Premières Lignes #155 : In vino Véritas, Magali Collet et Isabelle Villain

PREMIÈRES LIGNES #155

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

In vino Véritas, Magali Collet et Isabelle Villain

Prologue


Été 1999


La lumière de la fin d’après-midi donne au paysage une teinte jaunâtre, que seul le vert des arbres placés de part et d’autre de l’allée vient rompre. À l’ombre
du troisième chêne, deux enfants sont assis en tailleur.
L’emplacement est stratégique. En effet, ce dernier, situé à égale distance du portail et du château, leur offre toute la discrétion nécessaire à leurs jeux.
Le plus âgé des garçons ouvre avec précaution une boîte en métal. Il en examine le contenu avec attention.
Le plus jeune fait de même avec la sienne. Déçu, il le regarde d’un air accusateur :
« Il ne me reste que sept billes. Je suis sûr que tu m’en as volé !
– C’est faux ! En plus, tu m’en dois trois !
– C’est pas vrai ! Tu mens ! C’est toi qui m’en dois, j’ai gagné la dernière fois !
– Peut-être, mais tu n’as pas respecté la règle.
– Quelle règle ?
– On avait dit qu’il fallait se faire peur, mais sans que ce soit dangereux. Et en mettant du fil de pêche dans l’escalier, tu as failli faire tomber maman.
– Mais elle n’est pas tombée, tu as coupé le fil avant !
– Heureusement pour toi, parce que tu te serais bien fait engueuler. Une, tu n’as pas respecté la règle, deux, j’ai vu ton piège et je l’ai désamorcé. Alors, c’est moi
qui ai gagné.
– Ça veut dire quoi “désamorcé” ?
– Tu chercheras, tu seras moins bête ! Allez, donne-moi les billes. »
À contrecœur, le petit Mathias attrape trois billes du bout des doigts et les laisse tomber dans la main de son grand frère.
« Je dirai à papa que tu me les as volées et il te grondera !
– Je lui dirai que tu mens !
– C’est pas vrai ! Je ne mens pas. C’est parce que tu as insisté et que tu es plus fort que moi. Je suis sûr que tu allais me taper si je ne te les avais pas données.
– T’es qu’un menteur. Tu étais d’accord pour qu’on joue.
– Oui, mais, toi, tu aurais dû dire non. Tu es le plus grand.
– Je suis le plus grand quand ça t’arrange. Eh bien, puisque c’est comme ça, reprends-les tes sales billes, j’en veux pas. Je ne jouerai plus jamais avec toi.
Jamais ! »
En disant cela, il les jette de toutes ses forces, le plus loin possible et se retourne, bras croisés, en boudant. Mathias saute de joie et se précipite pour les
ramasser, en chantonnant : « Cerf, cerf, ouvre-moi ! Ou le chasseur me tuera ! Lapin, lapin, entre et viens me serrer la main. »
Il les replace dans sa boîte et se met à courir en zigzaguant entre les chênes, de l’autre côté de l’allée.
À intervalles réguliers, il regarde son frère, immobile, assis en tailleur, la tête entre les mains. Il semble triste, et Mathias, bien qu’heureux d’avoir eu gain de
cause, n’aime pas le voir ainsi. Il s’approche et lui touche timidement l’épaule :
« Augustin ! »
L’enfant ne répond pas.
« Augustin, t’es fâché ?
– À ton avis ? marmonne-t-il en croisant les bras.
– Mais je voulais juste récupérer mes billes.
– Oui, mais c’est toujours comme ça. On est d’accord au début et puis si tu ne gagnes pas, tu changes les règles.
– Non, je ne fais pas toujours ça.
– Si. Et quand je refuse, tu dis à papa que c’est de ma faute et il te croit tout le temps. Ce n’est pas juste. »
Mathias réfléchit un court instant. Il sait qu’Augustin a raison, mais il n’y peut rien, il n’aime pas perdre.
Il s’assoit à côté de lui et le bouscule d’abord légèrement puis de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’ils éclatent de rire.
« O.K., tu as gagné. On est toujours frères.
– C’est vrai ? On joue à quoi, alors ?
– Pas aux billes en tout cas. »
Honteux, le plus jeune baisse la tête. Son grand frère n’est pas près d’oublier ce qui s’est passé ; d’ailleurs, Augustin n’oublie jamais rien.
Après quelques secondes de réflexion, le visage de Mathias s’illumine :
« On pourrait faire du vélo !
– Ça, c’est une bonne idée pour une fois. On va faire la course.
– Non, pas la course. Tu es plus grand et tu gagnes toujours.
– Bah, qu’est-ce que tu veux faire, alors ?
– Et si on jouait aux jeux du cirque ? 4
– O.K., va pour les jeux. »
Les jeux du cirque ont été inventés par Augustin. Il en est très fier. Il s’agit de se lancer à tour de rôle toute une série de défis à réaliser sans quitter leur selle.
Augustin se tourne vers Mathias :
« Le truc, c’est qu’il faudrait jouer sur le chemin, y a trop de cailloux dans l’allée, on va tomber et se faire mal.
– Ben, y a qu’à demander à maman !
– Vas-y toi ! Si tu prends ta tête de petit malheureux, elle dira forcément oui. »
Mathias se lève d’un bond et se précipite à l’intérieur de la grande maison. Il en parcourt le rez-de-chaussée sans parvenir à trouver sa mère. Elle est sans doute à l’étage. Il n’a pas envie de monter et se dit que, finalement, c’est une perte de temps. Augustin a raison : elle dira forcément oui.
Après une brève hésitation, il rebrousse chemin et court à la rencontre de son frère, qui s’est chargé entre-temps de sortir leurs vélos du hangar situé à l’arrière de la propriété.
« C’est bon, Gustin ! Maman a dit oui !
– Youhou ! C’est parti ! »
Et les garçons, attrapant leurs deux-roues, se dirigent vers le portail.
C’est Augustin qui choisit le premier défi. À l’aide de brindilles, il délimite la ligne de départ et s’élance. Il pédale de plus en plus vite en s’imaginant être un avion juste au début du décollage. Il pilote en expert « l’appareil » qu’il connaît depuis toujours. Au moment de quitter la terre ferme, il enlève ses pieds des pédales, écarte les jambes et les bras, et le laisse filer à vive allure. Il compte jusqu’à cinq dans sa tête et reprend le contrôle de la bicyclette, sous le regard admiratif de son frère.
« Allez, minus ! À toi maintenant !

