Premières lignes #178 : Sang d’encre, Oscar de Muriel

Premières Lignes #178

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Les mystères de soeur Juana : Sang d’encre, Oscar de Muriel

PROLOGUE
CONFESSIONS (I)

Puebla de los Ángeles
Messe de minuit de 1689

— Le Seigneur est avec…

— Pourrait-on abréger ?

— Doña Marina, que de blasphèmes ! Cinquante Ave Maria pour votre…

— Et 200 autres si ça vous fait plaisir. Mais d’abord, dites-moi : que vient faire ma petite-fille dans l’enquête du Saint-Office ?

Tapi dans l’ombre du confessionnal, le père Nuñez remonta ses lunettes sur son nez.

— Je sais désormais d’où la petite tient son impertinence, répliqua-t-il d’une voix forte, car l’orgue et les villancicos1 faisaient vibrer la cathédrale tout entière.

— Si je l’ai placée au couvent, c’est justement pour m’épargner les scandales, et voyez le résultat !

— Doña Marina, je me suis escrimé à vous dire que San Jerónimo ne convenait pas à votre petite-fille. Estimez-vous heureuse que l’affaire n’aille pas plus loin. Quatre décès, ce n’est pas facile à couvrir, même pour l’Inquisition.

La corpulente comtesse de Gijón s’agita si fort qu’elle faillit briser la cloison qui les séparait.

— Quatre quoi ?

Le père Nuñez, comprenant qu’il en avait trop dit, poussa un long soupir, répandant son haleine fétide dans le confessionnal (se laver les dents était sans doute considéré comme un péché de vanité).

— Oubliez. C’est résolu, désormais. Pour le moment, deux affaires me préoccupent davantage.

— Comment, plus que quatre…

— Votre petite-fille est devenue la grande amie de la poétesse. Je crains qu’elle ne lui mette des idées dans la tête.

— Quel genre d’idées ?

— De celles que la gamine avait déjà : arrogance, orgueil, mépris pour les choses sacrées, intérêt pour les textes hérétiques en vogue en Europe. La vocation de cette nonne est plus diluée que les atoles qu’on vend sur la Plaza Mayor.

— Eh bien, la prochaine fois que vous irez confesser les hiéronymites, dites à cette maudite catin de laisser ma petite-fille en paix. Menacez-la. Soudoyez-la s’il le faut.

Le père Nuñez se racla la gorge et se mit à gigoter sur son siège, à croire que le coussin s’était transformé en écorces de chayote.

— Je ne suis pas le confesseur de cette religieuse.

— Pardon ?

— Elle m’a… Elle m’a remercié il y a plus de sept ans.

— Comment est-ce possible ? s’enquit doña Marina avec un intérêt grandissant.

Même à travers la grille, le père Nuñez entrevit le sourire ravi de la comtesse et toussota de plus belle.

— L’empire de cette religieuse dépasse mon influence. Elle est très proche de la comtesse de Galve, du marquis de Mancera, qui ne se décide toujours pas à mourir, du père Kino et de l’évêque Fernández de Santa Cruz. On a publié ses vers perfides à Madrid et tout le monde s’arrache ses services pour qu’elle rédige discours et loas. C’est elle qui a composé les villancicos que nous entendons en ce moment même. Et elle est riche.

— Plus que moi ?

— Bien sûr que non, doña Marina. Mais, sauf votre respect, vous n’êtes pas dans les bonnes grâces du vice-roi ni des courtisans, et cela fait des années qu’on ne vous voit plus à la cour de Madrid.

La comtesse de Gijón roula des yeux d’un air avide.

— Peut-être pas, mais je suis moi aussi très proche de l’évêque Fernández de Santa Cruz… Vous savez combien je lui donne chaque année, en plus de la dîme.

« Tout votre blé charançonné », fut sur le point de répliquer le prêtre, mais il avait la tête ailleurs.

— Et l’autre affaire est plus urgente encore.

— Quoi ? mugit la comtesse, cette fois presque aussi fort que l’orgue monumental. Dans quoi s’est fourrée cette maudite gamine ?

— Je ne parle pas d’elle.

— De qui donc, alors ?

— De votre petit-fils.

— Demián ?

— Exact. Que vous avez envoyé à la capitale pour trouver une épouse.

Doña Marina se couvrit le visage de sa grosse main gantée.

