Premières lignes #167, Le nouveau de Keigo Higashino

PREMIÈRES LIGNES #167

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Le nouveau de Keigo Higashino

LA FILLE DU MAGASIN DE BISCUITS

1


— On dirait qu’il commence à faire moins chaud. Il
était temps. Dire qu’on n’est qu’en juin…
Satoko, qui venait de remettre de l’ordre dans l’éventaire, revint dans le magasin.
— Mamie, tu viens juste de sortir de l’hôpital, tu
ne dois pas faire tant d’efforts ! Si quelqu’un te voit et
le dit à papa, je vais avoir des ennuis, moi, dit Nao en
faisant la grimace.
— Mais je vais bien, enfin ! Je ne suis plus malade,
puisque je suis revenue à la maison, et je peux travailler
normalement. Depuis toujours on dit, qui ne travaille
pas ne mange pas. D’ailleurs, il faut que tu te dépêches
d’apprendre à gagner ta vie, ma petite Nao !
— Pff… Tu recommences, lâcha celle-ci en croquant
un biscuit de riz à la mayonnaise.
Satoko se donna une tape à la hanche tout en lui
décochant un regard noir.
— Je trouve incroyable que tu aimes ces biscuits à ce
point. Tu es née dedans, tu en manges depuis toujours,
mais tu ne t’en lasses pas !
— Celui-là, c’est une nouvelle sorte.
— Nouvelle sorte ou pas, un biscuit de riz reste un
biscuit de riz. Honnêtement, moi, les senbei, je ne peux
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plus les voir en peinture. D’ailleurs, avec mes dents, ça
ne passe plus.
— Après cinquante ans dans ce magasin, ça me semble
plutôt normal.
— Je t’ai déjà dit des dizaines de fois que cela ne
fait que trente ans qu’on en vend ici. Autrefois, notre
spécialité, c’étaient les gâteaux japonais. Ton père n’a
consulté personne quand il a décidé de se lancer dans les
biscuits de riz. Ah… que la gelée de haricot rouge me
manque…
— Mais tu en manges tout le temps, de la gelée de
haricot rouge, répondit Nao en pinçant les lèvres.
Au même moment, un homme en costume gris, assez
corpulent, poussa la porte en verre du magasin et salua
les deux femmes en s’inclinant légèrement.
— Bonjour, monsieur Takura. Merci d’être venu
jusqu’ici malgré la chaleur, lança Satoko d’un ton aimable.
— Ne me remerciez pas, je ne fais que mon travail. Et
il fait moins chaud que plus tôt dans la journée. Heureusement, parce que c’était pénible.
— Vous devez être épuisé ! Entrez, je vous en prie,
je vais vous apporter quelque chose de frais, dit Satoko
en l’invitant à passer dans l’arrière-boutique, adjacente
à la pièce à vivre.
— Non, ce n’est pas la peine. Je suis juste venu pour
ça, fit l’homme en traçant du doigt un carré dans l’air.
— Ah oui, le certificat médical. Je suis allée le chercher avec ma petite-fille. J’aurais tout à fait pu y aller
seule, mais elle tenait absolument à m’accompagner,
expliqua la vieille femme en se baissant pour se déchausser.
— Reste là, mamie, je te l’apporte, dit sa petite-fille.
— Tu sais où il est ?
— Bien sûr ! C’est moi qui l’ai rangé. Alors que, toi,
tu n’en as pas la moindre idée.
En entendant Takura rire, Nao devina la réaction de
sa grand-mère.
— Nao, apporte aussi du thé !
— Comme s’il fallait me le dire, grommela Nao, mé –
contente.
Elle revint dans la boutique avec un verre de thé glacé
sur un plateau.
— Vous avez bonne mine ! Bien meilleure que la dernière fois que je suis venu, il y a quatre jours, déclara
Takura d’un ton convaincu.
— C’est que je suis bien mieux chez moi. Et puis je
ne supporte pas de rester sans rien faire. Même si ma
petite-fille n’arrête pas de me dire que je devrais me
reposer plus.
— C’est normal, elle se fait du souci pour vous. Oh
merci, ajouta-t-il à l’intention de Nao en prenant le
verre de thé froid.
— Tiens, voilà ton certificat, mamie, dit Nao.
— Merci, répondit Satoko.
Elle le sortit de l’enveloppe et le parcourut des yeux
avant de le tendre à Takura.
— Permettez, dit celui-ci en le lisant. Hum… Vous
avez été hospitalisée deux mois… ça a dû vous paraître
long.
— Ça ne m’aurait pas gênée si j’en étais sortie guérie,
mais ce n’est même pas le cas. On m’a découvert une
autre maladie, et il a fallu deux mois pour me retaper.
Vraiment pas de quoi se réjouir.
— C’était une cholangite… Mais on vous a aussi fait
un examen pour un anévrisme.
— Au départ, j’ai été hospitalisée pour ça. Je pensais
être opérée. Mais ça sera pour plus tard.
— Vous voulez dire que vous n’y couperez pas ?
— Apparemment non. Mais en même temps, à l’âge
que j’ai, je me demande si ça ne serait pas aussi bien de
ne rien faire du tout et de voir ce qui se passe.
— Oui, je vous comprends, ce n’est pas facile, répondit Takura, un peu embarrassé.
Il ne pouvait pas se permettre de dire n’importe quoi.
— Vous avez tout ce qu’il faut, maintenant ? demanda
Satoko.
— Oui, avec ça, votre dossier est complet. Je vais rentrer au bureau m’en occuper tout de suite. Vous devriez
recevoir au plus tard le mois prochain la part de la complémentaire pour votre hospitalisation.
— Vous allez retourner à votre bureau ? Mais il est
déjà tard…
— Pas du tout. Eh bien, je vais vous laisser, dit-il en
rangeant le certificat dans sa serviette.
Il se tourna vers Nao et lui sourit.
— Merci pour le thé !
— Je vous en prie, répondit la jeune fille.
Satoko le raccompagna dehors et se posta devant la
boutique pour le suivre des yeux. Fumitaka, son fils, le
père de Nao, rentra environ deux heures plus tard. Le
col de son polo blanc était grisâtre. Il revenait de chez un
grossiste.
— Il a dû se passer quelque chose à Kodenmachō,
dit-il en se déchaussant. Il y avait trop de voitures de
police pour que ce soit un simple accident.
— Tu veux dire un meurtre ? demanda sa fille.
— Ça se peut. Il y avait vraiment beaucoup de policiers.
— Le quartier n’est plus aussi calme qu’avant, lança
Satoko qui préparait de la soupe au miso dans la cuisine. Je trouve qu’il y a trop de monde. Et trop de grands immeubles.