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Premières Lignes #149 : Les morsures du passé, Lisa Gardner

PREMIÈRES LIGNE #149

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Les morsures du passé, Lisa Gardner

Prologue

Danielle

JE N’AI PLUS BEAUCOUP de souvenirs de cette nuit-là. Au début, on croit qu’on n’oubliera jamais. Mais le temps est comme une sorte de brouillard, surtout pour les enfants. Et année après année, petit à petit, les détails se sont estompés dans ma mémoire. Un mécanisme d’adaptation, m’assurait le docteur Frank. L’évolution naturelle de ma psyché en voie de guérison. Aucune raison de me sentir coupable.

Mais je me sens coupable, évidemment.

Je me rappelle avoir été réveillée par un hurlement. Peut-être celui de ma mère, mais, d’après le rapport de police, plus probablement celui de ma sœur. Il faisait noir dans ma chambre. J’étais désorientée, je ne voyais rien. Et puis il y avait une odeur. C’est ce dont je garde le souvenir le plus net après toutes ces années. Une odeur de fumée que j’ai cru être celle d’un incendie, mais qui était en réalité une odeur de poudre, au bout du couloir.

D’autres bruits. Des choses que j’entendais sans les voir : des pas lourds, la chute d’un corps dans les escaliers. Et puis la voix retentissante de mon père, devant la porte de ma chambre.

« Oh, ma petite Danny. Ma jolie, jolie petite Danny. »

Ma porte s’est ouverte. Rectangle de lumière vive sur fond noir. La silhouette de mon père, découpée dans l’embrasure.

« Ma petite Danny, a-t-il chanté d’une voix plus enjouée. Ma jolie, jolie petite Danny. »

Ensuite, il a mis le pistolet sur sa tempe et appuyé sur la détente.

Je ne suis pas sûre de ce qui s’est passé tout de suite après. Est-ce que je me suis levée ? Est-ce que j’ai fait le numéro des secours ? Est-ce que j’ai essayé de ranimer ma mère, ou peut-être d’arrêter le sang qui ruisselait du crâne fracassé de ma sœur, du corps disloqué de mon frère ?

Je me souviens qu’un autre homme est entré dans ma chambre. Il m’a parlé d’une voix apaisante, il m’a dit que tout allait bien maintenant, que j’étais en sécurité. Il m’a prise dans ses bras, même si j’avais neuf ans et que j’étais trop grande pour qu’on me traite comme un bébé. Il m’a dit de fermer les yeux. De ne pas regarder.

J’ai hoché la tête sur son épaule, mais naturellement j’ai gardé les yeux ouverts.

Il fallait que je voie. Que j’enregistre. Que je me souvienne. C’est le devoir de l’unique survivant.

