Premières lignes #169 : Pour service rendus, Iain Levison

PREMIÈRES LIGNES #169

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Pour services rendus, Iain Levison

1


Tunnels de Cu Chi, 30 km au nord de Saïgon
Mai 1969


La première chose que voit Billy Drake en descendant du camion est le corps d’un homme mort étendu par terre. Celui-ci ne porte qu’un pantalon noir qui
n’est guère plus qu’une guenille, et ses cheveux sont emmêlés autour de son visage comme s’ils étaient mouillés. Billy remarque qu’il est petit et très maigre.
On distingue nettement ses côtes. Il ne repère aucune blessure sur le cadavre étendu au soleil, manifestement vietnamien, et se demande s’il est mort de faim.
Des soldats fument à proximité et Billy s’approche d’eux. «Hé, fait-il, je cherche la deuxième section, compagnie Bravo. »
Un des hommes le regarde, un grand, décharné, à la peau comme du cuir. Il indique sa gauche sans un mot.
Aucun des autres soldats ne lève les yeux sur lui. Billy tourne la tête et remarque des camions-citernes à l’arrêt et deux hommes qui discutent, penchés sur une
carte étalée sur le capot d’une jeep. Il y a d’autres corps alignés sur le sol, en guenilles noires, sans chemise, tous maigres et les cheveux collés au visage ; pas de blessures ni de sang apparents. L’un d’eux est couché dans le sens inverse, sa chevelure est plus longue, et Billy se rend compte que c’est une femme. Il reste interdit. Les cadavres masculins étaient les premiers qu’il voyait, et tout comme les soldats autour de lui il essayait de faire
comme s’ils n’étaient pas là. Mais la femme morte l’a pris par surprise.
«Hé, tête de nœud, par ici. » Le sergent, l’un des hommes à côté de la jeep, lui fait signe. «Où sont les autres ?
– Les autres ?
– Vous êtes censés être quatre, non? » Le sergent s’approche. Un mètre quatre-vingts, tout en muscles.
En deux jours de Vietnam, c’est le premier soldat que Billy trouve à l’aise dans son uniforme. Il est mince mais pas décharné, bronzé mais pas recuit, et ne paraît pas épuisé. Aucune sueur ne dégouline sur sa figure. Il ne halète pas, n’a pas le regard vide des autres soldats et son gilet pare-balles n’est pas ouvert comme si c’était plus important de laisser entrer l’air frais que d’arrêter les balles. Sa voix est forte et ferme. Il est vif, plein d’énergie, et il scrute rapidement la cime des arbres tout en marchant vers Billy. «Le chef de bataillon Lucas avait dit que je recevrais quatre remplaçants. »
Billy comprend que son rôle est désormais d’annoncer les mauvaises nouvelles. «Les trois gars qui étaient avec moi dans l’hélico ont été déposés dans la compagnie Alpha. Le chauffeur de camion m’a amené ici. » Il voit le visage du sergent s’assombrir.
«Un gars ? Putain, un gars ? J’en ai perdu huit le mois dernier et ils m’en envoient un seul ? » Le sergent boit une gorgée à son bidon et regarde Billy, et bien qu’ils soient de la même taille, Billy a l’impression de devoir lever la tête. «Vous êtes Superman? »
C’est une de ces questions auxquelles on n’est pas vraiment censé répondre, mais les sergents sont tous différents. Billy ne connaît pas encore celui-là. Parfois ils vous crient dessus si vous vous contentez de rester muet.
«Non, sergent. »
Le sergent l’examine, d’abord les yeux, puis le fusil et le paquetage. Billy est propre et rutilant, ni boue ni traces d’usure. Même ses bottes brillent.
«Votre nom?
– Drake, sergent. Première classe Drake. »
Le sergent hoche la tête. Puis il indique les corps étendus, propres et intacts, comme s’ils prenaient un bain de soleil les yeux fermés.
«On vient de les sortir des tunnels. Ce camion, là, dit-il en indiquant un des camions-citernes qui ramène un tuyau, vient de déverser plus de 10000 litres d’eau dans ce tunnel. On en a eu quelques-uns. Peut-être cinq. » Le sergent paraît satisfait de sa journée de travail.
«Quand le photographe aura fini, vous pourrez aider les autres à les enterrer. Un jour comme aujourd’hui ils vont commencer à puer dans trois heures. » Billy voit un photographe en treillis, casqué, prendre des photos des cadavres.
«Oui, sergent. »
Le sergent indique les arbres. «Vous voyez des singes dans les arbres ? »
Billy lève les yeux vers l’entrelacement épais de feuilles et de branches tout autour de la clairière. Pas de singes. «Non, sergent. »
Le sergent hoche la tête. «Allez rejoindre le premier groupe. C’est Peterson qui commande. Par ici. »

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Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

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