PREMIÈRES LIGNE #112 : En Cavale, Emmanuel Varle

PREMIÈRES LIGNE #112

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre en cause

En Cavale, Emmanuel Varle

1

Dans le wagon, ça puait la bouffe et la crasse. Il était 14 h 55 et sa gare de destination venait d’être annoncée. Le punk d’une trentaine d’années, coiffé à l’iroquoise d’une crête bleue, voyageant sans billet venait de se faire rattraper par la patrouille. Les contrôleurs lui dressèrent une contravention pour défaut de titre de transport, puis une autre quand ils réalisèrent que le clebs à la gueule inquiétante – un dogue argentin – qui déambulait dans la voiture lui appartenait.

Le train s’arrêta sur un quai désert, cinq passagers descendirent : le punk et son molosse, trois grand-mères aux cheveux permanentés et violets et un jeune homme qui se dirigea vers un sexagénaire qui semblait l’attendre. Très grand, plus d’un mètre quatre-vingt-dix, une barbe blanche, des sourcils broussailleux bruns, une chevelure abondante : le type était en tous points conforme à la description qu’on lui en avait faite. Après une poignée de main très ferme, qui suscita une légère douleur chez Xavier, et deux mots de bienvenue, les deux hommes prirent place dans le véhicule du prénommé Pascal. Le géant démarra en trombe, réveillant en sursaut un clochard qui sommeillait couché sur un banc. Le SDF au visage sculpté par l’alcool, mécontent d’être sorti de sa léthargie lança en pestant une canette de bière en direction du véhicule, sans l’atteindre.

Dès les premiers kilomètres, assis inconfortablement dans l’antédiluvienne Fiat Panda, Xavier se rendit compte que les indications sur la personnalité du conducteur étaient correctes. L’homme des bois était un taiseux, répondant aux questions par monosyllabes. Un ogre, sorti des forêts profondes, mais qu’on devinait animé d’une certaine bienveillance, malgré quinze années passées en prison.

La maison était conforme à ce que lui avait annoncé son ami Manu : petite, perdue dans la nature, entourée de sapins et de mauvaises herbes. À l’intérieur, une pièce faisant office de cuisine, salon et salle à manger. Un lit monacal, deux chaises, une table, un poêle à bois et quelques placards à la peinture écaillée constituaient l’essentiel du mobilier. Un fusil de chasse était accroché au-dessus de la porte d’entrée. À l’étage, Xavier découvrit une chambre avec un grand lit, une armoire en châtaignier sortie des ateliers de menuiserie de la région au début du XXe siècle, un vieux fauteuil en velours et une table, bancale. Une vraie cabane de trappeur au confort spartiate, songea le jeune homme qui déplora l’absence de frigo et surtout de salle de bains.

— Je t’ai mis quelques provisions, dit le mastodonte, pour le reste, tu te débrouilleras. T’as un supermarché à dix bornes. Ils vendent de tout. Les cartouches pour le fusil sont dans le tiroir de la table, mais ici personne ne viendra te faire chier. Et pour tes déplacements, t’as un vélo. Il est un peu vieux et il couine, mais il roule. Ah, dans le jardin, t’as une grange avec du bois pour le poêle et aussi des transats un peu vieillots, mais confortables si tu veux profiter du beau temps.

Après avoir allumé une cigarette, il ajouta :

— Dernière chose, pour te laver, tu as une grande bassine en zinc. Il te suffit de la remplir, de prendre ton bain et de la vider. Sers-toi de l’arrosoir qui est sous l’évier de la cuisine. Tu pourras te laver avec le chant des oiseaux et le soleil devrait briller encore quelques semaines. Quand ça caillera trop, tu rentreras la bassine à l’intérieur sinon si t’es pas frileux, t’as la rivière en contrebas. L’eau froide, le matin, ça revigore !

Après ces quelques conseils, le sexagénaire taciturne était parti, laissant Xavier dans son nouvel univers.

