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Premières lignes #193 : Un arrière-goût amer, Raphaël Guillet

PREMIÈRES LIGNES #193

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Un arrière-goût amer, Raphaël Guillet

Chapitre 1

Le chat semblait pleurer et le vieil homme baissa la tête pour en avoir le cœur net. Non, les yeux verts du félin étaient secs, le chat ne pleurait pas, il avait peur. Comme s’il comprenait.

–Ça va, mon Minou ? Je suis désolé de t’avoir injecté ce truc-là.

Il l’appelait Minou parce qu’il ne connaissait pas son nom. Aucune puce électronique ni collier d’identification. Poil blanc et roux. Trouvé sur le bord de la route, ­légèrement blessé à une patte. Un chat probablement abandonné comme la plupart de ceux qu’il avait déjà recueillis.

Minou tenta de se relever mais c’était au-dessus de ses forces. Il ouvrit la bouche pour miauler sans y parvenir non plus. Le liquide agissait dans son corps et la peur s’intensifiait dans ses yeux. Que pouvait-il bien comprendre ? La signification du mot Nembutal sur l’étiquette du flacon ? Le chat l’avait pris pour un jouet et s’était laissé faire lorsque le vieil homme lui avait piqué le foie avec sa seringue.

Je déteste faire ça mais il le faut, pensa-t-il en essayant de se changer les idées. Peine perdue. On vous vend toutes sortes de merdes sur internet alors il faut vérifier. Ce n’est pas le chat qui pleurait, c’était lui. Il chialait sur notre destinée à tous. Pourquoi la vie était-elle aussi mal foutue avec la jeunesse, la vigueur, la beauté au début puis le déclin, la décrépitude et la honte à la fin ? Pour quelle raison n’y avait-il pas de happy end comme au cinéma ? La mort au bout, d’accord, mais avec calme et dignité. Kopfertami, jura-t-il intérieurement dans sa langue maternelle.

Il revint vers Minou, dont les paupières s’étaient refermées, plongé qu’il était dans un sommeil irréversible. Il étoufferait d’ici peu sans même s’en rendre compte. Son cœur battait encore. Le vieil homme le caressa entre les deux oreilles comme pour l’aider à partir. Le petit chat était dans le coma. Son cerveau fonctionnait-il encore ? Revoyait-il les images de sa courte vie ? Les premières courses dans l’herbe. Les croquettes ou la baballe que lui lançaient les enfants de sa famille d’accueil. Qui sait à quoi pense un chat aux portes de la mort ?

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Premières Lignes #192 : Le disparu du Caire, Christopher Bollen

PREMIÈRES LIGNES #192

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

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Le livre en cause

Le disparu du Caire, Christopher Bollen

Le Caire

Savait-il, en ce dernier après-midi, tandis qu’il errait dans l’entrelacs des rues de Garden City, qu’il ne rentrerait jamais chez lui ?

Il devait s’en douter, et c’était justement pour cette raison qu’il était de sortie. À trois mois de son quarantième anniversaire, Eric Castle, un expert en explosifs passablement ivre, traversa la chaussée en titubant et faillit être fauché par une Peugeot lancée à vive allure. C’était ainsi, au Caire : à chaque pas on avait l’impression de l’avoir échappé belle. Malgré tout, cette excursion dans ce quartier cairote délabré, aux demeures grandioses et mal entretenues et aux ambassades sous garde armée, lui permettait de réfléchir. Ou, du moins, d’éclaircir son esprit après cinq whiskys, bus afin d’en chasser les pensées terribles qui le tourmentaient.

L’atmosphère était moite pour un début novembre ; à l’ombre, l’air chaud était grouillant de mouches et, quand l’alcool jouait les copilotes, Eric devait prendre garde où il mettait les pieds. On pouvait trébucher, même sobre, contre les arbres de Garden City. En ville, il était rare d’en voir se déployer aussi librement, de façon aussi indomptable. Ils ressemblaient davantage à des cyclones isolés, vastes tourbillons contorsionnés qui déformaient la chaussée, leurs branches se fracassant contre les portails tandis qu’il en tombait une pluie régulière de fragments d’écorce et de fientes. Les voitures garées dans la rue Al Bergas étaient drapées de grandes bâches rayées et, à en juger par les débris qui les maculaient, elles n’avaient pas été déplacées depuis quelque temps. Elles rappelaient à Eric les bateaux à moteur couverts de toiles goudronnées qui rouillaient devant les garages de son Massachusetts natal. Des chats errants, indifférents à la circulation, dormaient sur les capots des véhicules. Lorsque le trottoir devenait impraticable, Eric était contraint de marcher sur la chaussée.

Ses oreilles auraient désormais dû être accoutumées au vacarme du Caire. Il avait déjà été envoyé en Égypte, quelques années plus tôt, à l’époque où il travaillait pour une autre entreprise. Lors de ce séjour, il avait eu droit à une chambre avec vue sur les pyramides. « Je suis obligé de vous croire sur parole », avait-il dit en plaisantant au directeur de l’hôtel, étant donné qu’il avait dû attendre le dernier matin pour distinguer les formes floues de ces merveilles

dans le lointain, par-delà des kilomètres de brouillard et de fumée jaunâtres. Eric s’était cependant extasié comme un enfant à sa fenêtre, se dressant sur la pointe des pieds pour entrevoir des monuments aussi anciens et miraculeux. Cette fois, on lui avait réservé une chambre dans un banal hôtel bon marché. Il n’y avait aucune vue depuis le balcon en demi-lune qui donnait sur une ruelle où, la nuit, une brise tortueuse se frayait un passage. Cela faisait six semaines qu’Eric était en Égypte, et sa mission serait probablement prolongée de six autres. Il y avait trop à faire. Trop d’explosions à orchestrer. À moins que ses employeurs ne se débarrassent de lui. Ces derniers temps, quand il avait du mal à dormir, il s’asseyait en sous-vêtements sur son balcon et inventoriait ses erreurs tout en vidant d’un trait les bouteilles du minibar.

Au croisement suivant, Eric profita d’une accalmie dans la circulation pour traverser en diagonale la route à quatre voies, d’un pas rapide mais incertain. Sur le trottoir d’en face, des vieillards en djellabas bleues se prélassaient sur des sièges dépareillés – des chaises de jardin en plastique côtoyaient des fauteuils de bureau pivotants éventrés (au Caire, il en allait des sièges comme des bêtes de somme : on attendait qu’ils lâchent pour les mettre au rebut). Les bawabs1 voulurent s’exercer à parler anglais avec cet étranger en sueur : « Hello ? Américain ? USA ? Hello ! » D’une voix empâtée, Eric tâcha de répondre en arabe. « Bienvenue. Bienvenue, mon ami, dans le glacial Alaska ! » répliqua le plus vieux d’entre eux, tenant visiblement à ajouter une touche de comédie à ses propos.

Eric avait été posté dans des tas de pays épouvantables. Certains revendiquaient cette qualité dès l’atterrissage. D’autres mettaient quelques jours à se révéler comme tels. D’autres encore l’étaient simplement à cause du travail qu’il y effectuait pour leurs dirigeants. En revanche, Le Caire n’avait rien d’épouvantable. Rien ne lui manquerait vraiment, ni la circulation, ni les rues aux moteurs souffreteux, ni les continuels coups de klaxon, qui relevaient d’une sorte de religion convaincue que le diable rôdait dans chaque poche de silence. Dans le même temps, la ville ne cessait de s’ouvrir à lui, de s’épanouir, de l’aimer en retour, et les splendides fragments épars de quarante-six siècles d’histoire qui tournoyaient autour de lui à toute heure du jour et de la nuit lui manqueraient assurément. Ce matin-là, tout en sirotant son deuxième whisky, il avait réservé un billet de retour pour les États-Unis – départ prévu dans deux jours. Il n’avait parlé à personne de son projet et n’était pas même sûr de monter dans cet avion. Partir ou rester. Fuir ou accepter les conséquences. Tout dépendait des ennuis que lui réservait l’avenir.

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Premières Lignes #191 : Triangle noir, Niko Tackian

PREMIÈRES LIGNES #191

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

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Le livre en cause

Triangle noir, Niko Tackian

1

Le froid s’insinuait dans chacune de ses cellules. Son corps n’était plus qu’une masse compacte et inerte, mais quelque chose continuait de lutter contre l’engourdissement final. Depuis l’intérieur de son crâne, un frisson électrique raviva une bribe de pensée et son cerveau réussit à activer ses derniers mécanismes de survie. À mesure que ses sens reprenaient vie, il eut l’impression d’entendre le bruit de l’eau et un léger écho cristallin tout autour de lui. Le sang recommença à affluer dans ses artères et il posa sa main sur une surface solide dont le contact lui brûla le bout des doigts. Il força ses paupières à se décoller et tenta de percer l’obscurité qui l’entourait. Il se trouvait nu, couché dans une baignoire remplie de pains de glace. Il ne se souvenait ni de son nom ni des événements qui l’avaient conduit à cet endroit. Tout ce qu’il savait c’est qu’il devait partir, quitter ce bain mortel dans lequel on l’avait plongé.

En regardant autour de lui, il aperçut les lignes déformées d’une pièce. Il lui fallut quelques minutes supplémentaires pour comprendre que cette distorsion visuelle venait de grandes bâches en plastique transparent accrochées tout autour de son cercueil d’eau glacée.

1

Le froid s’insinuait dans chacune de ses cellules. Son corps n’était plus qu’une masse compacte et inerte, mais quelque chose continuait de lutter contre l’engourdissement final. Depuis l’intérieur de son crâne, un frisson électrique raviva une bribe de pensée et son cerveau réussit à activer ses derniers mécanismes de survie. À mesure que ses sens reprenaient vie, il eut l’impression d’entendre le bruit de l’eau et un léger écho cristallin tout autour de lui. Le sang recommença à affluer dans ses artères et il posa sa main sur une surface solide dont le contact lui brûla le bout des doigts. Il força ses paupières à se décoller et tenta de percer l’obscurité qui l’entourait. Il se trouvait nu, couché dans une baignoire remplie de pains de glace. Il ne se souvenait ni de son nom ni des événements qui l’avaient conduit à cet endroit. Tout ce qu’il savait c’est qu’il devait partir, quitter ce bain mortel dans lequel on l’avait plongé.

En regardant autour de lui, il aperçut les lignes déformées d’une pièce. Il lui fallut quelques minutes supplémentaires pour comprendre que cette distorsion visuelle venait de grandes bâches en plastique transparent accrochées tout autour de son cercueil d’eau glacée. La terreur grandissante se transforma en un jet d’adrénaline le forçant à se mettre en mouvement. Il enjamba le rebord de la baignoire pour poser un pied sur le vieux parquet qui lui fit l’effet d’un brasier tant sa chaleur contrastait avec la banquise dans laquelle on l’avait immergé. Il repoussa le rideau et découvrit un salon où ne subsistaient que quelques meubles poussiéreux. Les murs tapissés de papier peint décrépit, les portes défoncées, les monceaux de détritus sur le sol lui donnèrent l’impression d’être dans un squat abandonné depuis longtemps. Il y avait dans un coin une desserte sur laquelle une série d’instruments chirurgicaux avaient été soigneusement alignés. Il grogna d’angoisse tout en avançant vers l’entrée. La chaleur moite qui régnait dans cette ruine lui permit de se réchauffer plus rapidement. Par une fenêtre, il aperçut une lumière tellement vive qu’il détourna le regard.

Il enjamba le rebord de la baignoire pour poser un pied sur le vieux parquet qui lui fit l’effet d’un brasier tant sa chaleur contrastait avec la banquise dans laquelle on l’avait immergé. Il repoussa le rideau et découvrit un salon où ne subsistaient que quelques meubles poussiéreux. Les murs tapissés de papier peint décrépit, les portes défoncées, les monceaux de détritus sur le sol lui donnèrent l’impression d’être dans un squat abandonné depuis longtemps. Il y avait dans un coin une desserte sur laquelle une série d’instruments chirurgicaux avaient été soigneusement alignés. Il grogna d’angoisse tout en avançant vers l’entrée. La chaleur moite qui régnait dans cette ruine lui permit de se réchauffer plus rapidement. Par une fenêtre, il aperçut une lumière tellement vive qu’il détourna le regard.

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Premières Lignes #190 : Lady astronaute, Mary Robinette Kowal

PREMIÈRES LIGNES #190

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Le livre en cause


Lady astronaute, Mary Robinette Kowal

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrick Imbert

NOUS INTERROMPONS
CETTE ÉMISSION

Plié par une quinte de toux douloureuse, Fidel Dobes se détourna de son lecteur de cartes perforées 1402. Ce n’était vraiment pas le moment de cracher du sang sur les cartes sources du programme Beluga. De l’autre côté du laboratoire encombré, Mira redressa la tête, puis l’observa avec appréhension. Il détestait l’inquiéter.

La crise de Fidel lui fit mal aux côtes. Il appuya un mouchoir sur sa bouche, en attendant que ça passe. Un long moment, il crut ne jamais retrouver son souffle. La panique menaçait de lui bloquer complètement la gorge, mais il réussit à inspirer en tremblant. Sans tousser. Il exécuta l’opération une seconde fois. Après avoir ôté le mouchoir de sa bouche, il se redressa doucement. Dans la perle de mucus, une tache écarlate luisait.

Bon Dieu. En général, ça le prenait le matin. Il replia le mouchoir discrètement, puis se tourna vers le 1402 pour continuer à y introduire les cartes sources. Les ventilateurs de l’épaisse machine bourdonnèrent, masquant le souffle éraillé de Fidel.

Mira s’éclaircit la gorge. « Un peu d’eau, ça t’aiderait ?

— Non, non, ça va. » Fidel passa en revue le reste des cartes pour s’assurer qu’elles suivaient le bon ordre. Il avait déjà vérifié leur numérotation une demi-douzaine de fois, mais tout était préférable au regard inquiet de Mira. « La tuberculose ne me tuera pas avant qu’on ait terminé. »

Mira pinça ses lèvres rehaussées d’un brun profond. « Ce n’est pas le travail qui m’inquiète.

— Qu’est-ce qui… » Non. Il préférait ne pas entendre la réponse à cette question. « Bien. »

Elle éternua à trois reprises, en succession rapide. Chez elle, les éternuements étaient adorables. On aurait dit un chaton.

« Tu es toujours enrhumée ? »

Elle agita la main pour chasser la question, reportant son attention sur le clavier d’impression 026, avant de perforer une rangée de code dans la carte suivante. Son implication le toucha. Le programme Beluga était immense, et le vérificateur avait repéré de nombreuses cartes de données corrompues. Impossible de les renvoyer aux perforatrices1, à l’étage – comme dans n’importe quel projet officiel. S’il suivait la procédure, il ne serait jamais prêt à temps. Il n’avait qu’une seule chance d’intercepter l’astéroïde 29085 1952 DA avant qu’il frôle l’orbite terrestre.

C’était déjà suffisamment risqué d’embarquer Mira dans ce projet, et quand elle avait demandé des détails, il avait sous-entendu que tout était classé secret défense. Elle n’avait pas insisté. D’un point de vue administratif, elle disposait de toutes les accréditations nécessaires pour le travail monacal que le gouvernement lui avait officiellement confié. Mais à l’époque, le gouvernement ne savait rien du programme Beluga conçu par Fidel. Les huiles savaient qu’il utilisait un coin oublié du sous-sol du Pentagone pour faire des recherches sur les différentes méthodes de pilotage d’un vaisseau spatial automatisé. Quant au programme supplémentaire qu’il était parvenu à insérer dans le projet officiel, personne n’était au courant. Il aurait bien aimé se confier à quelqu’un. À plusieurs reprises, il avait bien failli tout avouer à Mira. Mais la peur empêchait ses mots de sortir. Ils se connaissaient depuis longtemps, elle était d’une intelligence rare, mais il craignait de la perdre à jamais, s’il lui révélait ce qu’il avait conçu.

Quelle ironie, d’ailleurs. La garder sous la main pour s’assurer de sa sécurité.

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Premières Lignes #189 : Un Animal Sauvage, Joël Dicker

PREMIÈRES LIGNES #189

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Le livre en cause

Un Animal Sauvage, Joël Dicker

Les faits

Le 2 juillet 2022, à Genève, un braquage retentissant défraya la chronique.

Ce livre raconte l’histoire de ce hold-up.

PROLOGUE.
Le jour du braquage.
Samedi 2 juillet 2022

9 heures 30.

Les deux braqueurs venaient de pénétrer simultanément dans la bijouterie par deux accès différents.

Le premier par l’entrée principale, comme un client ordinaire. Sa tenue élégante avait donné le change à l’agent de sécurité, la casquette et les lunettes de soleil étant de mise en ce mois de juillet.

L’autre, encagoulé, était passé par l’entrée de service, forçant une employée à lui ouvrir la porte sous la menace d’un fusil à canon scié.

Rien n’avait été laissé au hasard : ils avaient eu accès aux plans du magasin, aux horaires du personnel.

Une fois à l’intérieur, la Cagoule avait attaché l’employée dans l’arrière-boutique et avait rapidement rejoint son complice. La Casquette, dès qu’il l’avait aperçu, avait brandi le revolver qu’il gardait à la ceinture et s’était mis à hurler : « C’est un braquage, personne ne bouge ! » Puis il avait sorti un chronomètre de sa poche et l’avait enclenché.

Ils disposaient exactement de 7 minutes.

PREMIÈRE PARTIE.
Les jours qui précédèrent
son anniversaire

Chapitre 1.
20 jours avant le braquage

→ Dimanche 12 juin 2022

Lundi 13 juin

Mardi 14 juin

Mercredi 15 juin

Jeudi 16 juin

Vendredi 17 juin

Samedi 18 juin (Week-end à St-Tropez)

Dimanche 19 juin (Week-end à St-Tropez)

Lundi 20 juin (anniversaire de Sophie)

C’était une maison moderne. Un grand cube, tout en verre, qui se dressait au milieu d’un jardin impeccable, avec piscine et grande terrasse. La propriété était entourée par la forêt. L’endroit était une oasis, un petit paradis secret à l’abri des regards, auquel on accédait par un chemin privé. À l’image de leur maison, ceux qui vivaient ici faisaient rêver : Arpad et Sophie Braun étaient le couple idéal et les parents comblés de deux enfants merveilleux.

Ce matin-là, Sophie ouvrit les yeux à 6 heures pile. Depuis quelque temps, elle se réveillait systématiquement à la même heure. À côté d’elle, Arpad, son mari, était plongé dans un sommeil profond. C’était dimanche, elle aurait voulu dormir encore un peu. Elle se retourna dans le lit, sans succès. Finalement, elle se leva discrètement, passa une robe de chambre et descendit à la cuisine pour se faire un café. Elle allait avoir quarante ans dans une semaine et n’avait jamais été aussi belle.

Depuis l’orée des bois, on voyait parfaitement l’intérieur du cube de verre. Un homme, qui se savait invisible dans ses vêtements de sport sombres, était accroupi derrière un tronc, les yeux rivés sur Sophie, dans sa cuisine.

Sophie, son café à la main, observait la lisière de la forêt qui marquait la fin de son jardin. C’était son rituel du matin. Elle embrassait du regard son petit royaume, sans se douter qu’on l’épiait.

À quelques kilomètres de là, au centre de Genève, une Peugeot grise aux plaques françaises roulait sur une avenue déserte. Dans le jour naissant, on ne distinguait pas son conducteur à travers le pare-brise. Le véhicule attira l’attention d’une patrouille de police. Des gyrophares bleus illuminèrent les façades des immeubles alentour. Les policiers procédèrent au contrôle de la Peugeot et de son conducteur. Tout était en ordre. L’un des policiers demanda au conducteur ce qu’il venait faire à Genève. « Une visite de famille », répondit-il. Les policiers, visiblement satisfaits, repartirent. Le conducteur se félicita de cette voiture d’occasion, achetée à très bon prix et surtout en toute légalité. C’était le meilleur moyen de passer inaperçu.

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Premières Lignes #188 : Torture blanche, Narges Mohammadi

PREMIÈRES LIGNES #188

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Le livre en cause

Torture blanche, Narges Mohammadi

A partir de son expérience personnelle et d’entretiens menés avec treize prisonnières politiques ou militantes, l’auteure raconte les conditions de vie des femmes emprisonnées en Iran et les mauvais traitements, notamment la torture psychologique, qui leur sont infligés pour corriger leur âme

Avant-propos


Je rédige cette préface au cours de mes dernières heures de permission. Bientôt, je devrai
retourner en prison.
Le 16 novembre 2021, pour la douzième fois de ma vie, j’ai été arrêtée et pour la
quatrième fois condamnée à être placée en cellule d’isolement. J’ai passé soixante-quatre jours
à l’isolement au sein de la section 209 de la prison d’Evin, à Téhéran, qui est gérée par le
ministère du Renseignement de la République islamique d’Iran. Cette fois, mon chef
d’accusation, vous le tenez entre vos mains : c’est ce livre, Torture blanche. J’ai été accusée de
salir le nom de mon pays dans le monde entier. Mes accusateurs étaient déterminés à prouver
que ma campagne contre la peine d’isolement cellulaire avait échoué. Une fois encore, ils me
soumettraient à cette torture, montrant ainsi aux militants de monde entier que le gouvernement
iranien règne d’une main de fer.
Le tribunal de première instance m’a illégalement condamnée à une peine
d’emprisonnement de huit ans et deux mois, assortie de soixante-quatorze coups de fouet, peine
commuée à six ans de prison, et autant de coups de fouet. En réalité, je purge deux peines
distinctes car j’avais été précédemment condamnée à trente mois de prison et quatre-vingts
coups de fouet. En tenant compte d’un jugement plus ancien encore, il me reste plus de trente
ans de prison à effectuer.
Rien, toutefois, ne m’empêchera de poursuivre mon combat contre la peine d’isolement
cellulaire. Profitant d’une permission pour raisons de santé suite à l’infarctus dont j’ai été
victime à la prison de Qarchak et à l’opération du cœur que j’ai dû subir, je déclare à nouveau
ici que c’est un châtiment cruel et inhumain. Je n’aurai de cesse de le répéter jusqu’à ce qu’il
soit aboli.
On m’enfermera encore. Mais je continuerai de me battre jusqu’à ce que les droits
humains et la justice règnent dans mon pays.

Narges Mohammadi,
mars 2022

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Premières Lignes #187 : Moktar, Jérémy Bouquin

PREMIÈRES LIGNES #187

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

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Le livre en cause

Moktar, Jérémy Bouquin

Chapitre 1

On ne gère pas un supermarché de la came comme une simple épicerie. Il faut de la méthode. Il faut du sang froid.

Mon biz à moi s’étend sur le quartier Saragosse, en plein cœur de Pau, collé à l’avenue dont il tire le nom, pas loin du centre social, de la MJC. Des immeubles, des barres comme on dit, tout en longueur, des blocs aux balcons avancés, du linge qui pend à tous les étages, le boucan du matin au soir, des ensembles sur huit neuf étages, une suite de parkings nichés partout. Des passages, des chemins de terre qui serpentent entre chaque immeuble, ça grouille de partout. Un sacré espace de vente ! Il me faut du petit personnel aussi pour faire tourner la boutique : pas moins d’une douzaine de guetteurs par cage d’escalier. Trois chimistes et tout autant de niches pour planquer les pavés.

C’est une armée, tout un dispositif pour maintenir la cadence. Je suis le général trois étoiles de tout ce merdier. Mon théâtre d’opérations à moi, c’est le quartier Saragosse.

Mon patron, c’est Joe.

Le Donnie Darko du shit ! Le manouche de la schnouff. Un titan ce gars. On se connaît depuis un bon moment.

Je suis son bras armé comme il aime à dire.

Tous les matins, après un détour par le Petit troquet, j’aime me traîner, me pavaner dans ma Mercedes classe S, vitres blindées. Un bijou, frère ! Caisson de basses monté sur le bas de caisse, les beats résonnent dur. Gros hip-hop de bâtard.

Je fais mon tour. On me voit, on me salue avec respect. Je relève deux trois infos sur la nuit, je fais le point sur les chiffres. Donne quelques consignes.

Patron, quoi.

La friche, celle à l’angle de Saragosse et de Federico Garcia-Lorca. On peut pas la louper. Je repère de suite les deux guetteurs en train de glander. Deux lascars, genre branleurs de quartier, le bédo de bâtard au bec, l’air idiot défoncé, nez sur leur portable à jouer. Les guignols ricanent au turbin, trémoussant du boule sur du rap trop fort.

– On n’est pas chez mamie, là ! je beugle, vénère

Ça a le don de m’énerver.

– Oh !

Le plus grand lève le tarin, fourre son Smartphone dans son sweat à capuche, prévient son pote.

– Tu crois qu’on te paie à quoi ? Gadjo !

Je fouraille le tricard.

Il me lance un signe, comme pour s’excuser. Je vois bien dès que je vais me barrer, il va y retourner, à son Facebook.

– Ton nom !

Sur le moment, le branque fait mine de ne pas comprendre.

– Ton blaze ! j’aboie.

Une fenêtre s’ouvre au premier. Une bonne femme sort.

– C’est quoi, ce bordel ?

La mama blackos enrubannée dans un boubou coloré me reconnaît. S’excuse. Me fait un signe, baisse le nez, n’ose même plus bouger.

Je sors de ma caisse et je m’approche du glandeur. Je suis vénère, pas du genre à apprécier qu’on me prenne pour un baron. Moi, je veux qu’on me craigne.

– Je t’ai posé une question. Ton blase ?

Je me bloque droit devant lui.

Moi. Moktar. Un mètre quatre-vingts et pas loin de cent soixante-dix kilos. Des mains épaisses comme des battoirs. Manouche, quoi !

Le gadjo, un petit blanc tout sec, son falzar Puma pourri, il nage dedans tellement il est chiassard. Il se met à pâlir encore plus que ma chemise.

– Ton nom ?

La maman a laissé la fenêtre ouverte. Jules.

J’entends à peine. Je me penche, tire sur mon esgourde.

– Jules !

Il baisse ses yeux trop fatigués par le split.

Le secteur de la friche, se croient tout permis les mecs, des prétentieux, des provocateurs à l’image de leur patron !

– Aboule ton grelot, Jules.

Il hésite.

– Donne-le-moi ou je vais le chercher !

Il fouraille dans sa poche et sort son portable. Je récupère le gadget, un modèle tactile super chouette. Récent. Fond d’écran avec une bonnasse à nibards plastocs de dingue. Il ne ressemble pas à la camelote qu’on refile aux guetteurs.

– C’est quoi, ça ?

– Mon portable !

Il me répond sur un ton qui me démange la main. Je me contrôle.

J’active l’écran, je trifouille les menus, relève les appels. Il y a un répertoire, des photos, du cul encore, ses potes, des selfies de couillons, des guetteurs comme lui, des revendeurs à casquette. Beaucoup, des preuves surtout.

– C’est quoi, ce délire ?

– Pas de Samsung Galaxy et toutes ces merdes, Smartphone iTruc ! Appli, mouchards : avec ça les condés, ils nous tracent ! Putain ! On ne doit utiliser que les prépayés. Pas de répertoires, des numéros qu’on change régulièrement, des portables de deuxième génération sans géolocalisation !

Je lui claque alors le beignet, une bonne torgnole pleine face le retourne sèchement, résonne dans l’allée. Je lui aurais décollé la tête avec ma paluche. Je me retiens.

Soupire des naseaux. Merde ! Il l’a pas volé, celle-là.

Son copain n’en mène pas large, il planque son portable, lui aussi.

À sa fenêtre, la mamie chiale de plus en plus fort. Elle se met à prier, implore Allah, je crois. D’autres fenêtres sont ouvertes, des visages apparaissent.

Dans ma poche, mon téléphone vibre. Je ne décroche pas, j’ai pas fini. Je retourne le Samsung, j’arrache la coque, l’écran. Je défonce les circuits intégrés, mes doigts sont trop gros pour sortir la carte SIM.

Putain que ça me gave !

Je le jette par terre et je te l’éclate d’un coup de talon.

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Premières Lignes #186 : L’envers de la charité, Pascal Grand

PREMIÈRES LIGNES #186

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

L’envers de la charité, Pascal Grand

Mercredi 7 juin 1786 – Lyon

« S’en est allée au bal
La jeune demoiselle
Lui en a pris bien mal
Car n’a pas reparu chez elle !
La fille Mariette Lapalud s’est rendue avant-hier
au bal donné au café de l’Âne Vert au Pré-Morand… »

Toussaint s’approcha de la croisée, ouverte sur la place noyée de soleil. Il jeta un œil au crieur arrêté au milieu de la placette. Coiffé d’un chapeau orné de plumes, l’homme ponctuait chaque annonce du tintement d’une clochette qu’il agitait à bout de bras. Faisant cercle autour de lui, des femmes en profitaient pour s’octroyer une courte pause, elles avaient posé leurs paniers et fardeaux à leurs pieds. Mains sur les hanches, elles penchaient la tête sur le côté pour mieux entendre les nouvelles. Des porteurs d’eau et des vendeurs ambulants de limonade et de café vinrent élargir le cercle, puis des journaliers et des affaneurs, ces traîne-savates qu’on voyait tout au long de la sainte journée aller de port en port sur les rives de la Saône, à l’affût de quelques sols à gagner.

— La journée promet d’être chaude, dit-il, plus pour lui-même que pour Hortense qui sortait de la chambre, vêtue seulement d’un pantalon court de batiste et d’une chemise.

— Tant mieux, notre promenade sur l’Île Barbe n’en sera que plus agréable.

— J’espère que les garçons du collège ne lésinent pas sur les sels d’alun… Sinon, mon cadavre va se répandre par tous ses orifices…

Hortense jeta un œil par la fenêtre.

— Vous êtes horrible… mais ne soyez pas tant inquiet, votre leçon inaugurale sera un franc succès. Que nous dit notre aboyeur ?

La cloche tintait de nouveau.

« Vous direz des patenôtres
Pour le sieur Crozet
Qui a quitté nous autres
Chutant du toit qu’il réparait… »

Hortense fit volte-face, se saisit d’une lettre posée sur le maroquin de cuir pour s’éventer. Puis, réalisant ce qu’était le papier qu’elle utilisait comme éventail, elle le déplia et lut les premières lignes silencieusement.

— Je n’en reviens toujours pas…

Elle se mit à déclamer le texte avec emphase, simulant une mauvaise comédienne qu’ils avaient vue dans une pièce de Corneille à Orléans :

Monsieur Toussaint,

Je vous fais parvenir cette lettre pour vous dire le très vif intérêt que Messire Andouillé, Premier Chirurgien de Sa Majesté et Président de l’Académie Royale de chirurgie de Lyon, a pris à la lecture de votre ouvrage récemment paru, le « Traité de médecine judiciaire à l’usage des chirurgiens-jurés ».

