un précipité d’iode pur, d’une manière très spectaculaire. « C’est une très belle expérience, expliquera plus tard Alan. On mélange deux solutions dans un bécher et, après avoir attendu un laps de temps très précis, le mélange devient d’un bleu très profond. J’ai pu vérifier qu’il fallait attendre trente secondes puis que la solution devenait bleue en moins d’un dixième de seconde. » Rupert avait cherché l’explication de ce délai, ce qui impliquait une connaissance de la chimie physique et une compréhension des équations différentielles dépassant largement le programme scolaire. Alan raconta :
« Chris et moi voulions trouver la relation entre le temps nécessaire et la concentration des solutions et vérifier ainsi les théories de Rupert. Chris avait déjà commencé quelques expériences sur le sujet et nous attendions beaucoup de nos recherches. Les résultats ne corroborèrent malheureusement pas la théorie. J’ai continué à travailler seul pendant les vacances, puis j’en ai élaboré une nouvelle. Je lui ai alors envoyé les résultats et c’est ainsi que nous avons commencé à nous écrire pendant les vacances. »
Il fit plus qu’écrire à Christopher, il l’invita à Guildford. Ross, en tant que responsable d’internat, aurait été horrifié par une telle audace. Christopher répondit (au bout d’un certain temps), le 19 août :
« … Avant de me mettre à mes expérimentations, je te remercie chaleureusement pour ton invitation, mais je crains de ne pouvoir venir, car nous allons partir durant cette période, probablement à l’étranger, pendant environ trois semaines… Je suis désolé de ne pouvoir venir. C’est très aimable de ta part de me l’avoir proposé. »
Quant aux iodates, ces nouvelles aventures à Clock House les avaient rendus totalement désuets. On y faisait des expériences pour mesurer la résistance de l’air, le frottement des liquides, on tentait d’y résoudre de nouveaux problèmes avec Rupert (« Ci-joint l’intégralité, que vous voudrez peut-être tenter de résoudre. »), on y dessinait les plans d’un télescope de six mètres de long, et…
« … jusqu’à présent, je me suis contenté de fabriquer une machine à additionner les livres et les onces. Elle fonctionne étonnamment bien. Je crois bien que j’ai un peu laissé tomber les maths, pendant ces vacances. J’ai simplement lu un bon livre de physique générale, dans lequel on parlait aussi de la relativité. »
Alan recopia laborieusement l’expérience ingénieuse sur la résistance de l’air qu’avait conçue Christopher, puis il lui répondit avec d’autres idées concernant la chimie et un problème mécanique, néanmoins Christopher ne manqua pas de refroidir ses ardeurs dans une lettre datée du 3 septembre : « Je n’ai pas eu le temps d’étudier soigneusement ton pendule conique, mais je ne comprends pas vraiment ta méthode. Accessoirement, j’ai l’impression qu’il y a une erreur dans tes équations de mouvement…
Je suis actuellement en train d’aider mon frère à fabriquer de la pâte à modeler pour un artiste. Le procédé consiste à la faire bouillir à l’aide de solvants organiques… J’en ai conçu une de plutôt bonne qualité, assez proche du résultat recherché, en mélangeant du savon à de la fleur de soufre, et en y ajoutant un peu de graisse de mouton. J’espère que tu passes de bonnes vacances. On se voit le 21. Amicalement, C. C. Morcom. »
Cependant, la chimie avait surtout cédé le pas à l’astronomie à laquelle Christopher avait déjà initié Alan un peu plus tôt cette année-là. Alan avait reçu de sa mère La Constitution interne des étoiles d’Eddington à l’occasion de son dix-septième anniversaire, et aussi un télescope d’un pouce et demi. Christopher, qui possédait déjà un télescope de quatre pouces dont il ne se lassait jamais de parler, avait, lui, reçu un atlas du ciel pour ses dix-huit ans. Outre l’astronomie, Alan se plongeait aussi dans La Nature du monde physique. Cette paraphrase, tirée d’une lettre du 20 novembre 1929, en témoigne :
« La théorie quantique de Schrödinger exige trois dimensions pour tout électron considéré. Sa théorie va pouvoir expliquer le comportement d’un électron. Il envisage six dimensions, ou bien neuf, ou n’importe quel nombre possible, sans jamais former la moindre image mentale. On peut résumer en disant que pour chaque nouvel électron, on introduit ces nouvelles variables analogues aux coordonnées d’espace. »
Ce passage sortait de la description qu’avait faite Eddington de cette autre révolution des concepts de la physique fondamentale qu’était la théorie quantique, notion autrement mystérieuse que celle de la relativité. Elle avait en effet sonné le glas des corpuscules comparés à des boules de billard ou à des ondes se propageant dans l’éther, pour les remplacer par des entités ayant à la fois les caractéristiques des particules et des ondes.
Eddington avait beaucoup de choses à dire, car les années 1920 avaient été témoins d’une évolution rapide de la physique théorique, et ce grâce à une succession de découvertes à la fin du siècle précédent. En 1929, cela ne faisait que trois ans que le physicien allemand Schrödinger avait formulé sa théorie sur la physique quantique. Nos deux adolescents lurent également les ouvrages de sir James Jeans, astronome de Cambridge, où il était là encore question de toutes nouvelles découvertes. On venait juste d’établir que certaines nébuleuses étaient en réalité des nuages de gaz et d’étoiles proches de la Voie lactée, tandis que d’autres formaient des galaxies tout à fait distinctes. La représentation que l’on se faisait de l’univers avait été multipliée par un million. Alan et Christopher ne se lassaient donc pas de discuter de toutes ces idées, s’opposant bien souvent, « ce qui rendait les choses beaucoup plus intéressantes », commentait Alan. Celui-ci gardait des « bouts de papier portant au crayon les idées de Chris par-dessus lesquelles j’avais griffonné les miennes au stylo. Nous nous amusions à cela même pendant les cours de français ».
Ces idées sont datées du 28 septembre 1929, tout comme un devoir officiel.
Celui-ci était couvert de ronds et de croix, de l’illustration d’une réaction chimique impliquant de l’iode et du phosphore, et d’un diagramme mettant en doute le postulat d’Euclide selon lequel « par un point extérieur à une droite donnée, ne passe qu’une et une seule droite qui lui est parallèle ». Alan conservait ces pages en souvenir, comme substitut aux témoignages de tendresse qu’il ne pouvait espérer. « Il y a des fois où j’ai perçu sa personnalité avec une force particulière, écrivait-il. Je songe à un soir où il attendait devant le labo et où, lorsque je suis arrivé, il m’a saisi avec sa grande main pour m’emmener voir les étoiles. »
Le père d’Alan fut enchanté, sinon incrédule, lorsque les bulletins de son fils commencèrent à changer de ton. Son intérêt pour les mathématiques se limitait aux calculs de ses impôts. Mais comme John, il se sentait fier d’Alan. Il y avait donc toujours eu une méthode sous cette folie apparente ! Contrairement à sa femme, M. Turing ne prétendit jamais avoir la moindre idée de ce que faisait son fils, et ce fut le thème d’un couplet qu’Alan lut un jour dans l’une des lettres de son père :
« I don’t know what the ’ell ’e meant
But that is what ’e said ’e meant!13 »
[J’ignore ce qu’il voulait dire
Mais c’était ce qu’il voulait dire.]