D’après le rapport de police, mon père était ivre ce soir-là. Il avait consommé au moins une bouteille de whisky avant de charger son arme de service. La semaine précédente, il avait perdu son emploi au bureau du shérif – après avoir reçu deux blâmes pour s’être présenté au travail en état d’ébriété. Le shérif Wayne, l’homme qui m’a sortie de la maison, avait espéré que ce licenciement obligerait mon père à s’amender, peut-être à s’inscrire aux Alcooliques Anonymes. J’imagine que mon père avait d’autres idées sur la question.

Il a commencé dans la chambre, surprenant ma mère à côté de son lit. Puis ça a été le tour de ma sœur de treize ans, qui avait sorti une tête dans le couloir, sans doute pour voir ce qui se passait. Mon frère de onze ans est lui aussi apparu dans le couloir. Il a tenté de prendre la fuite. Mon père lui a tiré dans le dos et Johnny est tombé dans les escaliers. La balle ne l’a pas tué sur le coup et il a mis un moment avant de mourir.

Je ne me souviens pas de ça, bien sûr. Mais j’ai lu le rapport officiel quand j’ai eu dix-huit ans.

Je cherchais une réponse que je n’y ai jamais trouvée.

Mon père avait tué toute ma famille, sauf moi. Est-ce que ça voulait dire qu’il m’aimait plus que les autres ou qu’il me haïssait plus que les autres ?

« Qu’en pensez-vous ? » me répondait toujours le docteur Frank.

J’en pense que c’est toute l’histoire de ma vie.

J’aimerais pouvoir vous dire de quelle couleur étaient les yeux de ma mère. Je sais qu’ils étaient bleus, logiquement, parce qu’à la mort de ma famille, je suis partie vivre chez tante Helen, la sœur de ma mère. Les yeux de tante Helen sont bleus et, à en juger par les photos qui me restent, ma mère et elle étaient pour ainsi dire des sosies.

Sauf que c’est bien le problème. Tante Helen ressemble tellement à ma mère qu’au fil des années elle a pris sa place. Dans ma tête, je vois les yeux de tante Helen. J’entends sa voix, je sens ses mains qui me bordent le soir. Et ça me fait souffrir parce que je voudrais que ma mère revienne. Mais elle a disparu en moi, ma mémoire déloyale l’a tuée plus efficacement que mon père ne l’avait fait. C’est ce qui m’a poussée à aller voir les rapports de police et les photos de scène de crime, si bien qu’aujourd’hui la seule image qui me reste de ma mère est celle d’un visage étrangement flasque qui fixe l’appareil photo, un trou au milieu du front.

J’ai des photos où je suis assise sur un perron avec Natalie et Johnny et où nous nous tenons par les épaules. Nous avons l’air très heureux, mais je ne me souviens plus si mes frère et sœur me taquinaient ou me toléraient. Se doutaient-ils qu’un soir ils allaient mourir et que moi j’en réchapperais ? S’imaginaient-ils, en cet après-midi ensoleillé, qu’aucun de leurs rêves ne se réaliserait ?

« Le complexe du survivant, me rappelait d’une voix douce le docteur Frank. Rien de tout cela n’est de votre faute. »

L’histoire de ma vie.

Tante Helen s’est bien occupée de moi. Juriste d’entreprise entièrement dévouée à son travail, elle avait plus de quarante ans et pas d’enfant quand je me suis installée chez elle. Comme elle habitait un deux-pièces dans le centre de Boston, j’ai dormi sur le canapé pendant la première année. Aucune importance, vu que je n’ai pas dormi cette année-là de toute façon, et nous restions donc debout toute la nuit à regarder des rediffusions de I Love Lucy en essayant de ne pas penser à ce qui s’était passé une semaine plus tôt, un mois plus tôt, un an plus tôt.

Une sorte de compte à rebours, sauf qu’on ne se rapproche jamais d’un quelconque but. Chaque journée est aussi merdique que la précédente. On en vient juste à accepter l’idée que la vie en général est merdique.

Tante Helen m’a trouvé le docteur Frank. Elle m’a inscrite dans une école privée où, grâce aux classes à effectif réduit, je bénéficiais d’une surveillance continue et d’un suivi individuel très poussé. Pendant deux ans, j’ai été incapable de lire. Les lettres n’avaient plus de sens, je ne savais plus compter. Je me levais chaque matin et cela me prenait une telle énergie que je ne pouvais plus faire grand-chose d’autre. Je ne me faisais pas d’amis. Je ne regardais pas les professeurs dans les yeux.

Assise sur ma chaise jour après jour, je déployais tant d’efforts pour me souvenir de chaque détail (les yeux de ma mère, le cri de ma sœur, le sourire niais de mon frère) qu’il n’y avait plus de place pour rien d’autre dans ma tête.