Messire Andouillé a formé le souhait que vous soyez invité à donner un cours pratique au Collège royal de Chirurgie de Lyon. Il s’en est ouvert à Monseigneur le Duc de Villeroy, Gouverneur et Lieutenant Général pour le Roi de la Ville de Lyon, qui a souscrit à cette brillante proposition et a demandé au Consulat de rendre ce projet possible. Il me revient l‘honneur de vous transmettre cette invitation : si vous acceptez d’enseigner les fondements de la chirurgie judiciaire à une assemblée de médecins et chirurgiens lyonnais, au sein du Collège de Chirurgie, la Ville vous versera la somme de 3 000 livres et pourvoira à votre logement pour le temps de votre séjour à Lyon.

Je vous prie de me faire savoir si cette proposition vous agrée, et je ne m’avance guère en disant que Monseigneur le Duc de Villeroy intercédera pour que vous obteniez un congé de l’École de Chirurgie d’Orléans.

M. Guérin, Chirurgien, Lieutenant de M. le premier Chirurgien du Roi

— C’est à peine croyable, vous avez reçu cette lettre en février, et nous voici, le sept juin, installés à Lyon, place Saint-Michel1 de surcroît, à deux pas d’Ainay. Moi qui rêvais de vivre ici, dans la deuxième ville du royaume !

— Vous savez bien que nous n’y sommes que pour deux mois, la durée du cours que je dois donner.

— Je gage qu’ils feront tout pour vous retenir… « Le traité de votre époux a mis les sociétés savantes en émoi » – souvenez-vous de ce qu’écrivait mon cousin l’abbé du Bois d’Oingt…

— J’ai hâte de voir de quel bois il est fait, votre cousin. Depuis le temps que vous me parlez de lui…

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Premières Lignes #185 : Ce pays qu’on assassine, Gilles Vincent

PREMIÈRES LIGNES #185

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Le livre en cause

Ce pays qu’on assassine, Gilles Vincent

Première partie

1

Marseille, lundi 31 août,
vingt-trois heures quarante-sept.

Quand la commissaire débouche avenue des Chartreux, la première chose qu’elle discerne, tremblotant dans l’air moite du soir, est le reflet du réverbère sur la parka de cuir. Un flottement lumineux, tout en vibrations. De loin, elle devine le corps inerte, les jambes sous la bécane renversée, elle distingue la carcasse affaissée contre le trottoir, les bras en croix.

Elle laisse les clés se balancer à l’aplomb du contact, pousse fermement la portière et pose les deux pieds sur le bitume encore trempé d’orage.

La commissaire Aïcha Sadia respire l’odeur caféinée du goudron chaud après l’averse.

Machinal, le glissement des doigts entre ses boucles brunes, cette façon à elle de mettre un semblant d’ordre entre les mèches. En deux temps trois mouvements, elle allume une mentholée, s’encrasse les alvéoles et fait les premiers pas vers la scène de crime.

Le fourmillement de la machinerie policière la conforte dans l’idée qu’elle débarque avec un sacré retard. Les types de la Scientifique, affublés comme des cosmonautes, fouinent déjà un peu partout, tandis que les gars de l’antigang, debout, un peu à l’écart, échangent à voix basse comme des chasseurs aux pieds du gibier abattu. Sans compter les CRS qui quadrillent la zone, en contrôlent chaque accès. Et puis les journalistes, les photographes, les curieux de tout poil maintenus à distance.

Ce soir, elle n’était pas de service. Aussi, a-t-elle hésité un moment sur la meilleure façon d’occuper la soirée. Finalement, face à l’offensive orageuse, elle a opté pour la solution Palme d’or en avant-première au ciné du quartier. Une histoire de conflit ethnique au Sri Lanka, de réfugiés tamouls, de leur intégration dans la France des quartiers.

En sortant, elle a rallumé son portable, noté les douze appels en absence de Théo Mathias, le légiste de l’équipe.

– Dis, Théo, tu ne peux pas me lâcher ? Pour une fois que je me fais une toile, peinarde.

Puis elle l’a écouté énumérer les raisons de ses appels successifs : la moto, le feu rouge, la balle précédant les coups de grâce, et puis tout le sang autour du casque qui gagne le bitume, dessine sa couronne mortuaire.

Une exécution en règle.

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Premières Lignes #184 : La brigade des buses, Ludovic Mélon

PREMIÈRES LIGNES #184

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Le livre en cause

La brigade des buses, Ludovic Mélon

Une pépite venue de Belgique : plus crazy crime que cosy crime, d’une drôlerie irrésistible !

Tout frais élu à la mairie, Oliver Larnac nomme à la tête de la 10e division de police son vieil ami et complice Jack Lescrot, qui n’a pourtant vraiment rien d’un flic.

Sur place, Jack découvre une situation calamiteuse : l’équipe ne compte plus que trois enquêteurs un peu bras cassés et assez tire-au-flanc, heureusement secondés par Prosper, un formidable cochon renifleur de faux billets. On surnomme désormais cette division la brigade des buses.

La mission de Jack est double : rétablir la réputation de la brigade et accessoirement rester en vie. Car, il le découvre bien vite, ses prédécesseurs ont subi un sort peu réjouissant…

1

La brigade des buses

À défaut d’une honnêteté sans faille, des années de précautions variées avaient évité à Jack de séjourner en prison. Ainsi une fenêtre entrouverte le prévint de la présence d’un groupe de policiers, quelques mètres plus bas, dont les radios crépitaient de concert.

La bouche pâteuse et les tempes douloureuses, Jack ouvrit un œil encroûté et s’étira dans le canapé. Sa vue s’accommoda lentement sur le luxueux appartement qui l’entourait. Plutôt spacieux, lumineux et meublé avec goût, il avait dû coûter une fortune à son propriétaire en voyage d’affaires. Au même titre que cette montre, pensa Jack en attrapant une Rolex posée sur le guéridon installé derrière sa tête.

Ses doigts hésitèrent quelques instants sur un étui à cigares de premier choix avant de s’en défaire. À la réflexion, son haleine était probablement inflammable.

Il se passa les mains sur le visage. Ces dernières rencontrèrent successivement une barbe de trois jours, une collection de fines cicatrices étalées le long de traits anguleux et aboutirent dans un désordre de cheveux bruns. Il s’extirpa paisiblement du canapé moelleux et regarda à travers la fenêtre donnant sur la vaste place des Palais, encore assez peu peuplée à l’heure des premiers rayons de soleil. Seuls quelques combis de police, agglutinés au pied de son immeuble, avaient matière à inquiéter.

Jack enfila un peignoir en flanelle rose bonbon trop petit et contourna une divinité grecque en marbre blanc arrivée au cours de la nuit. S’installant à table, l’homme se fit la réflexion qu’un appartement au rez-de-chaussée serait à l’avenir plus commode.

Des bruits de pas précipités se multipliaient dans l’escalier des communs. L’un des policiers donnait des injonctions aux autres avec une excitation que la lourde porte de l’appartement ne suffisait pas à filtrer. À l’évidence, toute discrétion était inutile. L’immeuble, comme les autres de

a place, datait de la Renaissance et comportait un unique escalier central en guise d’issue. De cet étage, fuir par la fenêtre garantissait de finir en lasagne sur le trottoir. Une lasagne très plate. Et de toute façon, Jack avait le vertige.

Il se versa une généreuse portion de céréales colorées en forme de dinosaures et prit son téléphone pour consulter l’actualité. La une était consacrée au vol d’un tableau de maître dans l’hôtel particulier d’une célébrité. Si les gens comprenaient qu’ils ne doivent pas laisser traîner d’échelle dans leur jardin, déplora Jack en regardant ledit tableau, posé dans un coin de la pièce.

— Police ! Ouvrez cette porte ! hurla-t-on dans le couloir.

Jack, sans détourner les yeux de l’article, s’efforçait de mâcher l’impressionnante quantité de céréales qu’il venait d’enfourner. Ces derniers mois, les vols d’objets d’art avaient gagné en popularité dans la presse. Attribués à un seul personnage, ces vols bravaient toujours davantage l’autorité, résignée à répéter que l’enquête suivait son cours. Les inspecteurs estimaient cette formulation plus élégante que « oh vous savez, votre voleur, on n’est pas près de l’attraper. Ah ça non. Voyez, on a des tonnes d’indices mais pas l’ombre d’une piste sur le type qui les sème ».

À l’heure où une énième crise économique accaparait l’actualité, les lecteurs ne crachaient pas sur un peu de distraction. En outre, l’avantage des vols d’objets hors de prix, c’est qu’ils n’inquiétaient que ceux qui en possédaient. Voyant le sujet grimper au sommet des vues, les rédactions ne voulaient pour rien au monde passer à côté d’un détail croustillant, quitte à enjoliver les péripéties de celui qu’on avait surnommé le Rossignol. À défaut d’originalité, c’était vendeur et facile à trouver dans un moteur de recherche.

La vieille taupe qui vivait au rez-de-chaussée avait dû le dénoncer, après l’avoir croisé avec ce tableau.

— Dernier avertissement ! Si vous n’ouvrez pas, nous cassons cette porte.

Témoignant de la présence d’un bélier, un bruit sourd fit trembler les murs de l’immeuble. Quelques secondes plus tard, un craquement sonore indiqua que la porte des voisins du dessous venait de céder. Puisant une nouvelle fois dans son bol, l’intéressé se félicita d’avoir migré d’un étage au cours de la nuit. Le premier jour de sa nouvelle carrière s’annonçait plutôt bien.

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Premières Lignes #183 : Une exécution, Danya Kukafka

PREMIÈRES LIGNES #183

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Le livre en cause

Une exécution, Danya Kukafkae de couv :

Dans la tête d’un tueur en série

Dans le coeur de ses victimes

Ansel Packer attend la mort, après avoir lui-même tué. Dans douze heures, il sera exécuté dans une prison américaine. Ansel ne veut pas mourir. Il veut être écouté, admiré, compris.

À son monologue obsessionnel depuis sa cellule se superposent les récits de trois femmes : Lavender, sa mère, Hazel, la soeur jumelle de son épouse, et Saffy, l’enquêtrice, qu’il avait croisée plus jeune en foyer d’accueil. Alors que l’heure de l’exécution se rapproche, les destins des trois femmes se nouent à fa manière d’une tragédie, laissant place à des questions d’une cruelle actualité. Qu’est-ce que cette fascination du tueur en série dit d’une société qui oublie ses victimes ?

Mélange étonnant de suspense et d’enquête socio-psychologique, Une exécution accomplit la prouesse de maintenir une tension constante alors que le coupable est désigné dès l’ouverture. Danya Kukafka excelle aussi bien dans la construction d’une intrigue impitoyable que dans le portrait de ses personnages. Chacun à leur manière, ils percent la page, nous étreignent et nous interrogent, nous émeuvent et nous dérangent tout à la fois.

12 heures


Tu es une empreinte digitale.
Lorsque tu ouvres les yeux en ce dernier jour de ta vie, tu vois ton pouce. Dans la lumière jaunâtre de la prison, la pulpe creusée de sillons ressemble au lit d’une rivière asséchée, un fond sableux où se dessinent des spirales modelées par le mouvement de l’eau – une eau présente hier et aujourd’hui disparue.
L’ongle est trop long. Ça te rappelle cette vieille croyance enfantine : après la mort, les ongles continuent de pousser jusqu’à se recourber sur les os.

Détenu, nom et matricule.
Ansel Packer, réponds-tu. 999631.
Tu te retournes sur ton lit. Le plafond offre son aspect habituel : un semis de taches d’humidité. Si tu inclines la tête de façon à la regarder sous le bon angle, celle dans le coin prend l’apparence d’un éléphant. C’est le grand jour, annonces-tu en pensée à la cloque de peinture qui forme la trompe. Le grand jour. L’éléphant sourit comme s’il connaissait un terrible secret. Tu as passé un nombre incalculable d’heures à t’exercer pour reproduire cette expression à l’identique, pour pouvoir rendre sourire pour sourire à l’éléphant au plafond. Aujourd’hui, elle te vient tout naturellement.
L’éléphant et toi, vous vous souriez jusqu’au moment où la réalité de cette matinée établit entre vous une complicité exaltante, où vous avez l’air aussi cinglés l’un que l’autre.
Tu poses les pieds par terre, soulèves ton corps du matelas et enfiles les chaussures réglementaires, des espèces de pantoufles noires trop larges qui ne tiennent pas aux pieds.
Tu fais couler l’eau du robinet en métal sur ta brosse à dents, étales dessus une couche de dentifrice en poudre granuleux, puis mouilles tes cheveux devant le petit miroir dont la surface polie n’est pas du verre mais un rectangle d’aluminium balafré, criblé de trous, qui ne volerait pas en éclats s’il se brisait. L’image qu’il te renvoie est floue, toute gondolée. Tu te mordilles les ongles au-dessus du lavabo, l’un après l’autre, arrachant avec soin le blanc jusqu’à ne
laisser sur chacun qu’une même bordure déchiquetée au ras de la peau.


C’est souvent le compte à rebours qui est le plus difficile à supporter, a dit l’aumônier quand il est venu te voir hier soir. Tu l’aimes bien, cet homme dégarni qui se tient voûté comme sous le poids d’un sentiment accablant – peut-être la honte. Arrivé depuis peu dans l’Unité Polunsky, il a un visage mou, malléable, si ouvert que, pour un peu, on plongerait la main dedans. Il a parlé de demander pardon, de se soulager d’un fardeau, d’accepter ce qu’on ne peut pas
changer. Et pour finir, la question.
Votre témoin, a-t-il dit à travers la vitre du parloir. Cette femme, elle va venir ?
Tu t’es représenté la lettre posée sur l’étagère dans ta cellule exiguë. L’enveloppe crème – une invite. Dans le regard de l’aumônier se lisait une sorte de pitié sans fard.
Tu as toujours pensé que la pitié était le plus insultant des sentiments. La pitié, c’est une force destructrice dissimulée derrière un masque. Elle te dépouille de tout. Te ratatine. Oui, elle vient, as-tu répondu. Puis : Vous avez un truc
coincé entre les dents.
Tu l’as vu porter vivement une main à sa bouche.
En vérité, tu n’as pas beaucoup pensé à cette fin de journée. C’est trop abstrait, trop facile à contourner. Inutile d’écouter les rumeurs qui circulent dans le Quartier 12, elles n’en valent jamais la peine : un des gars, gracié dix minutes seulement avant l’injection, alors qu’il était déjà sanglé sur le brancard, a raconté quand il est revenu qu’on l’avait torturé pendant des heures en lui enfonçant des tiges de bambou sous les ongles, comme s’il était le héros d’un
film d’action. Un autre a affirmé qu’on lui avait offert des donuts. Tu préfères ne pas t’interroger. C’est normal d’avoir peur, a dit l’aumônier. Mais ce n’est pas de la peur que tu éprouves – plutôt une sorte d’émerveillement vertigineux.
Ces derniers temps, tu rêves parfois que tu t’envoles dans un ciel d’un bleu limpide, loin au-dessus de vastes étendues de cultures concentriques. En altitude, tes oreilles se débouchent.

Tu as avancé de cinq minutes la montre dont tu as hérité dans le Module C. Tu n’aimes pas être pris au dépourvu.
Elle te révèle qu’il te reste onze heures et vingt-trois minutes à vivre.

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Premières Lignes #182 : Revolver, Duane Swierczynski

PREMIÈRES LIGNES #182

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Le livre en cause

Revolver, Duane Swierczynski

4e de couv :

Tout commence à Philadelphie le 7 mai 1965. La ville est secouée par des émeutes raciales. Dans un bar au coin d’une rue, l’officier de police Stan Walczak et son coéquipier George Wildey sont abattus à coups de revolver. Le double meurtre restera non résolu. En 1995, le fils de Stan, devenu inspecteur, enquête sur l’assassinat d’une journaliste, mais cherche toujours à savoir qui a tué son père. C’est Audrey, la petite-fille de Stan, étudiante en criminologie, qui conduira la famille à la vérité.

 

STAN WALCZAK
7 mai 1965


L’agent Stanislaw « Stan » Walczak avale généralement la bière par litres, mais cette après-midi chaude de printemps, il y va doucement. Du dos de sa main épaisse il essuie la sueur qui perle sur son front. Il fait 23 °C et l’air est très moite. Son sang polonais ne supporte pas l’humidité.
Il jette un coup d’œil à son équipier, George W. Wildey.
Contrairement à Stan, Wildey transpire rarement. Et il ne boit pratiquement jamais. Mais il a décrété qu’après la semaine qu’ils viennent de passer, une petite mousse était tout à fait appropriée. Stan ne pouvait qu’être d’accord.
Ils sont en civil mais toute personne qui entrerait dans le bar les repérerait immédiatement. À North Philly, jamais un Blanc ne traînerait avec un Noir, à moins que ce ne soit de la flicaille sous couverture.
Techniquement, ils font tous deux l’école buissonnière.
À une douzaine de rues de là, des manifestants sont rassemblés autour de Girard College, et Stan et George sont censés être sur place pour aider à maintenir l’ordre. Il y a plus de cent trente ans, l’homme le plus riche de Philadelphie a légué l’essentiel de son énorme fortune pour la construction
d’une école destinée aux orphelins « pauvres, blancs, de sexe masculin » à la périphérie de la ville. Pendant les cent années qui ont suivi, des quartiers ont poussé tout autour du campus.
Le secteur, allemand au départ, est devenu irlandais, puis juif, et enfin noir, alors même que les étudiants de Girard College restaient pauvres, blancs et de sexe masculin.
Cependant, après l’arrêt de la Cour suprême Brown vs. Board of Education, les Noirs ont commencé à défendre leur droit à fréquenter le College. Les manifestations organisées par la NAACP ont démarré il y a sept jours, et le chef de la police a envoyé mille hommes sur les lieux pour que la situation ne dégénère pas. La dernière chose qu’on voudrait, c’est une insurrection cataclysmique comme celle qui a eu lieu en août dernier sur Columbia Avenue.
Stan et George se sont vu confier cette mission depuis le premier jour. Une punition, ils ne peuvent le comprendre autrement. Ils ont sûrement gonflé quelqu’un de très haut placé.
Mais malgré les craintes de voir éclater une nouvelle fronde, il ne s’est rien passé, en réalité. Quelques clowns ont essayé de franchir le mur d’enceinte de sept mètres de haut, mais c’est tout. Autrement, beaucoup de temps à rester plantés là, sans rien faire. Stan est quasi sûr qu’ils ne vont manquer à personne.
« T’emmènes toujours Jimmy au match, ce soir ? demande
George.
– C’est prévu, ouais, répond Stan.
– Je suis pas trop sûr des Phillies. En face, c’est les Cardinals, quand même. Qui sont champions du monde. Les Phillies vont devoir inventer quelque chose de nouveau, cette fois.
– Ils vont s’en sortir.
– Tu oublies que les Cards ont toujours Simmons et Sadecki !
– Et nous, on a Dick Allen et Tony Taylor, qui est le meilleur joueur de deuxième base, rétorque Stan dont le doigt épais tape sur le comptoir pour souligner chaque syllabe. Tu veux comparer les gauchers ? Regarde plutôt Covington.
– Si tu veux, mais tu es en train de parler de l’équipe qui a commis vingt-deux fautes sur les douze derniers matches. Pas bon, ça.
– Ils ont beaucoup joué à l’extérieur. On a dix matches à domicile devant nous.
– Tu rêves. »
Stan n’a rien à répondre à ça. Il veut juste que son fils Jimmy voie un beau match, qu’il retrouve un peu de cette exaltation d’août dernier, quand les Phils étaient imbattables et que toute la ville avait l’impression que c’était important. Quelque chose à attendre avec passion, plutôt qu’un autre été à redouter la suite. Il avale sa bière sans précipitation, en se répétant d’y aller doucement. Après tout, il a toute la journée pour boire.
« Laisse-moi choisir trois trucs dans le juke-box », dit George au bout d’un moment.
Stan acquiesce. « O.K., si tu veux. »
Il règne un silence de mort dans le bar. Il n’y a qu’eux deux, plus deux alcoolos dans le fond, chacun à sa table. Le barman décrépit essuie le comptoir, soulève les verres pour passer son chiffon, les repose, sans jamais croiser leur regard.
Le chiffon sent l’eau de Javel industrielle.
Tout à coup, Stan pense à quelque chose. Il se tourne à demi sur son tabouret et s’écrie : « Hé, pas question de nous mettre ta soul de merde.
– Allez… fait George avec un grand sourire. Tu adores la soul de merde. »
Au fond de lui, Stan trouve que certains morceaux de cette soul de merde sont pas mal du tout. Mais il ne l’avouera à personne. Surtout pas à son coéquipier.
George glisse le quarter dans la fente

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Première Lignes #181 : Le sang de nos ennemis, Gérard Lecas

PREMIÈRES LIGNES #181

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Prologue

  1. La guerre d’Algérie tire à sa fin. En octobre 61, les autorités françaises ont jeté avec les représentants du gouvernement provisoire algérien les bases de ce qui aboutira aux accords d’Évian, scellant l’indépendance du pays à travers des
    référendums dont l’issue était jouée d’avance. Les Français d’Algérie se sentaient trahis par de Gaulle depuis son discours de septembre 59 où il avait évoqué pour la première fois l’autodétermination du territoire. En janvier 61, des inconditionnels de l’Algérie française, civils et militaires, vont fonder
    l’Organisation de l’Armée Secrète, dirigée par Jean-Jacques Susini. Durant dix-huit mois, l’OAS va commettre attentat sur attentat, visant aussi bien les populations musulmanes que les Français supposés favorables à l’indépendance, finissant par massacrer aveuglément leurs victimes, entravant ainsi le projet des gaullistes de se débarrasser de l’Algérie. Mais rien n’y fera, à partir d’avril 62 débutera l’exode de ceux qu’on appelle les pieds-noirs, deux millions de personnes fuyant l’Algérie pour retrouver la France qui vient de les rejeter. Marseille. C’est là que débarquent des centaines de milliers de réfugiés. L’accueil de la ville, d’abord compatissant, tourne vite à l’hostilité. La mairie est tenue par Gaston Defferre, auréolé de sa gloire de résistant. Dans la Résistance se sont côtoyés des gens aux origines diverses, un certain
    nombre de militants, de l’extrême gauche à l’extrême droite, qui connaîtront parfois des destins contraires après la guerre, certains policiers, d’autres truands, d’autres encore hommes politiques. Beaucoup retournant prestement leur veste au gré des opportunités.
    Le futur maire de Marseille, lui, avait fréquenté entre autres les frères Guerini, qui à la Libération vont faire main basse sur la cité et tous ses fructueux trafics, jeux, prostitution et enfin drogue grâce à la montée en puissance progressive de la French Connection : la morphine-base importée d’Extrême-Orient est raffinée dans les labos marseillais, « les meilleurs du monde », puis l’héroïne est réexpédiée aux États-Unis. Les Guerini, qui fournissent un soutien logistique à Defferre pour ses campagnes électorales, obtiennent en échange une tolérance pour leurs activités. Toute la chaîne politico-judiciaro-policière est plus ou moins impliquée dans le système.
    La prise du pouvoir par de Gaulle en 1958 va modifier la donne. Deux ans plus tard apparaît le Service d’Action Civique, fondé en 1960 à partir du service d’ordre du RPF, le parti créé par de Gaulle en 1947, dont les membres s’étaient
    toujours violemment opposés aux militants communistes.
    Il est dirigé par des anciens d’extrême droite, notamment Paul Comiti, sous l’égide de Jacques Foccart, un curieux personnage, gaulliste « historique », issu lui aussi de la Résistance et qui sera un des artisans de la création des services secrets français après la guerre avant de devenir par la suite l’homme de la « Françafrique ». Soldat de l’ombre, il avait la main sur toutes les activités occultes du régime, et le SAC aura le statut étrange de police parallèle quasiment officielle. Parmi ses membres fondateurs, on comptera Pierre Lemarchand, ancien résistant lui aussi (et qui sera impliqué dans l’affaire
    Ben Barka), ainsi que Dominique Ponchardier qui deviendra, ironie de l’histoire, un des auteurs piliers de la Série noire sous le pseudonyme d’Antoine Dominique. Le SAC, très actif dans la région de Marseille, n’hésitera pas à recruter dans la pègre locale une partie de ceux qu’on a surnommés les
    « barbouzes », pour aller à Alger éliminer l’OAS, opération qui sera un fiasco. Le mouvement continuera d’entretenir des liens serrés avec le milieu marseillais. Jusqu’à quel point, on ne le saura jamais, ses archives ayant été détruites au moment de sa dissolution en 1982…

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Premières lignes #180 : Les Aiguilles d’or, Michael McDowell

PREMIÈRES LIGNES #180

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

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Le livre en cause

Les Aiguilles d’or, Michael McDowell

PROLOGUE DE MINUIT

Par une sombre nuit d’hiver, sept enfants se blottissaient près d’une grille de ventilation sur Mulberry Street. Chacun à leur tour, pendant environ une minute, ils s’asseyaient directement sur la grille en fer pour profiter de la vapeur qui s’échappait de la chaudière des locaux de la police de New York. À peine vêtus de haillons informes et répugnants, le visage et toutes les parties à nu noircis par la crasse, ils semblaient dans cette ruelle obscure n’être que des ombres chétives, une assemblée de gobelins dégénérés. Une stridente dispute éclata parmi eux pour savoir si l’une des filles, qui portait dans ses bras un nourrisson à la respiration sifflante, avait le droit de rester plus longtemps sur la grille. Mais avant que les chamailleurs n’aient le temps de se mettre d’accord, leur querelle fut noyée dans le soudain carillon de toutes les cloches de la ville.

L’an de grâce 1881 devenait l’an de grâce 1882.

Non loin de là, dans la cave d’un bâtiment pourrissant de Grand Street, se trouvait un bouge qui servait une bière tiède, un lieu tellement infâme qu’il ne se distinguait même pas par un nom. Les hommes et les femmes qui s’y trouvaient, des pauvres, des déchus, des criminels, des souffreteux, venaient y consommer la bière éventée que les établissements de Bowery Street avaient jugée trop mauvaise pour être servie la nuit précédente. Les clients buvaient sans se plaindre jusqu’à devenir insensibles au froid extérieur et à leur détresse intérieure. L’endroit était tenu par un Noir muet qui servait toute la nuit cet alcool dans de grandes tasses en céramique que personne n’avait jamais lavées. Dans cet espace confiné, qu’un petit feu de charbon ne servait qu’à saturer d’une fumée suffocante sans réchauffer personne, les hommes pestaient contre Dieu, les femmes qui les avaient trompés, les autorités qui les avaient emprisonnés, la machine démocrate qui avait échoué à leur apporter la liberté et contre tout ce qui traversait leurs esprits embrumés. Les femmes, qui trouvaient pour la plupart le soulagement

dans l’hébétude, s’étaient pelotonnées dans les coins sombres ou étaient assises, la tête appuyée contre les murs suintants et glacés. L’achat de deux bières à un cent pièce leur donnait le privilège de rester jusqu’au lever du soleil. Des gamins en guenilles se battaient sous les tables tandis que le singe du joueur d’orgue de barbarie tuberculeux sautillait d’un client à l’autre, sur le hargneux comme sur le comateux, sans distinction, ajoutant ses piailleries perçantes à l’impénétrable fatras des voix.

Deux hommes maussades, libérés de Blackwell’s Island le matin même, jouaient de l’argent près de l’entrée. Une brève interruption dans la valse de leurs cartes poisseuses au moment où les cloches se mirent à sonner fut la seule attention que l’on accorda à la nouvelle année dans ce triste lieu.

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Premières lignes #179 : La patience de l’immortelle, Michèle Pedinielli

PREMIÈRES LIGNES #179

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Le livre en cause

La patience de l’immortelle, Michèle Pedinielli

Putain, il a fallu que je crève ici. Ici, cette nuit, sur cette route quelque part au milieu du maquis. Il fallait que je crève dans le noir.
Ça a commencé par une sorte de plaf, et j’ai failli perdre le contrôle de la bagnole. Un coup à droite, un coup à gauche.
Frein. Stop. Les deux mains agrippées au volant, le souffle court, le regard qui se perd au-delà de la zone balisée par la lumière des phares. L’éclairage public des routes corses tendant vers le zéro absolu, je n’ai pas vu grand-chose. Je n’arrivais même pas à deviner la silhouette des arbres ou l’amorce du
virage que j’aurais dû suivre vingt mètres plus loin. Le noir de Soulages est plus lumineux que cette route.
Je me retrouve donc seule dans une voiture immobile au milieu de pas grand-chose. De la route, du maquis, et c’est tout. La maison doit être à trois ou quatre kilomètres. Dans cette situation, tu te rends compte que la nuit, la conscience
des choses est complètement… Oui, enfin, laisse tomber l’idée que tu arrives à penser. La nuit, tu as peur, tu es programmée pour avoir peur, et c’est tout. La nuit, hors des lumières de la ville, c’est le retour aux âges farouches et, sans Rahan, peu de chances de s’en sortir.
Premier réflexe, quasi primaire, inscrit dans les gènes: fermer les portes, se bloquer à l’intérieur, le danger vient de la route. Souviens-toi du livre de Cormac McCarthy. Je cherche à contrecarrer la trouille qui monte en fouillant mon imaginaire pour dégoter une histoire où un chemin nocturne et désert est
synonyme de sérénité et de fin heureuse. Ben, y en a pas. Au bout de cinq minutes à mouliner dans tous les sens, enfermée dans la voiture, je me sens comme dans un piège. Avec un téléphone qui refuse de se connecter. Un concentré de technologie de pointe (de pointe émoussée dans le cas du mien, mais enfin quand même) mis à mal par l’épaisseur des chênes, des eucalyptus, des myrtes et des arbousiers. Mis à mal par la rentabilité zéro de tirer des lignes supplémentaires sur cette montagne au milieu de la Méditerranée. Ça s’appelle une zone blanche.
J’essaie de scruter la nuit. Je n’arrive pas à distinguer les branches, les troncs. Ça devient une entité homogène. Ça ne devrait pas l’être.
Sors de là !
Ouvre la portière, constate le pneu à plat, récupère le cric dans le coffre. C’est bon, il est à sa place, je l’empoigne de la main droite, la roue de secours doit se trouver sous le bordel que j’ai entassé depuis que je suis là ; la trappe, je la sens de la main gauche, je vais pouvoir la soulever. J’ai envie de pisser. C’est
pas le moment. Et soudain un bruit. Un craquement. Celui que j’anticipe avec effroi depuis un quart d’heure. Il y a quelque chose de l’autre côté de la route. Je me redresse lentement, gelée à l’intérieur. Un froissement de feuilles. Quelque chose s’est mis en mouvement et se dirige vers moi. Un sanglier. Ce serait bien si c’était un sanglier. Juste un sanglier. L’ombre se détache de derrière un arbre et avance suffisamment pour devenir une silhouette à l’orée des phares. Un humain, grand et vêtu de noir, c’est tout ce que j’entrevois au premier coup d’œil. Au second, j’ai la confirmation que je suis mal barrée.
Pas bon signe n°1: il est cagoulé. Pas bon signe n°2 : il tient un fusil de chasse. Pas bon signe n°3 : celui-ci n’est pas cassé et il est pointé vers moi. D’un seul geste, il m’intime l’ordre de La patience de l’immortelle lâcher le cric, de m’éloigner de la voiture et de me diriger sur le bas-côté. Ce que je fais sans le quitter des yeux. Et dans le halo des phares je vois le double canon de son fusil, deux trous du néant. Rappelle-toi quand Barto t’a raconté comment on
surnommait parfois un fusil. Bocca nera, à cause de la bouche noire du canon. La dernière chose que l’on voyait avant de mourir. Il pensait que c’était peut-être l’origine de ton nom. En fait, ça sera sûrement celle de ton extinction. Boccanera, cette nuit, c’est ton tour.
Au milieu du grand vide de mon cerveau, des suppliques qui s’entrechoquent: pas dans le ventre, s’il te plaît, pas dans le ventre, j’ai entendu dire que la souffrance est insoutenable.
Et puis tout lâche, tu te vides en hurlant. Je veux mourir digne.
Je ne veux pas mourir. Vise la tête. Vise la tête, que je parte vite. Putain, je vais mourir sans avoir pu retrouver le meurtrier de Leti, je vais mourir sans avoir dit à Jo que je…
Les bouches noires m’ordonnent de me retourner: je ne les verrai même pas cracher. Ce sera une décharge dans la nuque.
J’ai peur, tu ne peux même pas savoir combien j’ai peur, je vais mourir sur une route corse, seule, à quelques kilomètres du village. Je m’en fous de l’odeur du maquis et des milliards d’étoiles au-dessus de moi. Papa, maman, je vous aime.
Noir.