La nuit commençait à tomber. Une nuit des premiers jours d’automne, légèrement brumeuse, qui rendait flou le paysage, et générait une froideur enveloppante. L’endroit était un peu sinistre, mais le jeune homme était, à moins d’être dénoncé, à l’abri des flics. Dans la maison régnait une forte odeur de moisi. Il chargea le poêle, sortit une bière tiède du placard et la but en fumant une clope. Il songea aux mains imposantes de Pascal et à la force qui s’en dégageait comme en avait témoigné la poignée qu’ils avaient échangée. Des mains témoignant d’un passé de violence, des mains de tueur.

Xavier monta dans la chambre. La mine soucieuse, il réfléchit aux deux dernières années de sa vie. Jamais, il n’aurait songé en arriver là, mais pourtant, il y était, au bord de la falaise. Un coup de vent et hop ! Finita la comedia !

Au-dessus de sa tête se trouvait un tableau représentant un paysage campagnard enneigé qui ressemblait beaucoup à une toile de Vlaminck. Xavier l’examina et vit qu’il n’était pas signé. Il se demanda si c’était un vrai. Il en avait vu à plusieurs reprises à l’hôtel Drouot et il était presque sûr de son authenticité. Un Vlaminck, qui devait valoir dans les cinquante mille euros, provenait très vraisemblablement d’un cambriolage.

Xavier descendit examiner le fusil de chasse, un Bergeron calibre 12, à canons superposés. Une arme classique de chasseur. Parfaite pour le gros gibier.
*

En arrivant aux abords du bar où il travaillait, il les avait tout de suite repérés. Trois mecs, jean et blouson ample, le regard décidé, l’air pas commode. Les flics, il les sentait à un kilomètre et ceux-là n’avaient pas des têtes à ressortir bredouilles de leur visite. Il était resté à une distance respectable de l’établissement et les avait vus y pénétrer et parler au patron, puis, il avait observé un des serveurs, Baptiste, son ami dealer – grand fumeur de weed et de shit devant l’éternel – se joindre à la conversation. Ce dernier était ressorti menotté, la mine défaite.

Il connaissait suffisamment son pote, sa manie de trop parler, son caractère fragile, son égoïsme pour savoir qu’il n’allait pas résister longtemps à la pression policière. Xavier était certain que, dès les premières heures de garde à vue, il allait craquer et le balancer lui, son pote de deal, et tenter de lui faire porter le plus grand des chapeaux, un sombrero mexicain.

Après être resté un court moment figé, hésitant, le cerveau en fusion, il avait décidé de réagir et vite. Dans la rue, il avait hélé le premier taxi qui se pointait et foncé à son domicile. Dans son appartement, il ne s’était pas attardé. Dix minutes, pas plus, juste le temps de rassembler ses affaires les plus importantes et d’ouvrir la cage à sa perruche à collier. Il savait qu’elle s’en sortirait bien dehors. Depuis plusieurs années, le ciel parisien bruissait du cri strident de ses congénères. La libérer l’avait chagriné. Après, il avait dévalé son escalier et ressenti un immense sentiment de crainte lorsque le souffle de la rue et son cortège de bruits l’avaient happé.

Son plan consistait à quitter Paris au plus vite, éviter les flics à ses trousses. En tant qu’ex-policier, il savait que ses anciens collègues allaient mettre un zèle particulier à le coincer. Heureusement, il connaissait un endroit tranquille, un lieu idéal pour se planquer. Il avait changé deux fois de taxi et sonné chez Manu, son ami de toujours. L’autre lui avait ouvert, une tasse de thé vert à la main et un joint au bec. En voyant sa coiffure rase au-dessus et longue et frisée à partir du cou, Xavier s’était dit, comme à chaque fois qu’il le voyait, que ce type était décidément le plus mal coiffé de la place de Paris et malgré les circonstances dramatiques, il avait dû étouffer un fou rire. Puis il lui avait brièvement expliqué sa galère. Son ami lui avait proposé d’aller se planquer dans une baraque perdue dans la nature appartenant à son oncle, un ancien truand rangé des voitures.

