PREMIÈRES LIGNE #109 : Gaïa, Valérie Clo

PREMIÈRES LIGNE #109

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

Gaïa, Valérie Clo

Mon jeune collègue et moi avons été envoyés là-bas pour essayer de comprendre ce qui s’est passé il y a cinquante ans dans la région. Difficile de trouver des explications, des informations claires, comme si les gouvernements successifs avaient toujours cherché à minimiser les faits, les responsabilités et les mesures inefficaces prises pendant des années. Quant aux rescapés, la plupart sont restés en état de choc ou mutiques. Cette période reste assez opaque. Dans la littérature scientifique, le nom du village est souvent cité, référencé comme un village avant-gardiste, à la pointe en matière de protection et d’isolation des habitats, très informé sur les questions du climat et les nouvelles façons de vivre en communauté. À ce moment-là, ses habitants ne pouvaient imaginer qu’il était déjà trop tard, qu’on avait dépassé, et de loin, le seuil de tolérance que pouvait supporter la terre.

Lorsque mon patron nous a envoyés en mission, je n’en espérais pas autant. Avec les nouveaux modes de déplacements, nous avons peu l’occasion de nous enfoncer aussi loin dans les terres. Le voyage m’a semblé interminable, et les fouilles longues et difficiles à cause des dégâts de la tempête et du peu de moyens technologiques dont nous disposons désormais. Nous avons monté notre campement à l’entrée du village pour ne pas l’altérer. Rien ne semblait avoir bougé depuis cinquante ans. Dans de nombreuses maisons, nous avons retrouvé des ossements près de l’entrée, comme si les occupants avaient cherché à fuir. D’autres étaient restés dans les pièces dont les murs avaient été renforcés. Plusieurs jours infructueux sont passés à déblayer des détritus en tous genres avant de tomber sur le témoignage des deux sœurs. Je n’oublierai jamais ce moment. C’était à l’étage d’une des premières maisons du village. L’escalier en bois s’effritait, il fallait être prudent pour monter. Il y avait trois grandes chambres. Dans celle du fond, à l’intérieur d’un sac à dos, au milieu de vêtements et de cadavres de bouteilles d’eau, j’ai trouvé le carnet de Laura. Il était sec, cassant, comme s’il avait pris l’eau puis séché au soleil. Dans une autre chambre, rangées au fond d’un tiroir, protégées dans une pochette en carton, j’ai trouvé les lettres de Mel. Ces écrits semblent avoir été rédigés à la même époque sans que les sœurs se soient concertées. Une manne ! Une chance qui nous permet de mieux comprendre le déroulement des événements et les nombreux phénomènes climatiques de cette période. J’ai glissé ma trouvaille dans mon sac sans rien dire à mon collègue et j’ai poursuivi les fouilles. Ce n’est que le soir, après le dîner, au moment où nous nous reposions autour du feu de camp, que j’ai sorti mon trésor et que, à haute voix, en suivant la chronologie des dates, j’ai commencé la lecture.

Laura

15 octobre

Depuis une semaine, le ciel a changé. À l’aube, le soleil est plus rouge, ses contours sont moins nets, comme s’il saignait sur les nuages autour. Difficile d’expliquer aussi cette tension dans l’air. Invisible à l’œil nu, elle affole les appareils électriques et les personnes sensibles. Elle électrise l’atmosphère et rend les gens nerveux, irritables. Cette tension, je la sens dans ma poitrine et mon ventre, elle me met en état d’alerte permanent. On ne sait de quoi elle va enfanter. Elle est comme une boule de boue qui se prépare dans l’ombre depuis des semaines et s’apprête à rouler aveuglément sur nous. Les aiguilles sont au rouge, les scientifiques, sur le pont. On craint le pire, sans savoir si le danger viendra du ciel ou de la terre. Le gouvernement pense qu’il est préférable de ne pas rester isolé et a demandé aux habitants des campagnes de venir se réfugier en ville. Lorsque je vois les oiseaux faire le mouvement inverse, je me demande si c’est une bonne chose. Ils semblent avoir déserté les villes et les seuls qui sont restés tournoient affolés autour des clochers des églises, comme pris au piège. Les rats sortent des caniveaux, se répandent dans les rues, cherchent des abris, comme s’ils avaient été éjectés des sous-sols qui les protégeaient. La terre bouillonne, je l’entends gronder sous mes pieds. Nombreux sont ceux qui refusent d’écouter sa révolte. Ils préfèrent fermer les yeux, ignorer que, la nuit, des loups affamés viennent hurler en ville, que des ours sauvages quittent leurs abris pour saccager les magasins à la recherche d’un peu de nourriture. Ils continuent leur chemin, poings fermés, têtes baissées, déterminés, comme cette femme qui, chaque matin, passe sous ma fenêtre et entre dans les bureaux d’en face. Elle semble virevolter, dans une danse macabre, se moque des rats qui grouillent à ses pieds et de la chaleur anormale de ce mois d’octobre.

Les blogueurs et blogueuses qui y participent aussi :

• Lady Butterfly & Co
• Cœur d’encre
• Les tribulations de Coco
• Ladiescolocblog
• Aliehobbies
• Ma petite médiathèque
• Pousse de ginkgo
• À vos crimes
• Le parfum des mots
• Ju lit les mots
• Voyages de K
• Prête-moi ta plume
• Les paravers de Millina
• Mon P’tit coin de lectures
• Critiques d’une lectrice assidue
• sir this and lady that
• Livres en miroir
• 4e de couverture
• filledepapiers
• Les lectures de Marinette
• Chat’pitre
• Les Lectures d’Emy

Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

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