Alan semblait se satisfaire de cette ignorance et de la confiance qu’on lui accordait. Mme Turing, elle, ne se priva pas de répéter qu’elle l’avait « bien dit » et qu’elle avait bien fait de l’envoyer dans ce collège-là. Il convient cependant de reconnaître qu’elle s’était réellement montrée attentive à son fils ; elle n’avait pas seulement cherché à le faire progresser moralement, elle aimait croire qu’elle pouvait comprendre son amour pour la science.
Alan se retrouvait maintenant en situation d’envisager une bourse pour l’Université. Christopher, maintenant âgé de dix-huit ans, était censé obtenir une bourse pour le Trinity College, comme son frère. Il était assez ambitieux de la part d’Alan de la tenter aussi avec un an de moins. Le Trinity College était la faculté de sciences et de mathématiques qui avait la meilleure réputation dans l’université de Cambridge – elle-même classée deuxième centre scientifique du monde après Göttingen en Allemagne.
Les public schools constituaient une bonne préparation aux examens d’entrée des grandes universités, et Sherborne octroya également à Alan un subside de trente livres par an. Cependant le tapis rouge n’était pas déroulé pour autant. En effet, les épreuves pouvaient porter sur n’importe quel sujet, une part étant laissée à l’imagination. Un avant-goût de ce que serait la vie. L’examen en lui-même excitait déjà beaucoup Alan, mais la certitude que Christopher quitterait Sherborne au plus tard à Pâques 1930 le minait. Ne pas obtenir cette bourse signifiait perdre Christopher pendant au moins un an. Peut-être cette incertitude fut-elle la cause des pressentiments qui l’assaillirent pendant tout le mois de novembre : quelque chose, il le sentait, se produirait avant Pâques et empêcherait Chris d’aller à Cambridge.
Ces examens offraient la perspective de toute une semaine à passer en compagnie de Chris sans la contrainte des internats. « J’avais autant hâte de passer une semaine avec Chris que de voir Cambridge. » Le vendredi 6 décembre, Victor Brookes, un camarade de classe de Christopher qui devait se rendre de Londres à Cambridge en voiture, proposa à Alan et Christopher de les accompagner. Le jour venu, ils se rendirent tous deux à Londres en train et s’y arrêtèrent quelques heures pour rendre visite à Mme Morcom dans le petit studio qui lui servait d’atelier de sculpture, puis ils déjeunèrent avec elle à son appartement. Christopher aimait beaucoup taquiner Alan, et avait une plaisanterie récurrente à propos de « trucs mortels », prétendant que certaines substances en apparence inoffensives étaient de véritables poisons. Il lui soutenait que les couverts de sa famille, avec leur alliage particulier contenant du vanadium, étaient « absolument mortels ».
Une fois à Cambridge, ils purent mener pendant une semaine l’existence de vrais gentlemen, avec chambres personnelles et sans extinction des feux. Le dîner se passait dans la salle du Trinity College, en tenue de soirée et sous le portrait scrutateur de Newton. C’était l’occasion de rencontrer des candidats venus d’autres collèges et de pouvoir se comparer avec eux. Alan fit une nouvelle connaissance, Maurice Pryce, avec qui il eut un contact facile grâce à des intérêts très similaires en sciences et en mathématiques. Pryce tentait l’examen pour la seconde fois. L’année précédente, il s’était assis sous le portrait de Newton et s’était dit que rien d’autre ne pourrait le satisfaire. Et même si Christopher se montrait toujours un peu blasé de tout, c’était bien ce qu’ils ressentaient tous les trois : dorénavant tout serait différent.
D’après Alan, ce fut un « excellent repas ». Ensuite, ils allèrent :
« jouer au bridge avec d’autres élèves de Sherborne dans le Trinity Hall. Nous étions censés rentrer à 22 heures, mais à 21 h 56 Chris voulut jouer une nouvelle main. J’ai refusé, et nous sommes rentrés juste à temps. Le lendemain, le samedi, nous avons de nouveau joué aux cartes – au rami cette fois. Après 22 heures, Chris et moi avons continué à jouer à d’autres jeux. Je me souviens parfaitement de son grand sourire quand nous avons décrété que nous n’irions pas nous coucher tout de suite. Nous avons joué jusqu’à minuit et quart. Quelques jours plus tard, nous avons tenté d’entrer dans l’observatoire. Un ami astronome de Chris nous avait invités à passer quand bon nous semblerait. Mais le meilleur moment pour nous n’était manifestement pas le meilleur pour lui. »
Alan et Chris passèrent leurs soirées à jouer aux cartes jusqu’à des heures tardives. Christopher adorait les jeux et en trouvait toujours de nouveaux. Il aimait aussi « essayer de faire croire aux gens des choses invraisemblables ». Ils allèrent au cinéma avec Norman Heatley, ancien ami de Chris de l’école préparatoire, alors étudiant à Cambridge. Christopher lui raconta la façon originale qu’Alan avait de faire ses calculs, et comment il les traduisait en formules classiques lors des examens. Cet aspect de l’indépendance d’Alan inquiétait aussi Eperson qui trouvait que « ses solutions sont souvent peu orthodoxes sur la copie, ce qui exige du lecteur un effort d’élucidation ». Il doutait fort que les examinateurs de Cambridge cherchassent à percer sa singularité intellectuelle.
En rentrant du cinéma, Alan resta délibérément en retrait avec Heatley afin de vérifier à quel point Chris désirait vraiment sa compagnie.
« De toute évidence, je me sentais plutôt seul quand Chris m’appela (avec ses regards insistants) pour venir marcher à ses côtés. Il savait très bien à quel point je l’appréciais, mais il détestait que j’en fasse la démonstration. »
Alan avait conscience que leur amitié pouvait prêter à commentaire : « Nous ne faisions jamais de balades à bicyclette ensemble et je crois que Chris devait se faire un peu chahuter à cause de moi à l’internat. » Mais cela lui faisait d’autant plus plaisir.
Après avoir passé, selon Alan, la semaine la plus heureuse de sa vie, les deux garçons rentrèrent au collège le 13 décembre pour y terminer le trimestre. Au dîner, ils entonnèrent un chant à propos d’Alan :
« Le cerveau du mathématicien ne trouve que rarement le sommeil dans son lit,
Calculant sans cesse des logarithmes et faisant constamment de la trigonométrie. »
Les résultats furent publiés cinq jours plus tard dans le Times, juste après la fin des cours. Cruelle déception : Christopher était reçu au Trinity College, mais pas Alan. Alan le félicita, et Christopher lui répondit :
« 20/12/29
Cher Turing,
Merci beaucoup pour ta lettre. J’étais aussi navré que tu n’obtiennes pas cette bourse que j’étais ravi de l’avoir décrochée.