Et puis un jour, en marchant dans la rue, j’ai vu un homme se pencher vers sa petite fille pour l’embrasser sur le sommet du crâne. Un banal geste de tendresse paternelle. Sa fille a levé les yeux vers lui et sa petite bouille ronde s’est illuminée d’un sourire de mille watts.

Et mon cœur s’est brisé, d’un seul coup.

J’ai fondu en larmes, sangloté comme une folle dans les rues de Boston et je suis rentrée comme j’ai pu chez ma tante. Quand elle est revenue quatre heures plus tard, je pleurais encore sur le canapé en cuir. Alors elle en a fait autant. Nous avons passé une semaine entière à pleurer ensemble sur le canapé, avec des épisodes de L’Île aux naufragés en fond sonore.

« Quel enfoiré », a-t-elle dit, une fois pleurées toutes les larmes de notre corps. « Quel enfoiré de connard de mes deux. »

Et je me suis demandé si elle en voulait à mon père parce qu’il avait assassiné sa sœur ou parce qu’il lui avait collé sur les bras une enfant dont elle ne voulait pas.

L’histoire de ma vie.

J’ai survécu. Et même si je ne me souviens pas toujours, je mène ma vie, ce qui est le suprême devoir du survivant.

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Premières Lignes #148 : Capucine mène la danse, Jeanne Faivre d’Arcier

PREMIÈRES LIGNE #148

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

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Le livre en cause

Capucine mène la danse : dentelles, cercueil et thé au jasmin

Jeanne Faivre d’Arcier

LIVRE I

Toucher le fond








SAISON 1

Où tout semble aller
à merveille…



1.

Avachi sur des coussins, la paupière tombante mais l’œil vif, Gustave fixe l’interminable paire de gambettes gainées de lycra mauve que la jeune femme juchée sur un tabouret de bar qui s’est toquée de lui par un hasard aussi heureux qu’improbable six mois plus tôt, croise et décroise avec nervosité, derrière son comptoir. L’heure tourne, un dernier coup d’œil à sa montre et elle se lève, s’approche de son pas élastique de danseuse, se penche et lui gratte le torse et les reins de ses ongles laqués de vert gazon. Il réprime le petit cri de plaisir qui lui chatouille la glotte, s’offre à elle, le ventre en avant – elle annonce en détachant les mots les uns des autres : « Sage, mon chéri, plus tard. » Il grogne tout bas, frustré, elle ajoute : « On va jouer, Chouchou, d’accord ? »

Jouer ? Bien sûr qu’il bave d’envie de sortir et de se catapulter sur le boulevard de Clichy, entre les cyclistes arc-boutés sur leur engin, la tête au ras du guidon et les petites grands-mères qui tiennent à peine sur leurs guiboles.

Anticipant le plaisir de la balade, Gustave se dresse, amorce une sarabande endiablée qui propulse ses quatre-vingts kilos de la vitrine à des portants remplis de robes de bal des années folles qu’il renverse à grand fracas sur le parquet. Il piétine allégrement de délicates mousselines bouton d’or assemblées à la main, se jette contre la porte, manque de fracasser le carreau d’un coup d’épaule, gueule comme un possédé et se fige à l’arrêt, une patte en l’air et les oreilles dressées dès qu’elle lui crie : « Gustave, couché, Gustave, TRANQUILLE, toutou ! »

Les aboiements surexcités se transforment en une supplication tendre et musicale. Capucine fourre sous le museau noir et feu du léonberg une biscotte qu’il croque d’un coup de canine avant de lécher ses doigts fuselés l’un après l’autre, autant par amour que par gourmandise. Puis il exhale un soupir de contentement, s’installe sur son arrière-train et, balançant de droite à gauche sa grosse masse de fourrure dorée, scrute le trottoir d’un regard impatient.

Capucine remet de l’ordre dans le magasin où un animal en pleine 

croissance a semé une pagaille innommable. Elle contemple, désabusée, le stock d’articles en solde qu’elle n’arrive pas à écouler, baisse le rideau métallique en songeant qu’un cambriolage lui permettrait au moins de toucher le remboursement de l’assurance. Sur un dernier regard au Lili la Vamp aguicheur qui s’affiche en lettres écarlates sur l‘enseigne, elle traverse la place des Abbesses en essayant de freiner Gustave qui l’entraîne si vite vers le bas de la Butte Montmartre qu’elle a toutes les peines du monde à ne pas se rétamer à plat ventre sur le bitume.