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Premières lignes #178 : Sang d’encre, Oscar de Muriel

Premières Lignes #178

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

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Le livre en cause

Les mystères de soeur Juana : Sang d’encre, Oscar de Muriel

PROLOGUE
CONFESSIONS (I)

Puebla de los Ángeles
Messe de minuit de 1689

— Le Seigneur est avec…

— Pourrait-on abréger ?

— Doña Marina, que de blasphèmes ! Cinquante Ave Maria pour votre…

— Et 200 autres si ça vous fait plaisir. Mais d’abord, dites-moi : que vient faire ma petite-fille dans l’enquête du Saint-Office ?

Tapi dans l’ombre du confessionnal, le père Nuñez remonta ses lunettes sur son nez.

— Je sais désormais d’où la petite tient son impertinence, répliqua-t-il d’une voix forte, car l’orgue et les villancicos1 faisaient vibrer la cathédrale tout entière.

— Si je l’ai placée au couvent, c’est justement pour m’épargner les scandales, et voyez le résultat !

— Doña Marina, je me suis escrimé à vous dire que San Jerónimo ne convenait pas à votre petite-fille. Estimez-vous heureuse que l’affaire n’aille pas plus loin. Quatre décès, ce n’est pas facile à couvrir, même pour l’Inquisition.

La corpulente comtesse de Gijón s’agita si fort qu’elle faillit briser la cloison qui les séparait.

— Quatre quoi ?

Le père Nuñez, comprenant qu’il en avait trop dit, poussa un long soupir, répandant son haleine fétide dans le confessionnal (se laver les dents était sans doute considéré comme un péché de vanité).

— Oubliez. C’est résolu, désormais. Pour le moment, deux affaires me préoccupent davantage.

— Comment, plus que quatre…

— Votre petite-fille est devenue la grande amie de la poétesse. Je crains qu’elle ne lui mette des idées dans la tête.

— Quel genre d’idées ?

— De celles que la gamine avait déjà : arrogance, orgueil, mépris pour les choses sacrées, intérêt pour les textes hérétiques en vogue en Europe. La vocation de cette nonne est plus diluée que les atoles qu’on vend sur la Plaza Mayor.

— Eh bien, la prochaine fois que vous irez confesser les hiéronymites, dites à cette maudite catin de laisser ma petite-fille en paix. Menacez-la. Soudoyez-la s’il le faut.

Le père Nuñez se racla la gorge et se mit à gigoter sur son siège, à croire que le coussin s’était transformé en écorces de chayote.

— Je ne suis pas le confesseur de cette religieuse.

— Pardon ?

— Elle m’a… Elle m’a remercié il y a plus de sept ans.

— Comment est-ce possible ? s’enquit doña Marina avec un intérêt grandissant.

Même à travers la grille, le père Nuñez entrevit le sourire ravi de la comtesse et toussota de plus belle.

— L’empire de cette religieuse dépasse mon influence. Elle est très proche de la comtesse de Galve, du marquis de Mancera, qui ne se décide toujours pas à mourir, du père Kino et de l’évêque Fernández de Santa Cruz. On a publié ses vers perfides à Madrid et tout le monde s’arrache ses services pour qu’elle rédige discours et loas. C’est elle qui a composé les villancicos que nous entendons en ce moment même. Et elle est riche.

— Plus que moi ?

— Bien sûr que non, doña Marina. Mais, sauf votre respect, vous n’êtes pas dans les bonnes grâces du vice-roi ni des courtisans, et cela fait des années qu’on ne vous voit plus à la cour de Madrid.

La comtesse de Gijón roula des yeux d’un air avide.

— Peut-être pas, mais je suis moi aussi très proche de l’évêque Fernández de Santa Cruz… Vous savez combien je lui donne chaque année, en plus de la dîme.

« Tout votre blé charançonné », fut sur le point de répliquer le prêtre, mais il avait la tête ailleurs.

— Et l’autre affaire est plus urgente encore.

— Quoi ? mugit la comtesse, cette fois presque aussi fort que l’orgue monumental. Dans quoi s’est fourrée cette maudite gamine ?

— Je ne parle pas d’elle.

— De qui donc, alors ?

— De votre petit-fils.

— Demián ?

— Exact. Que vous avez envoyé à la capitale pour trouver une épouse.

Doña Marina se couvrit le visage de sa grosse main gantée.

— J’imagine déjà. Ivresse ? Jeux d’argent ? Bordels ?

Le père Nuñez ricana.

— Si seulement.

— Si seulement ?

— Disons qu’il est devenu l’ami intime de…

Il s’éclaircit la voix.

— … don Carlos Sigüenza y Góngora.

— Et qui est-ce encore, celui-là ?

Le père soupira.

— Vous êtes bien mal informée. C’est un autre scribouillard qui s’est attiré la sympathie des comtes de Galve. Ces derniers le paient pour pondre un pavé insipide d’aventures qui ne valent pas tripette.

— Encore un qui roule sur l’or ?

— Pensez-vous ! C’est un crève-la-faim. Il est aumônier dans un affreux hospice réservé aux… hum… vérolés.

— Vérolés ?

— Les personnes atteintes de la syphilis.

— Je sais ce que cela veut dire. Mais en quoi cela me concerne-t-il ? Soutire-t-il de l’argent à mon Demián ?

— Non, pire.

— Pire ! s’exclama doña Marina, qui ne pouvait rien concevoir de plus tragique que de perdre son argent.

Le père baissa d’un ton.

— Don Carlos jouit d’une certaine… réputation.

— Réputation ?

— Oui. Il appartenait à l’ordre de la Compagnie de Jésus, mais il en a été exclu il y a vingt ans. La raison de son renvoi n’a jamais été établie, cependant… Les mauvaises langues l’accusent de…

Il s’approcha de la grille pour marmonner le dernier mot. Au même instant, l’organiste plaqua un accord assourdissant.

— Je n’ai pas entendu, dit la comtesse.

Le père chuchota à nouveau, à peine plus fort, mais l’accord final se prolongeait.

— Je n’ai toujours pas enten…

— Sodomie !

Son cri exaspéré coïncida avec la pause solennelle entre deux cantiques, et le mot infâme se propagea jusqu’aux fidèles, aux mères et aux enfants.

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Prmières lignes # 177 : Meurtre au couvent, Oscar de Muriel

PREMIÈRES LIGNES #177

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

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Le livre en cause

Les mystères de soeur Juana Tome 1 : Meurtre au couvent, Oscar de Muriel

traduit de l’espagnol (Mexique) par Vanessa Canavesi

Prologue
Profanation

1er novembre 1688
Peu après minuit

Les démons étaient revenus hanter les rêves de l’abbesse. Des créatures hideuses à la chair carbonisée par les flammes de l’enfer. Leurs pattes griffues s’approchaient d’elle, surgissant de l’inframonde comme des vers sortant de terre.

Tout à coup, alors qu’elles étaient sur le point de l’attraper, sœur Caridad la secoua par le bras.

— Madre ! Mère ! Je vous en conjure, réveillez-vous !

La mère Augusta fut soulagée d’être tirée de son sommeil. Elle s’essuya le front et se redressa dans l’obscurité. Le visage rondouillard de la jeune novice se trouvait à quelques centimètres du sien, éclairé par la lueur vacillante d’une bougie.

— Que se passe-t-il ?

Les lèvres de sœur Caridad tremblaient.

— Madre… C’est arrivé de nouveau.

Instinctivement, l’abbesse chercha son médaillon de San Jerónimo d’une main tandis qu’elle se signait de l’autre.

— Dieu tout-puissant…

Caridad n’en dit pas plus, la pauvre peinait déjà à tenir sa chandelle. La mère supérieure se força à oublier sa propre terreur, car il était impossible pour elle de flancher devant les sœurs et les novices.

— Où ?

— Dans la chapelle de sainte Thérèse d’Ávila.

— Est-ce que tu as vu le corps ?

— Non, madre ! Je n’ai pas osé regarder. C’est sœur Encarnación qui l’a trouvé.

Augusta se leva et défroissa son habit. Quand avait-elle dormi pour la dernière fois en chemise de nuit de dentelle ? Impossible de s’en souvenir. Elle se servit de la bougie de sœur Caridad pour allumer sa lampe à huile et, ensemble, elles sortirent dans le grand cloître. La lune avait disparu derrière d’épais nuages et le ciel ressemblait à une caverne obscure et froide, ce qui décuplait leur angoisse.

Sœur Encarnación montait la garde devant la rangée de confessionnaux délabrés, rivés à la paroi extérieure de l’église telles des âmes implorant le pardon. Le peu de lumière qui émanait de sa bougie dansait sur les colonnes et rebondissait sur la peau ridée de la vieille nonne. Avec son cou émacié et ses yeux exorbités, elle évoquait un vautour aux aguets.

— Je n’ai laissé personne s’approcher, madre, déclara-t-elle de sa voix râpeuse. J’ai envoyé sœur Caridad vous chercher sitôt que… je l’ai découverte.

— Qui est-ce, cette fois ? demanda l’abbesse, prête au pire. L’avez-vous reconnue ?

Sœur Encarnación acquiesça.

— Jacinta.

La révérende mère se saisit à nouveau de son médaillon. La gorge nouée, des Notre Père et des Ave Maria fusant dans son esprit, elle prit le chemin de l’avant-chœur.

L’éclat doré d’une centaine de cierges l’accueillit. En cette nuit de la Toussaint, afin de guider les âmes du purgatoire, la tradition voulait que la maison du Seigneur soit baignée de lumière.

Augusta traversa avec détermination les cryptes ancestrales du chœur et ouvrit d’un coup sec la grille qui donnait sur la nef, strictement réservée aux laïques. À peine avait-elle parcouru cette partie de l’église qu’elle ressentit un frisson glacé. Ignorant la peur, et la nausée causée par l’odeur de l’encens, elle progressa jusqu’à la statue de sainte Thérèse. Les pas des sœurs résonnaient derrière elle. Bientôt, toutes trois parvinrent à la chapelle. La sainte, à l’instar des professes, regardait vers le bas. À l’expression affligée de ses yeux de verre, on eût dit qu’elle était consciente de l’horreur qui se déroulait sous ses pieds.

L’abbesse porta une main à sa poitrine. Une flaque rouge, visqueuse, s’étalait parmi les prie-Dieu.

Sans même s’apercevoir qu’elle avait le souffle coupé, elle se signa et s’approcha en titubant. Derrière elle, sœur Caridad, épouvantée, respirait péniblement.

Il y avait du sang partout dans la chapelle. Des gouttes avaient même souillé le voile de sainte Thérèse, si laborieusement brodé par les religieuses de Flandres.

— Elle n’est plus là. On l’a emportée ! s’exclama sœur Encarnación.

Effectivement, à l’exception de cette répugnante mare vermeille, il n’y avait pas le moindre corps.

— Es-tu sûre que c’était elle ? demanda Augusta.

— Naturellement, madre ! Je l’ai vue comme je vous vois.

Courbée vers l’avant, la prieure remarqua qu’un filet de sang serpentait en direction du maître-autel, jusqu’à l’imposant retable de bois doré.

Un courant d’air s’introduisit depuis la porte côté nord – grande ouverte sur la rue ! Il fit vaciller les flammes, et les trois religieuses découvrirent alors l’effroyable tableau.

L’abbesse dut fermer la bouche pour ne pas vomir. Caridad poussa un cri strident et se mit à pleurer. Encarnación, agrippée telle une petite fille à l’habit de la mère supérieure, faillit s’évanouir.

L’enfer. L’enfer. Il n’y avait pas d’autre mot pour décrire cet étalage de sang et de restes humains.

Le vent souffla avec plus de rage, éteignant les cierges un à un. Soudain on entendit des pas.

Lents et cadencés, claquant sur les dalles de pierre volcanique comme s’ils venaient de l’autel, du toit, des murs – de partout à la fois.

Alors, surgissant du sol comme s’il provenait des entrailles mêmes de la terre, un rugissement leur succéda, pareil à celui d’un porc qu’on égorge. Guttural, désespéré, de ceux qui vous poignardent les oreilles et vous tordent les tripes.

Sœur Caridad tomba à genoux, implorant miséricorde à grands cris, bientôt suivie de sœur Encarnación qui, toujours cramponnée aux habits de l’abbesse, manqua de la faire basculer.

À ce moment-là, la mère Augusta crut voir, illuminée par les rares cierges encore allumés, une silhouette voûtée qui se découpait dans l’ombre du maître-autel. Il y avait quelque chose de quasi bestial dans ses mouvements saccadés.

Cette vision ne dura qu’un instant ; les ténèbres engloutirent aussitôt l’église tout entière.

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Premières lignes #176 : Le grand Test, Jacques Expert

PREMIÈRES LIGNES #176

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Le grand Test, Jacques Expert

Vendredi 14 avril, 20 h 34

Sergio Destrebecq est seul chez lui. Il finit son whisky écossais bien tourbé de vingt ans d’âge avant de passer à table. Il va se cuisiner une belle côte de veau, accompagnée d’un sancerre rouge de la maison Briand, où il a ses entrées et ses prix d’ami.

Il allume un cigarillo, lâche une longue bouffée, tandis qu’il retourne la viande dans la poêle en fonte.

Après le dîner, il s’installera dans le salon, dégustera un vieux cognac en fumant son cigare hebdomadaire. Sans rien faire, ni lire ni regarder la télé. Sa femme est chez sa sœur à Auxerre, son fils doit encore traîner quelque part avec ses copains et va rentrer chez lui bourré. « Il faut bien que jeunesse se passe », se rassure-t-il, craignant que Germain ne soit pas fait du même bois que lui.

C’est bien parce qu’il passe la soirée seul qu’il a l’intention d’en profiter. Sa femme le houspille parce qu’il picole, fume trop. Ce n’est pas à plus de soixante berges qu’il va se laisser emmerder. Même par sa femme.

Il répond, pour l’agacer, qu’on n’a qu’une vie, qu’il en profite « tant qu’il est jeune » et qu’elle ferait mieux de suivre un régime.

Quand il évoque les régimes à répétition de son épouse, il sait qu’il fait mouche. Elle est susceptible, mais il est vrai que ça ne lui ferait pas de mal de perdre une bonne quinzaine de kilos. Il s’en fout qu’ensuite elle lui fasse la gueule toute la soirée.

Il hache les champignons de Paris pour accompagner sa côte de veau, devant l’évier, face à la fenêtre, quand il remarque une agitation furtive près de la grange, à une trentaine de mètres de la maison. Il y range son matériel et il y en a bien pour quelques dizaines de milliers d’euros. La propriété est grillagée et, en principe, personne ne peut y entrer.

Il n’est pas sûr, mais il a cru voir une silhouette dans la pénombre.

Un camp de Roms s’est imposé dans un champ à une vingtaine de kilomètres de Savenne, et avec ces gens-là, il vaut mieux être vigilant.

Alors il pose son couteau sur le comptoir de marbre et il sort pour en avoir le cœur net.

Quand, bien plus tard, sa femme entrera dans la cuisine, elle trouvera la côte de veau toujours sur le gaz, carbonisée dans la poêle en fonte.

Immangeable.

Deux mois plus tard

MERCREDI

Installé dans le bureau monté à la hâte au premier étage du gymnase Robert-Laforge, une vieille gloire locale, il allume une Camel, profite de la première bouffée.

Le palais des sports, peu gracieux bâtiment en béton, a été construit dans les années soixante-dix. Il trône, tel un trophée rescapé du passé, le long de la route qui contourne le centre du bourg. À l’intérieur, la lumière trop crue irrite la vue. De chaque côté, les trois rangées de bancs rouges (la couleur des équipes de hand) attendent le coup de peinture qui leur donnera une nouvelle jeunesse.

C’est ici que la gendarmerie a décidé de s’installer.

Le capitaine Francis Duquennes a tout du gendarme : grand, affûté, la coupe de cheveux gris réglementaire. Il relit consciencieusement ses notes. Il doit s’appliquer car elles ont été rédigées d’une main trop nerveuse, le stress sans doute. Signe d’une enquête qui n’avance pas, elles sont à peine lisibles.

Au début, tout le monde a cru à un accident, car Destrebecq avait l’habitude de passer dans la grange en fin de journée pour ranger son matériel, aérer la paille entassée dans le fond du bâtiment. Et comme c’était un gros fumeur… Il aurait perdu connaissance en tombant et le mégot aurait fait le reste. L’incendie de la grange n’a laissé que des ruines fumantes et son corps, calciné.

Le médecin légiste a vite démenti cette hypothèse. Et c’est ainsi que le capitaine a hérité de l’affaire. Le crâne portait les traces de coups mortels, pas d’une blessure due à une mauvaise chute. Vu l’état du corps, le légiste ne le confirmait pas à cent pour cent, mais il a écrit que la victime était morte quand le feu s’est déclaré.

Il s’agissait donc d’un homicide et le capitaine Duquennes a été chargé de l’enquête.

Deux mois après le drame, l’affaire occupe toujours toutes les conversations de ce gros bourg de Sologne. Surtout parce que c’est un homme important de la région, que l’on croyait intouchable, qui a été tué. Sa mort a réjoui pas mal d’habitants, mais personne ne s’est risqué à le dire. Ce sont des choses que l’on garde pour soi. À Savenne-sur-Nère, le « patriarche » n’est plus, mais sa famille règne toujours.

Si, deux mois plus tard, l’assassinat est toujours au centre de toutes les conversations, c’est aussi parce qu’il a surpris tout le monde. De mémoire d’habitant de Savenne, le dernier meurtre remonte avant guerre. Et le nom de la victime a été oublié. C’était un réfugié espagnol.

Dans les notes du capitaine sont consignés deux mois de recherches infructueuses, de déceptions. Des noms, des lieux, des hypothèses et peu de certitudes.

Pourtant l’affaire semblait plutôt simple à résoudre. Surtout pour un enquêteur réputé et malin. Après avoir écarté la piste familiale, celle des proches, le capitaine a exploré les relations professionnelles de Destrebecq. Il a ainsi découvert quelques sombres arrangements, des dessous-de-table. Classique…

Sergio Destrebecq, ancien ouvrier forestier, avait construit une solide fortune qui lui valait du respect, mais aussi beaucoup de jalousie. Avec son fils Germain et sa femme Sylvaine, ils formaient le clan Destrebecq qui régnait sur la région. Un mot de lui, et c’en était fini de vous. Leur fille avait préféré s’éloigner. Elle vit à Auxerre, loin du clan.

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Premières lignes #175 : De sang et d’acier, Harald Gilbers

PREMIÈRES LIGNES #175

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Le livre en cause

De sang et d’acier : une nouvelle enquête du commissaire Oppenheimer, Harald Gilbers

1

Mercredi 16 juin 1948

D’ordinaire, les changements irréversibles ne s’annoncent pas à l’avance. Ils surgissent du néant sans prévenir. C’est justement ce qui arriva à Sven ce jour-là. Le garçon turbulent et ses trois amis attendaient impatiemment la fin de leur dernière heure de cours. Aucun d’eux ne se doutait qu’ils feraient connaissance avec la mort après l’école.

Leur salle de classe était couverte de poussière à cause des plâtras qui tombaient du plafond. Sven trouvait que ce décor s’accordait à merveille avec l’enseignement sec et rebutant qu’ils y recevaient. Assis sur sa chaise en bois, il balançait nerveusement les jambes. La cloche aurait dû retentir depuis longtemps pour les libérer de leur calvaire quotidien.

Il avait hâte d’aller s’amuser dehors. L’été arrivait enfin, et les journées semblaient durer éternellement. On avait le temps d’entreprendre quelque chose après les leçons. Âgé de onze ans, l’écolier aimait se rendre sur la rive nord de la baie de Rummelsburg pour y faire les quatre cents coups avec sa petite bande. Sven savait qu’il pouvait compter sur ses camarades. Avec une naïveté tout enfantine, il se sentait lié à eux par une inébranlable amitié.

La sonnerie interrompit les explications monotones de l’instituteur. En un tournemain, Sven rangea ses livres dans son cartable et bondit sur ses pieds. Un regard réprobateur du maître le poussa à retourner son siège et à le poser avec précaution sur son pupitre.

Ses trois copains l’attendaient déjà dans le couloir. Ensemble, ils dévalèrent le grand escalier jusqu’au rez-de-chaussée et se ruèrent en criant dans la cour de récréation. Leurs voix claires couvraient les cliquetis des assiettes en fer-blanc accrochées aux courroies de leurs sacs.

Comme chaque jour, Sven ne fit qu’un passage rapide chez lui. Jetant ses affaires de classe dans un coin, il signala son retour à sa mère. Alors qu’il s’apprêtait à ressortir pour aller jouer dehors, elle le força à mettre sa casquette à rabats. L’été qui se profilait menaçait d’être un fiasco. Malgré des températures agréables, les jours étaient gris, et des averses survenaient par intermittence. Il manquait encore cette odeur estivale typique, lorsque l’air vibrait dans la chaleur ambiante.

Bien décidé à affronter les caprices du temps, il se rendit à la Medaillonplatz. C’était dans ce square verdoyant qu’il retrouvait quotidiennement ses amis. Les garçons s’ébattirent un moment sur les pelouses du petit jardin public avant de se diriger vers la baie de Rummelsburg, toute proche. La rive boisée de cette anse de la Sprée était leur territoire.

Par cet après-midi morose, l’endroit était peu fréquenté. Même les pensionnaires de l’orphelinat voisin restaient invisibles. La mère de Sven lui avait expressément interdit de jouer avec les enfants qui vivaient là-bas. D’après les rumeurs qui circulaient, ce genre d’établissement accueillait de jeunes délinquants dangereux. Comme ses copains avaient reçu la même consigne chez eux, tous les quatre évitaient en règle générale de s’approcher trop près de l’enceinte du foyer.

Tandis qu’ils se faufilaient entre les arbres, Sven aperçut sur la berge escarpée une petite fille avec des tresses. Il savait que l’inconnue venait de l’orphelinat. Immobile, elle scrutait les flots sombres. Seule sa robe ondulait au vent.

Il ralentit l’allure avant de se figer. D’instinct, il sentit que l’affaire était grave. Il arrêta d’un geste son copain Schorsch, qui s’apprêtait à surgir du bois pour chasser l’intruse.

— Attends.

Étonné, son camarade fronça les sourcils.

— Essayons d’abord de comprendre ce qui se passe, ajouta Sven en pinçant les lèvres comme le faisaient ses héros préférés de westerns.

Il prit la tête du petit groupe et s’avança avec prudence vers la rive. Le visage rougi, la fillette suçait nerveusement son pouce. Elle paraissait à la fois effrayée et fascinée par ce qu’elle contemplait en contrebas du talus.

Sven suivit son regard. Les épaisses frondaisons de la futaie bruissaient et noyaient la berge dans un demi-jour crépusculaire. Il dut s’approcher tout près de l’inconnue pour découvrir ce qu’elle observait.

Quelque chose d’indistinct miroitait d’un éclat bleuté dans la bourbe. Plissant les yeux, Sven fit encore un pas avant de pouvoir identifier le mystérieux objet.

Un morceau de viande. Au milieu de la partie tranchée, rouge sombre, jaillissait un os d’un blanc étincelant. Sven avait déjà vu ce genre de pièce chez le boucher. Derrière lui, ses amis échangèrent des murmures. Eux aussi avaient reconnu de quoi il s’agissait.

Dans le limon fangeux gisait un jarret, prolongé par un pied. Toutefois, il ne provenait pas d’un bœuf ou d’un porc, mais bel et bien d’un homme.

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Premières lignes #174 : La longue marche du juge Ti, Frédéric Lenormand

PREMIÈRES LIGNES #174

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Le livre en cause

La longue marche du juge Ti, Frédéric Lenormand

I

Un mandarin fait la chasse aux concombres ; il prend la tête d’une escouade de malfrats.

Le juge Ti était à la poursuite d’un groupe d’évadés que la police de Chang-an ne pouvait accepter de voir circuler en liberté. Il s’agissait de concombres géants, repérés sur la route de Qianling alors qu’ils cheminaient vers la capitale, cachés dans des sacs prévus pour d’honnêtes calebasses. Ils avaient été signalés à la porte de l’Essor-Bienfaisant, par laquelle ils avaient réussi à s’infiltrer malgré la vigilance des douaniers. On soupçonnait qu’ils se terraient dans un quartier fréquenté par une population bigarrée venue des quatre coins de l’empire, un lieu où des concombres sans papiers pouvaient se dissimuler parmi des aubergines et des asperges en situation régulière. Pour un magistrat au flair aiguisé, leur parcours laissait une trace aussi odorante qu’un sauté de crevettes aux cinq épices.

Ti était ballotté au rythme des quatre porteurs qui soutenaient sa chaise, alignés en rang d’oignons le long d’un mât horizontal. Il avait lui-même dessiné les plans de ce véhicule, grâce auquel il circulait entre les charrettes et les passants qui encombraient les avenues. Évidemment, le confort avait dû être sacrifié à l’efficacité, tout comme son amour-propre l’était à la traque des concombres en fuite. À soixante ans sonnés, Ti n’avait plus l’âge de courir les rues pour attraper de minables trafiquants et leurs végétaux de contrebande. Il n’en éprouvait pas non plus l’envie, mais ses supérieurs avaient aussi peu pitié des voleurs de cucurbitacées que du dos des mandarins. Aussi se hâtait-il, suivi de son premier scribe et d’un petit détachement de soldats munis de matraques, avec l’espoir de rétablir l’ordre du Ciel par l’arrestation de quelques légumes en goguette.

Quoique plus jeune que lui, son second s’essoufflait à marcher d’un pas pressé à côté de la chaise.

– Je maintiens qu’il n’est pas du rang de Votre Excellence de chasser elle-même le concombre, parvint à déclarer le fonctionnaire entre les « pouf pouf » de sa respiration haletante.

– Croyez-vous que je l’ignore ? rétorqua son patron.

Il l’aurait volontiers envoyé exprimer cette opinion au bureau des Subsistances, cela l’aurait au moins débarrassé d’un bavard sans ressort. Les autorités gardaient l’œil braqué sur ces questions d’approvisionnement. En période de disette, nul crime n’était plus grave que le vol, l’importation illégale et la vente de denrées sous le manteau. On le jugeait désormais sur son aptitude à traquer les choux, les fanes et les racines délictueux. Les assassins pouvaient s’en donner à cœur joie tant qu’ils ne s’attaquaient pas aux haricots.

Le marché de l’Est était une ville dans la ville. Il couvrait la surface de deux quartiers résidentiels1 et abritait quatre mille boutiques. On y trouvait absolument de tout, depuis l’orfèvrerie jusqu’à la boucherie, en passant par les agences de location de musiciens et les commerces d’esclaves. Un indicateur avait orienté le juge Ti vers l’allée de la mercerie. La piste des légumes menait à un petit entrepôt censé contenir des sachets d’herbes aromatiques désodorisants à suspendre à la ceinture. Le locataire était justement en train de couper de petits rectangles de tissu coloré. Il ressemblait fort au portrait du paysan qui avait filé entre les doigts des gardes de l’Essor-Bienveillant. Après avoir placé le bonhomme sous bonne garde, Ti ordonna à son adjoint d’aller voir s’il n’y avait pas un double fond derrière les sachets parfumés. À force de pousser en haut, en bas et sur les côtés, son subordonné réussit à faire glisser le panneau.

– Victoire ! s’écria-t-il devant un amoncellement de paniers dont dépassaient des articles verts et oblongs qui n’avaient pas du tout l’air feng shui.

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Premières lignes #173 : Le dernier festin des vaincus, Estelle Tharreau

PREMIÈRES LIGNES #173

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Le livre en cause

Le Dernier festin des vaincus, Estelle Tharreau

PROLOGUE

Comme une goutte d’eau éclatant en dizaines de particules, le troupeau de caribous se dispersa au son des fusils qui ponctuaient le décompte final du dernier jour de l’année. En ce soir de réveillon, partout, les voix des hommes scandèrent les dernières secondes ; de la cabane de chasseurs en bordure du lac gelé d’où le troupeau s’enfuyait jusqu’à la ville forestière de Pointe-Cartier et à la réserve indienne de Meshkanau.

Naomi Shehaan l’avait vu. Elle avait senti sa présence aussi fortement que lorsqu’il collait sa peau contre la sienne. Elle avait éprouvé les mêmes sensations de terreur et de dégoût malgré les mètres qui les séparaient dans la salle des fêtes où la communauté innue{1} festoyait. Mais à l’instant où le troupeau de caribous se débanda sur le lac et que les voix exultèrent, une traînée de son sang scarifia son visage.

Elle ne ralentit pas. Elle poursuivit sa fuite sur cette route qui balafrait la forêt entre la réserve et la ville de Pointe-Cartier.

Dans l’affolement, le jeune mâle caribou avait pris une mauvaise direction. Il n’avait pas retrouvé son troupeau qui n’avait pas pu l’attendre. Malgré l’abondance de ces sous-bois, rares étaient ceux de son espèce qui s’y aventuraient, car ils craignaient moins les crocs des loups que les fusils des hommes. Il flaira l’air glacial. Il gratta un peu la couche de neige devenue trop épaisse pour atteindre les lichens. Désormais seul, il devrait se contenter de ceux accrochés sur les troncs au risque d’avancer trop près des cabanes de chasse des hommes.