J’ai profité de deux nuits parfaitement dégagées. C’est la première fois que je vois aussi bien Jupiter. J’ai pu distinguer cinq ou six ceintures, et même des détails sur l’une des plus grosses, au centre. La nuit dernière, j’ai vu un satellite sortir d’éclipse. Il est apparu brusquement, pendant quelques secondes, à quelque distance de Jupiter, et m’a semblé très joli. C’est la première fois que j’en vois un. J’ai également aperçu la nébuleuse d’Andromède. Très distinctement, mais pas très longtemps. J’ai aussi vu le spectre de Sirius, Pollux et Bételgeuse, ainsi que la brillante nébuleuse d’Orion. Je suis actuellement en train de concevoir un spectrographe. Je te réécrirai plus tard. Joyeux Noël, etc. Amicalement, C. C. M. »
Chez lui, à Guildford, jamais Alan n’aurait eu les moyens nécessaires à la « conception d’un spectrographe », mais il avait mis la main sur un vieil abat-jour sphérique en verre. Il l’avait rempli de plâtre, couvert de papier (ce qui le fit réfléchir à la nature des surfaces courbes), et entreprit d’y indiquer les constellations d’étoiles fixes. Pour ne pas changer, il se contenta de sa propre observation du ciel nocturne, même s’il aurait été plus aisé, et plus fiable, de se servir d’un atlas. Il s’obligea à se lever à 4 heures du matin pour pouvoir repérer certaines étoiles non visibles le soir dans le ciel de décembre. Un jour, il réveilla même sa mère, qui crut à la présence d’un cambrioleur. Lorsqu’il en eut terminé, il écrivit à Christopher pour lui faire part de son expérience, profitant de l’occasion pour lui demander s’il pensait qu’il était préférable qu’il fasse une demande pour une autre université l’année suivante. S’il s’agissait d’un test d’affection, il en fut de nouveau récompensé, car Christopher lui répondit :
« 05/01/30
Cher Turing,
… Je ne peux vraiment pas te donner ce genre de conseil, car ce type de décision t’appartient entièrement, et je crois qu’il ne serait pas juste de m’en mêler. John est une excellente université, mais naturellement, je préférerais personnellement que tu viennes à Trinity, où je pourrais te voir plus souvent.
Ça m’intéresserait beaucoup de voir ta carte du ciel quand tu l’auras terminée, mais j’imagine que tu risques d’avoir du mal à l’apporter. J’ai souvent eu l’idée d’en fabriquer une, cependant je n’en ai jamais pris la peine, surtout maintenant que je dispose d’un atlas qui va jusqu’à Mag 6.
Dernièrement, j’ai tenté de découvrir des nébuleuses. On en a aperçu de belles, l’autre nuit, notamment une nébuleuse planétaire de Mag 7 dans la constellation du dragon. Avec une lunette de dix pouces. Nous avons aussi tenté de trouver une comète de Mag 8 dans la constellation du dauphin… Ce serait bien si tu pouvais mettre la main sur un bon télescope, parce que celui d’un pouce et demi te sera complètement inutile pour un si petit objet. J’ai essayé de calculer son orbite, mais j’ai lamentablement échoué avec onze équations irrésolues et dix inconnues à éliminer.
J’ai continué à faire de la pâte à modeler. Rupert a fabriqué du savon et des acides gras qui sentent très mauvais à partir d’huile de colza et de cirage… »
Chris a rédigé cette lettre chez sa mère, à Londres, où il devait « voir le dentiste… et aussi échapper à un bal à la maison ». Le lendemain, il lui écrivit de nouveau, à Clock House, cette fois :
« J’ai trouvé la comète tout de suite, à la position prévue. C’était nettement plus évident et intéressant que je l’aurais pensé. Je dirais qu’elle est presque à Mag 7. Tu devrais pouvoir la repérer avec ton télescope. Le meilleur moyen, c’est d’apprendre par cœur les étoiles de Mag 4 et 5, et ensuite de te déplacer lentement vers le bon endroit, sans perdre de vue toutes les étoiles connues… Dans une demi-heure, je retournerai y jeter un coup d’œil si le ciel est de nouveau dégagé (il vient de s’assombrir), pour voir si je peux estimer son déplacement au milieu des étoiles, et aussi pour voir à quoi elle ressemble avec un gros oculaire (×250). Les cinq étoiles de Mag 4 dans la constellation du Dauphin sont visibles par paires. Amicalement, C. C. Morcom. »
Or Alan avait déjà découvert la comète, même si c’était grâce à une méthode moins rigoureuse.
« 10/01/30
Cher Morcom,
Merci beaucoup pour tes indications pour trouver la comète. Dimanche, je crois bien l’avoir aperçue. J’observais la constellation du Dauphin, croyant que c’était celle du Petit Cheval, mais j’ai repéré quelque chose comme ça [un minuscule croquis], un peu flou, d’environ un mètre de long. J’ai bien peur de ne pas l’avoir étudiée très attentivement. J’ai ensuite cherché la comète ailleurs, dans la constellation du Petit Renard, en pensant qu’il s’agissait de celle du Dauphin. J’avais lu dans The Times qu’il y avait une comète dans la constellation du Dauphin, ce jour-là.
… Le temps n’est vraiment pas idéal pour étudier cela. Aussi bien mercredi qu’aujourd’hui, j’ai pu profiter d’un ciel dégagé jusqu’au coucher du soleil, mais il s’est rapidement couvert au-dessus de la région d’Aquila. Mercredi, le ciel s’est éclairci juste après que la comète eut disparu…
Amicalement, A. M. Turing
Je t’en prie, ne me remercie pas chaque fois si religieusement pour mes lettres. Tu auras le droit de me remercier quand je les rédigerai de manière lisible (si jamais ça arrive un jour), si ça te fait plaisir. »
Alan reporta la course de la comète filant d’Equuleus vers Delphinus dans les cieux glacés. Puis il emporta son globe céleste avec lui au collège pour le montrer à Christopher. Blamey les avait quittés à Noël et Alan devait maintenant partager une autre chambre, où le globe fut exposé. Il ne présentait encore que peu de constellations, mais celles-ci suffirent à émerveiller les plus jeunes.
Trois semaines après la reprise des cours, le 6 février, un groupe de chanteurs se produisit en concert au collège. Alan et Christopher vinrent tous les deux les écouter et Alan ne quitta pas son ami des yeux de toute la soirée en se répétant : « Ce n’est pourtant pas la dernière fois que tu vois Morcom. » Cette nuit-là, il se réveilla en sursaut. L’horloge de l’abbaye sonna trois heures moins le quart. Alan se leva et alla à la fenêtre du dortoir pour observer les étoiles. Il lui arrivait souvent de se coucher avec son télescope afin de pouvoir contempler d’autres mondes pendant la nuit. La lune se couchait derrière l’internat de Ross et Alan songea que cela pouvait signifier un « au revoir » adressé à Morcom.
Christopher tomba gravement malade à cette heure précise et fut conduit en ambulance à Londres où il subit deux opérations. Il mourut à midi, le 13 février 1930, après six jours d’agonie.
