Premières lignes #168 :ce n’est qu’un début Commissaire Soneri, Valerio Varesi

PREMIÈRES LIGNES #168

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri,Valerio Varesi

CHAPITRE 1

Les dépressifs aiment le spectacle de la pluie. Le commissaire Soneri ne savait plus où il l’avait lu et fut rassuré de constater que lui ne l’était pas du tout. D’une sale humeur, peut-être, mais dépressif, certainement pas. Toute cette pluie s’agitant dans un vent capricieux, les rues réduites à des torrents, les façades sombres et trempées, les chauffeurs impuissants dans les embouteillages se défoulant à coups de klaxon l’avaient tellement foutu en rogne qu’il avait décidé de prendre des dispositions. Tout d’abord, éviter les réunions du questeur, ensuite, et de manière générale, rester à distance. Enfin, se trouver un peu de distraction.

La radio de la salle de commandement saisissait l’hystérie d’une ville encline à se complaire dans l’insouciance et désormais en proie à une effervescence malsaine : le marché inondé de la Ghiaia, l’eau pénétrant dans les commerces à presque un mètre de hauteur, l’asphalte défoncé qui découvrait un terreau épais et jaunâtre, les caves transformées en rizières où s’agitaient des locataires dans l’espoir d’un improbable assainissement, les pompiers démarrant toutes sirènes hurlantes afin de se frayer un passage au milieu du trafic. Et puis les deux torrents, la Parma et la Baganza, qui rasaient l’œil des ponts de leur courant bourbeux en tentant d’aller se jeter dans le Pô – lequel, plusieurs kilomètres en aval, déjà contenu par les digues, refusait le débordement tout comme la marée haute adriatique repousserait le sien. Tous avaient l’impression d’habiter dans un puits dont le fatal destin serait la submersion.

Frappé par cette vision, Soneri contempla le ciel d’opale par la fenêtre où de sombres nuées avançaient dans le vent telles des crinières ébouriffées suspendues au-dessus des toits.

— Quel temps, hein ? entendit-il dire derrière lui.

Il se tourna et se trouva nez à nez avec Juvara.

— Oui, glissa-t-il en essayant de ne pas montrer son agacement face à cette irruption.

Il savait qu’il était insupportable, mais était-ce de sa faute si, dans ces moments-là, les mots lui paraissaient banals et inintéressants ? Le jour où les gens se tairont parce qu’ils n’ont rien à dire, le monde plongera dans le silence, songea-t-il.

— Il y a un mort près de la gare, reprit l’inspecteur. Apparemment, c’est un suicide, mais ce serait mieux d’aller y jeter un œil…, ajouta-t-il en laissant sa phrase en suspens par crainte de la réaction du commissaire.

Soneri ne répondit pas. Sans prévenir, sous le regard surpris et soulagé de Juvara, il prit manteau et parapluie et s’engagea vers la sortie.

— Où ça, près de la gare ? s’enquit-il juste avant de franchir le seuil.

— Vous voyez l’ancien hôtel Milano ? Du côté du ponte Bottego ?

— Il est en travaux.

— Exact, confirma Juvara. Il s’est pendu là-dedans. Apparemment, il est rentré sur le chantier en sectionnant des grilles. Ou bien c’était déjà ouvert à cause des toxicos qui vont là-bas pour se shooter.

Soneri fit seulement un signe et disparut dans le couloir. Il sentait qu’il retrouvait de l’énergie malgré le spectacle morbide qui l’attendait. Après tout, l’enquête l’arracherait à la banalité du quotidien. Le tragique n’est jamais banal, il renferme toujours un fond de vérité, songea-t-il à nouveau. Au moins, c’était l’un des aspects positifs du métier : être au contact de la vie, même si elle fait souvent horreur. Il traversa le centre dans la lumière plombée de la bourrasque, accompagné par l’inces

sant ruissellement des gouttières, et chemina jusqu’à ce qu’il surplombe la berge sur le ponte Bottego. La Parma était voladora, comme disaient les vieux en dialecte quand l’eau sortait de son lit et dévalait en effleurant les murs épais des maisons de l’Oltretorrente. Ici aussi, elle s’élançait à quelques mètres du parapet et donnait l’impression d’emporter tout sur son passage. Il dépassa le pont et s’enfonça dans le chantier boueux, puis distingua un sous-sol sombre à l’arrière-plan. À peine à l’intérieur, les yeux toujours emplis d’images de mouvements tumultueux, Soneri découvrit le cadavre immobile du pendu.

— Il est déjà raide, le prévint l’un des deux agents qui tenait une grosse torche.

Le commissaire tenta de digérer la brusque transition qui l’avait fait passer de l’élan vital du torrent à la sobriété obscène d’un cadavre fixé à une poutre comme un jambon.

— Depuis quand ? questionna-t-il en indiquant le suicidé.

— D’après le légiste, au moins douze heures, répondit le policier.

L’homme s’était pendu avec une ceinture et avait dû mourir d’asphyxie, car sa chute avait été de faible hauteur et le cou n’était pas brisé. On le comprenait aussi au pantalon baigné d’urine.

— En s’étranglant, tout se relâche, corrobora l’agent.

— Tu crois qu’on pense à l’étiquette dans un moment pareil ? commenta Soneri d’un ton amer cependant qu’arrivait le dottor Coriani, le magistrat de garde.

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