Soudain, il se figea. Dans ses yeux obscurs et brillants se reflétèrent des lumières. Ses oreilles frétillèrent au son des moteurs. Ses nasaux soufflèrent bruyamment, incommodés par les effluves d’essence. Des hommes poussèrent des cris stridents avant de disparaître dans de gros 4 × 4 qui empuantissaient l’air. Les véhicules roulèrent et disparurent un par un dans la nuit jusqu’à ce que le calme revînt tout comme la noirceur du ciel et l’odeur du lichen dans le froid polaire.

Seule, dans le silence de l’hiver, quand les rares traces de vie étaient étouffées par la neige.

Seule, dans le froid glacial et la noirceur de la nuit où agonisait un dernier quartier de lune

*

À présent, Naomi gisait au milieu du vaste lac gelé. Les os rompus, elle n’avait plus la force de se traîner. Son corps avait creusé un long sillon qu’allait bientôt combler la neige qui s’abattait en rafales.

(…)

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Premières lignes #172 : Repentie, Margot Douaihy

PREMIÈRES LIGNES #172

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Le livre en cause

Repentie, Margot Douaihy

1

Le diable ne se cache pas dans les détails. Le mal prospère dans les angles morts. Il se nourrit de l’absence, des espaces négatifs, un peu comme le flou qui règne autour des mains d’un prestidigitateur. Les détails, quant à eux, sont l’œuvre du Seigneur. Et mon job à moi consiste justement à maintenir l’ordre dans ces détails.

Il m’a fallu près de quatre heures et demie pour terminer la lessive et nettoyer les vitraux. Je ne sentais plus mon corps. Tous mes muscles tiraient. Même avaler était devenu douloureux. Si bien qu’au moment où mes sœurs se sont dirigées vers la salle de réunion, leurs dossiers et leurs documents pressés contre leur habit noir, j’ai préféré m’accorder un moment de réflexion divine dans l’allée. Autrement dit, une pause clope. On était dimanche, et la nuit tombait.

Une entorse au jour du Seigneur, je sais. Pas de quoi être fière. Mais après tout, carpe diem.

Une heure tranquille, voilà tout ce dont j’avais besoin. J’avais eu l’impression toute la journée d’être écrasée sous un nuage lourd de menaces. L’air était épais, chargé de poussière, râpeux comme les mains et les pieds d’un pèlerin. La chaleur collante n’a rien d’inhabituel à La Nouvelle-Orléans, sauf que c’était encore pire ce jour-là. Le soleil était aussi rouge qu’un énorme bouton de moustique. Quelque chose mijotait doucement, dissimulant à peine la violence du bouillonnement. Hors de question d’encaisser un nouveau blâme.

Le premier trimestre se terminait dans une semaine et deux gosses s’étaient déjà plaints de moi. « Toujours sur notre dos, avait gribouillé l’un deux, je sens plus mes doigts ! » L’autre (anonyme, vous noterez bien) avait écrit : « Les cours de musique, c’est de la TORTURE !!! » Ce qui m’inquiétait, c’était que mère Augustine, la supérieure du couvent et la directrice de l’école, aussi solide et robuste qu’un nœud de marin, profite de la réunion du dimanche pour me cuisiner devant tout le monde. Ce qui allait inévitablement conduire sœur Honorée à s’emparer d’incidents mineurs pour légitimer la croisade qu’elle a lancée contre moi. Les conneries débitées par cette bonne femme étaient tellement énormes qu’on aurait dû les retranscrire dans les Évangiles. Bon, d’accord, je mettais la barre haut. Super haut. Mais l’Institut Saint-Sébastien était l’un des derniers établissements catholiques privés ; loin d’être chic, c’était quand même une école d’élite. Je faisais répéter mes classes une heure entière, cinq jours par semaine. Comme un orchestre professionnel. Comment voulez-vous apprendre, sinon ? S’investir, chaque jour, il n’y a pas de miracle. Et je ne rendrais pas service aux élèves si je m’y prenais autrement. À Dieu encore moins.

Souffrir ? Un privilège.

Ressentir la douleur ? La preuve qu’on progresse.

Avoir mal ? Celle qu’on est en train de changer.

Tout le monde peut changer. Même moi.

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Premières lignes #171 : Je mourrai pas gibier, Guillaume Guéraud

PREMIÈRES LIGNES #171

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Le livre en cause

Je mourrai pas gibierGuillaume Guéraud

1

Des raisons, on peut toujours en trouver. Des bonnes ou des mauvaises. En pagaille. Mais c’est pas mon boulot.

Il y a des spécialistes pour ça. Ils vont sûrement me poser un milliard de questions sur les coups que j’ai pu prendre quand j’étais môme et sur les trucs que je voyais à la télé et sur la fois où j’ai rayé la voiture de ma prof de maths ou encore sur mes poissons que j’ai laissé crever de faim pendant les dernières vacances. Après ça, ils me montreront des taches qui ressemblent à rien et ils attendront que je leur dise à quoi ça ressemble. Je vois pas ce que je pourrai leur raconter.

Je ne peux plus faire de mal à personne, maintenant. Même pas à moi. Ils m’ont ôté mes lacets et ma ceinture.

Ils ne tiennent pas à ce que je me foute en l’air. Mais, n’importe comment, il y a toujours un moyen.

Le plus pratique aurait été avec le fusil que j’ai utilisé pour dégommer tout le monde. J’avais d’ailleurs prévu de conserver deux cartouches pour ma pomme. Sauf que, j’ai dû me laisser emporter par l’euphorie, je les ai toutes tirées.

Je me suis bien jeté par la fenêtre, à la fin, mais du premier étage ça risquait pas grand-chose, je me suis juste déboîté un genou, ça m’a servi à rien d’autre qu’avoir mal.

Je hurlais comme un putois quand les flics sont venus me ramasser. Et je chialais. À cause de ce genou qui me faisait un mal de chien. Il était tordu de manière impossible, en dedans, comme si je m’étais sarclé la jambe dans le mauvais sens.

– Ma parole ! a braillé un gendarme.

– Combien de victimes ? a demandé un autre.

– Trois ! j’ai entendu répondre – et j’ai ricané en même temps que je chialais.

– Quatre… a corrigé une voix chevrotante.

– Et deux dans le garage ! a signalé encore un autre.

Les chiffres, c’est pas mon truc. Mais ce dont je suis sûr, c’est que j’avais pris toutes les cartouches. Il y en avait dix-huit. Et, à la fin, il n’en restait plus.

– Martial ! m’a appelé ma mère en tentant de franchir la barrière des flics.

J’ai levé la tête et j’ai aussi vu mon père, plus loin, plié en deux, en train de tousser.

– Sept individus touchés ! a enfin totalisé un gendarme.

– Huit ! a établi plus tard un docteur qui, contrairement aux flics, m’avait inclus dans le lot. Cinq morts ! Deux personnes dans un état grave ! Et un blessé léger !

Le blessé léger, c’est moi.

Pour le reste, c’est vrai que ça fait du monde.

Je ne suis pas spécialement bon tireur mais, avec les cartouches de chasse, le plomb part en gerbe et ratisse large, alors pas besoin de savoir viser correctement pour toucher un bonhomme, surtout quand il a la taille de M. Listrac.

Il y en a pourtant quelques-uns que j’ai manqués. Mais pas M. Listrac. Je lui ai tiré quatre ou cinq fois dedans. Je lui ai fait sortir les boyaux du ventre. Je lui ai transformé l’abdomen en charpie.

– Il y a un enfant parmi les victimes… a déploré le docteur.

Un flic n’a pas pu s’empêcher de me filer des coups de pied en entendant ça.

– Arrête ! l’a retenu un de ses collègues.

– Sans déconner ! a aboyé celui qui me fracturait les côtes avec ses bottes. Ce sauvage a confondu un mariage avec une partie de chasse ! Ouvre les yeux ! Il a aligné un tas de braves gens ! Dont un môme ! Et tu as vu la mariée ? Sa robe est gorgée de sang… Avec un trou grand comme ça sur le devant !

Un autre emballait le fusil dans un sachet plastique.

– Il faut récupérer les douilles ?

– Et le reste ! lui a ordonné son supérieur.

Parce que je ne me suis pas servi que du fusil.

Le fusil est venu après.

D’abord, j’ai pris les premières choses qui me sont tombées sous la main.

Une vieille pelle qui traînait dans le garage.

Et un marteau.

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Premières lignes #170 : Lorsque le dernier arbre, Michaël Christie

PREMIÈRES LIGNES #170

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Lorsque le dernier arbre de Michael Christie

2038

La Cathédrale arboricole de Greenwood

Ils viennent pour les arbres.

Pour respirer leurs aiguilles. Caresser leur écorce. Se régénérer à l’ombre vertigineuse de leur majesté. Se recueillir dans le sanctuaire de leur feuillage et prier leurs âmes millénaires.

Depuis les villes asphyxiées de poussière aux quatre coins du globe, ils s’aventurent jusqu’à ce complexe arboricole de luxe – une île boisée du Pacifique, au large de la Colombie-Britannique – pour être transformés, réparés, reconnectés. Pour se rappeler que le cœur vert jadis tonitruant de la Terre n’a pas cessé de battre, que l’âme du vivant n’a pas encore été réduite en poussière, qu’il n’est pas trop tard, que tout n’est pas perdu. Ils viennent ici, à la Cathédrale arboricole de Greenwood, pour gober ce scandaleux mensonge, et le travail de Jake Greenwood, en tant que guide forestière, consiste à le leur servir prémâché.

Le Doigt d’honneur de Dieu

Les premières lueurs de l’aube filtrent à travers les branches lorsque Jake accueille son groupe de Pèlerins à l’orée du sentier. Aujourd’hui, elle va les conduire entre les flèches démesurées des pins d’Oregon et des cèdres rouges, sur des affleurements de granit recouverts d’un épais tapis de mousse vert électrique, jusqu’aux arbres de la forêt primaire où les attend l’épiphanie. La journée s’annonce pluvieuse, aussi la douzaine de Pèlerins sont-ils dûment sanglés dans les parkas Leafskin dont on leur a fait cadeau – leaf-skin, littéralement « peau de feuille », le nouveau matériau reluisant d’imperméabilité mais respirant qui a remplacé le Gore-Tex, nano-usiné pour imiter la façon dont les feuilles font perler l’eau et la repoussent. Bien que la Cathédrale ait fourni une parka à Jake, elle la porte rarement, de peur d’endommager un bien appartenant à son employeur ; elle a déjà assez de dettes comme ça pour ne pas avoir à s’inquiéter d’un remplacement onéreux. Tandis qu’elle avance péniblement sous le crachin qui s’est déclenché sitôt la visite entamée, elle regrette toutefois de n’avoir pas fait une exception ce matin.

Le litre de café noir d’encre qu’elle a avalé pour lutter contre la gueule de bois ne change rien à la sensation d’avoir du caramel mou à la place du cerveau, lequel vibre à chaque pas d’une douloureuse synchronisation. Elle est tout sauf en état de prendre la parole, mais, une fois dans les premières clairières de l’ancienne forêt, elle se lance dans l’introduction habituelle.

« Bienvenue au cœur battant de la Cathédrale arboricole de Greenwood, déclame-t-elle avec emphase. Les cinquante-sept kilomètres carrés de forêt dans lesquels vous vous trouvez constituent l’une des toutes dernières forêts primaires du monde. » Aussitôt, les Pèlerins brandissent leurs téléphones et se mettent à tapoter frénétiquement sur leurs écrans. Jake ne sait jamais trop si c’est pour vérifier ses propos, clamer leur émerveillement béat sur les réseaux sociaux, ou faire quelque chose qui n’a rien à voir avec la visite.

« Ces arbres jouent le rôle d’énormes filtres à air, poursuit-elle. Leurs aiguilles absorbent poussières, hydrocarbones et autres particules toxiques, et rejettent de l’oxygène pur, riche en phytocides, des substances dont on a découvert qu’elles réduisaient la tension et ralentissaient le rythme cardiaque. Un seul de ces pins adultes peut produire l’oxygène quotidien nécessaire à quatre êtres humains. » Comme s’ils n’attendaient que ce signal, les Pèlerins commencent alors à se filmer en train de prendre de grandes inspirations par le nez.

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Premières lignes #169 : Pour service rendus, Iain Levison

PREMIÈRES LIGNES #169

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

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Le livre en cause

Pour services rendus, Iain Levison

1


Tunnels de Cu Chi, 30 km au nord de Saïgon
Mai 1969


La première chose que voit Billy Drake en descendant du camion est le corps d’un homme mort étendu par terre. Celui-ci ne porte qu’un pantalon noir qui
n’est guère plus qu’une guenille, et ses cheveux sont emmêlés autour de son visage comme s’ils étaient mouillés. Billy remarque qu’il est petit et très maigre.
On distingue nettement ses côtes. Il ne repère aucune blessure sur le cadavre étendu au soleil, manifestement vietnamien, et se demande s’il est mort de faim.
Des soldats fument à proximité et Billy s’approche d’eux. «Hé, fait-il, je cherche la deuxième section, compagnie Bravo. »
Un des hommes le regarde, un grand, décharné, à la peau comme du cuir. Il indique sa gauche sans un mot.
Aucun des autres soldats ne lève les yeux sur lui. Billy tourne la tête et remarque des camions-citernes à l’arrêt et deux hommes qui discutent, penchés sur une
carte étalée sur le capot d’une jeep. Il y a d’autres corps alignés sur le sol, en guenilles noires, sans chemise, tous maigres et les cheveux collés au visage ; pas de blessures ni de sang apparents. L’un d’eux est couché dans le sens inverse, sa chevelure est plus longue, et Billy se rend compte que c’est une femme. Il reste interdit. Les cadavres masculins étaient les premiers qu’il voyait, et tout comme les soldats autour de lui il essayait de faire
comme s’ils n’étaient pas là. Mais la femme morte l’a pris par surprise.
«Hé, tête de nœud, par ici. » Le sergent, l’un des hommes à côté de la jeep, lui fait signe. «Où sont les autres ?
– Les autres ?
– Vous êtes censés être quatre, non? » Le sergent s’approche. Un mètre quatre-vingts, tout en muscles.
En deux jours de Vietnam, c’est le premier soldat que Billy trouve à l’aise dans son uniforme. Il est mince mais pas décharné, bronzé mais pas recuit, et ne paraît pas épuisé. Aucune sueur ne dégouline sur sa figure. Il ne halète pas, n’a pas le regard vide des autres soldats et son gilet pare-balles n’est pas ouvert comme si c’était plus important de laisser entrer l’air frais que d’arrêter les balles. Sa voix est forte et ferme. Il est vif, plein d’énergie, et il scrute rapidement la cime des arbres tout en marchant vers Billy. «Le chef de bataillon Lucas avait dit que je recevrais quatre remplaçants. »
Billy comprend que son rôle est désormais d’annoncer les mauvaises nouvelles. «Les trois gars qui étaient avec moi dans l’hélico ont été déposés dans la compagnie Alpha. Le chauffeur de camion m’a amené ici. » Il voit le visage du sergent s’assombrir.
«Un gars ? Putain, un gars ? J’en ai perdu huit le mois dernier et ils m’en envoient un seul ? » Le sergent boit une gorgée à son bidon et regarde Billy, et bien qu’ils soient de la même taille, Billy a l’impression de devoir lever la tête. «Vous êtes Superman? »
C’est une de ces questions auxquelles on n’est pas vraiment censé répondre, mais les sergents sont tous différents. Billy ne connaît pas encore celui-là. Parfois ils vous crient dessus si vous vous contentez de rester muet.
«Non, sergent. »
Le sergent l’examine, d’abord les yeux, puis le fusil et le paquetage. Billy est propre et rutilant, ni boue ni traces d’usure. Même ses bottes brillent.
«Votre nom?
– Drake, sergent. Première classe Drake. »
Le sergent hoche la tête. Puis il indique les corps étendus, propres et intacts, comme s’ils prenaient un bain de soleil les yeux fermés.
«On vient de les sortir des tunnels. Ce camion, là, dit-il en indiquant un des camions-citernes qui ramène un tuyau, vient de déverser plus de 10000 litres d’eau dans ce tunnel. On en a eu quelques-uns. Peut-être cinq. » Le sergent paraît satisfait de sa journée de travail.
«Quand le photographe aura fini, vous pourrez aider les autres à les enterrer. Un jour comme aujourd’hui ils vont commencer à puer dans trois heures. » Billy voit un photographe en treillis, casqué, prendre des photos des cadavres.
«Oui, sergent. »
Le sergent indique les arbres. «Vous voyez des singes dans les arbres ? »
Billy lève les yeux vers l’entrelacement épais de feuilles et de branches tout autour de la clairière. Pas de singes. «Non, sergent. »
Le sergent hoche la tête. «Allez rejoindre le premier groupe. C’est Peterson qui commande. Par ici. »

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Premières lignes #168 :ce n’est qu’un début Commissaire Soneri, Valerio Varesi

PREMIÈRES LIGNES #168

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri,Valerio Varesi

CHAPITRE 1

Les dépressifs aiment le spectacle de la pluie. Le commissaire Soneri ne savait plus où il l’avait lu et fut rassuré de constater que lui ne l’était pas du tout. D’une sale humeur, peut-être, mais dépressif, certainement pas. Toute cette pluie s’agitant dans un vent capricieux, les rues réduites à des torrents, les façades sombres et trempées, les chauffeurs impuissants dans les embouteillages se défoulant à coups de klaxon l’avaient tellement foutu en rogne qu’il avait décidé de prendre des dispositions. Tout d’abord, éviter les réunions du questeur, ensuite, et de manière générale, rester à distance. Enfin, se trouver un peu de distraction.

La radio de la salle de commandement saisissait l’hystérie d’une ville encline à se complaire dans l’insouciance et désormais en proie à une effervescence malsaine : le marché inondé de la Ghiaia, l’eau pénétrant dans les commerces à presque un mètre de hauteur, l’asphalte défoncé qui découvrait un terreau épais et jaunâtre, les caves transformées en rizières où s’agitaient des locataires dans l’espoir d’un improbable assainissement, les pompiers démarrant toutes sirènes hurlantes afin de se frayer un passage au milieu du trafic. Et puis les deux torrents, la Parma et la Baganza, qui rasaient l’œil des ponts de leur courant bourbeux en tentant d’aller se jeter dans le Pô – lequel, plusieurs kilomètres en aval, déjà contenu par les digues, refusait le débordement tout comme la marée haute adriatique repousserait le sien. Tous avaient l’impression d’habiter dans un puits dont le fatal destin serait la submersion.

Frappé par cette vision, Soneri contempla le ciel d’opale par la fenêtre où de sombres nuées avançaient dans le vent telles des crinières ébouriffées suspendues au-dessus des toits.

— Quel temps, hein ? entendit-il dire derrière lui.

Il se tourna et se trouva nez à nez avec Juvara.

— Oui, glissa-t-il en essayant de ne pas montrer son agacement face à cette irruption.

Il savait qu’il était insupportable, mais était-ce de sa faute si, dans ces moments-là, les mots lui paraissaient banals et inintéressants ? Le jour où les gens se tairont parce qu’ils n’ont rien à dire, le monde plongera dans le silence, songea-t-il.

— Il y a un mort près de la gare, reprit l’inspecteur. Apparemment, c’est un suicide, mais ce serait mieux d’aller y jeter un œil…, ajouta-t-il en laissant sa phrase en suspens par crainte de la réaction du commissaire.

Soneri ne répondit pas. Sans prévenir, sous le regard surpris et soulagé de Juvara, il prit manteau et parapluie et s’engagea vers la sortie.

— Où ça, près de la gare ? s’enquit-il juste avant de franchir le seuil.

— Vous voyez l’ancien hôtel Milano ? Du côté du ponte Bottego ?

— Il est en travaux.

— Exact, confirma Juvara. Il s’est pendu là-dedans. Apparemment, il est rentré sur le chantier en sectionnant des grilles. Ou bien c’était déjà ouvert à cause des toxicos qui vont là-bas pour se shooter.

Soneri fit seulement un signe et disparut dans le couloir. Il sentait qu’il retrouvait de l’énergie malgré le spectacle morbide qui l’attendait. Après tout, l’enquête l’arracherait à la banalité du quotidien. Le tragique n’est jamais banal, il renferme toujours un fond de vérité, songea-t-il à nouveau. Au moins, c’était l’un des aspects positifs du métier : être au contact de la vie, même si elle fait souvent horreur. Il traversa le centre dans la lumière plombée de la bourrasque, accompagné par l’inces

sant ruissellement des gouttières, et chemina jusqu’à ce qu’il surplombe la berge sur le ponte Bottego. La Parma était voladora, comme disaient les vieux en dialecte quand l’eau sortait de son lit et dévalait en effleurant les murs épais des maisons de l’Oltretorrente. Ici aussi, elle s’élançait à quelques mètres du parapet et donnait l’impression d’emporter tout sur son passage. Il dépassa le pont et s’enfonça dans le chantier boueux, puis distingua un sous-sol sombre à l’arrière-plan. À peine à l’intérieur, les yeux toujours emplis d’images de mouvements tumultueux, Soneri découvrit le cadavre immobile du pendu.

— Il est déjà raide, le prévint l’un des deux agents qui tenait une grosse torche.

Le commissaire tenta de digérer la brusque transition qui l’avait fait passer de l’élan vital du torrent à la sobriété obscène d’un cadavre fixé à une poutre comme un jambon.

— Depuis quand ? questionna-t-il en indiquant le suicidé.

— D’après le légiste, au moins douze heures, répondit le policier.

L’homme s’était pendu avec une ceinture et avait dû mourir d’asphyxie, car sa chute avait été de faible hauteur et le cou n’était pas brisé. On le comprenait aussi au pantalon baigné d’urine.

— En s’étranglant, tout se relâche, corrobora l’agent.

— Tu crois qu’on pense à l’étiquette dans un moment pareil ? commenta Soneri d’un ton amer cependant qu’arrivait le dottor Coriani, le magistrat de garde.

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Premières lignes #167, Le nouveau de Keigo Higashino

PREMIÈRES LIGNES #167

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Le nouveau de Keigo Higashino

LA FILLE DU MAGASIN DE BISCUITS

1


— On dirait qu’il commence à faire moins chaud. Il
était temps. Dire qu’on n’est qu’en juin…
Satoko, qui venait de remettre de l’ordre dans l’éventaire, revint dans le magasin.
— Mamie, tu viens juste de sortir de l’hôpital, tu
ne dois pas faire tant d’efforts ! Si quelqu’un te voit et
le dit à papa, je vais avoir des ennuis, moi, dit Nao en
faisant la grimace.
— Mais je vais bien, enfin ! Je ne suis plus malade,
puisque je suis revenue à la maison, et je peux travailler
normalement. Depuis toujours on dit, qui ne travaille
pas ne mange pas. D’ailleurs, il faut que tu te dépêches
d’apprendre à gagner ta vie, ma petite Nao !
— Pff… Tu recommences, lâcha celle-ci en croquant
un biscuit de riz à la mayonnaise.
Satoko se donna une tape à la hanche tout en lui
décochant un regard noir.
— Je trouve incroyable que tu aimes ces biscuits à ce
point. Tu es née dedans, tu en manges depuis toujours,
mais tu ne t’en lasses pas !
— Celui-là, c’est une nouvelle sorte.
— Nouvelle sorte ou pas, un biscuit de riz reste un
biscuit de riz. Honnêtement, moi, les senbei, je ne peux
10
plus les voir en peinture. D’ailleurs, avec mes dents, ça
ne passe plus.
— Après cinquante ans dans ce magasin, ça me semble
plutôt normal.
— Je t’ai déjà dit des dizaines de fois que cela ne
fait que trente ans qu’on en vend ici. Autrefois, notre
spécialité, c’étaient les gâteaux japonais. Ton père n’a
consulté personne quand il a décidé de se lancer dans les
biscuits de riz. Ah… que la gelée de haricot rouge me
manque…
— Mais tu en manges tout le temps, de la gelée de
haricot rouge, répondit Nao en pinçant les lèvres.
Au même moment, un homme en costume gris, assez
corpulent, poussa la porte en verre du magasin et salua
les deux femmes en s’inclinant légèrement.
— Bonjour, monsieur Takura. Merci d’être venu
jusqu’ici malgré la chaleur, lança Satoko d’un ton aimable.
— Ne me remerciez pas, je ne fais que mon travail. Et
il fait moins chaud que plus tôt dans la journée. Heureusement, parce que c’était pénible.
— Vous devez être épuisé ! Entrez, je vous en prie,
je vais vous apporter quelque chose de frais, dit Satoko
en l’invitant à passer dans l’arrière-boutique, adjacente
à la pièce à vivre.
— Non, ce n’est pas la peine. Je suis juste venu pour
ça, fit l’homme en traçant du doigt un carré dans l’air.
— Ah oui, le certificat médical. Je suis allée le chercher avec ma petite-fille. J’aurais tout à fait pu y aller
seule, mais elle tenait absolument à m’accompagner,
expliqua la vieille femme en se baissant pour se déchausser.
— Reste là, mamie, je te l’apporte, dit sa petite-fille.
— Tu sais où il est ?
— Bien sûr ! C’est moi qui l’ai rangé. Alors que, toi,
tu n’en as pas la moindre idée.
En entendant Takura rire, Nao devina la réaction de
sa grand-mère.
— Nao, apporte aussi du thé !
— Comme s’il fallait me le dire, grommela Nao, mé –
contente.
Elle revint dans la boutique avec un verre de thé glacé
sur un plateau.
— Vous avez bonne mine ! Bien meilleure que la dernière fois que je suis venu, il y a quatre jours, déclara
Takura d’un ton convaincu.
— C’est que je suis bien mieux chez moi. Et puis je
ne supporte pas de rester sans rien faire. Même si ma
petite-fille n’arrête pas de me dire que je devrais me
reposer plus.
— C’est normal, elle se fait du souci pour vous. Oh
merci, ajouta-t-il à l’intention de Nao en prenant le
verre de thé froid.
— Tiens, voilà ton certificat, mamie, dit Nao.
— Merci, répondit Satoko.
Elle le sortit de l’enveloppe et le parcourut des yeux
avant de le tendre à Takura.
— Permettez, dit celui-ci en le lisant. Hum… Vous
avez été hospitalisée deux mois… ça a dû vous paraître
long.
— Ça ne m’aurait pas gênée si j’en étais sortie guérie,
mais ce n’est même pas le cas. On m’a découvert une
autre maladie, et il a fallu deux mois pour me retaper.
Vraiment pas de quoi se réjouir.
— C’était une cholangite… Mais on vous a aussi fait
un examen pour un anévrisme.
— Au départ, j’ai été hospitalisée pour ça. Je pensais
être opérée. Mais ça sera pour plus tard.
— Vous voulez dire que vous n’y couperez pas ?
— Apparemment non. Mais en même temps, à l’âge
que j’ai, je me demande si ça ne serait pas aussi bien de
ne rien faire du tout et de voir ce qui se passe.
— Oui, je vous comprends, ce n’est pas facile, répondit Takura, un peu embarrassé.
Il ne pouvait pas se permettre de dire n’importe quoi.
— Vous avez tout ce qu’il faut, maintenant ? demanda
Satoko.
— Oui, avec ça, votre dossier est complet. Je vais rentrer au bureau m’en occuper tout de suite. Vous devriez
recevoir au plus tard le mois prochain la part de la complémentaire pour votre hospitalisation.
— Vous allez retourner à votre bureau ? Mais il est
déjà tard…
— Pas du tout. Eh bien, je vais vous laisser, dit-il en
rangeant le certificat dans sa serviette.
Il se tourna vers Nao et lui sourit.
— Merci pour le thé !
— Je vous en prie, répondit la jeune fille.
Satoko le raccompagna dehors et se posta devant la
boutique pour le suivre des yeux. Fumitaka, son fils, le
père de Nao, rentra environ deux heures plus tard. Le
col de son polo blanc était grisâtre. Il revenait de chez un
grossiste.
— Il a dû se passer quelque chose à Kodenmachō,
dit-il en se déchaussant. Il y avait trop de voitures de
police pour que ce soit un simple accident.
— Tu veux dire un meurtre ? demanda sa fille.
— Ça se peut. Il y avait vraiment beaucoup de policiers.
— Le quartier n’est plus aussi calme qu’avant, lança
Satoko qui préparait de la soupe au miso dans la cuisine. Je trouve qu’il y a trop de monde. Et trop de grands immeubles.

Au lieu de lui répondre, son fils alluma la télévision
et se concentra sur un match de base-ball retransmis
en direct. Nao mit la table. Elle avait l’habitude d’entendre sa grand-mère dire ça.
Les Kamikawa ne dérogeaient jamais à leur habitude de dîner ensemble. En raison du retour tardif de
Fumitaka, ils commencèrent plus tard que d’ordinaire.
Pendant l’hospitalisation de Satoko, Nao s’était chargée de faire la cuisine, corvée dont elle avait été libérée
une semaine plus tôt. La vie avait repris comme avant.
Elle était encore en maternelle lorsque sa mère était
morte dans un accident de voiture. Malgré son jeune
âge, elle n’avait pas oublié le choc que cela avait été pour
elle. Elle y avait survécu parce que son père tenait un
magasin et qu’il était toujours à la maison. La présence
de Satoko lui avait aussi été d’un grand secours. Grâce
à eux, elle avait le sentiment d’avoir échappé à l’isolement qui est généralement le lot des enfants uniques
vivant seuls avec leur père. L’amour de sa mère lui avait
manqué, mais elle avait toujours bénéficié de repas préparés avec amour. Les boîtes-repas que lui confectionnait sa grand-mère pour les sorties scolaires éveillaient
invariablement l’envie de ses camarades de classe.
En avril, la maladie de sa grand-mère et son hospitalisation l’avaient ébranlée. Elle ne s’y attendait absolument pas, et elle était revenue en pleurs de l’hôpital.
Comme sa grand-mère l’avait expliqué à l’agent d’assurances, elle était entrée à l’hôpital pour se faire opérer
d’un anévrisme. Mais quelques jours avant la date de
l’opération, elle avait été prise d’une fièvre inexpliquée,
si forte qu’elle en était tombée dans le coma.
Elle avait passé trois jours dans cet état. Nao avait
à nouveau pleuré lorsque sa grand-mère avait repris
conscience.

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Premières lignes #166, Blackwater : la crue, Mickaël McDowell

PREMIÈRES LIGNES #166

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

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Le livre en cause

Blackwater,

Blackwater : l’épique saga de la famille Caskey Volume 1, La crue 

– Michaël McDowell

Prologue de Blackwater

À l’aube du dimanche de Pâques 1919, le ciel au-dessus de Perdido avait beau être dégagé et rose pâle, il ne se reflétait pas dans les eaux bourbeuses qui noyaient la ville depuis une semaine.