— J’imagine déjà. Ivresse ? Jeux d’argent ? Bordels ?

Le père Nuñez ricana.

— Si seulement.

— Si seulement ?

— Disons qu’il est devenu l’ami intime de…

Il s’éclaircit la voix.

— … don Carlos Sigüenza y Góngora.

— Et qui est-ce encore, celui-là ?

Le père soupira.

— Vous êtes bien mal informée. C’est un autre scribouillard qui s’est attiré la sympathie des comtes de Galve. Ces derniers le paient pour pondre un pavé insipide d’aventures qui ne valent pas tripette.

— Encore un qui roule sur l’or ?

— Pensez-vous ! C’est un crève-la-faim. Il est aumônier dans un affreux hospice réservé aux… hum… vérolés.

— Vérolés ?

— Les personnes atteintes de la syphilis.

— Je sais ce que cela veut dire. Mais en quoi cela me concerne-t-il ? Soutire-t-il de l’argent à mon Demián ?

— Non, pire.

— Pire ! s’exclama doña Marina, qui ne pouvait rien concevoir de plus tragique que de perdre son argent.

Le père baissa d’un ton.

— Don Carlos jouit d’une certaine… réputation.

— Réputation ?

— Oui. Il appartenait à l’ordre de la Compagnie de Jésus, mais il en a été exclu il y a vingt ans. La raison de son renvoi n’a jamais été établie, cependant… Les mauvaises langues l’accusent de…

Il s’approcha de la grille pour marmonner le dernier mot. Au même instant, l’organiste plaqua un accord assourdissant.

— Je n’ai pas entendu, dit la comtesse.

Le père chuchota à nouveau, à peine plus fort, mais l’accord final se prolongeait.

— Je n’ai toujours pas enten…

— Sodomie !

Son cri exaspéré coïncida avec la pause solennelle entre deux cantiques, et le mot infâme se propagea jusqu’aux fidèles, aux mères et aux enfants.

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Prmières lignes # 177 : Meurtre au couvent, Oscar de Muriel

PREMIÈRES LIGNES #177

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Les mystères de soeur Juana Tome 1 : Meurtre au couvent, Oscar de Muriel

traduit de l’espagnol (Mexique) par Vanessa Canavesi

Prologue
Profanation

1er novembre 1688
Peu après minuit

Les démons étaient revenus hanter les rêves de l’abbesse. Des créatures hideuses à la chair carbonisée par les flammes de l’enfer. Leurs pattes griffues s’approchaient d’elle, surgissant de l’inframonde comme des vers sortant de terre.

Tout à coup, alors qu’elles étaient sur le point de l’attraper, sœur Caridad la secoua par le bras.

— Madre ! Mère ! Je vous en conjure, réveillez-vous !

La mère Augusta fut soulagée d’être tirée de son sommeil. Elle s’essuya le front et se redressa dans l’obscurité. Le visage rondouillard de la jeune novice se trouvait à quelques centimètres du sien, éclairé par la lueur vacillante d’une bougie.

— Que se passe-t-il ?

Les lèvres de sœur Caridad tremblaient.

— Madre… C’est arrivé de nouveau.

Instinctivement, l’abbesse chercha son médaillon de San Jerónimo d’une main tandis qu’elle se signait de l’autre.

— Dieu tout-puissant…

Caridad n’en dit pas plus, la pauvre peinait déjà à tenir sa chandelle. La mère supérieure se força à oublier sa propre terreur, car il était impossible pour elle de flancher devant les sœurs et les novices.

— Où ?

— Dans la chapelle de sainte Thérèse d’Ávila.

— Est-ce que tu as vu le corps ?

— Non, madre ! Je n’ai pas osé regarder. C’est sœur Encarnación qui l’a trouvé.

Augusta se leva et défroissa son habit. Quand avait-elle dormi pour la dernière fois en chemise de nuit de dentelle ? Impossible de s’en souvenir. Elle se servit de la bougie de sœur Caridad pour allumer sa lampe à huile et, ensemble, elles sortirent dans le grand cloître. La lune avait disparu derrière d’épais nuages et le ciel ressemblait à une caverne obscure et froide, ce qui décuplait leur angoisse.