Sur le boulevard, entre la place Blanche et le pont qui surplombe les voies de chemin de fer aboutissant à la gare Saint-Lazare, des hommes pressés de s’enfourner dans le métro après le travail ralentissent le pas pour détailler son minois en forme de cœur mangé par une grande bouche gourmande, sa silhouette ondulante de liane blonde, son buste généreux comprimé dans un boléro couvert de sequins dorés qui dénude le creux des seins et le nombril. Le mouvement langoureux de ses hanches, dans un short ajusté en cuir noir, provoque un discret sifflement, ici ou là, mais aucun des hommes qui la croisent ne se risque à l’aborder : la stature de son compagnon réfrène les ardeurs.

Au square des Batignolles, Capucine détache Gustave qui file vers son coin préféré, un lac miniature où barbotent des canards. Avec la complicité d’un vieux gardien débonnaire qui la cornaque et se rince l’œil le temps de sa promenade, Capucine laisse le chien folâtrer et se rouler tout son saoul sur les pelouses isolées, à l’écart des balançoires et des bacs à sable assaillis par des bambins qu’elle observe de loin, avec une pointe d’amertume.

Elle reste là à rêvasser un long moment, puis se décide. « Gustave, mon doux, on rentre ! » ordonne-t-elle.

L’animal renâcle et se détourne lourdement, tel un gros ourson …

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PREMIÈRES LIGNE #135 : Alliance palladium, Stephane Furlan

PREMIÈRES LIGNE #135

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Le livre en cause

Alliance palladium, Stephane Furlan

Dimanche 5 avril 2009,
dix-sept heures six

J’ai quitté Sophie depuis plus d’un an et n’arrive toujours pas à m’habituer à ces dimanches soir, ceux qui me ramènent devant la porte de mon ancien appartement, au quatrième étage de cet immeuble vétuste du quartier des Carmes, avec mes deux gamines à la main. Voilà, le week-end touche à son terme et avec lui la semaine passée avec mes trésors. Je vais de nouveau me retrouver seul, ne pouvant compter que sur mon job pour oublier la vie que j’ai sacrifiée en cédant à une sirène. Et comme l’aînée vient de fêter ses neuf ans alors que la seconde n’a pas encore atteint les cinq, je me sens obligé de gravir les marches branlantes de l’escalier pour les mener jusqu’à leur mère, m’offrant par la même occasion le spectacle de son mépris qui ne manque jamais de durcir ses yeux quand elle les pose sur moi.

Tout en portant Lucie, la plus petite, je peine derrière Carmen et longe le grand miroir fixé par une âme généreuse sur une cloison du palier, au deuxième étage. Mon reflet s’impose au beau milieu de ces sombres pensées et je suis saisi en ne reconnaissant pas la loque que j’attendais. Non, je vois plutôt un type qui parvient à tenir à distance le relâchement de sa ceinture abdominale et dont les traits résistent en fait assez bien aux assauts du temps. Cette prise de conscience m’arrache un sourire qui se reflète dans la glace et j’ai l’impression que mon jumeau m’offre une marque de sympathie. Ça fait du bien. C’est la seule que j’ai reçue d’un adulte aujourd’hui…

La porte apparaît enfin, sa surface ivoire agrémentée par l’élan créatif de Carmen, trois ans plus tôt, lors de notre aménagement dans ce quartier de Toulouse après une période passée dans la grisaille de la capitale, Sophie à jouer du bistouri et moi de la matraque. Mon aînée a peint un bouquet de violettes, comme pour faire honneur à la mythologie de notre cité de naissance. Je ne sais pas si l’amertume trouble encore ma vision, mais elles me semblent de plus en plus fanées,

ces fleurs censées accueillir les visiteurs assez courageux pour grimper jusque-là.

À peine le temps de reprendre mon souffle que Lucie se tortille dans mes bras pour regagner le plancher et se jeter contre la porte, ses deux poings en avant frappant le bois avec énergie, aussitôt rejointe par sa sœur, les deux accompagnant les percussions par une mélopée primitive ne répétant en chœur qu’un seul mot : « Maman ! »

Je tente de calmer les petits monstres quand l’embrasure se libère sur une femme que je trouve toujours aussi séduisante. Ses yeux noirs, pétillant d’intelligence et s’accordant merveilleusement à sa longue chevelure, me fixent avec cette expression familière, la même dont elle me gratifiait lorsque j’avais omis de baisser la cuvette des toilettes. Ou pour protester contre un tas de vêtements sales sur le sol de la chambre. Sans oublier les aveux de mon infidélité consommée pendant mon escapade à Lisbonne, dans l’enthousiasme de l’arrestation des braqueurs de transports de fonds plus connus dans mon milieu sous le nom de Cagoulés

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