Immense et rouge orange, le soleil rasait la forêt de pins accolée à ce qui avait été Baptist Bottom, le quartier où les Noirs affranchis s’étaient installés en 1895, et où leurs enfants et petits-enfants vivaient encore. Désormais, s’étendait à perte de vue un magma fangeux de planches, de branches d’arbres et de carcasses d’animaux.

Du centre-ville, ne surnageaient que la tour carrée de la mairie et le premier étage de l’hôtel Osceola. Seule la mémoire aurait pu attester de l’existence des rivières Perdido et Blackwater qui, à peine une semaine plus tôt, parcouraient encore la bourgade. Les douze cents habitants s’étaient tous réfugiés sur les hauteurs.

À présent, la ville se décomposait sous une vaste étendue d’eau noire et puante qui commençait seulement à refluer. Les frontons, pignons et cheminées qui n’avaient pas été arrachés et emportés par le courant saillaient de la surface sombre et luisante tels des signaux de détresse de pierre, de brique et de bois ; si bien que les branchages et les déchets non identifiés – bouts de vêtements, débris de meubles – qui frôlaient leurs appels à l’aide muets, s’y accrochaient dans leur dérive, comme autant d’anneaux de crasse autour de doigts tendus.

L’eau noire lapait paresseusement les façades en brique de l’hôtel de ville et de l’Osceola. À part ça, les flots étaient silencieux et immobiles.

Qui n’a pas vécu une inondation de cette ampleur s’imaginera que les poissons nagent librement à travers les fenêtres brisées des maisons, mais ce n’est pas le cas. Les vitres ne cèdent pas. Quelle que soit la solidité d’une bâtisse, l’eau s’infiltre toujours par le plancher ; invariablement, un cellier sans fenêtre comme un porche ouvert aux quatre vents seront inondés. Les poissons s’en tiennent à leurs cours, inconscients des mètres de liberté supplémentaire déployés au-dessus d’eux. Les eaux d’une crue sont sales et pleines de choses sales ; les poissons-chats et les brèmes, désorientés par l’obscurité nouvelle, s’échinent à nager en cercle autour des rochers, des algues et des jambages de ponts qui leur sont familiers.

Si quelqu’un s’était tenu dans la petite pièce située sous l’horloge dans la tour de l’hôtel de ville, à regarder par la meurtrière est, il aurait vu approcher sur la surface huileuse de ces eaux nauséabondes, comme émergeant des décombres de la nuit, un canot solitaire avec deux hommes à son bord.

Mais il n’y avait personne dans cette pièce, et la poussière sur le sol de marbre, les nids d’oiseaux dans la charpente ou le murmure d’agonie des derniers rouages à n’avoir pas encore rendu l’âme demeurèrent inaltérés. Qui aurait pu remonter le mécanisme de l’horloge alors que la ville avait été entièrement évacuée pendant la crue ?

Aussi le canot solitaire poursuivit-il sans témoin sa navigation solennelle. Il arrivait lentement du nord-ouest et des riches demeures des propriétaires des scieries, elles aussi reposant sous les eaux de la Perdido. L’embarcation à rame, peinte en vert – fait étrange, tous les canots du coin arboraient la même couleur –, était manœuvrée par un Noir dans la trentaine, tandis qu’assis à la proue se trouvait un Blanc, de quelques années son cadet.

Les deux hommes gardaient le silence, médusés par le tableau irréel qu’offrait la ville – où ils étaient nés et avaient grandi – noyée sous plus de cinq mètres d’eau fétide. Depuis la première Pâques à Jérusalem, nul soleil ne s’était levé sur un spectacle aussi désolant, ni n’avait suscité autant de désespoir dans le cœur des témoins de cette aube naissante.

« Bray, dit le Blanc, rompant le silence. Dirige-toi vers l’hôtel de ville.

— Monsieur Oscar ! On sait pas ce qu’y a là-dedans. »

L’eau était montée jusque sous les fenêtres du premier étage.

« Je veux voir justement. On y va. »

À contrecœur, Bray orienta le canot d’une poussée ferme et vaguement impétueuse. Ils abordèrent le bâtiment en heurtant la balustrade du balcon.

« Vous allez quand même pas entrer ? », objecta Bray lorsque Oscar Caskey saisit l’imposant garde-corps.

Ce dernier fit non de la tête. La crue avait couvert la rambarde d’un dépôt gluant. Il voulut s’essuyer la main sur son pantalon, mais ne réussit qu’à y répandre un peu de pestilence.

« Approche-toi de cette fenêtre. »

Bray guida l’embarcation jusqu’à la première ouverture à droite du balcon.

Le soleil n’avait pas encore atteint cette partie du bâtiment, aussi le bureau – qui devait être celui de l’officier d’état civil – demeurait-il dans la pénombre. Le plancher n’était plus qu’une mare obscure. Le mobilier était renversé, et tables et chaises se trouvaient dispersées çà et là. Des meubles, éventrés sous la pression, débordait une bouillie administrative détrempée. Partout s’étalaient des liasses de documents officiels en décomposition. Une demande rejetée d’inscription sur les listes électorales pour les scrutins de 1872 était venue se coller sur le bord de la fenêtre ; Oscar réussit même à déchiffrer le nom renseigné.

« Vous voyez quoi, Monsieur Oscar ?

— Pas grand-chose, des dégâts. Des soucis quand l’eau va baisser.

— C’est toute la ville qui va avoir des soucis quand l’eau va baisser. On devrait pas rester là, Monsieur Oscar. On pourrait tomber sur n’importe quoi.

— Et sur quoi est-ce qu’on pourrait tomber ? », rétorqua Oscar en se tournant vers lui.

Bray Sugarwhite était employé par les Caskey depuis qu’il avait huit ans. Il avait été embauché comme compagnon de jeu pour Oscar, alors âgé de quatre ans, avant de servir de garçon de courses, puis de jardinier en chef. Sa femme, Ivey Sapp, officiait comme cuisinière pour la famille.

Bray continua à ramer le long de Palafox Street. Oscar scrutait la rue de gauche à droite, essayant de se remémorer si le salon du barbier était muni d’un fronton triangulaire surmonté d’une boule en bois sculpté, ou si cet ornement appartenait à la boutique de robes de Berta Hamilton.

Cinquante mètres plus loin, on apercevait l’hôtel Osceola, dont l’enseigne emportée deux jours plus tôt devait, à cette heure, avoir éventré le flanc d’un bateau de pêche à la crevette, à dix kilomètres au large du golfe du Mexique.

« On va plus regarder nulle part, pas vrai, Monsieur Oscar ? », demanda Bray avec appréhension tandis qu’ils approchaient de l’hôtel.

À la proue, Oscar examinait les environs.

« Je crois que j’ai vu quelque chose bouger derrière l’une de ces fenêtres ! s’écria-t-il.

— C’est le soleil, dit précipitamment Bray. C’est juste le soleil qui tape contre les carreaux.

— Non, ce n’était pas un reflet. Bray, rame vers le coin là-bas. Fais ce que je te dis.

— Je vais pas le faire.

— Si, Bray, tu vas le faire, dit Oscar sans même se retourner. Alors ne discute pas. Rame jusque là-bas.

— Je vais pas regarder là-dedans… », souffla Bray à voix basse. Puis, plus fort, alors qu’il changeait de cap et ramait en direction de l’Osceola : « C’est juste des rats. Quand l’eau a commencé à monter à Baptist Bottom, je les ai vus sortir de leurs trous et se percher sur les palissades pour s’enfuir. Ces bestioles savent se mettre au sec. Et puis, tout le monde est parti de Perdido mercredi dernier. Y a rien d’autre qu’eux dans cet hôtel. C’est malin, un rat. »

Le canot cogna la façade est du bâtiment ; les vitres réfléchissaient les rayons rouges et aveuglants du soleil. Oscar regarda par la fenêtre la plus proche.

La totalité du mobilier de la petite chambre – le lit, la commode, l’armoire, l’évier et le portemanteau – était entassée au centre de la pièce, comme si les meubles avaient été pris dans un maelström qui se serait ensuite évacué par le plancher. Tout était couvert de boue. Encrassé et raide, un tapis gisait replié sur lui-même contre la porte. Dans la pénombre, Oscar ne parvenait pas à distinguer sur le papier peint la trace laissée par l’eau à son niveau le plus haut.

Le tapis remua. Oscar s’écarta vivement lorsque deux gros rats émergèrent de l’un de ses replis avant de filer vers la montagne de meubles au milieu de la chambre.

« Des rats ?! s’exclama Bray. Vous voyez ? Je vous l’avais dit, Monsieur Oscar, y a rien que des rats là-dedans. On ferait mieux de partir. »

Sans répondre, Oscar se leva et, saisissant un bout du store déchiqueté qui pendait du balcon voisin, tira l’embarcation vers le coin de l’hôtel.

« Bray, c’est celle-là, c’est la fenêtre où j’ai vu quelque chose bouger. C’est passé juste derrière. Et crois-moi, ce n’était pas un rat, pour la simple raison qu’il n’en existe pas d’aussi gros.

— Les rats ont trouvé plein à manger dans l’inondation », répliqua Bray. Ce qui laissa Oscar perplexe.

Se penchant en avant, il agrippa l’appui en béton et scruta la pièce au-delà des vitres maculées.

La chambre d’angle semblait avoir été épargnée. Impeccablement fait, le lit était bien aligné contre le mur et le tapis soigneusement disposé devant. La coiffeuse, la commode et le meuble de toilette étaient également à leur place.

Rien n’était tombé ou ne s’était cassé. À l’endroit où le soleil illuminait un large pan de sol, Oscar nota que le tapis paraissait humide ; il fut forcé de conclure que la crue s’était bel et bien infiltrée par le plancher.

Que le mobilier de cette chambre soit resté intact alors que celui de la chambre d’à côté avait été brisé, entassé et, ultime outrage, souillé de boue noire, constituait un parfait mystère pour Oscar.

« Bray, c’est à n’y rien comprendre.

— Y a rien du tout à comprendre. Et puis, je sais même pas de quoi vous parlez.

— Tout est en ordre, là-dedans. Il n’y a que le plancher qui semble un peu mouillé », dit Oscar en se retournant vers Bray, lequel secoua la tête et réitéra son désir de s’éloigner au plus vite de cet endroit à moitié submergé. Il craignait qu’Oscar se mette en tête de faire le tour du bâtiment pour inspecter chaque fenêtre.

Oscar tourna le dos à son compagnon afin de s’écarter du mur en prenant appui sur le rebord. Il jeta un dernier coup d’œil dans la chambre et bascula soudain en arrière avec un cri étranglé.

Dans cette pièce, clairement inoccupée une poignée de secondes plus tôt, se trouvait à présent une femme. Elle était tranquillement assise au bord du lit, dos à la fenêtre.

Sans attendre qu’Oscar donne d’explications à sa frayeur, et n’en cherchant aucune, Bray se jeta sur la rame et commença à s’éloigner de l’hôtel.

« Arrête ! Retournes-y tout de suite ! s’écria Oscar quand il se fut remis de ses émotions.

— Pas question, Monsieur Oscar.

— C’est un ordre ! »

La mort dans l’âme, Bray dirigea à nouveau le canot vers l’Osceola. Oscar s’apprêtait à agripper le mur quand la fenêtre s’ouvrit.

Bray se figea, la rame plongée dans l’eau. Le bateau heurta la façade, le choc manquant de les renverser.

« J’ai tant attendu… », annonça la jeune femme qui se tenait dans l’encadrement.

Elle était grande, mince, pâle, altière et belle. Ses épais cheveux roux ramassés en un chignon vaporeux étaient d’un intense rouge argileux. Elle portait une jupe sombre et un chemisier blanc. Une broche rectangulaire d’or et de jais était fixée au col de sa blouse.

« Mais qui êtes-vous ?! demanda Oscar avec stupéfaction.

— Elinor Dammert.

— Mais enfin, qu’est-ce que vous faites ici ?

— Dans cet hôtel ?

— Oui.

— J’ai été surprise par la montée des eaux. Je n’ai pas réussi à m’échapper.

— Tout le monde est parti, objecta Bray. Soit ils ont filé, soit on est v’nu les chercher. Mercredi dernier.

— On m’a oubliée, répondit Elinor. Je dormais. On a oublié que j’étais là. Je n’ai pas entendu les appels.

— La cloche a sonné pendant deux heures, dit Bray d’un ton suspicieux.

— Est-ce que vous allez bien ? demanda Oscar. Depuis combien de temps êtes-vous là ?

— Comme le dit votre ami, depuis mercredi. Au moins quatre jours. J’ai passé tout ce temps à dormir. Il n’y a pas grand-chose à faire dans ce genre de situation. Est-ce que vous auriez quelque chose dans votre canot à me donner ?

— À manger ? demanda Oscar.

— On a rien, répondit sèchement Bray.

— Nous n’avons rien du tout, renchérit Oscar. Je suis désolé, nous aurions dû être plus prévoyants.

— Pourquoi donc ? dit Elinor. Vous ignoriez que quelqu’un pouvait encore se trouver là, n’est-ce pas ?

— Ça, c’est sûr ! lança Bray d’une voix qui suggérait que leur découverte n’avait rien d’heureux.

— Chut ! intima Oscar, aussi confus que déconcerté par la grossièreté de Bray. Est-ce que vous allez bien ? répéta-t-il. Qu’avez-vous fait quand l’eau est montée ?

— Rien du tout, répondit Elinor. Je suis restée assise sur le lit en attendant que quelqu’un vienne me chercher.

— La première fois que j’ai regardé par la fenêtre, vous n’étiez pas là. La chambre était vide.

— J’étais là. Seulement vous ne m’avez pas vue. Peut-être à cause du reflet. J’étais assise juste là. Je ne vous ai pas entendus arriver. »

Il y eut un silence. Bray scrutait Elinor d’un air de profonde méfiance. Menton baissé, Oscar se demandait quoi faire.

« Est-ce qu’il y aurait une place pour moi dans ce canot ? fit Elinor au bout d’un moment.

— Bien sûr ! s’exclama Oscar. Nous allons vous emmener. Vous devez être affamée.

— Rapprochez le canot, dit Elinor à Bray. Là, juste en dessous, que je puisse descendre. »

Bray s’exécuta. Une main sur le mur, Oscar se leva et tendit l’autre à Elinor. Elle souleva sa jupe et enjamba gracieusement l’appui. Visiblement à l’aise, et sans laisser paraître le moindre signe de la détresse qu’elle avait dû ressentir pendant ces quatre jours de complète solitude dans une ville presque entièrement sous les eaux, Elinor Dammert se glissa à bord, entre Oscar Caskey et Bray Sugarwhite.

« Mademoiselle Elinor, je m’appelle Oscar Caskey et lui, c’est Bray. Il travaille pour ma famille.

— Comment allez-vous, Bray ? s’enquit Elinor en lui souriant.

— Ça va bien, m’dame, répondit Bray avec un ton et une moue qui évoquaient le contraire.

— Nous allons vous emmener en lieu sûr, dit Oscar.

— Est-ce qu’il y aurait de la place pour mes bagages ? demanda Elinor tandis que Bray écartait d’un coup de rame le canot de la façade en brique.

— Je crains que non, dit Oscar. Il y en a déjà à peine pour nous trois. Mais vous savez, dès que Bray nous aura débarqués, il reviendra chercher vos affaires.

— Hors de question que j’entre là-dedans ! protesta ce dernier.

— Bray, tu fais ce que je te dis. Tu imagines ce que Mademoiselle Elinor a subi pendant quatre jours ? Alors que toi, Maman, Sister et moi on était confortablement au sec ? Qu’on profitait de trois repas par jour tout en nous plaignant de n’avoir emporté que deux jeux de cartes au lieu de quatre ? Tu as pensé à ce que Mademoiselle Elinor a dû ressentir, seule dans cet hôtel alors que tout était inondé ?

— Bray, coupa Elinor Dammert, je n’ai que deux petites valises. Elles sont posées sur le sol, pile sous la fenêtre. Vous n’aurez qu’à tendre la main pour les attraper. »

Enfermé dans son mutisme, Bray ramait en sens inverse du trajet qu’Oscar et lui avaient emprunté à l’aller. Il fixait le dos de la jeune femme qui jamais, ô grand jamais, n’aurait dû se trouver là où on l’avait trouvée.

Assis à l’avant, Oscar cherchait désespérément quelque chose à dire, mais rien ne lui venait – du moins, rien qui puisse justifier qu’il tourne la tête par-dessus son épaule pour adresser une parole maladroite à Mademoiselle Elinor.

Par chance, ainsi qu’il s’en fit intérieurement la remarque, alors qu’ils passaient devant l’hôtel de ville, la carcasse d’un gros raton laveur remonta soudain à la surface, ce qui donna l’occasion à Oscar d’expliquer que les porcs, dans leur tentative de nager pour échapper à la crue, s’étaient ouvert la gorge avec leurs pattes avant. On ignorait si tous s’étaient noyés ou avaient saigné à mort. Mademoiselle Elinor sourit et acquiesça sans dire un mot.

Oscar n’ajouta rien de plus, ne se tournant à nouveau que lorsque l’embarcation passa devant sa maison. « C’est là que je vis », dit-il en pointant l’étage de l’imposante demeure, elle aussi inondée, de la famille Caskey. Mademoiselle Elinor hocha poliment la tête et déclara que c’était une très belle et très grande maison, et qu’elle souhaitait pouvoir la visiter à l’occasion, lorsqu’elle ne serait plus inondée. Oscar accueillit chaleureusement ce souhait – pas Bray.

Quelques minutes plus tard, Bray accosta entre deux racines émergées d’un grand chêne de Virginie qui marquait la limite nord-ouest de la ville. Un pied en équilibre sur la souche, Oscar sortit du canot et aida Mademoiselle Elinor à débarquer au sec.

« Merci, dit cette dernière en se tournant vers Bray. Je vous suis très reconnaissante d’aller récupérer mes affaires. Ces deux bagages, c’est tout ce que je possède, Bray. Sans eux, je n’ai plus rien. Ils sont posés tout près de la fenêtre, vous n’aurez qu’à tendre le bras. »

Puis, elle et Oscar se mirent en chemin pour l’église Zion Grace, vers les hauteurs, à un kilomètre et demi, où les grandes familles de Perdido avaient trouvé refuge.

Un quart d’heure plus tard, Bray abordait à nouveau la façade de l’Osceola. Le temps d’effectuer l’aller-retour, l’eau avait déjà baissé de plusieurs centimètres. Il resta assis un long moment à fixer l’ouverture béante dans l’espoir de rassembler assez de courage pour y passer un bras et récupérer les bagages.

« Je meurs de faim ! s’exclama-t-il. Qu’est-ce que cette femme a bien pu manger ? » S’enhardissant de sa propre voix, et bien que sa remarque ait touché à une partie déplaisante du mystère qui, il en avait l’intuition, auréolait Elinor Dammert, il fit pivoter le canot de manière à s’adosser au mur en brique. Se retenant à l’appui, il passa rapidement son autre bras à l’intérieur. Ses doigts se refermèrent sur la poignée d’une valise qu’il sortit d’un geste brusque et lança dans l’embarcation. Il prit une profonde inspiration et recommença l’opération.

Sa main ne rencontra rien.

Il la retira à la hâte. Les yeux plissés, il fixa un instant le soleil, tendit l’oreille sans percevoir autre chose que le crissement du canot contre les briques rouges, et allongea à nouveau le bras, sondant l’espace sous la fenêtre. Aucune autre valise.

Il n’avait d’autre choix à présent que de regarder dans la chambre : glisser sa tête par la fenêtre et scruter la pièce, à la recherche du second bagage de Mademoiselle Elinor.

Avec la désagréable conscience d’être, à cet instant précis, le seul être humain de tout Perdido, Bray se rassit dans le canot pour réfléchir à la situation.

Il se pouvait qu’en lançant un coup d’œil là-dedans, il aperçoive la valise à sa portée. C’était le plus probable et il serait alors capable de la récupérer comme il l’avait fait pour l’autre. Mais il se pouvait, aussi, qu’elle soit hors de portée ; il lui faudrait alors se hisser dans la chambre. Et ça, pas question – mais peu importait, après tout il pourrait toujours dire à Monsieur Oscar qu’il n’avait pas pu sortir du canot, n’ayant pas trouvé d’endroit où l’amarrer.

Bray se remit debout et assura son équilibre en se maintenant à la façade. Il regarda par la fenêtre, mais ne vit l’autre bagage nulle part. Il n’était tout simplement pas là.

Sans réfléchir, la curiosité l’emportant sur la peur, il se pencha à l’intérieur et vérifia le long du mur.

« Seigneur ! Monsieur Oscar, murmura-t-il, répétant le laïus qui lui vaudrait le pardon pour avoir échoué à ramener les deux bagages. J’ai regardé partout, et il était pas là. J’aurais bien cherché dedans mais y avait rien pour s’amarrer, je… »

C’était faux, il aperçut une attache de métal autour de laquelle le cordon du store avait été fixé. Bray maudit ses yeux. Impossible de mentir à Monsieur Oscar, qu’importe ce qu’il ressentait.

Maudissant de nouveau ses yeux et son incapacité à ne rien dire d’autre que l’absolue vérité, il enroula la cordelette d’amarrage autour de l’attache. Lorsque le canot fut solidement arrimé, il passa avec précaution sa jambe par-dessus le rebord et, d’un bond souple, atterrit dans la chambre.

Le tapis était trempé. L’eau s’étalait en flaques nauséabondes sous ses bottes. Baigné de la lumière matinale, Bray s’approcha du lit sur lequel Elinor était assise lorsque Oscar l’avait vue. Tâtonnant, il se risqua à presser le couvre-lit. Lui aussi était gorgé d’eau et recouvert d’une matière sombre et gluante. Bien que la pression soit légère, une petite flaque trouble se forma sous son doigt.

« Le sac était pas là », dit Bray tout haut, répétant une nouvelle fois la conversation qu’il aurait avec Oscar. « Pourquoi est-ce que tu n’as pas regardé sous le lit ? », répliqua ce dernier par la voix de Bray.

Bray se pencha. De grosses gouttes sales s’écoulaient des franges du couvre-lit. Sous le sommier, s’était formée une nappe d’eau croupie. « Bon sang… Où c’est que cette femme a dormi ? », siffla-t-il, horrifié. Il se retourna. Pas de bagage. Il alla à la commode et l’ouvrit. Rien, excepté trois centimètres d’eau dans chaque tiroir.

Il n’y avait pas de penderie, aucun endroit où cacher une valise – à supposer que Mademoiselle Elinor ait volontairement cherché à la lui dissimuler, or elle avait insisté pour qu’il retourne chercher ses affaires. « Bon Dieu, Monsieur Oscar ! Quelqu’un est passé et l’a volée ! »

Il revenait sur ses pas quand Oscar, toujours par la voix de Bray, demanda : « Bray, pourquoi tu n’as pas regardé dans le couloir ? »

« Parce que, murmura Bray, cette vieille chambre est déjà assez affreuse… »

La porte qui donnait sur le couloir était fermée, mais la clé était dans la serrure. Bray s’avança et tourna la poignée. C’était verrouillé, aussi essaya-t-il la clé, également poisseuse. La porte s’ouvrit.

Il examina le long couloir désormais dénué de tapis. Aucune valise. Il marqua une pause, attendant que la voix d’Oscar lui ordonne de poursuivre ses recherches. Mais rien ne vint. Bray poussa un soupir de soulagement et referma doucement. Il retourna à la fenêtre, qu’il enjamba avec précaution pour descendre dans le canot.

Il dénouait lentement l’amarre, savourant le sentiment d’être sorti sain et sauf de cette pénible aventure, quand il remarqua ce qu’il n’avait pas vu jusqu’alors : le soleil éclairait à présent la trace laissée par l’eau sur le papier peint. Elle se situait à plus de cinquante centimètres au-dessus du lit fait avec soin d’Elinor Dammert.

Si l’eau était montée aussi haut, comment cette femme avait-elle fait pour survivre ?

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Premières Lignes #165 : City of the windows, Robert Pobi

PREMIÈRES LIGNES #165

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

City of windows, Robert Pobi

1

19 décembre
New York
À l’angle de la 42e Rue et de Park Avenue

Nimi Olsen commit l’erreur de vouloir traverser la 42e Rue un demi-bloc avant l’intersection. Elle était maintenant coincée sur la crête de neige fondue qui serpentait au milieu de la route. Les voitures s’élançaient avec une vigueur assassine et, toutes les quelques secondes, un rétroviseur lui frôlait la hanche.

La circulation était inhabituellement tendue – les New-Yorkais étaient au bout du rouleau, excédés et prêts à mettre le feu aux poudres à la première occasion. Cela faisait deux semaines que les températures étaient inférieures à zéro. La plus grosse vague de froid depuis un siècle. La moitié des chaînes d’info y voyaient l’expression du dérèglement climatique et le signe que l’humanité courait à sa perte ; pour l’autre moitié, ce gel était la preuve irréfutable que le réchauffement planétaire était un complot ourdi par des bouffeurs de salade en voiture électrique. La seule chose sur laquelle tout le monde s’entendait, c’était qu’il faisait froid.

Tout New-Yorkais s’était un jour retrouvé dans cette position, en équilibre précaire au milieu de la route, à jouer les matadors entre les voitures déchaînées. C’était un moyen comme un autre de finir dans la rubrique nécrologique. Nimi avait grandi ici, habituée à l’idée que d’autres gens se faisaient renverser. Tous les ans, plus de quinze mille piétons tâtaient de la carrosserie et allaient faire un tour en ambulance. Et si quelques centaines d’entre eux seulement succombaient à leurs blessures, ce n’était pas une statistique qu’elle tenait à vérifier.

À l’affût, Nimi espérait une accalmie dans la ruée des voitures. Son numéro de funambule durait déjà depuis cinq minutes, elle avait besoin de sentir la terre ferme sous la semelle de ses bottines.

Comme par magie, le ballet du trafic s’interrompit et une berline noire qui descendait la 42e ralentit après avoir dépassé le viaduc de Park Avenue. Le conducteur lui fit signe de passer.

Nimi sourit au conducteur en s’avançant devant la calandre, leva la main et articula silencieusement merci.

Soudain, le pare-brise du véhicule explosa et la tête de l’homme disparut, purement et simplement. Un bref instant, l’horloge arrêta son balancier. Tout s’immobilisa.

Puis le coup de feu retentit.

Nimi poussa un cri.

La voiture – désormais sans chauffeur – s’élança en avant.

Dans un réflexe qu’en termes cliniques on nommerait « l’instinct », Nimi commença à courir.

Si la chaussée avait été moins glissante, elle aurait eu une meilleure adhérence.

Si ses jambes avaient été plus longues, elle aurait pu atteindre le trottoir.

Si elle avait été plus corpulente, ses organes auraient été mieux protégés.

Un autre jour, elle aurait pu s’en sortir.

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Premières Lignes #164 : La dernière Lame, Estelle Faye

PREMIÈRES LIGNES #164

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

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Le livre en cause

La dernière lame, Estelle Faye

Prologue

Julian ab Népenthès titubait sous l’averse, sur le chemin boueux qui suivait la Côte de Jade, entre les moulins à marée. Son corps entier hurlait de douleur. Le contact de l’eau avivait la morsure de ses tatouages. Les mots inscrits à l’encre noire, très récents, recouvraient jusqu’au moindre pouce de sa peau. Des filets de sang coulaient au coin des lettres, vite lavés par la pluie. Tous les alphabets du monde, ou presque, se mêlaient sur cet épiderme martyr : runes keltes, caractères latium, abjad, kwanjis…

L’homme manqua de déraper dans la boue, oscilla quelques secondes comme un marin ivre. Le crachin détrempait son pagne jaune, noué à la façon des M’Hongs. Un vêtement courant dans l’Archipel de Jade. Mais celui qui le portait était de toute évidence un Occidental. Un navigateur sans navire, perdu loin de ses eaux d’origine. Le dernier descendant de l’impressionnante dynastie Népenthès, réduit à un morceau de chair souffrante. Combien de lieues, encore, le séparaient de Pho Duc ? Aucune ville ne se dessinait à l’horizon. Aussi loin que portait son regard, s’étalaient seulement les moulins à marée.

Julian faillit lâcher sa sacoche, qu’il traînait depuis le matin. La lanière de cuir râpait sa paume, pire qu’une limaille de fer. Il serra les dents, se reprit. Pas question d’abandonner ses armes. Les Façonneurs l’avaient sans doute suivi jusqu’ici. Il s’arrêta un instant, tendit l’oreille, en pure perte. Le ronflement des roues à aubes recouvrait tout autre bruit. Le navigateur reprit sa marche. Un pied après l’autre, il se força à avancer.

Bientôt des silhouettes efflanquées sortirent de derrière les moulins. Des êtres en bure brune, qui évoquaient de loin des moines mendiants. Leurs capuchons relevés dissimulaient leurs traits. Cependant Julian n’avait pas besoin de voir leurs visages pour savoir à quoi les Façonneurs ressemblaient. Ils étaient tous blêmes, le crâne chauve, les yeux étirés en amande, et le front marqué d’un labyrinthe. Leurs mains maigres serraient des poignards, dont les lames luisaient faiblement sous la pluie.

Les doigts fébriles de Julian luttèrent quelques secondes contre la fermeture de sa sacoche. Pendant ce temps, les Façonneurs se rapprochaient. Le navigateur sortit de son arsenal une grenade d’argile, et un briquet d’amadou qu’il alluma malgré la pluie.

— Reculez ! hurla-t-il à l’attention de ses adversaires. Ou je vous fais sauter, je le jure sur tous mes Saints !

Indifférents aux menaces, les moines étranges poursuivirent leur lente progression. Tremblant plus qu’une vieille femme, Julian enflamma la mèche, lança la grenade. Pas assez fort. Elle échoua dans une flaque, s’éteignit avec un grésillement. Les Façonneurs avançaient toujours. Le navigateur recula vers l’océan. Il entra dans l’eau jusqu’aux genoux, encadré par les gigantesques roues à aubes, qui brassaient des algues dégoulinantes. Je ne dois pas mourir, songea-t-il avec l’énergie du désespoir. Je dois dire à Gradius ce que j’ai découvert. Ce qui peut tous nous sauver.

Les vaguelettes léchaient ses jambes tatouées, le sel brûlait le contour des lettres. Il se mordit les lèvres pour ne pas crier. L’océan… pensa-t-il entre deux accès de douleur. Au fond, la mer avait toujours été là, à ses côtés. À la fois amie, ennemie, protection et menace. Vie et mort. Son briquet d’amadou brûlait encore, éclat doré vivace sous le crachin gris. Après une brève hésitation, les Façonneurs pénétrèrent dans les flots. Julian ouvrit grand sa sacoche, jeta le briquet dedans, au milieu d’une quinzaine de grenades. D’un mouvement ample, il balança le tout à la face de ses ennemis, et plongea aussitôt. La dague d’un Façonneur lui égratigna la cheville au passage. La sacoche explosa en plein vol, les éclats déchiquetèrent les moines en fragments de chair. Des volutes de sang carmin assombrirent le bleu gris de la mer.