Personne ou presque dans l’entourage de Xavier ne connaissait Manu. Le jeune homme avait toujours eu la manie de compartimenter ses relations, les flics n’étaient pas prêts d’aller questionner son pote qui, de toute façon, ne leur dirait rien. Une vraie carpe le Manu et pas qu’avec les flics, un ancien gosse battu, abonné aux foyers, rendu méfiant par nature ! Mais une fois sa confiance gagnée, c’était tout bénef ; il se révélait le plus fiable des fiables. Rien à voir avec tous ces mous du genou, béni-oui-ouistes, afficheurs d’émotions sur commande. Manu était toujours dans le vrai, n’éludait rien. Avec lui, il n’y avait pas moyen de tricher.

Xavier savait que les policiers allaient diffuser dans les jours à venir une fiche de recherche avec tous les éléments le concernant ; identité, description physique, photo, délits lui étant reprochés. Il savait aussi que cette circulaire serait à diffusion nationale et que tous les services de police et de gendarmerie de France et de Navarre allaient en être destinataires. Il savait enfin qu’il était condamné à se faire coincer dans les semaines ou les mois qui viennent, qu’il allait connaître la prison avec le traitement spécial que lui réserveraient les autres détenus si les matons étaient assez salauds pour balancer son CV. Il était dans la merde, sa priorité était de retarder la date de son arrestation.

Dix-huit mois auparavant, la veille de son vingt-quatrième anniversaire, Xavier était sorti cinquième de l’école de police. Cinquième sur cent douze, un rang plus qu’honorable. Le jeune officier semblait promis à un brillant avenir. Le directeur l’avait félicité, son père s’était déplacé. Un père à moitié manouche qui détestait tout ce qui portait l’uniforme. Lors de la cérémonie, son père s’était souvenu des policiers qui tambourinaient comme des malades à la porte de la caravane aux premières lueurs de l’aube, des discussions avec le chef du camp, du départ du convoi vers une destination inconnue, des cris des gosses énervés, réveillés trop tôt, du vieux qui ne quittait jamais son chapeau avec sa plume d’oiseau et qui répétait toujours : Partout, ils nous chassent, ils nous détestent. Il avait revu le regard perdu de sa mère lors de ces expulsions. Elle n’était pas manouche et avait accepté en épousant le grand-père de Xavier de couper les ponts avec sa famille et d’adopter un mode de vie dans lequel tout lui était étranger. Au buffet, mal à l’aise au milieu de tous ces uniformes, le père de Xavier n’avait rien mangé et refusé la coupe de champagne, mais il avait assisté au sacre de son rejeton qui envisageait déjà de passer le concours de commissaire. Il était plein d’illusions.
*

Xavier était parti en cavale avec deux mille cinq cents euros en poche, la totalité de ses économies, le fric de la came et ce qui lui restait sur son compte bancaire. Il n’était plus question d’utiliser sa carte de crédit. Son téléphone avait rejoint la Seine avec un plouf discret. Dans une impasse du 13e arrondissement, il avait acheté un portable à carte prépayée à un chinois. Seul Manu en connaissait le numéro. Restaient à dénicher de faux papiers, pour ça aussi, son pote avait une bonne adresse. Un nouveau look rendrait difficile son identification par les gendarmes du coin perdu où il allait trouver refuge.

Inquiet, il se rassurait en songeant que comme lui, quand il était en activité, les pandores ne s’attardaient pas sur ces formulaires de recherche surtout quand ils ne se sentaient pas concernés. Le fait qu’un dealer parisien vienne se réfugier dans leur campagne n’était tout simplement pas imaginable. Leur zone d’activité c’était un ensemble vallonné parsemé de quelques fermes et habitations. Et dans ces maisons, hormis les retraités originaires du cru, venus terminer leur vie sur la terre qui les avait vus naître et des citadins s’échappant le week-end du bitume et de la pollution, vivaient quelques marginaux, gagnant de quoi vivoter grâce à la vente d’objets divers, variant selon leur inspiration, leurs tourments, leur besoin de fric. Ces drôles de loustics proposaient, sur les marchés, du bois tordu, des figurines, des cendriers, la plupart du temps à peine plus soignés que des cadeaux enfantins préparés dans les écoles pour la fête des Mères. Quelques touristes se laissaient parfois tenter par ces objets vendus, il est vrai, à un prix dérisoire.