Les Merveilles de la Nature expliquaient que le corps humain constituait une véritable « pharmacie vivante ». C’est ainsi que Brewster décrivait les effets des hormones récemment découvertes, grâce auxquelles « chaque partie du corps » pouvait communiquer avec les autres par des messages chimiques, sans avoir à passer par le système nerveux. C’est pendant l’année 1927 – il avait quinze ans –, qu’Alan atteignit sa taille adulte, pendant que d’intéressantes métamorphoses intervenaient en lui.
C’était également l’âge traditionnel de la confirmation, et Alan la reçut le 7 novembre 1927. Comme l’engagement dans les bataillons scolaires, celle-ci faisait partie de ces obligations pour lesquelles chacun devait se porter volontaire. Alan croyait néanmoins en sa signification, ou du moins en quelque chose, lorsqu’il s’agenouilla devant l’évêque de Salisbury pour renoncer au monde, à la chair et au diable. Le directeur, profita cependant de l’occasion pour remarquer :
« J’espère qu’il prend sa confirmation au sérieux. Si oui, il ne se satisfera plus de négliger les tâches évidentes pour se consacrer à ses propres passions, si bonnes soient-elles. »
Pour Alan, avoir à traduire des phrases stupides en latin, faire briller les boutons de sa tunique du bataillon et autres « tâches » semblables n’apparaissait pas si « évident ». Il avait sa propre idée de ce qui était sérieux ou non. Les paroles du directeur auraient mieux convenu à la conformité ambiante, au sujet de laquelle Alec Waugh écrivait :
« Comme c’est le cas pour la plupart des garçons, la confirmation de Gordon n’a eu que peu d’effet sur lui. Il n’était pas athée. Il a accepté la chrétienté de la même manière qu’il a accepté la doctrine du parti conservateur. Tous les gens bien y croient, c’était donc forcément une bonne chose. En même temps, cela n’a pas eu la moindre influence sur son comportement. S’il avait une religion à l’époque, c’était celle du football. »
Ces paroles étaient audacieuses pour un journal paru en 1917. Ce fut en raison de ce genre de remarques que The Loom of Youth fut interdit à Sherborne, et que tout garçon surpris en sa possession se faisait immédiatement corriger.
Pourtant, même si c’était dans un style différent, l’auteur renégat n’en disait pas moins que le directeur :
« Cela dit, je n’attaque pas le système scolaire privé. Je crois en sa grande valeur, et surtout dans sa faculté à inculquer le devoir, la fidélité et le respect des lois. Mais il n’échappe pas aux dangers qui menacent tout système fondé sur la discipline, le danger de succomber à la routine, à des sentiments préfabriqués, de vouloir accéder à un désir d’indépendance servile, ou devrais-je dire moutonnier. Le système est incapable d’échapper à ces dangers, poursuivit-il, mais nous sommes en mesure de les surmonter si nous nous en donnons les moyens. »
Il était toutefois très difficile d’aller à contre-courant d’une organisation entière. Comme le notait Nowell Smith : « De toutes les sociétés, rares sont celles qui sont aussi définies et faciles à comprendre qu’un collège comme celui-ci… Nous vivons tous la même existence, sous une même discipline. Notre vie est organisée avec une extrême minutie et cette organisation est orientée vers un but bien précis… » Et le directeur de poursuivre en disant que « les élèves, quelle que soit l’originalité qu’ils puissent avoir en tant qu’individus, observent une conduite conventionnelle au plus haut degré. » Nowell Smith n’avait pas l’esprit étriqué et parvenait à concilier son système éducatif avec son amour pour la poésie.
Toutefois cette volonté de favoriser une certaine indépendance de caractère à l’intérieur du système se trouvait parfois confrontée à des problèmes d’ordre sexuel
Dans ces pensions de garçons, les contacts entre élèves se chargeaient d’une sorte de tension sexuelle, due aux interdictions de se lier avec d’autres garçons hors de son groupe.
Nowell Smith déplorait qu’il existât « une forme de langage convenant à la maison ou en la présence d’un professeur et un autre dans les dortoirs ou à l’étude ». Il est expliqué dans Les Merveilles de la Nature que :
« Il est communément admis que l’on réfléchit avec nos méninges. C’est le cas. Mais ce n’est pas tout. Le cerveau est divisé en deux parties, exactement comme le corps. En fait, les deux hémisphères du cerveau se ressemblent encore plus que nos deux mains. Néanmoins, nous ne nous servons que d’une de ses moitiés pour réfléchir. »
C’est Alec Waugh qui a prétendu que Sherborne dispensait un enseignement faisant – métaphoriquement parlant – appel aux deux hémisphères du cerveau, et ce de manière indépendante. La « réflexion » mettait à contribution l’un d’eux, tandis que la vie ordinaire faisait appel à l’autre. Ce n’était pas de l’hypocrisie, c’était pour éviter que l’on confonde ces deux univers. Cela fonctionnait parfaitement, et ne se déréglait que lorsque se produisait un événement qui concernait les deux mondes. Ensuite, comme le disait Waugh avec une certaine délicatesse, le véritable crime était de se faire prendre.
En 1927, l’école avait quelque peu modifié sa façon de voir les choses. Quand les garçons lisaient The Loom of Youth (ce qui était évidemment le cas, puisque c’était interdit), ils étaient plutôt étonnés par la tolérance dont le journal faisait preuve à l’égard de la sexualité. Lorsqu’une équipe sportive rencontrait celle d’un collège concurrent, les joueurs de Sherborne pouvaient s’étonner de la liberté dont jouissaient leurs adversaires. Pourtant tous les principes de Nowell Smith étaient incapables d’empêcher les messages de circuler dans son établissement, et les bains froids eux-mêmes ne suffisaient pas à faire taire les conversations grivoises.
Alan Turing était un garçon d’un caractère indépendant, mais le sujet interdit lui posait des problèmes inverses de ceux du directeur. Pour la plupart des garçons, le « scandale » se résumait à quelques railleries vite oubliées qui brisaient un peu la monotonie du collège. Pour le jeune Turing, le centre même de l’origine de la vie était en cause. En effet, même s’il était maintenant au courant de la façon dont se reproduisaient les oiseaux et les abeilles, le mystère de la naissance des bébés restait entier. Cependant, Sherborne avait fait découvrir à Alan un secret dont le monde extérieur n’était pas censé connaître l’existence. C’était même devenu son secret : Alan ne se sentait attiré et séduit que par ceux de son propre sexe.
C’était un garçon très sérieux, toutefois il ne pouvait se vanter d’être quelqu’un de « conventionnel au plus haut degré », et il en souffrait. Pour lui, chaque chose devait avoir une raison ; chaque problème devait trouver une solution et une seule. Et Sherborne ne l’aidait pas à résoudre le sien. Le collège lui permettait seulement de renforcer encore ses certitudes. Pour être indépendant, il lui faudrait donc se frayer un chemin entre les règles officielles et officieuses car, à Sherborne, les merveilles de la Nature qui auraient dû illuminer sa vie devenaient « sales » et « dégoûtantes ».