Lorsque Julian refit surface, l’air empestait la poudre. Le navigateur nagea jusqu’au rivage. L’affrontement passé, une immense lassitude l’envahissait, anesthésiait même les plaies des tatouages. Il ramassa une dague sur la plage, se traîna jusqu’au moulin le plus proche, força la serrure. Le bâtiment était désert. Personne ne surveillait la meule qui broyait le riz amer. Julian tomba à genoux près des sacs de farine, les éventra, avala de grosses poignées de poudre blanche. Puis il se recroquevilla en chien de fusil sur le sol. Terrassé par la fatigue, il s’endormit.

Sa dernière pensée consciente, avant de céder au sommeil, fut pour son ami Gradius Sforza, docteur en médecine à Scande. Gradius, vieux brigand, il faut que tu saches… ce que j’ai appris… sur la Grande Crue, les océans… comment sauver les terres… comment sauver Scande…

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Premières Lignes #163 : La cité des rêves de Don Winslow

La cité des rêves de Don Winslow

PREMIÈRES LIGNES #163

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

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Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

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Le livre en cause

La cité des rêves de Don Winslow
Danny aurait dû les tuer. Tous.
Il le sait maintenant.
Il aurait dû le savoir sur le coup : quand vous piquez quarante millions en liquide à des gens, arme au poing, il faut les tuer pour les empêcher de se venger.
Il faut prendre leur fric et leur vie.
Mais ce n’est pas dans la nature de Danny Ryan.
Cela a toujours été son problème : il croit en Dieu. Au paradis, à l’enfer et à toutes ces joyeuses conneries. Certes, il a liquidé quelques types, mais c’était toujours dans des situations où il devait sauver sa peau.
Ce braquage n’entrait pas dans cette catégorie. Ces types étaient tous allongés par terre, ligotés par des colliers de serrage, impuissants, et ses gars voulaient leur tirer une balle dans la tête.
Dans le style exécution, comme ils disaient.
— Eux, ils ne se priveraient pas, lui a dit Kevin Coombs.
Pas faux, a songé Danny.
Popeye Abbarca avait la triste réputation d’abattre non seulement ceux qui l’arnaquaient, mais aussi toute leur famille. L’homme de confiance de Popeye l’a même dit à Danny. Couché par terre, il a levé la tête et lâché, en souriant :
— Vous et toutes vos familles. Muerte. À petit feu.
On est venus pour le fric, pas pour provoquer un massacre, s’est dit Danny. Des dizaines de millions de dollars en cash, pour commencer de nouvelles vies, au lieu de reprendre les anciennes.
Les tueries devaient cesser.
Alors, il a pris le fric et leur a laissé la vie sauve.
Maintenant, il comprend que c’était une erreur.
Il est à genoux, un flingue collé sur la tempe. Les autres sont pieds et poings liés, attachés à des poteaux, et lui jettent des regards suppliants, terrifiés.
Il fait froid dans le désert à l’aube, et Danny grelotte, agenouillé dans le sable, malgré l’apparition du soleil, la lune n’étant plus qu’un souvenir évanescent. Un rêve. La vie n’est peut-être que ça, se dit-il : un rêve.
Ou un cauchemar.
Car même dans les rêves on paye le prix de ses péchés.
Une odeur âcre transperce l’air frais et vif.
De l’essence.
Danny entend ces mots :
— Tu vas les regarder brûler vifs. Et après ce sera ton tour.
Voilà donc comment je vais mourir, pense-t-il.
Le rêve s’efface.
La longue nuit est terminée.
Le jour se lève.

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Premières Lignes #162 : La cité en flamme, Don Winslow

La cité en flammes de Don Winslow

PREMIÈRES LIGNES #162

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

La cité en flammes de Don Winslow

1

Danny Ryan regarde la femme sortir de l’eau telle une vision émergeant de ses rêves d’océan.

Mais elle est bien réelle, et synonyme d’ennuis.

Comme souvent avec les femmes aussi belles.

Danny le sait bien. Ce qu’il ignore, en revanche, c’est la quantité de problèmes qu’elle va lui apporter. S’il l’avait su, s’il avait su tout ce qui allait se passer, peut-être serait-il entré dans la mer pour lui maintenir la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’elle cesse de respirer.

Mais il ne le sait pas.

Alors, sous le soleil éclatant, assis sur le sable devant la maison de Pasco au bord de la plage, Danny mate la femme, à l’abri de ses lunettes noires. Cheveux blonds, yeux d’un bleu profond et un corps que le maillot noir souligne plus qu’il ne le cache. Le ventre est plat et ferme, les jambes musclées et fuselées. On ne l’imagine pas dans quinze ans avec des hanches larges et un gros cul, dus aux patates et aux spaghettis à la sauce bolognaise.

La femme sort de l’eau, le soleil et le sel font briller sa peau.

Terri Ryan donne un coup de coude dans les côtes de son mari.

— Quoi ? demande Danny, faussement innocent.

— Je vois bien que tu la mates.

Tout le monde la mate : Danny, Pat, Jimmy, et leurs épouses également : Sheila, Angie et Terri.

— Je ne peux pas t’en vouloir, dit cette dernière. Vu sa paire de nichons.

— Joli langage.

— Parce que tes pensées sont pures, peut-être ? réplique Terri.

— Je ne pense à rien.

— Pense à ça, dit Terri en montrant d’un geste son propre corps.

Elle se redresse sur sa serviette pour mieux voir la femme.

— Si j’avais des nichons pareils, je mettrais un bikini moi aussi

Terri porte un maillot une pièce noir. Danny trouve qu’il lui va très bien.

— J’aime tes nichons, dit-il.

— Bonne réponse.

Danny regarde la belle femme ramasser une serviette et s’essuyer. Elle doit passer pas mal de temps à la salle de sport, pense-t-il. À prendre soin d’elle. Il parierait qu’elle travaille dans la vente. Un truc cher : les bagnoles de luxe, ou peut-être l’immobilier, ou bien les investissements. Quel type oserait lui dire non, essayer de marchander, au risque de paraître radin devant elle ? Jamais de la vie.

Danny la regarde s’éloigner.

Comme un rêve dont vous ne voulez pas vous réveiller, c’est un rêve si agréable.

Il n’a pas beaucoup dormi la nuit dernière, et maintenant il est fatigué. Ils ont braqué un camion de costards Armani, lui, Pat et Jimmy Mac Neese, à Perpète-les-Oies dans l’ouest du Massachusetts. Un tuyau que leur avait refilé Peter Moretti. Le chauffeur était dans le coup, et tout le monde a bien joué son rôle pour qu’il n’y ait pas de blessés, mais ça faisait quand même une sacrée trotte et ils ont regagné la côte à l’aube

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Premières Ligne #161 : Honolulu noir, Rodney Morales

PREMIÈRES LIGNES #161

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

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Le livre en cause

Honolulu noir, Rodney Morales

PROLOGUE


Tout est parti de là…
Je veux que vous retrouviez ma fille…
Elle sortit de la brume ; le sac qu’elle portait en bandoulière se balançait lentement, posément. Je terminai ma Pall Mall sans filtre et l’écrasai sur le bastingage. Alors qu’elle avançait en marquant des petits temps d’arrêt,
comme si elle n’était pas sûre de sa destination, elle me fit l’effet d’une hallucination. Elle était blonde. Elle vieillissait au fur et à mesure qu’elle s’approchait et que mes fantasmes cédaient à la réalité.
Je l’attendis sans bouger, juste pour voir si elle allait là où je pensais. Elle se dirigeait droit sur mon bateau…
Mon bateau : hors-bord 32 pieds 2×350 chevaux. C’est en ces termes que son ancien propriétaire me l’avait décrit et je l’avais cru sur parole. Je n’y connaissais rien en bateaux. Je n’y connaissais rien en femmes. Debout à
bord de la Suze, en cale dans le port cradingue d’Ala Wai, je me remémorais le scénario qui m’avait valu d’habiter cette demeure flottante — avec un beau paquet de pognon à la clé. C’était une partie de cartes, un jeu de quitte ou
double…

Ayant survécu à un amer divorce — enfin, c’est surtout moi qui étais amer, et fauché par-dessus le marché —, j’avais envie de tourner la page. Sinon, pourquoi aurais-je risqué les trois quarts restants d’un chèque de mille dollars qui avait failli se perdre, enfoui sous une flopée de pubs, factures en tout genre, harcèlements de trucs de charité et tout un tas de merdes que je ne prenais même pas la peine d’ouvrir ? Ce chèque était le solde fortuitement tardif d’un boulot depuis longtemps ficelé. Si je perdais la somme entière au jeu, je me retrouverais bientôt à faire la queue au foyer des services sociaux d’Iwilei parmi
la racaille méprisée par la mauvaise société, condamné à vendre mon âme pour un repas gratuit.
La partie de poker n’avait pas pris place dans l’arrière-salle décrépite d’un magasin de Chinatown ni sur les docks infestés de rats, mais dans une luxueuse villa de Portlock. Une surclasse qui comprenait piscine, spa et Jacuzzi, un système audio d’enfer, des douches intérieures et extérieures ainsi qu’une dépendance digne de la duchesse de Windsor et infiniment plus grande que
l’appartement d’où j’allais être expulsé si je ne rassemblais pas rapidement deux mois de loyer. Fallait être blindé de tunes pour crécher là et rares sont ceux qui jouissent d’un tel degré de richesse en pratiquant une activité honorable.
Après avoir vu ma chance fluctuer toute la soirée, jouant comme jamais auparavant simplement parce que j’avais si peu à perdre, j’avais récolté autour de mille sept cents dollars. Andy, avocat à la cour et propriétaire de cette maison ostentatoire, était en tête des gains avec au moins trois mille balles. J’avais l’habitude de jouer au poker dans des lieux modestes avec mes anciens collègues journalistes (et un agrégat de connaissances dont : un agent d’entretien qui hébergeait des chiens errants, un vendeur dans une concession Jaguar, un factotum à la main verte qui cultivait du cannabis quand il ne réparait pas moustiquaires, serrures ou fuites d’eau et un artiste/ musicien/génie littéraire autoproclamé), mais le groupe de ce soir-là était différent : cols résolument plus blancs que bleus; types très attachés à leur attaché-case et enclins à claquer de grosses sommes. J’avais croisé Andy de temps à autre au tribunal. Il m’invitait toujours à ses somptueuses soirées casino et je déclinais toujours. Jusqu’à ce que j’accepte.
Sa femme était en Italie, une tournée en jet entre Venise, Florence et Rome pour déguster les meilleurs cabernets et zinfandels. Saisissant l’occasion, il avait
transformé sa baraque en un paradis du jeu et il faut reconnaître qu’en matière d’ambiance, il surpassait les salles réservées aux gros flambeurs des meilleurs casinos de Vegas. À l’heure qu’il était, au petit matin, la plupart des joueurs étaient rentrés chez eux. Il ne restait qu’un quatuor: Andy, une paire de types interchangeables qui répondaient aux noms de Larry et Ed, et moi. Nous découvrîmes nos cartes pour ce qui devait être la dernière partie.
Nous avions convenu de nous arrêter à six heures du matin et il était 5 h 55. Le pot de jetons crénelés rouges, bleus, verts, orange et noirs — le haut de gamme — avait augmenté de manière exponentielle, car les quatre survivants misaient désespérément. Chaque mise, bluff ou non, faisait l’objet d’une surenchère. À un certain stade, Ed et Larry décidèrent de se coucher et eurent l’intelligence de sauver les meubles. Quand je les avais rencontrés, douze heures auparavant, Andy m’avait dit que l’un était comptable et l’autre ingénieur dans la fonction publique.
J’avais immédiatement oublié lequel faisait quoi. Ils partageaient la même physionomie d’employé de l’administration ou du fisc, parfaite incarnation de l’impénétrabilité du joueur de poker.


Le pot s’élevait alors à plus de cinq mille dollars. Les enjeux me dépassaient complètement, mais je n’étais pas fichu de m’arrêter. J’aurais compté les cartes si j’avais réussi à me souvenir de ma dernière main. Je me fiais à mon instinct.
Je mélangeai mon jeu et risquai un coup d’œil : belle paire de dix, trèfle et pique ; as de carreau ; quatre et huit de cœur. Aucune chance de quinte. Je rendis le quatre et le huit, conservant l’as par respect plus que par stratégie.
Andy, dont c’était le tour de distribuer, me donna un sept de cœur et l’as de trèfle. Je me retrouvai donc avec deux paires. La pile de jetons me fila des sueurs froides. J’étais habituellement capable d’afficher un visage de marbre,
mais j’avais passé une nuit blanche et la surconsommation de gin et de café commençait à faire son effet. J’étais persuadé qu’Andy bluffait, mais on ne sait jamais avec lui.
Il ne cessait de monter et je suais de plus en plus. Une cigarette en équilibre précaire pendait à mes lèvres. J’oubliais de faire tomber la cendre et, régulièrement, avec un regard dédaigneux, Andy m’offrait un cendrier. Pas n’importe lequel. Celui-ci ressemblait à une pièce de musée exposée derrière une vitrine inviolable.
Un truc piqué à Versailles, dans les appartements de Louis XIV. Lentement, laborieusement, je suivais et montais chaque mise d’Andy. Dans la fraîcheur de l’aube insulaire, Ed et Larry transpiraient eux aussi, la mine défaite et luisante, saturés d’alcool et d’amuse-gueules pénibles à digérer. Je regardai Andy dans les yeux en poussant doucement tous mes jetons sauf un. Je fis tourner celui que je gardais, un vert au bord crénelé, entre mes doigts. Andy avait cessé de raconter des conneries pour me déconcentrer. Ma cigarette était presque à l’état de mégot et menaçait de me brûler les lèvres.

Une goutte de sueur tomba de mon nez au ralenti pour atterrir sur le dos de ma main gauche. Je réprimai l’envie de l’essuyer, refoulai le moindre mouvement superflu.
«Pour…» Je m’éclaircis la gorge. «Pour… voir !» Machemise était trempée.
Il y avait environ huit mille dollars dans la pile, la plupart des jetons d’Andy et tous les miens. Il retourna ses cartes. Une paire de rois. Et une reine. La vue des trois figures me déstabilisa encore plus que l’idée d’avoir tout perdu, mais en fin de compte, les membres de la famille royale ne totalisaient qu’une seule paire.
Je découvris mes deux dix et mes deux as. Andy soupira et ferma les yeux. Je me mis à ratisser les jetons.
«Bon, ça suffira pour aujourd’hui.»
À travers la grande baie vitrée, les premières lueurs de l’aurore ourlaient le cratère de Diamond Head.
«Quitte ou double», proposa-t-il à voix basse.
Je fis comme si je n’avais pas entendu.
«Quitte ou double, répéta Andy avec plus d’entrain.
– T’es cinglé.» Merde, il avait l’air sérieux.
«Allez, Dave.» Il consulta sa montre digitale. «Il est cinq heures cinquante-neuf. On a le temps.» Soit sa montre retardait, soit la mienne avançait.
«J’ai six heures une, dis-je doucement, comme un bluff en demi-teinte, mais je ne bluffais pas. Je suis crevé, Andy.
– On tire juste une carte.
– Désolé. J’en peux plus.» Je me levai. J’avais des courbatures et ma vessie, qui avait tenu bon aux moments cruciaux, semblait alors sur le point d’exploser. Je devais vraiment aller pisser. J’agitai ma jambe droite ankylosée.
«Tu te dégonfles ?»
Je vais vous dire un truc. Ma réponse ne fut influencée ni par le gin ni par les pupu servis à trois heures du matin: plats de sashimi tartinés de wasabi, savoureux crackers aux tomates séchées et à l’aïoli. Ni par la musique brésilienne feutrée qui suintait des murs. Et si je soupçonnais les deux
forts en math de n’être en réalité ni ingénieurs ni comptables, mais des mercenaires à la solde d’Andy qui ne me laisseraient jamais partir avant qu’on ait tiré cette dernière carte… ça ne joua aucun rôle non plus.
L’épuisement n’était pas davantage responsable. Ni le divorce. J’avais déjà touché le fond, je commençais à m’y trouver en terrain familier. Je regardai Andy de travers.

Je n’arrivais pas à croire qu’il m’ait traité de dégonflé.
Pensait-il vraiment qu’on peut juger un homme en ces termes ? Avait-il réellement l’audace d’imaginer que j’allais me laisser piéger par cette ruse grossière et inique à cause d’un simple mot à la con ?
Mais avant de pouvoir suivre le fil de mes pensées et de m’engager en terrain moins glissant, je répondis :
«Bon, d’accord.»
J’avais seulement tout à perdre.

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Premières Lignes #160 : Le cercle de Farthing, Jo Walton

PREMIÈRES LIGNES #160

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Le cercle de Farthing, Jo Walton

Ce roman est dédié à tous ceux qui se sont un jour penchés sur une monstruosité de l’Histoire avec la tranquille satisfaction d’être horrifiés tout en sachant exactement ce qui allait arriver, un peu comme si, après avoir examiné un dragon sur la table de dissection, ils se retournaient pour découvrir dans leur dos ses descendants, bien vivants et prêts à mordre.

1

Tout a commencé quand David est revenu du parc dans une fureur noire. Nous séjournions à Farthing à l’occasion d’un des épouvantables raouts politiques de Mère. Si nous avions trouvé un moyen de nous y dérober, nous serions allés n’importe où ailleurs, mais Mère n’avait rien voulu entendre et nous étions donc là, lui en jaquette et moi en petite robe Chanel beige, dans mon ancienne chambre de jeune fille à laquelle j’avais été si soulagée de dire adieu quand j’avais épousé David.

Il a fait irruption, prenant déjà son souffle pour parler. « Lucy, lady Thirkie pense que tu devrais me renvoyer ! »

Je n’ai pas tout de suite vu qu’il était fou de colère, parce que j’étais occupée à essayer de faire tenir mon chignon sur ma tête sans déranger mes perles. En fait, si mes cheveux avaient été moins récalcitrants, cela ne serait jamais arrivé, car je serais descendue avec David, et Angela n’aurait pas eu l’occasion de faire une réflexion aussi stupide. Quoi qu’il en soit, j’ai d’abord trouvé ça si drôle que je m’en suis littéralement étranglée de rire. « Chéri, on ne peut pas renvoyer son mari comme ça, non ? Il faudrait divorcer. Qu’as-tu fait pour qu’Angela Thirkie y voie une cause de divorce ?

— Apparemment, elle m’a pris pour un des extras », a-t-il dit en passant derrière moi et, quand je l’ai vu dans le miroir, j’ai compris aussitôt qu’il n’était pas le moins du monde amusé et que je n’aurais pas dû rire. En fait, c’était sans doute la pire des choses à faire en la circonstance, du moins pas sans l’avoir d’abord amené à percevoir le comique de la situation.

— Oh non, chéri, tu es superbe, ai-je dit automatiquement pour le rassurer, même si c’était vrai. Angela est une bécasse, vraiment. Ne lui as-tu pas été présenté ?

— Si, à une des réceptions de fiançailles, et aussi au mariage, a-t-il répondu avec un sourire encore plus crispé. Mais nous nous ressemblons certainement tous à ses yeux.

— Oh, chéri ! » me suis-je écriée, et je lui ai tendu les bras, laissant s’écrouler mes cheveux, parce qu’il n’y avait rien que je puisse dire… Il avait raison et nous le savions tous les deux. « Je vais descendre avec toi et nous allons la remettre à sa place.

— Je ne devrais pas prêter attention à ce genre de choses, a-t-il dit en me prenant les mains et en baissant les yeux vers moi. Sauf que tu en pâtis. Il aurait été beaucoup plus confortable pour toi d’épouser quelqu’un de ton monde. »

C’était vrai, bien sûr, il y a un certain confort à se trouver en compagnie de gens qui pensent exactement comme vous parce qu’ils ont reçu la même éducation et rient des mêmes plaisanteries. Mais c’est un piètre confort et il ne dure guère une fois que vous avez découvert n’avoir en réalité rien de commun avec eux, sinon le même milieu. « On ne se marie pas pour le confort », ai-je dit. Puis, comme d’habitude avec les gens en qui j’ai confiance, j’ai laissé s’emballer le fil de mes idées. « À moins que ce n’ait été le cas pour Mère. Ça expliquerait bien des choses. » Je me suis couvert la bouche de la main pour contenir un rire horrifié, et aussi pour essayer de rattraper le train de pensées qui m’avait échappé. C’était ma vieille gouvernante, Abby, qui lui avait donné ce nom et m’avait appris à avoir ce réflexe. C’est utile en cas de gaffe, du moins si je réagis assez vite, mais Mère m’a aussi maintes fois reproché de porter ma main à ma bouche plus qu’il n’est convenable pour une lady !

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Premières Lignes #159 : Précipice, Céline Denjean

PREMIÈRES LIGNES #159

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Le livre en cause

Précipice, Céline Denjean

– 1 –

La situation n’était pas normale

Anthony Lopez amorça la descente, buste penché vers l’avant pour prendre un maximum de vitesse et limiter sa prise au vent. Parvenu en bas, il maintint sa position, accéléra jusqu’à la butée et pria pour que son élan suffise, mais, comme chaque fois, sa mobylette commença à ralentir à mi-côte, tandis que le moteur poussif menaçait de s’étouffer. Anthony se mit alors à pédaler pour aider la vieille bécane dans son ascension. Livrer Mme Ducuing n’avait rien d’une promenade de santé, pourtant les deux frères Lopez, qui aidaient leur père les vendredis et samedis – uniques soirs de livraison de la pizzeria familiale –, se disputaient systématiquement pour obtenir la course : la cliente était généreuse en pourboires.

Anthony redoubla d’efforts en ahanant sous son casque et parvint en haut. L’adolescent se rassit, satisfait – le plus dur était désormais derrière lui. Il parcourut un kilomètre supplémentaire sur la départementale avant de bifurquer sur une étroite route forestière truffée de nids-de-poule et que les arbres semblaient engloutir. Une minute plus tard, la maison de Valériane Ducuing se découpait loin devant, au cœur d’une clairière. Une fois encore, Anthony songea qu’il fallait être complètement barge pour vivre en plein bois, coupé du monde, avec un débit wifi qui ne devait guère excéder un mégaoctet et un réseau mobile limité à une barre les jours de beau temps. Aux yeux de l’adolescent, cette cliente était un être bizarre : à son mode de vie solitaire s’ajoutaient un look gothique digne de Marilyn Manson et une incompréhensible prodigalité – personne ne donnait jamais un pourboire de dix euros pour la livraison d’une pizza qui en coûtait douze… À l’approche de la fermette, l’adolescent repéra une voiture bleu métallisé stationnée dans un petit renfoncement en bordure du chemin.

Il gara sa mobylette à côté de la Twingo de Mme Ducuing, retira son casque – c’était plus correct vis-à-vis des clients, notamment les réguliers –, puis il se dépêcha d’ouvrir le petit coffre en plastique où reposait la pizza Dolce Vita, spécialité de la Maison Lopez. Il prit conscience que quelque chose clochait au moment où il posa le pied sur la première des trois marches du perron.

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Premières Lignes # 158 : Tête brûlée, Gerri Hill

PREMIÈRES LIGNES #158

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Le livre en cause

Tête brûlée, Gerri Hill

1

«Hunter, dans mon bureau ! »

Tori jeta un coup d’œil au lieutenant Malone et envoya sur sa table les notes qu’elle était en train d’examiner. Ignorant les regards curieux des autres détectives, elle obtempéra sans se presser.

« Fermez la porte », dit-il.

Elle s’exécuta et s’assit tranquillement devant lui. Le crâne chauve de Malone luisait sous les néons et elle l’observa en silence pendant qu’il frottait son front dégarni. Il leva enfin la tête et la regarda droit dans les yeux. Elle baissa le regard et s’aperçut que l’épais dossier qu’il venait de consulter était le sien.

« Ça fait sept ans que vous êtes avec moi, Tori.

— Oui, monsieur. »

Il retira ses lunettes et les posa sur le dossier, puis il s’adossa à son fauteuil.

« Vous avez eu six coéquipiers. »

Elle soupira et fixa le plafond. Il va pas remettre ça !

« Je croyais qu’on avait réglé la question il y a quelques mois ?

— Oui. Et à l’époque, vous n’aviez eu que cinq coéquipiers.

— Vous n’allez quand même pas me coller les deux jambes cassées de Tête de Nœud sur le dos ! s’exclama-t-elle.

— Le détective Kaplan passera probablement la fin de sa carrière derrière un bureau… Tête de Nœud ? ajouta-t-il.

— C’est pas vous qui deviez travailler avec lui tous les jours, protesta-t-elle d’un ton sec. C’était un crétin.

— Si des témoins n’avaient pas confirmé que vous aviez sauté d’abord, je serais le premier à penser que vous l’avez poussé par cette foutue fenêtre.

— Oh, je vous en prie ! Si j’avais vraiment voulu me débarrasser de lui, je l’aurais descendu, tout simplement. »

L’ombre d’un sourire passa sur son visage et il éclata franchement

de rire lorsque leurs regards se croisèrent.

« Tori, j’ai passé l’éponge sur bon nombre de vos agissements. Vous êtes ma meilleure détective et vous le savez. Tout le monde le sait ! Mais cette histoire de coéquipiers, il faut que ça cesse.

— Stan, est-ce que c’est ma faute s’ils se blessent ?

— S’ils se blessent ? »

Il reprit son dossier et le feuilleta en égrenant : « Deux ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions. L’un est handicapé à vie. Deux ont quitté la police. Et maintenant, Kaplan. Vissé à un bureau parce qu’il boitera jusqu’à la fin de ses jours.

Elle détourna les yeux. Elle aurait voulu avoir des remords. Vraiment. Mais ses rapports personnels avec eux avaient été inexistants. Ils ne s’étaient jamais appréciés et n’avaient jamais tissé les liens qui font les véritables coéquipiers. Ils ne s’étaient jamais fait confiance – ce qui donnait en général les pires partenaires.

« Ça non plus, ne me le collez pas sur le dos. À chaque fois, je vous ai prévenu que ça clochait. Il n’y en a pas un qui a pu dépasser le fait que je suis une femme.

— Oui, vous avez fourni des efforts, mais ce n’est pas toujours moi qui prends les décisions. Vous êtes un électron libre, Hunter. Vous n’obéissez pas aux règles. Je m’étonne que ça ne vous ait pas encore rattrapée. »

Elle lui lança un regard furieux. Elle avait déjà entendu ce discours de nombreuses fois. Il précédait systématiquement l’annonce d’un nouveau binôme.

« Alors, c’est qui cette fois-ci ? Un mec du poste du centre-ville qui est au bout du rouleau ? »

Le lieutenant Malone farfouilla sur son bureau et remit ses lunettes. « Détective Kennedy. Division des Agressions.

— Et ?

— Et elle a été mutée chez nous. »

— Elle ? s’écria Tori en se redressant sur sa chaise. Une femme ? Vous me mettez en équipe avec une femme ? Merde, Stan ! Une femme ?

— Où est le problème ? Vous en êtes une, vous, de femme. » Elle se leva d’un bond et arpenta la pièce. Une femme ? Une bimbo des Agressions ? Je rêve ! Elle menaça : « Elle ne tiendra pas une journée, et vous le savez.

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Premières lignes # 157 : Carla ou les 28 nuits, Claire Menichi

PREMIÈRES LIGNEs #157

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Carla ou les 28 nuits, Claire Menichi

Paris, le 14 mars 1996

Cher Jean-Jacques,

C’est en toute discrétion que je fais parvenir à l’ami cher que vous êtes, ce manuscrit.

Il s’agit d’une pièce à ne pas divulguer, pièce maîtresse d’un procès d’assises dont j’ai été chargé comme expert par un juge d’instruction afin de déterminer le degré de discernement et par là de responsabilité pénale de l’auteur du crime (que je vais expliciter d’ici peu) au moment des faits incriminés. Vous n’êtes pas sans savoir que je me suis engagé au secret professionnel tout comme j’ai prêté serment pour cette mission.

Carla Kline, âgée de 22 ans encourt une peine de prison pour tentative d’homicide volontaire sur sa mère.

Le 1 mars 1996, au milieu de la nuit, Carla Kline, après s’est introduite avec son double de clef chez sa mère, s’est mise à mordre férocement le ventre de celle-ci tout en avalant la chair arrachée. Les cris de la mère ont réveillé le frère (venu pour le week-end sans que la fille ne le sache) lequel n’a réussi à libérer sa mère qu’en assénant plusieurs coups de poing sur le visage de sa sœur.

La mère a une plaie profonde à l’abdomen avec perforation jusqu’à l’intestin grêle et également des marques de morsure sur le torse notamment la poitrine ; toutefois son état vital n’est pas en jeu. La fille a la mandibule cassée, de multiples contusions au visage et est maintenant placée en unité de soins à Fresnes. Vu son état de santé, je n’ai pas encore pu la questionner et établir une pathologie clinique.

La police a trouvé dans son sac à dos un rouleau de papier (des feuilles scotchées entre elles) recouvert d’écriture manuscrite en pattes-de-mouches (néanmoins sans schizographie) et de dates très précises et récentes. Dans le cadre de mon expertise, je l’ai lu et, pour permettre des lectures suivantes sans déchiffrage fastidieux, l’ai retranscrit en tapuscrit.

Cet écrit est cru, dérangeant, tissu de fantasmes, délires et m’a fait penser au cher marquis que vous affectionnez tant, sans la dimension philosophique, révolutionnaire, remplacée dans ce cas par une dimension nihiliste, destructive et auto-destructive.

Je me questionne sur le poids de cet écrit que bien sûr, je ne suppose pas un témoignage, mais doit-on y voir que pure délire hallucinatoire, prémonitoire ou y a-t-il au contraire une quelconque poétisation, une sublimation artistique à reconnaître ? Passage à l’acte il y a eu, dangerosité sur autrui également (quoique par choix symbolique sur la mère, sans vouloir minimiser son acte), y a-t-il un échappatoire artistique possible pour cette jeune fille visant à apaiser sa souffrance psychique et à éviter à la société une récidive ?

C’est donc pour la valeur littéraire, narrative de cet écrit que je vous sollicite. J’aurais besoin de votre avis, mon cher ami, dans un délai bref afin d’avancer dans mon expertise psychiatrique. Pouvez-vous, je le répète en toute discrétion, me rendre votre ressenti sur cet écrit ?