Tout au fond des bois, après deux bons kilomètres d’un chemin sablonneux, percé d’ornières, emprunté en quittant la maison où Xavier avait trouvé refuge, vivait une communauté de marginaux. Parmi eux figurait un drôle de couple : Merlin, un soixante-huitard, qui se vantait d’être monté au braquo dans sa jeunesse avec Pierre Conty, et sa femme, Irène de Wateuil, dite Mady. Cette aristocrate en rupture de ban possédait les quatre-vingt-dix hectares de forêt dans lesquels elle accueillait les marginaux. Ce domaine vallonné aurait pu faire office d’arboretum tant on y trouvait d’essences différentes qui croissaient aux abords de surfaces marécageuses, d’étangs, de ruisseaux et d’une petite rivière.

Dans cette immense forêt se trouvaient également des grottes dont certaines avaient servi d’abris au maquis. Mady était également propriétaire, à vingt kilomètres du camp, d’un château fort construit par un de ses ancêtres de retour de croisade, monument imposant remanié au fil des siècles qu’elle louait à un couple d’Anglais qui l’avait transformé en maison d’hôtes et d’un immeuble à Paris, rue Saint-Honoré, dont le rez-de-chaussée abritait trois boutiques de luxe.

C’est donc peu dire que la concubine de l’ex-truand était blindée de thune, de quoi nourrir les générations de descendants qu’elle n’avait pas, et la curieuse bande d’énergumènes qui l’entourait. Avec sa particule, ses dreadlocks, ses tatouages et ses nombreux piercings, elle était connue à des lieues à la ronde. Les gens du coin l’avaient affublé de plusieurs des surnoms : la sorcière, la harpie, la vieille gauchiste.

Depuis une douzaine d’années, le couple, qui s’était formé au début des années soixante-dix à Katmandou, était passé du statut de végétarien à celui de végane. Toutefois, la plupart des asociaux qui vivaient dans le vaste domaine étaient de purs carnassiers et braconnaient à tout va. Ragondin, castor, lapin, renard et même blaireau, tout était bon pour eux. Le gibier était attrapé au moyen de collets ou de pièges à mâchoires. Parfois, les renards et les blaireaux étaient pris dans leurs terriers. Cette chasse durait des heures. Il fallait creuser pour élargir le terrier et accéder à l’animal puis l’attraper au moyen d’une longue pince métallique qui lui broyait le cou. L’animal était ensuite sacrifié, dans un rituel barbare à coups de batte de base-ball. Mady détestait la chasse, mais laissait faire. Les oiseaux n’étaient pas épargnés, attrapés avec de la glu ou des filets, ou parfois tirés à l’arc.

La rivière et les étangs permettaient également à cette population hétéroclite de se gaver de truite, de perche, de tanche, de sandre et de brochet. La cohabitation entre ces viandards et les véganes faisait parfois des vagues, mais celles-ci s’apaisaient avec des joints, des bières et des cachetons. Le mâle alpha des mangeurs de barbaque, Fideli ne se contentait pas de braconner. Il rendait visite régulièrement à des maisons isolées. Les flics l’avaient chopé à deux reprises et une fois, il était même allé en taule sans que son envie de cambriolage ne s’estompe. Le fait de rentrer dans une demeure provoquait chez lui une terrible excitation. La découverte du mobilier, la crainte que les occupants se pointent ou que des gendarmes fassent leur apparition, la vie des gens qui se dévoilait au travers des objets que ses yeux parcouraient, l’ennivraient. Tout ça comptait davantage que le butin qui se limitait la plupart du temps pour des raisons pratiques aux bijoux et au numéraire. Le zonard volait parfois des objets dérisoires qu’il conservait malgré le risque qui en résultait. Bref, il appartenait à une catégorie de voleurs originale dont le cas relevait plus de la psychiatrie que de la délinquance.
*

