PREMIÈRES LIGNE #34

PREMIÈRES LIGNE #34

PREMIÈRES LIGNE #34

Bonjour, ravie de vous retrouver pour un nouveau rendez-vous du dimanche : premières lignes, créé par Ma Lecturothèque.

Le concept est très simple, chaque dimanche, il faut choisir un livre et en citer les premières lignes.

Je poursuis aujourd’hui avec vous ce nouveau rendez-vous hebdomadaire !

Et merci à Aurélia pour ce challenge.

Le livre du jour

Une sacrée redécouverte, un énorme coup de cœur

L’enfer de René Belletto

CHAPITRE I

J’entrepris d’écrire, à l’intention de ma mère adoptive, une lettre de suicide, que j’enverrais peu avant de me donner la mort, dans trois jours, une semaine, un mois, je ne savais, mais enfin ce serait chose faite, je veux dire écrire cette lettre.

Explications, remerciements, pardon sollicité, je t’embrasse et je t’aime, Michel.

Deux feuillets et quart d’un discours et d’une écriture d’outre-tombe, mais assez soutenus, allants, compacts, quasi allegro à leur façon, au début j’eus un peu envie de pleurer, au milieu beaucoup, je faillis poser mon front sur mes bras repliés et m’abandonner à des sanglots, de ceux qui font trépider l’abdomen et l’endolorissent. À la fin, soulagé peut-être, et absorbé par mon effort d’expression écrite, plus du tout, au point même de cracher avec une certaine verve par la fenêtre ouverte après avoir léché l’enveloppe et le timbre, ce dont j’ai horreur, lécher la colle.

J’étais certain de ne pas avoir de timbre. Néanmoins, j’avais cherché longtemps, longtemps, trop longtemps, oubliant presque pourquoi je cherchais, ce que je cherchais, et, miracle, j’en avais découvert un, sale, fripé, comme apeuré au fond de la poche arrière gauche d’un pantalon, là où je ne mets jamais de timbres, et où il devait se morfondre depuis des semaines, sinon des mois.

Madame Liliane Tormes, 21, chemin du Regard, 69100 Villeurbanne. Je crachotai encore, mais il n’y eut que le bruit et la grimace. Pas de matière salivaire. Il faisait trop chaud et desséché.

J’avais soif.

Je fis glisser l’enveloppe au milieu de la table, le plus au milieu possible, au centimètre près. J’y mis le temps nécessaire. Puis j’empoignai les rebords de la table, à droite et à gauche, bras tendus, et demeurai ainsi quelques instants, dans une attitude de maître du monde.

Je me levai soudain. Une goutte de sueur vola. La chaise ripa, manqua tomber, ne tomba pas.

J’allai me pencher à la fenêtre, pratiquement murée. On aurait pu atteindre le mur aveugle et lépreux d’en face avec un crayon neuf. Nulle fraîcheur. L’air sans mouvement, ici moins qu’ailleurs, étouffait.

À la cuisine, je bus de l’eau. À la salle de bains, je m’aspergeai le visage. Aux toilettes, j’urinai à grand fracas. La chasse fut à peine plus bruyante. Il est vrai qu’elle marchait mal. Je constatai une fois de plus que ma chair était douloureuse. Quand j’urinais à grand fracas, ou quand je fermais très fort les paupières, ou me heurtais de l’épaule ou d’autre chose à un chambranle de porte ou ailleurs ou me pinçais par exemple l’avant-bras ou la peau du ventre, je sentais ma chair brûlante et fragile, comme en cas de fièvre de cheval. Peut-être avais-je la fièvre? Non, je ne croyais pas. L’infinie chaleur de la saison, les insomnies qui me harcelaient, mon alimentation capricieuse et le triste état de mon âme expliquaient de reste cette impression de fièvre de cheval.

Je revins prendre la lettre, m’entroupai dans le fil du téléphone, traversai le hall, passai dans la pièce de devant où je m’entroupai encore dans le fil du téléphone, car il y avait deux postes téléphoniques dans l’appartement, vestige de l’époque où deux personnes étrangères l’une à l’autre vivaient là, l’une dans la pièce de devant, l’autre dans la pièce de derrière, et avaient décidé un beau jour je suppose d’accroître leur indépendance par cette installation. Je faillis choir, et arracher le fil du téléphone pour apaiser une hargne soudaine. J’étais comme prêt au combat. Puis je repris aussi soudainement mes façons somnambuliques. Ces deux téléphones ne servaient qu’à m’énerver. Ils sonnaient en même temps. Double bruit, donc. Et je m’entroupais dans les fils.

Il est vrai qu’ils ne sonnaient jamais. Sauf quand ma mère appelait, mais c’était surtout moi qui l’appelais. Et son téléphone était en panne. Impossible de l’appeler.

Je rangeai la lettre cachetée et timbrée (j’avais trouvé un timbre! J’étais encore sous le coup de la stupéfaction) dans le tiroir inférieur d’une commode passée au brou de noix par celle qui fut longtemps ma compagne dans ces murs et qui, lassée de mon être et de mes manières d’être, être et manières d’être qui auraient lassé et fait trépigner une statue de pierre, avait fui un matin vers d’autres cieux. Un après-midi, à vrai dire. Autour des quatre heures. En hiver.

Je rangeai la lettre parmi divers objets, une trousse à crayons en plastique à la fermeture éclair défectueuse (on ne pouvait plus ni la fermer ni l’ouvrir), un tube de colle séchée et durcie, un lance-pierres fabriqué par moi du temps de ma jeunesse, un jeu de cartes truqué, un pistolet à amorces, une tonne de lettres privées ou administratives dont les expéditeurs attendaient ma réponse depuis des myriades de décades, un diapason (laaaaaa) aux branches à section carrée, l’emballage et la notice explicative de mon réveil à quartz qui n’avait ni avancé ni retardé d’une seconde depuis un an, ma vétuste et détraquée petite machine à écrire, un rouleau d’amorces roses, quatre porte-clés, une poignée de ces bouts de feutre qu’on met sous les chaises pour éviter d’importuner la moitié de la ville quand on les racle avec rage pour une raison ou pour une autre sur le sol carrelé d’une cuisine, une copie du pauvre testament de Liliane, un cendrier en aluminium qui devait peser trois grammes, un exemplaire jaunâtre de mon livre Les Fugues de Bach, et un tube d’Alymil 1000, Laboratoires Pharmaceutiques Dioblaniz, LPD, cinq comprimés absorbés à une minute d’intervalle vous endormaient leur homme pour l’éternité, si mes renseignements étaient bons. Or ils étaient excellents.

Excellents.

Si cette lecture vous a plu, je vous propose le suite toute cette semaine

Alors à tout vite, dés demain midi

Les blogueurs et blogueuses qui y participent aussi :

• Au baz’art des mots
• Light & Smell
• Les livres de Rose
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• Chat’Pitre
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• Ju lit les mots
• Songe d’une Walkyrie
• Mille rêves en moi

Auteur : Collectif Polar : chronique de nuit

Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

4 réflexions sur « PREMIÈRES LIGNE #34 »

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