Je vous prie d’agréer, cher Jean-Jacques, ma sincère amitié et reconnaissance fraternelle,

Docteur Emile Cyrant,

Hôpital de la Salpêtrière

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Premières Lignes #156 : Les Oubliés de Marralee, Jane Harper

PREMIÈRES LIGNES #156

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

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Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Les Oubliés de Marralee, Jane Harper

Aux lecteurs, qui font de ces livres ce qu’ils sont.

Prologue
Tâche de te rappeler. Les signes étaient là. Quels étaient-ils ? Ils se posèrent tous les mêmes questions, après coup. Comment les choses ont-elles pu en arriver là ? Aurions-nous pu empêcher ça ?

Cette dernière, c’était la question clé, Aaron Falk le savait. Et la réponse était probablement oui. Même sans avertissements – et il y en avait eu –, la réponse était presque toujours oui. Un million de décisions menaient toujours à une action, quelle qu’elle soit, et une action pouvait dérailler d’un million de manières. Mais des choix avaient été faits – certains conscients et réfléchis, d’autres moins –, et parmi les millions de chemins possibles, c’était celui-là qui avait été emprunté.

Le bébé dormait quand on l’avait découvert. La petite allait sur ses six semaines. D’un bon poids pour son âge, elle se portait à merveille, malgré le fait qu’on l’avait laissée là toute seule. Elle devait être bien au chaud dans son landau, emmaillotée dans une écharpe propre achetée au plus grand détaillant d’articles pour bébés de l’État, et bordée sous une couverture en laine artisanale assez épaisse pour aplanir la bosse créée par son corps, si on la plaçait d’une certaine manière. Et on l’avait placée exactement de cette manière. Quelqu’un qui aurait jeté un coup d’œil au landau en passant aurait d’abord vu la couverture plutôt que le bébé.

C’était une nuit de printemps, et le ciel du sud de l’Australie était dégagé et constellé d’étoiles, sans pluie annoncée, mais la capote imperméable du landau était entièrement déployée. Un carré de tissu qui servait habituellement de pare-soleil avait été posé sur l’ouverture entre la capote et le fond du landau. Quelqu’un qui aurait jeté un coup d’œil en passant n’aurait pas vu du tout la petite endormie.

Le landau était rangé parmi des dizaines d’autres dans l’aire prévue à cet effet à l’entrée de la Fête du vin et de la gastronomie annuelle de la Marralee Valley, se disputant l’espace avec un amas de vélos et de scooters et un tricycle solitaire. On l’avait laissé dans le coin tout au fond, la pédale de frein fermement enfoncée.

Les objets garés là furent récupérés l’un après l’autre au cours des deux heures suivantes, au fur et à mesure que les familles qui avaient enchaîné verres de vin, plateaux de fromage et tours de manège décrétaient qu’elles avaient suffisamment célébré les produits locaux ce soir-là. Peu après 22 h 30, il ne restait plus que le landau et le vélo de l’assistant électricien.

Ce dernier se figea, alors qu’il était en train de déverrouiller son antivol. La fête avait officiellement fermé ses portes une demi-heure plus tôt, et le site était quasi désert à présent, seuls les membres de l’organisation traînaient encore dans les parages. Le technicien glissa l’antivol dans son sac à dos, balaya une dernière fois du regard la pénombre du champ de foire, puis s’approcha du landau. Il se pencha pour jeter un coup d’œil sous la capote avant de la replier à fond. Le petit paquet emmailloté remua, surpris par ce courant d’air frais, tandis que l’électricien sortait son téléphone de sa poche et passait un appel.

Le nom du bébé était écrit sur l’étiquette de sa grenouillère. Zoe Gillespie. Sa famille n’était pas du coin – ou du moins, plus maintenant –, mais le directeur de la foire et le policier de service dépêché sur place connaissaient les noms de ses parents.

Le portable de la mère de Zoe sonna au fond du sac à langer calé dans le panier fixé sous le landau. La sonnerie retentit bruyamment dans la nuit. Dans le sac zippé, on trouva également des clés de voiture et un portefeuille contenant pièce d’identité, cartes et argent liquide. L’électricien se précipita vers le parking visiteurs. Une berline familiale correspondant à la marque inscrite sur le porte-clés figurait parmi les rares véhicules.

Le téléphone du père de Zoe sonna à quelques kilomètres de là, dans le hall du restaurant italien le plus correct de la Marralee Valley. Il avait renvoyé ses parents chez eux en taxi et était en train de régler l’addition en discutant avec la patronne et son mari, qui se rappelaient tous les deux l’avoir connu à l’école. Il leur montrait des photos de Zoe – son premier enfant, qui aurait déjà six semaines ce dimanche ; il avait du mal à y croire – et la patronne insistait pour qu’il accepte une bouteille de mousseux offerte par la maison pour fêter ça, quand l’appel illumina l’écran de son portable.

Le restaurant se trouvait à quinze minutes du champ de foire. La patronne dépassa allégrement la limitation de vitesse pour laquelle elle avait elle-même fait campagne afin de l’y conduire en à peine plus de trois minutes, écrasant la pédale de frein juste devant l’entrée principale. De là, il courut le long des stands fermés et obscurs, jusqu’à sa fille.

On fouilla tout le site. La mère de Zoe, Kim Gillespie, trente-neuf ans, ne fut pas retrouvée.

On rassembla des volontaires pour passer de nouveau le champ de foire au peigne fin. Puis le parking, puis les vignes de part et d’autre. Le landau avait été placé face à l’est, vers le fond du champ de foire et l’autre sortie, utilisée en cas de trop grande affluence. Par-delà celle-ci commençait le bush, et un petit chemin qui ne menait qu’à un seul endroit. Les recherches se poursuivirent le long de ce chemin, jusqu’à la retenue d’eau. Puis les volontaires explorèrent la large promenade qui faisait le tour du lac – déserte à cette heure avancée de la nuit, où il n’y avait plus un marcheur ni un véhicule de service –, jusqu’au point culminant de la digue grossière : une vertigineuse saillie rocheuse qu’on surnommait le Précipice. De tout là-haut, on voyait le réservoir se déployer, vaste et profond.

Deux jours plus tard, on trouva une chaussure. L’une des baskets blanches de Kim Gillespie, gorgée d’eau et couverte de sédiments, repérée à plus d’un kilomètre à l’est, coincée dans les filtres du barrage.

On fit venir des plongeurs spécialisés pour qu’ils fouillent la fissure au fond de l’eau, au centre de cette retenue naturelle. Ils descendirent aussi profond qu’ils purent dans ce creux obscur, pendant que les agents chargés de mener les recherches inspectaient minutieusement les environs, à pied et dans les 4 × 4 des gardes forestiers, des volontaires scrutant les abords du lac depuis leurs embarcations de loisir. Les recherches se prolongèrent pendant toute une semaine, puis une autre, avant de ralentir puis de s’arrêter complètement – avec la promesse de reprendre dès que le niveau de l’eau aurait suffisamment baissé. Le printemps céda la place à l’été, puis à l’automne. Zoe grandit jusqu’à sortir de son landau, fit ses premiers pas, eut besoin de ses propres chaussures. Son premier anniversaire était déjà passé.

Qu’ai-je vu ? Ceux qui connaissaient et aimaient cette famille n’avaient plus que leurs questions. Ils s’interrogeaient, seuls et entre eux. Qu’est-ce qui a bien pu m’échapper ?

Mais la mère de Zoe ne revint jamais la chercher.

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Premières Lignes #155 : In vino Véritas, Magali Collet et Isabelle Villain

PREMIÈRES LIGNES #155

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

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Le livre en cause

In vino Véritas, Magali Collet et Isabelle Villain

Prologue


Été 1999


La lumière de la fin d’après-midi donne au paysage une teinte jaunâtre, que seul le vert des arbres placés de part et d’autre de l’allée vient rompre. À l’ombre
du troisième chêne, deux enfants sont assis en tailleur.
L’emplacement est stratégique. En effet, ce dernier, situé à égale distance du portail et du château, leur offre toute la discrétion nécessaire à leurs jeux.
Le plus âgé des garçons ouvre avec précaution une boîte en métal. Il en examine le contenu avec attention.
Le plus jeune fait de même avec la sienne. Déçu, il le regarde d’un air accusateur :
« Il ne me reste que sept billes. Je suis sûr que tu m’en as volé !
– C’est faux ! En plus, tu m’en dois trois !
– C’est pas vrai ! Tu mens ! C’est toi qui m’en dois, j’ai gagné la dernière fois !
– Peut-être, mais tu n’as pas respecté la règle.
– Quelle règle ?
– On avait dit qu’il fallait se faire peur, mais sans que ce soit dangereux. Et en mettant du fil de pêche dans l’escalier, tu as failli faire tomber maman.
– Mais elle n’est pas tombée, tu as coupé le fil avant !
– Heureusement pour toi, parce que tu te serais bien fait engueuler. Une, tu n’as pas respecté la règle, deux, j’ai vu ton piège et je l’ai désamorcé. Alors, c’est moi
qui ai gagné.
– Ça veut dire quoi “désamorcé” ?
– Tu chercheras, tu seras moins bête ! Allez, donne-moi les billes. »
À contrecœur, le petit Mathias attrape trois billes du bout des doigts et les laisse tomber dans la main de son grand frère.
« Je dirai à papa que tu me les as volées et il te grondera !
– Je lui dirai que tu mens !
– C’est pas vrai ! Je ne mens pas. C’est parce que tu as insisté et que tu es plus fort que moi. Je suis sûr que tu allais me taper si je ne te les avais pas données.
– T’es qu’un menteur. Tu étais d’accord pour qu’on joue.
– Oui, mais, toi, tu aurais dû dire non. Tu es le plus grand.
– Je suis le plus grand quand ça t’arrange. Eh bien, puisque c’est comme ça, reprends-les tes sales billes, j’en veux pas. Je ne jouerai plus jamais avec toi.
Jamais ! »
En disant cela, il les jette de toutes ses forces, le plus loin possible et se retourne, bras croisés, en boudant. Mathias saute de joie et se précipite pour les
ramasser, en chantonnant : « Cerf, cerf, ouvre-moi ! Ou le chasseur me tuera ! Lapin, lapin, entre et viens me serrer la main. »
Il les replace dans sa boîte et se met à courir en zigzaguant entre les chênes, de l’autre côté de l’allée.
À intervalles réguliers, il regarde son frère, immobile, assis en tailleur, la tête entre les mains. Il semble triste, et Mathias, bien qu’heureux d’avoir eu gain de
cause, n’aime pas le voir ainsi. Il s’approche et lui touche timidement l’épaule :
« Augustin ! »
L’enfant ne répond pas.
« Augustin, t’es fâché ?
– À ton avis ? marmonne-t-il en croisant les bras.
– Mais je voulais juste récupérer mes billes.
– Oui, mais c’est toujours comme ça. On est d’accord au début et puis si tu ne gagnes pas, tu changes les règles.
– Non, je ne fais pas toujours ça.
– Si. Et quand je refuse, tu dis à papa que c’est de ma faute et il te croit tout le temps. Ce n’est pas juste. »
Mathias réfléchit un court instant. Il sait qu’Augustin a raison, mais il n’y peut rien, il n’aime pas perdre.
Il s’assoit à côté de lui et le bouscule d’abord légèrement puis de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’ils éclatent de rire.
« O.K., tu as gagné. On est toujours frères.
– C’est vrai ? On joue à quoi, alors ?
– Pas aux billes en tout cas. »
Honteux, le plus jeune baisse la tête. Son grand frère n’est pas près d’oublier ce qui s’est passé ; d’ailleurs, Augustin n’oublie jamais rien.
Après quelques secondes de réflexion, le visage de Mathias s’illumine :
« On pourrait faire du vélo !
– Ça, c’est une bonne idée pour une fois. On va faire la course.
– Non, pas la course. Tu es plus grand et tu gagnes toujours.
– Bah, qu’est-ce que tu veux faire, alors ?
– Et si on jouait aux jeux du cirque ? 4
– O.K., va pour les jeux. »
Les jeux du cirque ont été inventés par Augustin. Il en est très fier. Il s’agit de se lancer à tour de rôle toute une série de défis à réaliser sans quitter leur selle.
Augustin se tourne vers Mathias :
« Le truc, c’est qu’il faudrait jouer sur le chemin, y a trop de cailloux dans l’allée, on va tomber et se faire mal.
– Ben, y a qu’à demander à maman !
– Vas-y toi ! Si tu prends ta tête de petit malheureux, elle dira forcément oui. »
Mathias se lève d’un bond et se précipite à l’intérieur de la grande maison. Il en parcourt le rez-de-chaussée sans parvenir à trouver sa mère. Elle est sans doute à l’étage. Il n’a pas envie de monter et se dit que, finalement, c’est une perte de temps. Augustin a raison : elle dira forcément oui.
Après une brève hésitation, il rebrousse chemin et court à la rencontre de son frère, qui s’est chargé entre-temps de sortir leurs vélos du hangar situé à l’arrière de la propriété.
« C’est bon, Gustin ! Maman a dit oui !
– Youhou ! C’est parti ! »
Et les garçons, attrapant leurs deux-roues, se dirigent vers le portail.
C’est Augustin qui choisit le premier défi. À l’aide de brindilles, il délimite la ligne de départ et s’élance. Il pédale de plus en plus vite en s’imaginant être un avion juste au début du décollage. Il pilote en expert « l’appareil » qu’il connaît depuis toujours. Au moment de quitter la terre ferme, il enlève ses pieds des pédales, écarte les jambes et les bras, et le laisse filer à vive allure. Il compte jusqu’à cinq dans sa tête et reprend le contrôle de la bicyclette, sous le regard admiratif de son frère.
« Allez, minus ! À toi maintenant !

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Premières Lignes #154 : Le châtiment du sang, Céline Picard

PREMIÈRES LIGNES #154

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Le livre en cause

Le châtiment du sang, Céline Picard

CHAPITRE 1

Banjo est un golden retriever heureux. Tous les dimanches, Paulette, sa maîtresse, l’emmène au club canin où il retrouve ses congénères pour travailler l’obéissance, domaine dans lequel il n’excelle guère, et pour se dépenser en pratiquant l’agilité. Mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est s’amuser avec une belle braque croisée répondant au doux nom de Gaïa.

Comme chaque semaine, Paulette et Banjo parcourent à pied les deux kilomètres qui séparent la maison du centre d’éducation. Ils profitent ainsi des premières lueurs de l’aube qui donnent des reflets dorés à la campagne silencieuse et discrète. Les champs labourés aux mottes argileuses saillantes attendent les semailles du blé d’hiver dans un silence ouaté. Seuls quelques animaux, fouissant, cherchant, chantant, apportent une belle sonorité à cette paix. L’automne est déjà bien avancé, mais la douceur, fragment de l’été passé, ne veut pas renoncer. Malgré cette impression estivale, la pluie a fait la veille une apparition soudaine et les sols ont déjà absorbé ce précieux élixir de vie pour le restituer aux nappes phréatiques et à la flore. Quelques flaques et des lambeaux épars de brume humide attestent de son passage. Cette eau bénéfique exhale les parfums et Banjo en profite au maximum, la truffe au vent. À peine a-t-il levé son museau que ses cellules olfactives captent un puissant fumet. Il s’arrête, renifle et essaie de localiser ce mélange d’odeurs de charognes de rongeurs et de viscères d’un chevreuil dans lesquels il adore se rouler. Banjo se presse de suivre cette fragrance avant qu’elle ne disparaisse, malgré les remontrances de sa maîtresse qui le perd de vue et s’affole en imaginant son état de saleté. Comme chaque fois qu’il s’éloigne, elle le repère grâce à ses aboiements, le rejoint et se demande ce qu’il a bien pu trouver. Lorsqu’elle arrive à sa hauteur et s’apprête à lui passer la laisse, elle s’étonne de trouver Banjo calme, incrédule. Elle lève les yeux. Son nerf optique lui transmet alors les informations captées par les cellules rétiniennes. Son cerveau effectue le travail d’analyse. Elle intègre ce qu’elle vient de voir. Elle reste là, figée, la main sur la laisse. Puis, brusquement, ses muscles se mettent en action, elle a un mouvement de recul et hurle d’une force inimaginable. Son cœur s’emballe, il bat si fort et si vite qu’elle croit faire un malaise cardiaque. Elle pense qu’elle va s’évanouir, mais son corps réagit différemment. Ses jambes décident à sa place et, aussi vite qu’elles le lui permettent, Paulette détale comme si Lucifer en personne lui demandait un service. Au bout de la laisse, Banjo la suit sans rechigner. C’est seulement en arrivant au bout du chemin que son corps cesse de fuir. Elle réussit à prendre son téléphone malgré les tremblements incontrôlables qui agitent ses mains et sans qu’elle sache comment parvient à composer le 18. Elle décrit tant bien que mal ce qu’elle a découvert à son interlocuteur et raccroche aussitôt. Troublée, perdue, Paulette s’effondre et caresse son chien pour occuper ses mains et son esprit en attendant que quelqu’un vienne les délivrer de ce cauchemar. Elle est assise et Banjo, couché sur ses jambes, ne songe plus qu’à protéger sa maîtresse.

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Premières Lignes #153, Parasite, Sylvain Forge

PREMIÈRES LIGNES #153

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Le livre en cause

Parasite de Sylvain Forge

Parasite
À Clermont-Ferrand, Marie Lesaux, capitaine fraîchement débarquée au sein de la brigade de protection de la famille, est chargée de tester les capacités de son nouveau coéquipier, réputé infaillible, un « policier » pas comme les autres puisqu’il s’agit d’une intelligence artificielle nommée Valmont.
Ce programme expérimental, mis au point dans le plus grand secret, pourrait résoudre les enquêtes les plus complexes. Assistée d’Ethan Milo, concepteur du projet, qui vit cloué dans un fauteuil depuis un attentat, Marie va utiliser Valmont pour tenter d’éclairer la mort d’une enfant, retrouvée au pied d’une tour. Une affaire qui semble pousser au suicide tous ceux qui s’y intéressent.
Confrontés au silence de la population, Marie et Ethan découvriront bientôt une menace qui dépasse leurs pires cauchemars…

1

La foule était dense et le crépuscule s’installait. Des silhouettes anonymes chargées de sacs de courses s’affairaient en tous sens sur les trottoirs. Une jeune femme admirait les décorations de Noël et regardait les bus de la capitale flanqués de publicités pour les grands magasins.

Paris

Elle aimait cette ville. Les souvenirs affluaient qui lui rappelaient les débuts de sa carrière. C’était avant qu’elle ne rencontre Michel, son ex-mari, et tout ce qui s’en était suivi.

Elle chassa ces pensées mélancoliques. Quelque chose clochait autour d’elle. C’était dans l’air, presque tangible. L’expérience. Une sorte de sixième sens nourri par des heures sur le terrain. La jeune femme, sans aucun signe extérieur d’affolement, checka toute la zone.

Une camionnette blanche stationnait au milieu de la chaussée, sans feux de détresse. Immobile. Anonyme. Les badauds la contournaient comme 12si elle n’existait pas. Mais Marie ne voyait qu’elle et chercha instantanément quelle pouvait être la cible. Un indice dans son entourage immédiat : synagogue, salle de spectacle ou terrasse de café… Ce qu’elle remarqua lui donna la chair de poule. Un panneau annonçait la proximité d’une école.

Sa main se posa par réflexe sur la crosse de son arme, rangée dans l’étui réglementaire collé contre sa taille. Que pouvait-elle faire ? Dégainer maintenant risquait de déclencher un mouvement de panique.

Un bus s’approchait, clignotant sur la droite. Les voyageurs allaient descendre à quelques mètres du véhicule suspect.

Marie sortit doucement son arme et tira la culasse vers l’arrière. Le bruit caractéristique indiqua qu’une cartouche était chambrée. Elle avait pris sa décision.

La porte latérale glissa côté gauche et deux silhouettes jaillirent. Cagoules noires, tenues sombres et fusils d’assaut.

Kalachnikov !

L’un des deux hommes resta en couverture près du véhicule. Le second se mit à courir vers l’arrêt de bus. Marie savait qu’une fois sur le trottoir, il ne serait plus qu’à quelques mètres de l’entrée de l’école pour un épouvantable carton. Les battements de son cœur s’accélérèrent. Son gilet pare-balles, en cas d’impact avec une arme de guerre, ne lui serait d’aucune utilité.

13— Police, lâchez vos armes !

Le premier des deux hommes tourna la tête vers elle. Le second se rua vers le bus d’où des femmes et de nombreux enfants commençaient à sortir.

Marie vit le canon de la Kalache la mettre en joue. Ses bras étaient tendus et son Sig Sauer pointé vers l’homme en noir.

Plus le moment de réfléchir.

Les paroles de son instructeur lui revinrent en mémoire : « Vous devez tirer pour tuer, sinon, inutile de dégainer. »

Elle fit feu à trois reprises.

Une balle toucha le pneu avant de la camionnette, les suivantes atteignirent l’individu à l’aine et au torse. Il bascula en arrière.

Les joues de Marie s’empourprèrent tandis qu’elle cherchait l’autre assaillant des yeux.

La foule était trop dense. Des gens fuyaient dans tous les sens.

Où es-tu, salopard !

Son cœur battait la chamade.

Elle resta pétrifiée au moment où les badauds et tout le décor disparurent au milieu d’une lumière éblouissante. C’était la fin.

Écran blanc.

Silence.

Des lettres s’affichèrent en grands caractères devant la jeune femme :

14EVA : Entraînement Vidéo Assisté

Cibles atteintes : 50 %

Victimes : 18

Les néons crépitèrent. Un instructeur s’approcha de Marie.

Autour d’eux, le stand de tir sentait la poudre et l’huile.

— Que s’est-il passé, capitaine Lesaux ?

Marie sécurisa son arme et balbutia quelques excuses en guise de réponse :

— C’était si réaliste… J’ai tout vécu comme si c’était vrai.

L’homme portait une casquette siglée « Police nationale ». Il hocha la tête.

— C’est autre chose que des cibles en carton, pas vrai ?

— Le terroriste s’est fait sauter ?

— Exact, juste devant l’école : dix-huit victimes, morts ou blessés, le programme de simulation ne le dit pas.

Les lèvres de Marie tremblaient légèrement.

— J’ai manqué de temps.

Le policier avait un ton compréhensif.

— L’EVA sert à ça : apprendre à réagir face à une situation violente, telle qu’on peut en rencontrer sur le terrain. Vous vous souvenez du scénario ? Un attentat a eu lieu avec de nombreuses victimes et les terroristes sont en fuite. Au vu des éléments dont vous disposiez, la loi du 3 juin 2016 pouvait s’appliquer.

15— Légitime défense étendue ?

— Oui : autorisation de neutraliser sans sommation un individu armé venant de commettre plusieurs meurtres.

— J’aurais dû les abattre tous les deux, sans attendre et sans me signaler ?

— Vous vouliez les mettre en garde à vue ? Des kamikazes ? Ils avaient une Kalachnikov et une cagoule, leurs intentions étaient parfaitement claires.

Elle se repassait la scène en boucle.

Les entraînements de tir vont devenir de plus en plus éprouvants.

Son téléphone sonna dans la poche de son blouson.

— Marie, on vous cherche partout.

C’était la secrétaire du patron.

— Qu’y a-t-il ?

— Le commandant Masson veut vous parler, il dit que c’est urgent.

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Premières Lignes #152 : Les vilaines, Camila Sosa Villada

PREMIÈRES LIGNE #152

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Le livre en cause

Les vilaines, Camila Sosa Villada

Les Vilaines : Résumé

La Tante Encarna porte tout son poids sur ses talons aiguilles au cours des nuits de la zone rouge du parc Sarmiento, à Córdoba, en Argentine. La Tante – gourou, mère protectrice avec des seins gonflés d’huile de moteur d’avion – partage sa vie avec d’autres membres de la communauté trans, sa sororité d’orphelines, résistant aux bottes des flics et des clients, entre échanges sur les derniers feuilletons télé brésiliens, les rêves inavouables, amour, humour et aussi des souvenirs qui rentrent tous dans un petit sac à main en plastique bon marché. Une nuit, entre branches sèches et roseaux épineux, elles trouvent un bébé abandonné qu’elles adoptent clandestinement. Elles l’appelleront Éclat des Yeux.

Premier roman fulgurant, sans misérabilisme, sans auto-compassion, Les Vilaines raconte la fureur et la fête d’être trans. Avec un langage qui est mémoire, invention, tendresse et sang, ce livre est un conte de fées et de terreur, un portrait de groupe, une relecture de la littérature fantastique, un manifeste explosif qui nous fait ressentir la douleur et la force de survie d’un groupe de femmes qui auraient voulu devenir reines mais ont souvent fini dans un fossé. Un texte qu’on souhaite faire lire au monde entier qui nous rappelle que « ce que la nature ne te donne pas, l’enfer te le prête ».

La nuit est profonde : il gèle dans le Parc. De très vieux arbres qui viennent de perdre leurs feuilles semblent adresser au ciel une prière indéchiffrable, mais essentielle pour la végétation. Un groupe de trans fait sa maraude. Elles sont protégées par la futaie. Elles semblent faire partie d’un même corps, être les cellules d’un même animal. C’est comme ça qu’elles bougent, comme si elles formaient un troupeau. Les clients passent dans leurs voitures, ralentissent quand ils voient le groupe, et, parmi les trans, en choisissent une qu’ils appellent d’un geste. L’élue accourt. C’est comme ça que ça se passe, nuit après nuit.

Le Parc Sarmiento se trouve au cœur de la ville. C’est un vaste poumon vert, avec un zoo et un parc d’attractions. La nuit, les lieux deviennent sauvages. Les trans attendent sous les arbres ou devant les voitures, elles promènent leurs charmes dans la gueule du loup, devant la statue de Dante, la statue historique qui donne son nom à l’avenue. Chaque nuit, les trans surgissent du fond de cet enfer, mais personne n’écrit à ce sujet, elles jaillissent afin de faire renaître le printemps.

Avec les trans, il y a aussi une femme enceinte, la seule dans le groupe qui soit née femme. Les autres, les trans, se sont transformées elles-mêmes pour le devenir. Au pays des trans du Parc, c’est elle, la personne différente, cette femme enceinte qui fait toujours la même blague : elle prend par surprise l’entrejambe des trans. C’est ce qu’elle est en train de faire à l’instant même, et toutes rient aux éclats.

Le froid n’arrête pas la ronde des trans. Une fiole de whisky passe de main en main, des papiers saupoudrés de cocaïne passent successivement sous tous les nez, quelques-uns d’entre eux sont énormes et naturels, d’autres, tout petits, ont été opérés. Ce que la nature ne te donne pas, l’enfer te le prête. Là, dans ce Parc qui jouxte le centre-ville, le corps des trans emprunte à l’enfer la substance de ses charmes.

Tante Encarna participe à ce sabbat avec un enthousiasme féroce. Après la coke, elle exulte. Elle se sait éternelle, elle se sait invulnérable, telle une ancienne idole de pierre. Mais quelque chose qui vient de la nuit et du froid attire son attention et l’éloigne de ses amies. Depuis les broussailles, quelque chose l’appelle. Au milieu des rires, du whisky qui va et vient d’une bouche fardée à l’autre, au milieu des coups de klaxon de ceux qui sont à la recherche d’un peu de bonheur auprès des trans, Tante Encarna perçoit un son qui vient d’ailleurs, émis par quelque chose ou par quelqu’un qui n’est pas comme les personnes que nous avons sous les yeux.

Les autres trans continuent leur maraude sans prêter attention aux mouvements d’Encarna. C’est que la Tante perd la mémoire, elle raconte et reprend sans cesse les

mêmes vieilles anecdotes. Les choses les plus récentes et les plus familières n’ont pas de place dans sa mémoire. Il y a un moment dans la vie où aucun souvenir n’est à l’abri. Alors elle note tout dans des petits cahiers, elle colle des post-it sur la porte du frigo, autant de manières de l’emporter sur l’oubli. Il y a des filles qui pensent qu’elle est en train de devenir folle, d’autres qu’elle en a assez de se souvenir. Elle a reçu beaucoup de coups, Tante Encarna, des grolles de flics et de clients ont joué au foot avec sa tête et aussi avec ses reins. À cause des coups reçus dans les reins, elle pisse du sang. Alors personne ne s’inquiète quand elle s’en va, quand elle les quitte, quand elle répond aux sirènes de son destin.

Elle est un peu désorientée quand elle s’éloigne, …

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Premières Lignes #151 : Brouillards, Victor Guilbert

PREMIÈRES LIGNE #151

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Brouillards, Victor Guilbert

-one-

Parce que courir avec une seule chaussure, ce n’était pas seulement un handicap de confort. Il y avait aussi que ses chaussettes, Marcel Marchand les faisait tricoter sur mesure par un petit tailleur de Chinatown, un type extra, comme aurait dit sa grand-mère qu’il avait tant aimée, un type qui savait tricoter des socquettes impeccables sans ces bourrelets de tissu qui venaient gâcher l’avant des chaussettes, ces coutures excroissantes qu’on tentait de déplacer, tantôt vers le haut, tantôt vers le bas, pour se libérer les orteils d’une friction peu commode.

Les chaussettes ajustées par un couturier, c’était d’ailleurs l’unique luxe que Marcel Marchand s’accordait car le seul qui importait à ses yeux. Alors courir la chaussure gauche en moins sur les trottoirs new-yorkais et sacrifier par là même le fin tissage artisanal, c’était hors de question.

Marcel Marchand soupira. Dans ce petit café de la 20e Rue, rare recoin tranquille de l’inarrêtable Manhattan où il avait ses habitudes matinales, à savoir un macchiato au lait d’avoine et un cookie avec du gros sel sur le dessus, il aimait retirer le pied gauche de sa chaussure quelconque pour faire prendre l’air à sa chaussette élégante dans l’espoir inavoué qu’un regard s’égarerait sur cette coquetterie et la trouverait tout à fait remarquable.

Avec son allure de Gaulois moyen à la bedaine naissante et ses chaussettes colorées haut de gamme auxquelles personne ne prêtait vraiment attention, Marcel Marchand était certainement un original, mais il suscitait immédiatement le désintérêt chez quiconque remarquait sa présence. Marcel Marchand, Mama comme on le surnommait à la DGSE, ne payait pas de mine et c’était exprès.

Il enfila soigneusement la chaussure baladeuse, sans se presser, pour ne pas éveiller les soupçons, parce que courir avec une seule chaussure, ce n’était pas seulement un handicap de confort, donc. Mama avait déjà repéré les deux hommes quand ils étaient passés une première fois devant la vitrine avant de se décider à pénétrer dans son havre de paix de la 20e Rue.

Le grand noir chauve avec de la prestance, Mama l’avait surnommé « Galapagos », du nom du pur-sang majestueux qui avait passé les dernières années de sa vie dans le haras de sa grand-mère qu’il avait tant aimée. Le petit blond trapu, quant à lui, avait été affublé du surnom de « Merlin » parce qu’il avait un nez crochu, comme une sorcière, et que Mama ne connaissait pas d’autre nom de sorcier masculin.