Depuis un an, il bossait dans un commissariat du 20e arrondissement de Paris, sis dans un petit immeuble datant de la Révolution, rescapé de la politique urbaine du préfet Haussmann et des vagues de la spéculation immobilière, noyé au milieu de grands bâtiments, David parmi les Goliaths. Trois cent quatre-vingts mètres carrés répartis sur trois étages. Son bureau, une sorte de cagibi, donnait sur un petit square. Dans le couloir se trouvait une grande plaque en émail rendant hommage aux policiers résistants du réseau le Coq gaulois. Depuis son installation, des milliers de personnes, flics, témoins, gardés à vue étaient passés devant sans lui accorder la moindre attention. Un jeune commissaire tout juste sorti de l’école avait manifesté l’intention de la descendre à la cave, reléguée parmi les vieilleries inutiles, mais, un flic syndicaliste franc-maçon, dont le grand-père était policier et résistant, était monté au créneau et l’avait sauvée des limbes.

Le matin, Xavier partait bosser à pied. Un itinéraire sympa, animé, deux kilomètres de rues avec les terrasses des cafés, les bazars qui vendaient essentiellement des objets inutiles et pas chers, les fresques sauvages, couleurs en folie, rage qui s’exprimait ou parfois, plus sages, commandées par la ville, l’exotisme à Paris, les mendiants vissés à leur place, les vieux qui descendaient de bonne heure sur leurs bancs pour évoquer avec regret le temps qui passe. Chaque jour, il faisait une halte au même café tenu par un vieux kabyle édenté, Toumi. Il buvait son expresso tranquille au comptoir en feuilletant Le Parisien et en se demandant ce qu’allait lui réserver sa journée. Tel un vaillant soldat hyper motivé partant en campagne, il allait devoir affronter la misère humaine qui venait s’échouer chez les flics, les problèmes insolubles de voisinage, les ménages en déliquescence, la délinquance petite ou grande, la jeunesse déboussolée imperméable au discours d’un jeune policier. S’occuper du linge sale de la société ne le dérangeait pas. Le jeune policier savait qu’au-delà d’un niveau de saleté, le linge ne se lavait plus en famille.

Il avait quitté le commissariat dans un véhicule sérigraphié avec deux collègues pour rejoindre le lieu de leur intervention. À 10 h 45, les trois flics avaient pénétré dans un immeuble vétuste, sans ascenseur, avec un escalier aux marches usées par le temps, une rampe qui branlait, des odeurs de moisi et de bouffe, des cris de gosses que laissaient filtrer les minces cloisons des appartements. Le genre de bâtiment dans lequel vivaient des vieux et des immigrés récemment arrivés. La propriété d’un marchand de sommeil tunisien qui faisait payer au prix fort l’humidité, les cafards, les installations électriques déficientes, la vétusté d’un lieu pas rénové depuis des décennies. Certains locataires, les plus pauvres, vivaient dans des pièces sans fenêtre. Cette absence d’ouverture vers le monde extérieur leur donnait des sentiments d’oppression. Un jour, une femme avait piqué une crise de nerfs et tapé sur le mur avec un marteau pour accéder au jour qui la narguait derrière ses murs. Elle avait été internée, le proprio n’avait pas été inquiété.

La porte de l’appartement était grande ouverte. Une vieille femme gisait sur son lit, le bras gauche pendant dans le vide, morte de vieillesse, partie aux premières lueurs de l’aube.

Le brigadier-major qui accompagnait Xavier le détestait parce qu’il était plus jeune et plus gradé que lui et aussi plus beau et plus cultivé, bref il le supplantait en tout. Le gardien de la paix, proche de la retraite, qui suivait le sous-officier comme son ombre semblait vouer le même mépris au jeune lieutenant.