Au lieu de lui répondre, son fils alluma la télévision
et se concentra sur un match de base-ball retransmis
en direct. Nao mit la table. Elle avait l’habitude d’entendre sa grand-mère dire ça.
Les Kamikawa ne dérogeaient jamais à leur habitude de dîner ensemble. En raison du retour tardif de
Fumitaka, ils commencèrent plus tard que d’ordinaire.
Pendant l’hospitalisation de Satoko, Nao s’était chargée de faire la cuisine, corvée dont elle avait été libérée
une semaine plus tôt. La vie avait repris comme avant.
Elle était encore en maternelle lorsque sa mère était
morte dans un accident de voiture. Malgré son jeune
âge, elle n’avait pas oublié le choc que cela avait été pour
elle. Elle y avait survécu parce que son père tenait un
magasin et qu’il était toujours à la maison. La présence
de Satoko lui avait aussi été d’un grand secours. Grâce
à eux, elle avait le sentiment d’avoir échappé à l’isolement qui est généralement le lot des enfants uniques
vivant seuls avec leur père. L’amour de sa mère lui avait
manqué, mais elle avait toujours bénéficié de repas préparés avec amour. Les boîtes-repas que lui confectionnait sa grand-mère pour les sorties scolaires éveillaient
invariablement l’envie de ses camarades de classe.
En avril, la maladie de sa grand-mère et son hospitalisation l’avaient ébranlée. Elle ne s’y attendait absolument pas, et elle était revenue en pleurs de l’hôpital.
Comme sa grand-mère l’avait expliqué à l’agent d’assurances, elle était entrée à l’hôpital pour se faire opérer
d’un anévrisme. Mais quelques jours avant la date de
l’opération, elle avait été prise d’une fièvre inexpliquée,
si forte qu’elle en était tombée dans le coma.
Elle avait passé trois jours dans cet état. Nao avait
à nouveau pleuré lorsque sa grand-mère avait repris
conscience.

Les blogueurs et blogueuses qui y participent aussi :

• Lady Butterfly & Co
• Cœur d’encre
• Ladiescolocblog
• À vos crimes
• Ju lit les mots
• Voyages de K
• Les paravers de Millina
• 4e de couverture
• Les livres de Rose
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• Miss Biblio Addict !!
• La magie des livres
• Elo Dit
• Zoé prend la plume
• Sauce Ririline

Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

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