Premières lignes #176 : Le grand Test, Jacques Expert

PREMIÈRES LIGNES #176

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Le grand Test, Jacques Expert

Vendredi 14 avril, 20 h 34

Sergio Destrebecq est seul chez lui. Il finit son whisky écossais bien tourbé de vingt ans d’âge avant de passer à table. Il va se cuisiner une belle côte de veau, accompagnée d’un sancerre rouge de la maison Briand, où il a ses entrées et ses prix d’ami.

Il allume un cigarillo, lâche une longue bouffée, tandis qu’il retourne la viande dans la poêle en fonte.

Après le dîner, il s’installera dans le salon, dégustera un vieux cognac en fumant son cigare hebdomadaire. Sans rien faire, ni lire ni regarder la télé. Sa femme est chez sa sœur à Auxerre, son fils doit encore traîner quelque part avec ses copains et va rentrer chez lui bourré. « Il faut bien que jeunesse se passe », se rassure-t-il, craignant que Germain ne soit pas fait du même bois que lui.

C’est bien parce qu’il passe la soirée seul qu’il a l’intention d’en profiter. Sa femme le houspille parce qu’il picole, fume trop. Ce n’est pas à plus de soixante berges qu’il va se laisser emmerder. Même par sa femme.

Il répond, pour l’agacer, qu’on n’a qu’une vie, qu’il en profite « tant qu’il est jeune » et qu’elle ferait mieux de suivre un régime.

Quand il évoque les régimes à répétition de son épouse, il sait qu’il fait mouche. Elle est susceptible, mais il est vrai que ça ne lui ferait pas de mal de perdre une bonne quinzaine de kilos. Il s’en fout qu’ensuite elle lui fasse la gueule toute la soirée.

Il hache les champignons de Paris pour accompagner sa côte de veau, devant l’évier, face à la fenêtre, quand il remarque une agitation furtive près de la grange, à une trentaine de mètres de la maison. Il y range son matériel et il y en a bien pour quelques dizaines de milliers d’euros. La propriété est grillagée et, en principe, personne ne peut y entrer.

Il n’est pas sûr, mais il a cru voir une silhouette dans la pénombre.

Un camp de Roms s’est imposé dans un champ à une vingtaine de kilomètres de Savenne, et avec ces gens-là, il vaut mieux être vigilant.

Alors il pose son couteau sur le comptoir de marbre et il sort pour en avoir le cœur net.

Quand, bien plus tard, sa femme entrera dans la cuisine, elle trouvera la côte de veau toujours sur le gaz, carbonisée dans la poêle en fonte.

Immangeable.

Deux mois plus tard

MERCREDI

Installé dans le bureau monté à la hâte au premier étage du gymnase Robert-Laforge, une vieille gloire locale, il allume une Camel, profite de la première bouffée.

Le palais des sports, peu gracieux bâtiment en béton, a été construit dans les années soixante-dix. Il trône, tel un trophée rescapé du passé, le long de la route qui contourne le centre du bourg. À l’intérieur, la lumière trop crue irrite la vue. De chaque côté, les trois rangées de bancs rouges (la couleur des équipes de hand) attendent le coup de peinture qui leur donnera une nouvelle jeunesse.

C’est ici que la gendarmerie a décidé de s’installer.

Le capitaine Francis Duquennes a tout du gendarme : grand, affûté, la coupe de cheveux gris réglementaire. Il relit consciencieusement ses notes. Il doit s’appliquer car elles ont été rédigées d’une main trop nerveuse, le stress sans doute. Signe d’une enquête qui n’avance pas, elles sont à peine lisibles.

Au début, tout le monde a cru à un accident, car Destrebecq avait l’habitude de passer dans la grange en fin de journée pour ranger son matériel, aérer la paille entassée dans le fond du bâtiment. Et comme c’était un gros fumeur… Il aurait perdu connaissance en tombant et le mégot aurait fait le reste. L’incendie de la grange n’a laissé que des ruines fumantes et son corps, calciné.

Le médecin légiste a vite démenti cette hypothèse. Et c’est ainsi que le capitaine a hérité de l’affaire. Le crâne portait les traces de coups mortels, pas d’une blessure due à une mauvaise chute. Vu l’état du corps, le légiste ne le confirmait pas à cent pour cent, mais il a écrit que la victime était morte quand le feu s’est déclaré.

Il s’agissait donc d’un homicide et le capitaine Duquennes a été chargé de l’enquête.

Deux mois après le drame, l’affaire occupe toujours toutes les conversations de ce gros bourg de Sologne. Surtout parce que c’est un homme important de la région, que l’on croyait intouchable, qui a été tué. Sa mort a réjoui pas mal d’habitants, mais personne ne s’est risqué à le dire. Ce sont des choses que l’on garde pour soi. À Savenne-sur-Nère, le « patriarche » n’est plus, mais sa famille règne toujours.

Si, deux mois plus tard, l’assassinat est toujours au centre de toutes les conversations, c’est aussi parce qu’il a surpris tout le monde. De mémoire d’habitant de Savenne, le dernier meurtre remonte avant guerre. Et le nom de la victime a été oublié. C’était un réfugié espagnol.

Dans les notes du capitaine sont consignés deux mois de recherches infructueuses, de déceptions. Des noms, des lieux, des hypothèses et peu de certitudes.

Pourtant l’affaire semblait plutôt simple à résoudre. Surtout pour un enquêteur réputé et malin. Après avoir écarté la piste familiale, celle des proches, le capitaine a exploré les relations professionnelles de Destrebecq. Il a ainsi découvert quelques sombres arrangements, des dessous-de-table. Classique…

Sergio Destrebecq, ancien ouvrier forestier, avait construit une solide fortune qui lui valait du respect, mais aussi beaucoup de jalousie. Avec son fils Germain et sa femme Sylvaine, ils formaient le clan Destrebecq qui régnait sur la région. Un mot de lui, et c’en était fini de vous. Leur fille avait préféré s’éloigner. Elle vit à Auxerre, loin du clan.

Les blogueurs et blogueuses qui y participent aussi :

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• Cœur d’encre
• Ladiescolocblog
• À vos crimes
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Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

2 réflexions sur « Premières lignes #176 : Le grand Test, Jacques Expert »

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