Dans le petit appartement propret et bien rangé, le mobilier était modeste, rustique. Un médecin était venu constater la mort. La cause du décès était naturelle ; la nonagénaire était partie, lestée par le poids des années. Le corps allait être embarqué par les pompes funèbres. Encore quelques paperasses et l’affaire serait réglée.

C’était le troisième macchabée que Xavier voyait depuis une dizaine de jours, mais contrairement aux deux précédents, celui-là ne sentait pas. Une expression de sérénité émanait du visage de la vieille dame, celle d’un départ paisible.

C’était une belle matinée ensoleillée du début du printemps, une journée sans voitures, à cause d’un pic de pollution, et dans les rues, ne circulaient plus que les flics, les services d’urgence, les bus et les taxis. Xavier avait observé, par la fenêtre, les gosses qui jouaient dans le square quatre étages plus bas, une petite bande de jeunes avec des capuches et un pitbull.

Puis, il avait abandonné le spectacle de la rue et était revenu dans ce monde confiné de silence et de mort. Ses yeux avaient longuement inspecté la pièce et deux fois, ils s’étaient attardés sur le même objet, une médaille en bronze doré à l’effigie de Louis XVI. Une pièce authentique, en numismatique, Xavier s’y connaissait. Il était passionné par les pièces depuis qu’il avait huit ans et qu’un oncle lui avait donné des pièces romaines trouvées dans un vignoble grâce à un détecteur de métaux. La médaille n’avait pas une grande valeur, une centaine d’euros tout au plus, mais Xavier ne voyait plus qu’elle. Totalement fasciné, il se sentait comme aimanté par cet objet. Il eut une pulsion, une envie folle, irrésistible.

Discrètement, il avait glissé le médaillon dans la poche de son blouson avec un mélange d’excitation et de peur. Une force autodestructrice, l’impression de faire une immense connerie.

De retour au commissariat, il avait juste eu le temps de boire un café et de fumer une clope avant d’être convoqué par le commissaire. Nerveux, agité, il se doutait du motif de sa convocation et il se sentait fait comme un rat.

— Alors, on vole ! Donnez-moi l’objet ! avait intimé son supérieur.

Xavier, tout penaud, avait sorti en tremblant la médaille de sa poche. Après cet instant fatidique, sa vie avait basculé. Il y avait eu les bœufs-carottes, les vingt-quatre heures de garde à vue, la perquise et sa mise à pied. Ensuite s’étaient succédé les journées interminables à traîner son ennui, attendre la sanction, avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête qui ne lui laissait plus aucun espoir de rester flic. Et celle-ci était tombée au bout de trois mois d’attente : révocation. Désormais, il était marqué au fer rouge. Il n’était plus question de tenter d’autres concours administratifs. Avec son CV de flic foutu dehors de la Grande maison, l’horizon était également bouché dans le secteur privé.

Alors, après un bref entretien avec le boss d’un bar branché dans lequel il avait ses habitudes, il était devenu barman. Une semaine à peine après son embauche, il avait commencé à dealer. Tant qu’à être malhonnête ! Par la suite, il avait su que sa saloperie de médaille à l’effigie de Louis XVI trônait désormais sur le bureau de son commissaire. Avant ce méfait, Xavier n’avait jamais volé de sa vie, même pas un bonbon quand il était môme.

Pourtant, certains de ces cousins du côté de son père manouche étaient des putains de voleurs, les rois du chapardage. Pas lui, le champion de la probité, droit dans ses bottes et là, la pulsion soudaine et le plongeon sans parachute.

Il pensait à tout cela en fumant sa clope, exilé dans sa cambrousse avec les flics au cul et le chant des oiseaux. Dura lex sed lex. Saloperie de cafteur de major et saletés de flics de l’IGPN qui l’avaient fait entrer menotté dans son immeuble malgré les gens dans la cour et l’escalier, malgré le fait qu’il était quand même encore un collègue et malgré son visage désespéré et sa demande réitérée de ne pas être entravé.

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Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

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