Marcel Marchand connaissait par cœur les pedigrees de « Galapagos » et de « Merlin », tous les deux agents de la CIA, tous les deux formés à traquer, arrêter, éliminer les ennemis de la nation américaine. Et il ne faisait aucun doute que la raison de leur présence dans ce petit café discret de la 20e Rue était bel et bien de remplir cette mission précise en l’arrêtant lui, Marcel Marchand, ennemi de la nation américaine en sa qualité d’espion français membre de la DGSE. Il n’y avait pas de hasard.

Car s’il existait une entente tout à fait cordiale entre les deux pays qui se souriaient aimablement de part et d’autre de l’Atlantique, il n’en restait pas moins vrai que cette paire de vieux copains continuait de s’observer discrètement par en dessous, sur le principe vérifié que ce ne sont jamais les ennemis qui déçoivent.

Tout comme Galapagos et Merlin, Mama avait lui aussi appris à espionner, renseigner, manier les armes, tuer à mains nues, dans des camps d’entraînement de son Hexagone natal. Il avait connu l’Afrique, l’Europe de l’Est, un peu l’Asie, avant d’atterrir à New York où il avait mis au service de l’État le plus exceptionnel de ses talents : celui de physionomiste.

Cette capacité unique avait entraîné la création d’un service de la plus haute importance et dont il était le seul membre. Gratte-papier dans une sous-direction de l’ONU au bord de l’East River, bien loin des radars pour mieux passer inaperçu, Marcel Marchand avait peu à peu tissé avec brio sa toile invisible dans laquelle de nombreux agents de la CIA s’étaient retrouvés prisonniers sans le savoir. Une fois repérés les immeubles souvent visités, les cafés fréquentés, les restaurants, les théâtres, les cinémas, les lieux publics où ces agents se pensaient discrets, Mama avait fait bénéficier la France et l’Europe de son talent spectaculaire de physionomiste d’exception.

C’est ainsi qu’après huit années passées sur le sol américain, il connaissait le visage d’un nombre impressionnant de recrues des services secrets auxquelles il avait associé un parcours, un CV, une identité avec l’aide des informaticiens de la DGSE. Grâce à sa mémoire hors norme des visages et son système mnémotechnique de surnoms pour chacun d’eux comme en avaient hérité Galapagos et Merlin, les profils de plusieurs centaines d’agents de la CIA étaient ancrés dans un lobe de son cerveau bien organisé.

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Premières Lignes #150 : En mémoire de Fred, Clayton Lindemuth

PREMIÈRES LIGNE #150

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

En mémoire de Fred, Clayton Lindemuth

RÉSUMÉ

Baer Creighton est un cul-terreux fruste et macho obsédé par le Bien et le Mal. Depuis que, gamin, son grand frère Larry a essayé de l’électrocuter, il reçoit une décharge chaque fois que quelqu’un lui ment. Ou alors il voit une lueur rouge dans les yeux du menteur. Un don fort utile, mais est-ce suffisant maintenant qu’il faut venger Fred ? Le pitbull, son seul ami dans les bois de Caroline du Nord où il vit pas très loin des personnages de Ron Rash, a été kidnappé. On le lui a rendu en piteux état, victime d’un des impitoyables combats de chiens clandestins qu’organise l’abominable Joe Stipe, le caïd de la région. Quand il ne soigne pas Fred devenu quasi aveugle, Baer distille une gnôle si sublime que tout le monde lui en achète, le shérif compris. Ça lui donne du courage pour mûrir son plan. Non qu’il en manque, mais, en face, l’ennemi surarmé est en nombre et la lutte semble inégale. « Œil pour œil, dent pour dent », tel est le code de l’honneur hérité des pionniers. Baer l’appliquera jusqu’au bout. Voire plus loin.

J’ai approché la lampe de la tête de Fred. Ses yeux étaient injectés de sang, tuméfiés, et je l’ai contemplé quelques instants en me demandant si j’aurais le cran de l’achever si ça devenait nécessaire.

Fred a dit : « Si tu réglais plutôt leur compte aux ordures qui m’ont lâchement jeté dans l’arène ? »

1

Leurs voix m’ont guidé jusqu’ici, à quarante mètres du groupe. Malgré la pénombre, je les aperçois entre les arbres. J’effleure le Smith & Wesson plaqué contre ma hanche. Bientôt la fin des moissons, la température a commencé de plonger et plus je reste immobile, plus je me les caille.

Une vingtaine d’enfoirés. L’un d’eux a kidnappé Fred.

Ça ne va pas lui porter chance.

Accroupi derrière un orme, je me tasse contre l’écorce lisse.

Il fait si sombre que je pourrais me redresser pour agiter mon zob sans qu’ils s’en aperçoivent. La petite arène est éclairée par une lampe à kérosène, sa lumière orange vacille dans le tourbillon des papillons de nuit ; tout autour, les fêtards rigolent, braillent, sifflent comme s’ils mataient des filles à poil. D’où je suis, pas moyen de distinguer les combattants qui s’étripent au milieu de l’arène, deux chiens élevés dans ce but ou peut-être volés à un gosse ; ou alors à un pauvre con comme moi.

J’ai passé ma vie à changer de trottoir pour éviter menteurs et escrocs et les laisser se tromper et se voler mutuellement. Question repérage de menteurs, je suis champion. Mais ces mecs-là, autour de l’arène, ils sont au-delà du mensonge.

L’un de ces démons va le payer cher.

Je me lève, effleure le Smith une dernière fois et m’écarte du tronc. En entendant craquer une brindille, je me fige sur place avant d’avancer jusqu’à un autre arbre, puis un autre. Les feuilles mortes crissent sous mes pas. Plus que dix mètres. Il suffirait qu’un de ces gars se retourne pour que je sois repéré, mais ils sont bien trop accaparés par leur sport sanglant.

« Sport », mon cul.

Je mets à l’épreuve mes vieux muscles et mes articulations grinçantes en me lançant dans l’ascension d’un érable. D’abord la fourche à hauteur de mon bassin, puis la plus basse des grosses branches et ainsi de suite. Faut que je prenne de la hauteur pour distinguer les visages et l’autre côté de l’arène. Et si je n’arrive pas à voir les clébards s’entretuer, je n’en mourrai pas.

Certains de ces types ne me sont pas inconnus. George qui tient la scierie, et son cariste mexicain. Big Ted qui, grâce à sa pizzeria, est en relation avec des gros bonnets de Chicago et de New York. Ted est toujours prêt à vous rendre service, et à vous rappeler qu’il l’a fait – puis à vous envoyer un relevé mensuel de vos dettes. À l’extérieur du cercle, Mick Fleming, et à ses côtés, surprise, le pasteur Jenkins.

« Regardez-moi cet enculé. Mais tue-le, Achille, tue-le ! »

Celui-là, qui gueule le plus fort, c’est Cory Smylie, le fils du shérif de Gleason. Quelle description lui rendrait justice ? Un étron tassé au fond d’une boîte de conserve rouillée enterrée dans un champ d’épandage sous un cerisier noir aux branches chargées d’oiseaux larguant leur chiasse du matin au soir.

Je distingue le profil de Lucky Jim Graves, joueur de cartes endetté jusqu’aux burnes.

Sous mon poids, la branche pendouille. Une petite rafale et je suis bon pour me casser la gueule.

Celui-là, ça doit être Lou Buzzard. La branche me rentre dans le cul comme une selle de vélo de course et, dès que j’ai le malheur de remuer, ça déclenche un bruissement de feuilles. Mais je veux vérifier que c’est bien Lou, qui compte parmi mes clients depuis dix ans. Ça m’arrangerait que ces démons soient déjà en train de siffler ma gnôle. En me penchant encore un peu, je vais être fixé.

La branche cède avec un bruit de détonation. Me voilà le cul par terre et soudain je n’entends plus les hommes, seulement les chiens. Les mains se tendent vers les étuis des flingues, les canons argentés luisent comme des ruisseaux au clair de lune. Ces types ont apporté de quoi défendre leur sport, et ils sont plus adroits bourrés que je ne le serais en étant doublement à jeun.

« Vous, là-bas ! »

Joe Stipe. Mêlé à tous les business possibles et imaginables, camionnage, combats de chiens, paris… Y compris le mien, la distillation illégale. Il y a quelques années de ça, Stipe m’a envoyé des gros bras pour que je mette la clé sous mon alambic. Depuis, on n’est pas vraiment copains.

Le voilà qui s’amène, entouré de ses sbires.

« Attrape une lanterne, George ! On a de la visite. »

Assis en crabe, je me prends la lumière dans la tronche.

« Tiens, mais c’est Baer Creighton.

– Baer Creighton, hein ? Fais voir. »

Stipe approche encore la lampe. « Ouais !

– Le dites pas à Larry, conseille une voix.

– Larry est pas venu ce soir, répond Stipe. Qu’est-ce que vous foutez là, Baer ? Z’auriez pu vous faire descendre, espèce de con.

– Pourquoi j’étais perché dans cet arbre, bande de débiles ? Parce que j’aimerais mieux causer avec un sac de merde qu’avec vous autres. »

Ils se tiennent tranquilles en attendant un signe indiquant que ça va péter.

Pas ce soir, les gars. Un peu de patience et vous l’aurez, votre putain de signe.

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Blog en panne, au mois d’avril

Hello mes polardeux,

Un simple petit article pour vous demander pardon d’avoir arrêter de publier ici se derniers mois.

Et oui si le blog a été à l’arrêt car j’étais moi même en panne ! 😉

Juste un sale otite mal traité qui m’a totalement cassé et aussi le retour de la Covid qui n’a rien arrangé. Mais je vais mieux et du coup de reprends dès ce dimanche mes « Premières Lignes ». En plus se sera je crois le 150e …

Du coup comme je n’avais la grande forme, j’ai gardé toute mon énergie pour Collectif Polar, notre grand frère.

Et je profite aussi de ce billet pour vous souhaite tout le bonheur possible en ce mois de mai. 💐🌞

Et à très vite donc !

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Premières Lignes #149 : Les morsures du passé, Lisa Gardner

PREMIÈRES LIGNE #149

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Les morsures du passé, Lisa Gardner

Prologue

Danielle

JE N’AI PLUS BEAUCOUP de souvenirs de cette nuit-là. Au début, on croit qu’on n’oubliera jamais. Mais le temps est comme une sorte de brouillard, surtout pour les enfants. Et année après année, petit à petit, les détails se sont estompés dans ma mémoire. Un mécanisme d’adaptation, m’assurait le docteur Frank. L’évolution naturelle de ma psyché en voie de guérison. Aucune raison de me sentir coupable.

Mais je me sens coupable, évidemment.

Je me rappelle avoir été réveillée par un hurlement. Peut-être celui de ma mère, mais, d’après le rapport de police, plus probablement celui de ma sœur. Il faisait noir dans ma chambre. J’étais désorientée, je ne voyais rien. Et puis il y avait une odeur. C’est ce dont je garde le souvenir le plus net après toutes ces années. Une odeur de fumée que j’ai cru être celle d’un incendie, mais qui était en réalité une odeur de poudre, au bout du couloir.

D’autres bruits. Des choses que j’entendais sans les voir : des pas lourds, la chute d’un corps dans les escaliers. Et puis la voix retentissante de mon père, devant la porte de ma chambre.

« Oh, ma petite Danny. Ma jolie, jolie petite Danny. »

Ma porte s’est ouverte. Rectangle de lumière vive sur fond noir. La silhouette de mon père, découpée dans l’embrasure.

« Ma petite Danny, a-t-il chanté d’une voix plus enjouée. Ma jolie, jolie petite Danny. »

Ensuite, il a mis le pistolet sur sa tempe et appuyé sur la détente.

Je ne suis pas sûre de ce qui s’est passé tout de suite après. Est-ce que je me suis levée ? Est-ce que j’ai fait le numéro des secours ? Est-ce que j’ai essayé de ranimer ma mère, ou peut-être d’arrêter le sang qui ruisselait du crâne fracassé de ma sœur, du corps disloqué de mon frère ?

Je me souviens qu’un autre homme est entré dans ma chambre. Il m’a parlé d’une voix apaisante, il m’a dit que tout allait bien maintenant, que j’étais en sécurité. Il m’a prise dans ses bras, même si j’avais neuf ans et que j’étais trop grande pour qu’on me traite comme un bébé. Il m’a dit de fermer les yeux. De ne pas regarder.

J’ai hoché la tête sur son épaule, mais naturellement j’ai gardé les yeux ouverts.

Il fallait que je voie. Que j’enregistre. Que je me souvienne. C’est le devoir de l’unique survivant.

D’après le rapport de police, mon père était ivre ce soir-là. Il avait consommé au moins une bouteille de whisky avant de charger son arme de service. La semaine précédente, il avait perdu son emploi au bureau du shérif – après avoir reçu deux blâmes pour s’être présenté au travail en état d’ébriété. Le shérif Wayne, l’homme qui m’a sortie de la maison, avait espéré que ce licenciement obligerait mon père à s’amender, peut-être à s’inscrire aux Alcooliques Anonymes. J’imagine que mon père avait d’autres idées sur la question.

Il a commencé dans la chambre, surprenant ma mère à côté de son lit. Puis ça a été le tour de ma sœur de treize ans, qui avait sorti une tête dans le couloir, sans doute pour voir ce qui se passait. Mon frère de onze ans est lui aussi apparu dans le couloir. Il a tenté de prendre la fuite. Mon père lui a tiré dans le dos et Johnny est tombé dans les escaliers. La balle ne l’a pas tué sur le coup et il a mis un moment avant de mourir.

Je ne me souviens pas de ça, bien sûr. Mais j’ai lu le rapport officiel quand j’ai eu dix-huit ans.

Je cherchais une réponse que je n’y ai jamais trouvée.

Mon père avait tué toute ma famille, sauf moi. Est-ce que ça voulait dire qu’il m’aimait plus que les autres ou qu’il me haïssait plus que les autres ?

« Qu’en pensez-vous ? » me répondait toujours le docteur Frank.

J’en pense que c’est toute l’histoire de ma vie.

J’aimerais pouvoir vous dire de quelle couleur étaient les yeux de ma mère. Je sais qu’ils étaient bleus, logiquement, parce qu’à la mort de ma famille, je suis partie vivre chez tante Helen, la sœur de ma mère. Les yeux de tante Helen sont bleus et, à en juger par les photos qui me restent, ma mère et elle étaient pour ainsi dire des sosies.

Sauf que c’est bien le problème. Tante Helen ressemble tellement à ma mère qu’au fil des années elle a pris sa place. Dans ma tête, je vois les yeux de tante Helen. J’entends sa voix, je sens ses mains qui me bordent le soir. Et ça me fait souffrir parce que je voudrais que ma mère revienne. Mais elle a disparu en moi, ma mémoire déloyale l’a tuée plus efficacement que mon père ne l’avait fait. C’est ce qui m’a poussée à aller voir les rapports de police et les photos de scène de crime, si bien qu’aujourd’hui la seule image qui me reste de ma mère est celle d’un visage étrangement flasque qui fixe l’appareil photo, un trou au milieu du front.

J’ai des photos où je suis assise sur un perron avec Natalie et Johnny et où nous nous tenons par les épaules. Nous avons l’air très heureux, mais je ne me souviens plus si mes frère et sœur me taquinaient ou me toléraient. Se doutaient-ils qu’un soir ils allaient mourir et que moi j’en réchapperais ? S’imaginaient-ils, en cet après-midi ensoleillé, qu’aucun de leurs rêves ne se réaliserait ?

« Le complexe du survivant, me rappelait d’une voix douce le docteur Frank. Rien de tout cela n’est de votre faute. »

L’histoire de ma vie.

Tante Helen s’est bien occupée de moi. Juriste d’entreprise entièrement dévouée à son travail, elle avait plus de quarante ans et pas d’enfant quand je me suis installée chez elle. Comme elle habitait un deux-pièces dans le centre de Boston, j’ai dormi sur le canapé pendant la première année. Aucune importance, vu que je n’ai pas dormi cette année-là de toute façon, et nous restions donc debout toute la nuit à regarder des rediffusions de I Love Lucy en essayant de ne pas penser à ce qui s’était passé une semaine plus tôt, un mois plus tôt, un an plus tôt.

Une sorte de compte à rebours, sauf qu’on ne se rapproche jamais d’un quelconque but. Chaque journée est aussi merdique que la précédente. On en vient juste à accepter l’idée que la vie en général est merdique.

Tante Helen m’a trouvé le docteur Frank. Elle m’a inscrite dans une école privée où, grâce aux classes à effectif réduit, je bénéficiais d’une surveillance continue et d’un suivi individuel très poussé. Pendant deux ans, j’ai été incapable de lire. Les lettres n’avaient plus de sens, je ne savais plus compter. Je me levais chaque matin et cela me prenait une telle énergie que je ne pouvais plus faire grand-chose d’autre. Je ne me faisais pas d’amis. Je ne regardais pas les professeurs dans les yeux.

Assise sur ma chaise jour après jour, je déployais tant d’efforts pour me souvenir de chaque détail (les yeux de ma mère, le cri de ma sœur, le sourire niais de mon frère) qu’il n’y avait plus de place pour rien d’autre dans ma tête.

Et puis un jour, en marchant dans la rue, j’ai vu un homme se pencher vers sa petite fille pour l’embrasser sur le sommet du crâne. Un banal geste de tendresse paternelle. Sa fille a levé les yeux vers lui et sa petite bouille ronde s’est illuminée d’un sourire de mille watts.

Et mon cœur s’est brisé, d’un seul coup.

J’ai fondu en larmes, sangloté comme une folle dans les rues de Boston et je suis rentrée comme j’ai pu chez ma tante. Quand elle est revenue quatre heures plus tard, je pleurais encore sur le canapé en cuir. Alors elle en a fait autant. Nous avons passé une semaine entière à pleurer ensemble sur le canapé, avec des épisodes de L’Île aux naufragés en fond sonore.

« Quel enfoiré », a-t-elle dit, une fois pleurées toutes les larmes de notre corps. « Quel enfoiré de connard de mes deux. »

Et je me suis demandé si elle en voulait à mon père parce qu’il avait assassiné sa sœur ou parce qu’il lui avait collé sur les bras une enfant dont elle ne voulait pas.

L’histoire de ma vie.

J’ai survécu. Et même si je ne me souviens pas toujours, je mène ma vie, ce qui est le suprême devoir du survivant.

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Premières Lignes #148 : Capucine mène la danse, Jeanne Faivre d’Arcier

PREMIÈRES LIGNE #148

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Le livre en cause

Capucine mène la danse : dentelles, cercueil et thé au jasmin

Jeanne Faivre d’Arcier

LIVRE I

Toucher le fond








SAISON 1

Où tout semble aller
à merveille…



1.

Avachi sur des coussins, la paupière tombante mais l’œil vif, Gustave fixe l’interminable paire de gambettes gainées de lycra mauve que la jeune femme juchée sur un tabouret de bar qui s’est toquée de lui par un hasard aussi heureux qu’improbable six mois plus tôt, croise et décroise avec nervosité, derrière son comptoir. L’heure tourne, un dernier coup d’œil à sa montre et elle se lève, s’approche de son pas élastique de danseuse, se penche et lui gratte le torse et les reins de ses ongles laqués de vert gazon. Il réprime le petit cri de plaisir qui lui chatouille la glotte, s’offre à elle, le ventre en avant – elle annonce en détachant les mots les uns des autres : « Sage, mon chéri, plus tard. » Il grogne tout bas, frustré, elle ajoute : « On va jouer, Chouchou, d’accord ? »

Jouer ? Bien sûr qu’il bave d’envie de sortir et de se catapulter sur le boulevard de Clichy, entre les cyclistes arc-boutés sur leur engin, la tête au ras du guidon et les petites grands-mères qui tiennent à peine sur leurs guiboles.

Anticipant le plaisir de la balade, Gustave se dresse, amorce une sarabande endiablée qui propulse ses quatre-vingts kilos de la vitrine à des portants remplis de robes de bal des années folles qu’il renverse à grand fracas sur le parquet. Il piétine allégrement de délicates mousselines bouton d’or assemblées à la main, se jette contre la porte, manque de fracasser le carreau d’un coup d’épaule, gueule comme un possédé et se fige à l’arrêt, une patte en l’air et les oreilles dressées dès qu’elle lui crie : « Gustave, couché, Gustave, TRANQUILLE, toutou ! »

Les aboiements surexcités se transforment en une supplication tendre et musicale. Capucine fourre sous le museau noir et feu du léonberg une biscotte qu’il croque d’un coup de canine avant de lécher ses doigts fuselés l’un après l’autre, autant par amour que par gourmandise. Puis il exhale un soupir de contentement, s’installe sur son arrière-train et, balançant de droite à gauche sa grosse masse de fourrure dorée, scrute le trottoir d’un regard impatient.

Capucine remet de l’ordre dans le magasin où un animal en pleine 

croissance a semé une pagaille innommable. Elle contemple, désabusée, le stock d’articles en solde qu’elle n’arrive pas à écouler, baisse le rideau métallique en songeant qu’un cambriolage lui permettrait au moins de toucher le remboursement de l’assurance. Sur un dernier regard au Lili la Vamp aguicheur qui s’affiche en lettres écarlates sur l‘enseigne, elle traverse la place des Abbesses en essayant de freiner Gustave qui l’entraîne si vite vers le bas de la Butte Montmartre qu’elle a toutes les peines du monde à ne pas se rétamer à plat ventre sur le bitume.

Sur le boulevard, entre la place Blanche et le pont qui surplombe les voies de chemin de fer aboutissant à la gare Saint-Lazare, des hommes pressés de s’enfourner dans le métro après le travail ralentissent le pas pour détailler son minois en forme de cœur mangé par une grande bouche gourmande, sa silhouette ondulante de liane blonde, son buste généreux comprimé dans un boléro couvert de sequins dorés qui dénude le creux des seins et le nombril. Le mouvement langoureux de ses hanches, dans un short ajusté en cuir noir, provoque un discret sifflement, ici ou là, mais aucun des hommes qui la croisent ne se risque à l’aborder : la stature de son compagnon réfrène les ardeurs.

Au square des Batignolles, Capucine détache Gustave qui file vers son coin préféré, un lac miniature où barbotent des canards. Avec la complicité d’un vieux gardien débonnaire qui la cornaque et se rince l’œil le temps de sa promenade, Capucine laisse le chien folâtrer et se rouler tout son saoul sur les pelouses isolées, à l’écart des balançoires et des bacs à sable assaillis par des bambins qu’elle observe de loin, avec une pointe d’amertume.

Elle reste là à rêvasser un long moment, puis se décide. « Gustave, mon doux, on rentre ! » ordonne-t-elle.

L’animal renâcle et se détourne lourdement, tel un gros ourson …

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Première Lignes #147 : Rétiaire(s), DOA

PREMIÈRES LIGNE #146

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Rétiaire(s) DOA

PROLOGUE

« HADJAJ ! »

Ce cri, il tétanise. Dans le décor souterrain corseté de béton où la scène se joue, tous se figent. Malgré les moteurs, les claquements de portes, les conversations, les ordres aboyés et la réverbération chthonienne du tintamarre matinal, chacun est pris aux tripes par la puissance du hurlement.

Par sa haine.

C’est un homme de grande taille, large d’épaules, qui a tonné de la voix. Il a un visage carré aux saillies émoussées et sa petite quarantaine a, depuis longtemps déjà, des allures de cinquantaine ; les dernières semaines n’ont fait qu’ajouter à cette usure prématurée.

L’instant d’avant le cri, personne ne faisait attention à lui. À part un collègue surpris de le trouver dans les sous-sols du 36, rue du Bastion – le nouveau 36 –, appuyé contre un mur, clope au bec, l’œil attentif au ballet des fourgons. Le collègue s’est approché. Théo ? Déjà rentré ? Un sourire déformait son masque chirurgical et son bras amorçait un ridicule salut du coude, façon geste barrière.

Théo ne lui a pas répondu. Il a juste écrasé sa cigarette et dépassé son interlocuteur en lâchant un Va chercher mon taulier. Ensuite, le regard droit devant, Théo a rugi.

« HADJAJ ! »

Fonctionnaires de la pénitentiaire, policiers, gendarmes, prévenus, détenus, tous donc se sont figés. Certains se sont retournés. Le fameux Hadjaj était de ceux-là. Et lui, comme les autres, a mis quelques secondes à comprendre. Quelques secondes. Assez pour reconnaître le fils de pute qui l’a serré. Trop pour faire quoi que ce soit. Quelques secondes pour quelques pas. Pour que Théo puisse dégainer son Glock, tendre le bras, viser. La gueule.

« HADJAJ ! »

De peu, le cri précède le tir. À bout touchant diront sans doute les expertises médico-légales. Hadjaj, Nourredine, né aux Lilas le 7 avril 1989 et défavorablement connu des services de police, s’effondre. Son visage, un masque grotesque, sanguinolent et cabossé.

Les larmes aux yeux, son meurtrier rigole. Dernier crachat sur le cadavre et le pistolet remonte, file vers sa bouche ouverte.

Théo mange son canon.

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Premières Lignes #146 ; Les petits meurtres du mardi, Sylvie Baron

PREMIÈRES LIGNE #146

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Les petits meurtres du mardi, Sylvie Baron

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Quand on travaille dans la médiathèque d’une petite ville, on finit par connaître les secrets de tout le monde.

Odile Lavergne le sait bien, il ne lui a pas fallu longtemps pour deviner, en raison des ouvrages empruntés, les peines de cœur, les rêves d’amour, les angoisses hypocondriaques, les nostalgies du temps d’avant, les désirs de vengeance ou tout simplement le besoin éperdu de reconnaissance de certains de ses concitoyens.

Il faut ajouter qu’Odile a le don de savoir écouter les autres, de faire preuve d’empathie et d’encourager les confidences.

— Bonjour, vous êtes bien à la médiathèque de Marcolès, que puis-je faire pour vous ?

Cette simple annonce qu’elle distille plusieurs fois par jour de sa voix chantante au téléphone met tout de suite à l’aise son interlocuteur. Dans un monde où tout va trop vite, comment ne pas apprécier cette pause offerte qui permet de prendre son temps et de le perdre sans aucune culpabilité ?

Odile multiplie aussi les petites phrases pleines de compassion.

« C’est vraiment désolant ! »

« Si ce n’est pas malheureux, tout de même. »

« Il faut bien du courage pour supporter tout cela. »

Cette dernière est sa préférée, celle qui fait mouche à tous les coups car du courage, tout le monde aimerait en avoir, mais personne n’en a vraiment.

C’est beau le courage, ça suppose de la force de cœur, de la fermeté de caractère.

En tout cas, ça ne se refuse pas si on vous en prête. L’impétrant ainsi valorisé peut rougir ou relever la tête, il se sent subitement meilleur, un flot nouveau court dans ses artères pour l’exhorter à passer à l’action.

Odile est naturellement bienveillante, elle a les pieds sur terre et un cœur gros comme un mammouth. La quarantaine, célibataire, elle a gardé une silhouette d’enfant, petite et fluette. Ses yeux bleus sont immenses et toujours empreints de bonté, comme son sourire. À la voir s’agiter entre les rangées de livres ou derrière son bureau d’accueil, on dirait une petite fille en train de jouer.

C’est exactement le cas, en fait. Ses lecteurs sont ses poupées qu’elle conseille, console et n’hésite pas à morigéner quand il le faut. Elle aimerait tellement pouvoir organiser leurs vies pour les rendre meilleures.

Odile est une manipulatrice qui s’ignore.

Avec son sourire, ses tasses de thé brûlant, son sirop de citron et ses gâteaux maison, elle a su se rendre indispensable et faire de la médiathèque un cocon feutré qui attire les âmes en peine aussi sûrement qu’une lanterne brillante fascine les moustiques un soir d’été.

Des âmes en peine, on en trouve partout, autant à Marcolès que dans les autres bourgades. Des timides, des rejetés, des incompris, des solitaires, des aigris, des gens qui s’ennuient et ont tout simplement besoin d’exister. Ceux-là mêmes que captent en général les réseaux sociaux.

Ici, à Marcolès, c’est naturellement autour d’Odile qu’ils se réunissent. Tous les mardis, à 20 heures précises, en référence au fameux Club du mardi qui, dans la nouvelle d’Agatha Christie du même nom, réunit autour de son héroïne Miss Marple un groupe de détectives amateurs.

Car Odile est une fan de la Grande Dame du Crime. Elle connaît son 

œuvre par cœur. À la médiathèque, un coin spécial lui est consacré. Tous ses romans sont mis en valeur sur une étagère recouverte de velours noir, en plusieurs volumes pour les plus importants, sans oublier les éditions avec gros caractères pour les malvoyants et même quelques adaptations en bandes dessinées pour ceux qui ont une préférence pour le genre.

C’est bien sûr l’auteure qu’elle recommande le plus.

Sa devise phare, « Un coup de moins bien, un Agatha et ça repart », est bien connue des habitués des lieux. Certains s’en moquent discrètement, mais ici, à Marcolès, la Duchesse de la Mort a de nombreux adeptes et le Club du mardi rassemble un groupe de passionnés qui ne manqueraient sous aucun prétexte cette réunion hebdomadaire.

Un brin hétéroclite tout de même, ce Club du mardi, il faut bien le reconnaître. Huit membres en tout, en comptant Odile, à bénéficier de l’appellation privilégiée de « fidèles ».

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Premières Lignes #145 : Le vol du boomerang, Laurent Whale

PREMIÈRES LIGNE #145

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

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Le livre en cause

Le vol du boomerang, Laurent Whale

Prologue

Tjukurrpa.

Et le rêve engendra un monde.

Celui qui est à la fois le ciel et la terre.

Tjukurrpa : le Serpent Arc-en-ciel, le Serpent du Rêve.

On dit que lorsqu’il s’éveilla, ses contorsions créèrent le lit des rivières et des fleuves, les dunes, les vallées et les montagnes, autant que les plaines fertiles et les déserts tragiques. De ses écailles naquirent les innombrables clans et les animaux qui étaient les égaux de l’Homme. Tous frères, sœurs, parents, vivant sur la Terre en harmonie, intelligence et respect.

Les bébés des arbres, à la fourrure soyeuse, se nourrissaient des feuilles d’eucalyptus. Ceux des plaines, bondissant sur leurs cuisses puissantes, vénéraient l’herbe grasse. Ceux des fleuves et des lacs, ceux de la mer et ceux du ciel se partageaient les bienfaits de la création de Tjukurrpa.

Et puis, ceux qu’on ne voyait pas. Les esprits, anciens, nouveaux, passés et futurs. Intangibles et pourtant présents, ils généraient la trame de toute chose, en conférant à la moindre molécule la valeur d’un univers entier.

Car eux seuls supportaient le poids des âmes.

Et la trame du Rêve.

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