Premières Lignes #156 : Les Oubliés de Marralee, Jane Harper

PREMIÈRES LIGNES #156

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Les Oubliés de Marralee, Jane Harper

Aux lecteurs, qui font de ces livres ce qu’ils sont.

Prologue
Tâche de te rappeler. Les signes étaient là. Quels étaient-ils ? Ils se posèrent tous les mêmes questions, après coup. Comment les choses ont-elles pu en arriver là ? Aurions-nous pu empêcher ça ?

Cette dernière, c’était la question clé, Aaron Falk le savait. Et la réponse était probablement oui. Même sans avertissements – et il y en avait eu –, la réponse était presque toujours oui. Un million de décisions menaient toujours à une action, quelle qu’elle soit, et une action pouvait dérailler d’un million de manières. Mais des choix avaient été faits – certains conscients et réfléchis, d’autres moins –, et parmi les millions de chemins possibles, c’était celui-là qui avait été emprunté.

Le bébé dormait quand on l’avait découvert. La petite allait sur ses six semaines. D’un bon poids pour son âge, elle se portait à merveille, malgré le fait qu’on l’avait laissée là toute seule. Elle devait être bien au chaud dans son landau, emmaillotée dans une écharpe propre achetée au plus grand détaillant d’articles pour bébés de l’État, et bordée sous une couverture en laine artisanale assez épaisse pour aplanir la bosse créée par son corps, si on la plaçait d’une certaine manière. Et on l’avait placée exactement de cette manière. Quelqu’un qui aurait jeté un coup d’œil au landau en passant aurait d’abord vu la couverture plutôt que le bébé.

C’était une nuit de printemps, et le ciel du sud de l’Australie était dégagé et constellé d’étoiles, sans pluie annoncée, mais la capote imperméable du landau était entièrement déployée. Un carré de tissu qui servait habituellement de pare-soleil avait été posé sur l’ouverture entre la capote et le fond du landau. Quelqu’un qui aurait jeté un coup d’œil en passant n’aurait pas vu du tout la petite endormie.

Le landau était rangé parmi des dizaines d’autres dans l’aire prévue à cet effet à l’entrée de la Fête du vin et de la gastronomie annuelle de la Marralee Valley, se disputant l’espace avec un amas de vélos et de scooters et un tricycle solitaire. On l’avait laissé dans le coin tout au fond, la pédale de frein fermement enfoncée.

Les objets garés là furent récupérés l’un après l’autre au cours des deux heures suivantes, au fur et à mesure que les familles qui avaient enchaîné verres de vin, plateaux de fromage et tours de manège décrétaient qu’elles avaient suffisamment célébré les produits locaux ce soir-là. Peu après 22 h 30, il ne restait plus que le landau et le vélo de l’assistant électricien.

Ce dernier se figea, alors qu’il était en train de déverrouiller son antivol. La fête avait officiellement fermé ses portes une demi-heure plus tôt, et le site était quasi désert à présent, seuls les membres de l’organisation traînaient encore dans les parages. Le technicien glissa l’antivol dans son sac à dos, balaya une dernière fois du regard la pénombre du champ de foire, puis s’approcha du landau. Il se pencha pour jeter un coup d’œil sous la capote avant de la replier à fond. Le petit paquet emmailloté remua, surpris par ce courant d’air frais, tandis que l’électricien sortait son téléphone de sa poche et passait un appel.

Le nom du bébé était écrit sur l’étiquette de sa grenouillère. Zoe Gillespie. Sa famille n’était pas du coin – ou du moins, plus maintenant –, mais le directeur de la foire et le policier de service dépêché sur place connaissaient les noms de ses parents.

Le portable de la mère de Zoe sonna au fond du sac à langer calé dans le panier fixé sous le landau. La sonnerie retentit bruyamment dans la nuit. Dans le sac zippé, on trouva également des clés de voiture et un portefeuille contenant pièce d’identité, cartes et argent liquide. L’électricien se précipita vers le parking visiteurs. Une berline familiale correspondant à la marque inscrite sur le porte-clés figurait parmi les rares véhicules.

Le téléphone du père de Zoe sonna à quelques kilomètres de là, dans le hall du restaurant italien le plus correct de la Marralee Valley. Il avait renvoyé ses parents chez eux en taxi et était en train de régler l’addition en discutant avec la patronne et son mari, qui se rappelaient tous les deux l’avoir connu à l’école. Il leur montrait des photos de Zoe – son premier enfant, qui aurait déjà six semaines ce dimanche ; il avait du mal à y croire – et la patronne insistait pour qu’il accepte une bouteille de mousseux offerte par la maison pour fêter ça, quand l’appel illumina l’écran de son portable.

Le restaurant se trouvait à quinze minutes du champ de foire. La patronne dépassa allégrement la limitation de vitesse pour laquelle elle avait elle-même fait campagne afin de l’y conduire en à peine plus de trois minutes, écrasant la pédale de frein juste devant l’entrée principale. De là, il courut le long des stands fermés et obscurs, jusqu’à sa fille.

On fouilla tout le site. La mère de Zoe, Kim Gillespie, trente-neuf ans, ne fut pas retrouvée.

On rassembla des volontaires pour passer de nouveau le champ de foire au peigne fin. Puis le parking, puis les vignes de part et d’autre. Le landau avait été placé face à l’est, vers le fond du champ de foire et l’autre sortie, utilisée en cas de trop grande affluence. Par-delà celle-ci commençait le bush, et un petit chemin qui ne menait qu’à un seul endroit. Les recherches se poursuivirent le long de ce chemin, jusqu’à la retenue d’eau. Puis les volontaires explorèrent la large promenade qui faisait le tour du lac – déserte à cette heure avancée de la nuit, où il n’y avait plus un marcheur ni un véhicule de service –, jusqu’au point culminant de la digue grossière : une vertigineuse saillie rocheuse qu’on surnommait le Précipice. De tout là-haut, on voyait le réservoir se déployer, vaste et profond.

Deux jours plus tard, on trouva une chaussure. L’une des baskets blanches de Kim Gillespie, gorgée d’eau et couverte de sédiments, repérée à plus d’un kilomètre à l’est, coincée dans les filtres du barrage.

On fit venir des plongeurs spécialisés pour qu’ils fouillent la fissure au fond de l’eau, au centre de cette retenue naturelle. Ils descendirent aussi profond qu’ils purent dans ce creux obscur, pendant que les agents chargés de mener les recherches inspectaient minutieusement les environs, à pied et dans les 4 × 4 des gardes forestiers, des volontaires scrutant les abords du lac depuis leurs embarcations de loisir. Les recherches se prolongèrent pendant toute une semaine, puis une autre, avant de ralentir puis de s’arrêter complètement – avec la promesse de reprendre dès que le niveau de l’eau aurait suffisamment baissé. Le printemps céda la place à l’été, puis à l’automne. Zoe grandit jusqu’à sortir de son landau, fit ses premiers pas, eut besoin de ses propres chaussures. Son premier anniversaire était déjà passé.

Qu’ai-je vu ? Ceux qui connaissaient et aimaient cette famille n’avaient plus que leurs questions. Ils s’interrogeaient, seuls et entre eux. Qu’est-ce qui a bien pu m’échapper ?

Mais la mère de Zoe ne revint jamais la chercher.

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Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

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