Sœur Encarnación montait la garde devant la rangée de confessionnaux délabrés, rivés à la paroi extérieure de l’église telles des âmes implorant le pardon. Le peu de lumière qui émanait de sa bougie dansait sur les colonnes et rebondissait sur la peau ridée de la vieille nonne. Avec son cou émacié et ses yeux exorbités, elle évoquait un vautour aux aguets.

— Je n’ai laissé personne s’approcher, madre, déclara-t-elle de sa voix râpeuse. J’ai envoyé sœur Caridad vous chercher sitôt que… je l’ai découverte.

— Qui est-ce, cette fois ? demanda l’abbesse, prête au pire. L’avez-vous reconnue ?

Sœur Encarnación acquiesça.

— Jacinta.

La révérende mère se saisit à nouveau de son médaillon. La gorge nouée, des Notre Père et des Ave Maria fusant dans son esprit, elle prit le chemin de l’avant-chœur.

L’éclat doré d’une centaine de cierges l’accueillit. En cette nuit de la Toussaint, afin de guider les âmes du purgatoire, la tradition voulait que la maison du Seigneur soit baignée de lumière.

Augusta traversa avec détermination les cryptes ancestrales du chœur et ouvrit d’un coup sec la grille qui donnait sur la nef, strictement réservée aux laïques. À peine avait-elle parcouru cette partie de l’église qu’elle ressentit un frisson glacé. Ignorant la peur, et la nausée causée par l’odeur de l’encens, elle progressa jusqu’à la statue de sainte Thérèse. Les pas des sœurs résonnaient derrière elle. Bientôt, toutes trois parvinrent à la chapelle. La sainte, à l’instar des professes, regardait vers le bas. À l’expression affligée de ses yeux de verre, on eût dit qu’elle était consciente de l’horreur qui se déroulait sous ses pieds.

L’abbesse porta une main à sa poitrine. Une flaque rouge, visqueuse, s’étalait parmi les prie-Dieu.

Sans même s’apercevoir qu’elle avait le souffle coupé, elle se signa et s’approcha en titubant. Derrière elle, sœur Caridad, épouvantée, respirait péniblement.

Il y avait du sang partout dans la chapelle. Des gouttes avaient même souillé le voile de sainte Thérèse, si laborieusement brodé par les religieuses de Flandres.

— Elle n’est plus là. On l’a emportée ! s’exclama sœur Encarnación.

Effectivement, à l’exception de cette répugnante mare vermeille, il n’y avait pas le moindre corps.

— Es-tu sûre que c’était elle ? demanda Augusta.

— Naturellement, madre ! Je l’ai vue comme je vous vois.

Courbée vers l’avant, la prieure remarqua qu’un filet de sang serpentait en direction du maître-autel, jusqu’à l’imposant retable de bois doré.

Un courant d’air s’introduisit depuis la porte côté nord – grande ouverte sur la rue ! Il fit vaciller les flammes, et les trois religieuses découvrirent alors l’effroyable tableau.

L’abbesse dut fermer la bouche pour ne pas vomir. Caridad poussa un cri strident et se mit à pleurer. Encarnación, agrippée telle une petite fille à l’habit de la mère supérieure, faillit s’évanouir.

L’enfer. L’enfer. Il n’y avait pas d’autre mot pour décrire cet étalage de sang et de restes humains.

Le vent souffla avec plus de rage, éteignant les cierges un à un. Soudain on entendit des pas.

Lents et cadencés, claquant sur les dalles de pierre volcanique comme s’ils venaient de l’autel, du toit, des murs – de partout à la fois.

Alors, surgissant du sol comme s’il provenait des entrailles mêmes de la terre, un rugissement leur succéda, pareil à celui d’un porc qu’on égorge. Guttural, désespéré, de ceux qui vous poignardent les oreilles et vous tordent les tripes.

Sœur Caridad tomba à genoux, implorant miséricorde à grands cris, bientôt suivie de sœur Encarnación qui, toujours cramponnée aux habits de l’abbesse, manqua de la faire basculer.

À ce moment-là, la mère Augusta crut voir, illuminée par les rares cierges encore allumés, une silhouette voûtée qui se découpait dans l’ombre du maître-autel. Il y avait quelque chose de quasi bestial dans ses mouvements saccadés.

Cette vision ne dura qu’un instant ; les ténèbres engloutirent aussitôt l’église tout entière.

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