Si Nowell Smith concevait parfois quelques réserves touchant au système des public schools, le professeur principal d’Alan, un certain A. H. Trelawny Ross, n’était, certes pas, assailli par les mêmes doutes. Il avait fait sa scolarité à Sherborne puis y était revenu sitôt ses études terminées en 1911 : il n’apprit ni n’oublia quoi que ce soit en trente années de chargé d’internat. Ennemi juré du « laisser-aller », il ne partageait en rien les scrupules de son directeur concernant la servilité des élèves.
Son style contrastait également avec celui de Nowell Smith. En 1928, sa « lettre d’établissement » débutait ainsi :
« J’ai un compte à régler avec mon capitaine de foyer (qui fait 1,50 m). Il est allé raconter à tout le monde que j’étais misogyne. Ce bobard a été lancé il y a quelques années par une dame qui ne me trouvait pas suffisamment démonstratif. En fait, je considère la misogynie comme un problème mental, de même que la misandrie, qui est monnaie courante… »
Nationaliste à l’esprit étroit, Ross n’avait pas suffisamment retenu les leçons de loyauté envers le collège, et il s’intéressait bien peu à sa classe. Il donnait cependant à ses élèves le bénéfice de son savoir et de son expérience de la vie. Il enseignait la traduction latine une semaine, la prose latine une autre, et l’anglais la suivante. Cette dernière matière lui donnait l’occasion d’apprendre à ses élèves l’orthographe, la manière « de commencer, de rédiger et d’adresser » une lettre, « comment faire un résumé », « comment est construit un sonnet et comment obtenir de bons essais écrits clairs et intelligents ».
Ross considérait qu’« à mesure que la démocratie avance, la morale et les bonnes manières reculent ». Il soutenait que la défaite de l’Allemagne était due au fait qu’elle privilégiait la science et le matérialisme à la pensée et la pratique religieuses. Il qualifiait les sujets scientifiques de « poudre aux yeux » et avait même coutume de dire avec un reniflement de mépris : « Cette pièce empeste les mathématiques ! Allez me chercher une bombe désinfectante ! »
Alan s’entêtait pourtant à utiliser son temps à ce qui l’intéressait le plus. Ross le surprit un jour à faire de l’algèbre pendant l’heure d’« instruction religieuse », et il écrivit :
« Je peux encore pardonner son écriture, bien que ce soit la pire que j’aie jamais vue, et je m’efforce de considérer avec tolérance son inexactitude [illisible] et son travail sale et bâclé… mais je ne peux pas pardonner la stupidité dont il fait preuve dès qu’il s’agit d’une saine discussion autour du Nouveau Testament. »
Dès décembre 1927, Ross le classa dernier en anglais et en latin, joignant à son bulletin une page couverte de taches d’encre et de ratures qui montrait combien peu de soin Alan consacrait à ces matières. Néanmoins, Ross fut contraint d’avouer qu’il aimait quand même bien le garçon, tandis qu’O’Hanlon reconnaissait au petit Turing un sens de l’humour qui le sauvait. Les expériences d’Alan fatiguaient tout le monde, néanmoins ses trouvailles scientifiques, sa façon de se moquer de sa propre maladresse, sa candeur et sa simplicité emportaient l’affection de tous. Sans doute n’était-il pas très malin en ne tentant pas de se rendre la vie plus facile ; sans doute se montrait-il paresseux et quelque peu prétentieux lorsqu’il pensait savoir ce qui lui convenait le mieux, mais il ne s’agissait pas tant chez lui de rébellion que d’incompréhension devant des exigences si éloignées de ses centres d’intérêt. Jamais non plus il ne se plaignait à ses parents de son séjour à Sherborne. Il semble qu’il considérait à juste titre cet épisode comme une étape inéluctable de la vie.
On pouvait l’apprécier personnellement, mais en tant qu’élément du groupe, c’était une autre histoire. À Noël, en 1927, le directeur écrivit :
« C’est le genre de garçon destiné à poser des problèmes dans n’importe quelle école ou communauté, car il est asocial. Cependant je reste persuadé qu’il a de bonnes chances de développer ses dons au sein de notre communauté et d’y apprendre un certain art de vivre. »
Nowell Smith prit alors brutalement sa retraite, probablement ravi de faire ses adieux. Son successeur s’appelait Charles Lovell Fletcher Boughey, et avait été professeur assistant à Marlborough. Le départ du directeur coïncida avec la mort de Carey, le responsable des sports. À eux deux, le « chef » et le « taureau » avaient divisé l’école en deux mondes distincts, celui des « hommes » et celui des « groupes », qu’ils dirigeaient respectivement depuis une vingtaine d’années. Ce fut Ross, ce personnage si rébarbatif, qui remplaça Carey.
Le début d’année 1928 vit également quelques modifications dans la vie d’Alan. Son maître d’internat demanda à Blamey, garçon sérieux et plutôt solitaire d’un an de plus qu’Alan, de partager la chambre de ce dernier. Blamey était censé aider Alan à rentrer dans la norme et lui montrer qu’il existait autre chose dans la vie que les mathématiques. Cela mit le malheureux Blamey dans des situations embarrassantes. Alan avait en effet « un merveilleux pouvoir de concentration et s’absorbait toujours dans quelque problème abstrait ». Blamey considérait alors de son devoir de l’interrompre pour lui signaler qu’il était l’heure de l’office, du sport ou de tel ou tel cours, car c’était un garçon gentil et bien intentionné. À Noël, O’Hanlon avait écrit à propos d’Alan :
« Il est exaspérant et il devrait commencer à comprendre qu’il m’est complètement égal qu’il soit en train de faire bouillir Dieu seul sait quelle potion sur le rebord de sa fenêtre à l’aide de deux bougies. Toutefois, il a encaissé ses malheurs avec bonne humeur, et s’est sans aucun doute attiré de nouveaux ennuis, notamment en éducation physique. Je garde pourtant espoir. »
Le seul regret d’Alan au sujet de ses « potions » était que O’Hanlon n’avait « pas pu voir leurs jolies couleurs, dues à l’embrasement de la vapeur produite par la cire surchauffée ». Alan était toujours aussi fasciné par la chimie, pour autant cela ne l’intéressait pas de la pratiquer comme tout le monde. En mathématiques et en sciences, ses résultats ne s’amélioraient pas. Ses devoirs souffraient constamment d’un « manque de précision, de clarté et d’un style déplorable ». « Affreusement peu soigné tant du point de vue de l’écriture que du travail expérimental », peut-on lire sur ses bulletins qui continuaient de refléter son inaptitude à communiquer, tout en admettant que l’élève était « très prometteur ». « La présentation de son travail est toujours épouvantable, écrivit O’Hanlon, et cela retire une grande partie du plaisir qu’on devrait avoir à sa lecture. » « Il ne comprend pas ce que signifie mal se tenir, mal écrire, ni même ce que sont des chiffres brouillons. » Parallèlement, Ross le fit passer dans la classe supérieure, mais il demeurait toujours parmi les derniers au printemps 1928. « Il a l’esprit plutôt chaotique en ce moment et éprouve de grandes difficultés à s’exprimer », commenta son professeur principal. « Il devrait lire davantage », ajoutait-il, peut-être plus clairvoyant que Ross.
