Premières Lignes #148 : Capucine mène la danse, Jeanne Faivre d’Arcier

PREMIÈRES LIGNE #148

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Capucine mène la danse : dentelles, cercueil et thé au jasmin

Jeanne Faivre d’Arcier

LIVRE I

Toucher le fond








SAISON 1

Où tout semble aller
à merveille…



1.

Avachi sur des coussins, la paupière tombante mais l’œil vif, Gustave fixe l’interminable paire de gambettes gainées de lycra mauve que la jeune femme juchée sur un tabouret de bar qui s’est toquée de lui par un hasard aussi heureux qu’improbable six mois plus tôt, croise et décroise avec nervosité, derrière son comptoir. L’heure tourne, un dernier coup d’œil à sa montre et elle se lève, s’approche de son pas élastique de danseuse, se penche et lui gratte le torse et les reins de ses ongles laqués de vert gazon. Il réprime le petit cri de plaisir qui lui chatouille la glotte, s’offre à elle, le ventre en avant – elle annonce en détachant les mots les uns des autres : « Sage, mon chéri, plus tard. » Il grogne tout bas, frustré, elle ajoute : « On va jouer, Chouchou, d’accord ? »

Jouer ? Bien sûr qu’il bave d’envie de sortir et de se catapulter sur le boulevard de Clichy, entre les cyclistes arc-boutés sur leur engin, la tête au ras du guidon et les petites grands-mères qui tiennent à peine sur leurs guiboles.

Anticipant le plaisir de la balade, Gustave se dresse, amorce une sarabande endiablée qui propulse ses quatre-vingts kilos de la vitrine à des portants remplis de robes de bal des années folles qu’il renverse à grand fracas sur le parquet. Il piétine allégrement de délicates mousselines bouton d’or assemblées à la main, se jette contre la porte, manque de fracasser le carreau d’un coup d’épaule, gueule comme un possédé et se fige à l’arrêt, une patte en l’air et les oreilles dressées dès qu’elle lui crie : « Gustave, couché, Gustave, TRANQUILLE, toutou ! »

Les aboiements surexcités se transforment en une supplication tendre et musicale. Capucine fourre sous le museau noir et feu du léonberg une biscotte qu’il croque d’un coup de canine avant de lécher ses doigts fuselés l’un après l’autre, autant par amour que par gourmandise. Puis il exhale un soupir de contentement, s’installe sur son arrière-train et, balançant de droite à gauche sa grosse masse de fourrure dorée, scrute le trottoir d’un regard impatient.

Capucine remet de l’ordre dans le magasin où un animal en pleine 

croissance a semé une pagaille innommable. Elle contemple, désabusée, le stock d’articles en solde qu’elle n’arrive pas à écouler, baisse le rideau métallique en songeant qu’un cambriolage lui permettrait au moins de toucher le remboursement de l’assurance. Sur un dernier regard au Lili la Vamp aguicheur qui s’affiche en lettres écarlates sur l‘enseigne, elle traverse la place des Abbesses en essayant de freiner Gustave qui l’entraîne si vite vers le bas de la Butte Montmartre qu’elle a toutes les peines du monde à ne pas se rétamer à plat ventre sur le bitume.

Sur le boulevard, entre la place Blanche et le pont qui surplombe les voies de chemin de fer aboutissant à la gare Saint-Lazare, des hommes pressés de s’enfourner dans le métro après le travail ralentissent le pas pour détailler son minois en forme de cœur mangé par une grande bouche gourmande, sa silhouette ondulante de liane blonde, son buste généreux comprimé dans un boléro couvert de sequins dorés qui dénude le creux des seins et le nombril. Le mouvement langoureux de ses hanches, dans un short ajusté en cuir noir, provoque un discret sifflement, ici ou là, mais aucun des hommes qui la croisent ne se risque à l’aborder : la stature de son compagnon réfrène les ardeurs.

Au square des Batignolles, Capucine détache Gustave qui file vers son coin préféré, un lac miniature où barbotent des canards. Avec la complicité d’un vieux gardien débonnaire qui la cornaque et se rince l’œil le temps de sa promenade, Capucine laisse le chien folâtrer et se rouler tout son saoul sur les pelouses isolées, à l’écart des balançoires et des bacs à sable assaillis par des bambins qu’elle observe de loin, avec une pointe d’amertume.

Elle reste là à rêvasser un long moment, puis se décide. « Gustave, mon doux, on rentre ! » ordonne-t-elle.

L’animal renâcle et se détourne lourdement, tel un gros ourson …

Les blogueurs et blogueuses qui y participent aussi :

• Lady Butterfly & Co
• Cœur d’encre
• Ladiescolocblog
• À vos crimes
• Ju lit les mots
• Voyages de K
• Les paravers de Millina
• 4e de couverture
• Les livres de Rose
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