La question était de savoir s’il pourrait passer son diplôme d’études pour continuer jusqu’en première. O’Hanlon et ses professeurs de sciences voulaient qu’il essaie, mais les autres s’y opposaient. La décision finale revenait au nouveau directeur, Boughey, qui ne connaissait rien d’Alan et qui faisait déjà l’objet de nombreuses critiques.
Le responsable de la terminale classique n’était plus automatiquement désigné directeur de l’établissement. Les élèves chargés de maintenir la discipline avaient été outrés quand il avait sermonné tout l’établissement pour sa façon grossière de s’exprimer. Le personnel fut horrifié lorsqu’il décréta devant toute l’école qu’il refusait que l’on érige un mémorial en hommage à Carey dans la chapelle. Cet incident scella son sort.
Qu’il s’agisse d’une cause ou d’une conséquence, il était aussi « empoisonné » par l’alcool. L’école se réduisit à une lutte de pouvoirs entre Ross et Boughey, et ce fut la querelle entre les anciens et les nouveaux qui décida de l’avenir d’Alan, car Boughey ignora l’avis de Ross et lui permit de passer son certificat d’études.
Pendant les vacances, le père d’Alan lui faisait travailler son anglais. Curieusement M. Turing vouait une véritable passion à la littérature, et il pouvait réciter de mémoire des pages entières de la Bible, de Kipling et de romans humoristiques du début du siècle. Mais avec Alan qui devait travailler Hamlet, la cause était perdue d’avance. Il faillit faire plaisir à son père en lui disant qu’il y avait au moins un vers qu’il aimait bien, mais la joie fut de courte durée lorsqu’il expliqua qu’il s’agissait du dernier vers.
Alan passa encore dans une autre classe durant le trimestre d’été 1928, afin de préparer ses examens de fin d’études. Mais il ne vit aucune raison de changer ses habitudes et son nouveau professeur principal, le révérend Bensly, se trouva lui aussi obligé de le classer parmi les derniers, proposant carrément de faire une donation d’un milliard de livres à n’importe quelle bonne œuvre nommée par Alan si celui-ci réussissait ses épreuves de latin. Plus perspicace, O’Hanlon avait prédit :
« Il est aussi intelligent que les autres élèves. Suffisamment, en tout cas, pour se débrouiller dans des matières aussi “inutiles” que le latin, le français et l’anglais. »
O’Hanlon eut l’occasion de lire certains devoirs d’Alan. Ses copies étaient d’un coup « étonnamment lisibles et soignées », ce qui lui valut de réussir en anglais, français, mathématiques, physique, chimie… et latin. Bensly ne tint jamais sa promesse, le pouvoir bénéficiant toujours du privilège de changer les règles.
Son diplôme d’études en poche, Alan n’eut qu’un rôle mineur à tenir au sein du système, le rôle du « matheux ». Sherborne n’avait pas de classe de première de mathématiques. Il y avait en revanche une classe de sciences naturelles où les mathématiques étaient une matière mineure. Eperson, le professeur de maths, jeune émoulu d’Oxford, doux et cultivé, était doté pour Alan d’une grande qualité : il le laissait tranquille.
« Tout ce que je peux dire, c’est que ma volonté de le laisser se débrouiller seul et de rester près de lui pour l’aider en cas de nécessité a permis à son génie mathématique naturel de progresser sans retenue. »
Eperson comprit très vite que son élève préférait ses méthodes propres à celles des livres au programme. Avant même la préparation des examens, Alan avait entrepris d’étudier la théorie de la relativité d’après les comptes rendus d’Einstein lui-même. Cela exigeait la connaissance des mathématiques élémentaires et donnait libre cours à des idées qui allaient bien au-delà du programme scolaire. Le jeune garçon en tira un petit carnet de notes qu’il confia à sa mère.
« Einstein met ici en doute les axiomes d’Euclide quand ils s’appliquent à des corps solides…, commentait Alan. Il a alors entrepris de tester les lois ou axiomes galiléo-newtoniens. » Alan avait su reconnaître le point crucial, à savoir qu’Einstein mettait les axiomes en doute. Pour son frère John, qui le considérait maintenant avec un amusement un peu condescendant :
« On pouvait sans trop s’engager parier que si l’on avançait une assertion évidente du style “La terre est ronde”, Alan produirait alors tout un tas de preuves irréfutables démontrant qu’elle était à coup sûr plate, ovale ou pratiquement de la forme d’un chat siamois ayant bouilli pendant quinze minutes à une température de mille degrés centigrades. »
Le doute cartésien fut pris comme une intrusion totalement incompréhensible dans la famille Turing et dans l’environnement scolaire d’Alan, et fut le plus souvent accueilli par des rires. Le doute étant un état d’esprit extrêmement inconfortable et rare, le monde intellectuel avait dû attendre très longtemps avant que ne soient remis en question les « lois ou axiomes galiléo-newtoniens ». Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que l’on reconnut qu’elles n’étaient pas en phase avec les lois connues de l’électricité et du magnétisme. Les implications devenaient effrayantes, et il avait fallu Einstein pour qu’on ose dire que les fondements supposés de la mécanique étaient en fait incorrects. Einstein créa donc sa théorie de la relativité restreinte en 1905 et, celle-ci n’étant pas en accord avec les lois de la gravitation de Newton, il poussa ses recherches plus loin pour formuler, en 1915, sa théorie de la relativité générale qui allait jusqu’à mettre en doute les axiomes d’Euclide sur l’espace. Chez Einstein, le plus remarquable ne résidait pas dans telle ou telle expérience, seulement, comme Alan sut le comprendre, dans sa capacité à douter, à prendre ses propres idées au sérieux et à les mener à leur conclusion logique, aussi troublante qu’elle puisse paraître. « Une fois qu’il a trouvé ses axiomes, il peut agir avec sa logique en laissant de côté les anciennes conceptions de temps, d’espace, etc. », notait Alan. Il se rendit également compte qu’Einstein évitait toute discussion philosophique sur ce qu’« étaient réellement » le temps et l’espace, pour se consacrer à ce qu’on pouvait expérimentalement produire. Einstein insistait toujours sur le rôle des « pendules » et des « règles » dans l’approche opérationnelle de la physique où, par exemple, la « distance » n’avait de signification qu’en tant que mesure extrêmement précise et non en tant qu’idéal absolu. Alan écrivit :
« Demander si deux points sont toujours séparés par une même distance n’a aucun sens dès que l’on stipule que cette distance est votre unité et que vos idées doivent passer par cette définition… Ces mesures ne sont en fait que des conventions et vous ajustez vos lois à vos propres méthodes de mesure. »
Le culte de la personnalité lui étant étranger, il n’hésitait pas à préférer un passage de ses travaux personnels au passage correspondant chez Einstein, trouvant que sa version ressemblait moins à un « tour de passe-passe » que celle du maître. Parvenu à la fin de l’ouvrage d’Einstein, il donna un corollaire magistral de la loi11 qui, dans la relativité généralisée, devait supplanter l’axiome de Newton selon lequel un corps qui n’est soumis à aucune force extérieure doit suivre une trajectoire rectiligne à une vitesse constante :
« Il lui reste maintenant à trouver la loi générale du mouvement des corps. Celle-ci devrait, bien entendu, satisfaire au principe de la relativité générale. Il n’avance pas véritablement cette loi, ce qui est bien malheureux, aussi le ferai-je : “L’écart entre deux événements de l’histoire d’une particule doit être soit un maximum, soit un minimum, quand elle sera mesurée le long d’une ligne d’univers.
Pour le prouver, il introduit le principe d’équivalence, principe selon lequel “tout champ naturel de gravitation est équivalent à un champ artificiel”. Supposons alors que nous substituons un champ artificiel à un champ naturel. Le champ étant maintenant artificiel, on peut définir en ce point un système galiléen, et, donc la particule se déplacera relativement uniformément par rapport à lui, c’est-à-dire qu’elle aura une ligne d’univers droite. Or, dans un espace euclidien, on peut toujours trouver une longueur maximale ou minimale parmi les lignes reliant deux points. Ainsi, la ligne d’univers satisfait donc aux conditions citées ci-dessus pour un système, et par conséquent pour tous les autres ! »
Comme l’expliquait Alan, Einstein n’avait pas formulé cette loi du mouvement des corps dans son ouvrage de vulgarisation. L’adolescent l’avait donc peut-être trouvée seul, à moins qu’il ne l’ait lue dans La Nature du monde physique12, de sir Arthur Eddington, paru en 1928 et lu par Alan dès l’année suivante. Professeur d’astronomie à Cambridge, Eddington avait étudié la physique des étoiles et le développement de la théorie mathématique de la relativité. Ce livre était l’un de ses plus connus, et il lui permit d’expliquer le grand changement d’orientation de la science qui s’était produit en 1900. Sa vision plutôt impressionniste de la relativité lui permit d’établir – sans la moindre preuve toutefois – la loi du mouvement, et a certainement inspiré Alan. Ce dernier ne s’est d’ailleurs sûrement pas contenté d’étudier le livre, ayant déjà noté plusieurs idées pour lui-même.
Alan se plongea dans cette étude à sa propre initiative, Eperson n’était même pas tenu au courant. Il avait pris l’habitude de ne pas s’occuper de ceux qui se moquaient de lui. Il ne pouvait trouver d’encouragement qu’auprès d’une mère complètement dépassée.
Ce ne fut cependant pas pour rentrer en Angleterre. Un régime spécial permettait en effet au père d’Alan de ne pas payer d’impôts s’il ne passait pas plus de six semaines par an dans le Royaume-Uni. Afin de continuer à profiter de ce privilège, les Turing choisirent de s’installer à Dinard. Les garçons iraient passer Noël et Pâques en France tandis que les parents se rendraient en Angleterre pour l’été.
Officiellement, M. Turing ne donna sa démission que le 12 juillet 1926 et se trouvait jusque-là en congé. Néanmoins il eut tôt fait d’établir leur nouveau train de vie : il n’était plus question de vacances en Écosse ou à Saint-Moritz. Par bien des côtés, cette retraite prématurée fut un véritable désastre. Ses deux fils la considérèrent comme une erreur. Alan ne manquait pas d’imiter de façon plutôt amusante les réflexions de son père vexé au sujet de « XYZ Campbell », et son frère écrivit plus tard :
« Je doute que j’aurais trouvé que mon père faisait un supérieur ou un subordonné facile à vivre, car aux dires de tous, il se moquait éperdument de la hiérarchie et de son propre avenir au sein de la fonction publique indienne, et n’hésitait pas à dire ce qu’il pensait, quelles qu’en soient les conséquences. En voici un exemple parlant. Pendant un moment, il fut le secrétaire privé de Lord Willingdon, à la présidence de Madras, et lorsqu’ils n’étaient pas d’accord, mon père lui faisait remarquer : “Après tout, vous n’êtes pas le gouvernement d’Inde.” Il s’agissait d’une grande imprudence, presque suicidaire, que l’on pouvait certes admirer, mais à distance respectable. »
La femme de M. Turing lui reprochait constamment cet incident, d’autant plus qu’elle éprouvait une admiration particulière pour Lady Willingdon. En réalité, malgré tout ce que l’on pouvait dire sur le devoir, les qualités requises chez un bon fonctionnaire étaient différentes de celles que l’on enseignait, à savoir l’obéissance aux ordres et le respect de la hiérarchie. Pour gouverner des millions de personnes réparties sur une zone grande comme le Pays de Galles, il fallait avoir une certaine liberté de jugement et une forte personnalité, ce que l’on n’appréciait guère dans les cercles policés de Madras. Il n’eut plus vraiment besoin de ces qualités une fois à la retraite, durant laquelle les nombreuses intrigues indiennes semblèrent susciter chez lui un certain charme rétroactif. Jusqu’à la fin de ses jours, Julius Turing se laissa envahir par une sensation de manque, une grande désillusion et un immense ennui que ni les parties de pêche ni le bridge ne parvenaient à atténuer. Il se sentait davantage exaspéré par le fait que sa femme, plus jeune que lui, trouvât dans ce retour en Europe l’occasion de sortir de l’atmosphère confinée de Dublin puis de Coonoor. Il méprisait plutôt les ambitions d’ordre intellectuel d’Ethel, qui lui faisait mener une vie familiale stressante et chichiteuse. Pour sa part, Ethel souffrait de l’avarice obsessionnelle de son mari et de sa paranoïa. Ils attendaient tous deux quelque chose de l’autre mais n’arrivaient pas à répondre à cette attente mutuelle, et ils en vinrent à ne plus parler de grand-chose d’autre que de l’agencement du jardin.
L’un des résultats de cette nouvelle situation fut qu’Alan vit là une raison d’apprendre le français, matière qui ne tarda pas à devenir sa préférée à l’école. Mais il considérait aussi cette langue comme une sorte de code. Il écrivit d’ailleurs à Hazelhurst une carte postale à sa mère à propos de « la révolution » que M. Darlington n’était pas censé être en mesure de lire.
Cependant c’était la science qui le passionnait véritablement, comme le découvrirent ses parents lorsque, à leur retour, ils le trouvèrent plongé dans Les Merveilles de la Nature. Leur réaction ne fut pas entièrement négative. Mme Turing comptait dans sa famille un célèbre scientifique irlandais, George Johnstone Stoney, qu’Ethel avait rencontré à Dublin alors qu’elle était encore jeune fille. On le connaissait surtout pour avoir inventé le mot « électron » qu’il imagina en 1894, avant que ne soit établie l’atomicité de la charge électrique. Mme Turing, que les rangs et les titres impressionnaient beaucoup, était très fière d’avoir un membre de la Société royale de Londres comme lointain cousin. M. Turing, lui, s’il considérait d’un moins bon œil une éventuelle carrière scientifique – un chercheur ne pouvait espérer gagner plus de 500 livres par an –, n’en aida pas moins Alan à sa manière. Ainsi, lorsqu’en mai 1924 Alan fut rentré à l’école, il écrivit à son père :
« Tu me parlais des relevés topographiques effectués dans les trains, eh bien, j’ai découvert, ou plus exactement j’ai lu, comment on fait pour trouver la hauteur des arbres, la largeur des rivières, des vallées, etc. Et en combinant les deux, j’ai compris comment on calcule la hauteur des montagnes sans avoir à les escalader. »
Alan s’était également documenté sur la manière de faire des coupes géographiques et en fit un nouveau passe-temps. La famille Turing passa l’été 1924 en partie à Oxford – petite bouffée de nostalgie recherchée par Julius Turing –, et en partie dans une pension du nord du Pays de Galles. Ses parents y séjournaient encore quand Alan retourna tout seul à Hazelhurst où il s’empressa de dessiner ses propres cartes des monts Snowdon (« Prière de comparer mes cartes avec celles de l’Institut national de géographie puis de me les renvoyer »).
Cela faisait longtemps qu’il s’intéressait aux cartes. Il aimait aussi les arbres généalogiques, et en particulier celui des Turing, qu’il trouvait pour le moins complexe, avec son titre de baronnet qui sautait de branche en branche et ses grandes familles victoriennes. Cela exerçait son ingéniosité. Son activité la plus sociale consistait à jouer aux échecs :
« Il n’y aurait pas de tournoi d’échecs, car M. Darlington ne connaissait pas beaucoup de joueurs, mais il a déclaré que si je dressais une liste de tous ceux qui savaient y jouer, il y réfléchirait. Étant parvenu à rassembler suffisamment de monde, il est probable qu’un tournoi soit finalement organisé. »
Outre ces occupations, Alan commença à trouver les cours « beaucoup plus intéressants ». Mais tout cela était sans conteste éclipsé par la chimie. Alan s’était toujours intéressé aux recettes de cuisine, aux mixtures étranges et aux encres spéciales, et s’était même essayé à la cuisson de l’argile dans la forêt, quand il habitait chez les Meyer. La notion même de processus chimique ne lui était donc pas étrangère. Il lui fallut pourtant attendre cet été passé à Oxford pour que ses parents lui permettent pour la première fois de jouer avec une boîte de chimie.
Il n’y avait pas grand-chose sur le sujet dans les pages de Merveilles de la Nature, à l’exception des poisons. Sous sa plume de scientifique, Brewster prônait une certaine modération dans ce domaine, pour ne pas dire une interdiction formelle :
« L’existence de tout être vivant, qu’il s’agisse d’un homme, d’un animal ou d’une plante, est un long combat contre le poison. Celui-ci se présente sous de nombreuses formes, comme l’alcool, l’éther, le chloroforme, les divers alcaloïdes tels que la strychnine, l’atropine et la cocaïne, qui nous servent de médicaments, et la nicotine, qui est l’alcaloïde du tabac, les poisons de différents champignons vénéneux, la caféine, que l’on trouve dans le thé et le café… »
Un autre chapitre était consacré au « Sucre et autres poisons », expliquant les effets du dioxyde de carbone dans le sang, provoquant de la fatigue, et sur le cerveau :
« Quand le centre névralgique dans la nuque, détecte une petite dose de dioxyde de carbone, il ne dit rien. Mais, dès que la dose devient trop forte (par exemple au bout d’une quinzaine de secondes de course), il téléphone aux poumons via les nerfs :
– Eh, eh ! Qu’est-ce qui vous prend, les gars ? Remuez-vous ! Respirez plus fort. Le sang est saturé de sucre brûlé ! »
Tout cela lui donna du grain à moudre, même si à ce stade, ce qui l’intéressait le plus était la simple remarque selon laquelle :
« Dans le sang, le dioxyde de carbone se change en bicarbonate de soude ordinaire. Le sang transporte la soude jusqu’aux poumons, où elle se transforme de nouveau en dioxyde de carbone, exactement de la même manière que lorsque vous en ajoutez à la farine pour faire lever un gâteau. »
Rien dans les pages de Merveilles de la Nature n’expliquait les noms ou les transformations chimiques, mais Alan dut trouver ces informations ailleurs, car, en revenant à l’école le 21 septembre 1924, il rappelle à ses parents dans une lettre : « N’oubliez pas le livre de sciences censé remplacer l’Encyclopédie des enfants. » Et aussi :
« D’après Les Merveilles de la Nature, tout enfant est supposé savoir que le dioxyde de carbone se change en bicarbonate de soude dans le sang avant de redevenir du bicarbonate de carbone dans les poumons. Si vous en avez la possibilité, pourriez-vous m’envoyer le nom chimique du bicarbonate de soude, ou encore mieux la formule, pour que je puisse comprendre comment ça fonctionne ? »
Il a probablement lu l’Encyclopédie des enfants, ne serait-ce que pour l’abandonner après l’avoir jugée trop enfantine et vague, et a très bien pu apprendre des concepts généraux de chimie à partir de la multitude de petites « expériences » qu’elle propose de réaliser avec des produits ménagers. L’étincelle prophétique de sa question vient de sa tentative de vouloir associer le concept de formule chimique d’un côté à la description mécanique du corps de l’autre.
Puis Alan découvrit dès le mois de novembre une source d’informations plus sûre : « J’ai eu beaucoup de chance, cette fois : il y a une encyclopédie qui appartient à une classe de terminale. » Il put alors recevoir, pour Noël 1924, un attirail de parfait chimiste – substances diverses, creusets et tubes à essai – et obtint la permission de s’en servir dans la cave de Ker Sammy, la villa qu’ils occupaient rue du Casino à Dinard. Alan rapporta là-bas d’énormes tas d’algues de la plage afin d’en tirer une infime quantité d’iode, à la plus totale incompréhension de John, qui passait ses journées à jouer au tennis, au golf, à danser et flirter au casino.
Les parents d’Alan employèrent un instituteur anglais du quartier pour qu’il lui donne des cours particuliers en vue d’obtenir le Common Entrance, l’examen d’entrée dans l’enseignement privé. Le pauvre homme se retrouva vite submergé de questions sur la science. En mars 1925, de retour à l’école, Alan écrivit :
« J’ai obtenu le même classement au Common Entrance8 ce trimestre que le précédent, avec une moyenne de 53 %. J’ai eu 69 % en français. »
Cependant, plus que jamais, seule la chimie comptait. Il écrivit à ses parents :
« Je me demande si je pourrais trouver une cornue en terre cuite quelque part, pour faire chauffer des trucs à très haute température. J’essaye de faire un peu de chimie organique. Au début, quand je voyais quelque chose comme ça :
H(CH2)17CO2H(CH2)2C
j’essayais de la résoudre comme C21H40O2 ce qui peut être toutes sortes de choses et qui donne en fait une espèce d’huile. Je trouve que les formules graphiques peuvent aider aussi. Ainsi, la formule de l’alcool donne :
alors que l’éther méthylique donne, lui :
Vous voyez, cela montre bien la structure moléculaire. »
Puis, une semaine plus tard, il ajoutait :
« Quand le produit essentiel est un gaz, ce qui est très fréquent à haute température, la cornue de terre cuite remplace le creuset. Je suis en train de faire une série d’expériences dans l’ordre que je me suis fixé. J’ai l’impression de toujours vouloir faire des choses à partir de ce qu’il y a de plus commun dans la nature et avec la moindre perte d’énergie possible. »